Cass. com., 21 mars 2006, n° 04-17.869
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Bélaval
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Nicolay et de Lanouvelle
Attendu, selon l'arrêt déféré (Versailles, 29 avril 2004, n° RG 03/06682), que la société Khalifa airways (la société), ayant son siège en Algérie et plusieurs établissements situés en France, a été mise en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Nanterre, le 10 juillet 2003 ; que, le 24 mai 2004, la société a été mise en liquidation judiciaire par le tribunal algérien de Cheraga, M. X... étant désigné liquidateur ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société et M. X..., ès qualités, font grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception d'incompétence au profit des juridictions algériennes et d'avoir confirmé le jugement du 10 juillet 2003, alors, selon le moyen :
1°) que les juridictions de l'Etat dans lequel le débiteur a son siège social, son principal établissement et exerce l'essentiel de son activité ont, conformément au principe de l'universalité de la faillite, seules compétence pour prononcer une mesure applicable à l'ensemble d'une entreprise internationale ; qu'en reconnaissant la compétence des juridictions françaises pour prononcer la liquidation judiciaire de la société de droit algérien Khalifa airways, ayant son siège social et son principal établissement dans ce pays et y exerçant l'essentiel de son activité, et en lui conférant une portée universelle, la cour d'appel a violé l'article 1er du décret du 27 décembre 1985, ensemble les principes du droit international privé ;
2°) que la souveraineté d'un Etat étranger s'oppose à ce qu'une juridiction française ordonne la liquidation judiciaire d'une entreprise ayant son siège social dans ce pays étranger et y exerçant son activité principale ; qu'en prononçant la liquidation judiciaire de la société de droit algérien Khalifa airways ayant dans ce pays son siège social et son principal établissement et y exerçant l'essentiel de son activité, en refusant de limiter cette mesure, impliquant des actes d'exécution et la mise en oeuvre de la contrainte aux seuls établissements situés en France, la cour d'appel a porté atteinte à la souveraineté algérienne et a violé les principes du droit international public, l'article 2 de la Charte des Nations unies et l'Accord franco-algérien conclu sous la forme d'un échange de lettre le 3 juillet 1962, mettant en oeuvre les Accords d'Evian ;
3°) que la liquidation judiciaire prononcée en France ne peut produire d'effet partout où le débiteur a des biens que dans la mesure de l'acceptation par les ordres juridiques étrangers ; qu'en prononçant la liquidation judiciaire de la société Khalifa airways, société de droit algérien ayant dans ce pays son siège social ainsi que son principal établissement et y exerçant l'essentiel de son activité, sans rechercher si une telle mesure était acceptée par l'ordre juridique algérien, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de l'universalité de la faillite et de l'article L. 621-83, alinéa 4, du Code de commerce ;
4°) qu'un Etat ne saurait ordonner la réalisation d'une mesure judiciaire, sur le territoire d'un Etat étranger, sans que soit caractérisé un lien étroit unissant la situation que la mesure tend à régler et l'Etat qui l'édicte ; qu'en ordonnant la liquidation judiciaire de la société Khalifa airways, société de droit algérien ayant dans ce pays son siège social et son principal établissement et y exerçant l'essentiel de son activité, sans relever l'importance qu'aurait en France la cessation des paiements de cette entreprise, la cour d'appel a violé les principes du droit international public ;
5°) qu'en prononçant la liquidation judiciaire de la société Khalifa airways, société de droit algérien ayant dans ce pays son siège social ainsi que son principal établissement et y exerçant l'essentiel de son activité, et en soumettant ainsi les créanciers, dont le titre avait pris naissance en Algérie ou à l'étranger, à la loi française qui implique notamment l'obligation de procéder à une déclaration de créances dans un délai de quatre mois à compter de la publication de la décision en France, bien que ces créanciers n'aient pas été à même de prévoir raisonnablement une telle compétence, et de pouvoir s'aviser de la publication en France d'un tel jugement, la cour d'appel a méconnu le principe de sécurité juridique et a privé ces créanciers du droit d'accès à un tribunal en violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
6°) qu'en soumettant les créanciers dont le titre est né en Algérie ou à l'étranger, aux mêmes règles que ceux dont la créance est née en France et en les obligeant, sous peine de forclusion et d'extinction de leur créance, à procéder à une déclaration dans un délai de quatre mois courant à compter de la publication du jugement d'ouverture, la cour d'appel a traité de façon identique des personnes placées dans une situation différente et a imposé une discrimination à l'égard de ceux dont la situation appelait une mesure particulière, en violation des articles 6 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de l'article 1er de son Premier Protocole additionnel ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er, alinéa 1, du décret du 27 décembre 1985, le tribunal territorialement compétent pour connaître de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire est celui dans le ressort duquel le débiteur a le siège de son entreprise ou, à défaut de siège en territoire français, le centre principal de ses intérêts en France ; qu'ayant relevé que la société avait un établissement situé en France, la cour d'appel en a exactement déduit que les juridictions françaises étaient compétentes ;
Attendu, en second lieu, que le redressement ou la liquidation judiciaire prononcés en France produisent leurs effets partout où le débiteur a des biens, sous réserve des traités internationaux ou d'actes communautaires, et dans la mesure de l'acceptation par les ordres juridiques étrangers ; qu'il en résulte que la liquidation judiciaire de la société prononcée par les juridictions françaises n'ayant vocation à produire ses effets en Algérie que dans la mesure de son acceptation par l'ordre juridique algérien, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche inopérante mentionnée par la troisième branche dès lors que cette acceptation ne constitue pas une condition de l'ouverture de la procédure en France, a, à bon droit, prononcé, par application de l'article 1er du décret du 27 décembre 1985, la liquidation judiciaire de la société, ne pouvant décider d'une telle mesure à l'égard de l'établissement situé sur le territoire français mais dépourvu en France de la personnalité juridique ; que, sans méconnaître la souveraineté de l'Etat algérien, ni encourir les griefs des quatrième, cinquième et sixième branches, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société et M. X..., ès qualités, font grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception d'incompétence au profit des juridictions algériennes et subsidiairement au profit du tribunal de commerce de Marseille et d'avoir confirmé le jugement du 10 juillet 2003, alors, selon le moyen, que seul le tribunal dans le ressort duquel se trouve le centre principal des intérêts en France du débiteur étranger est compétent pour ouvrir une procédure collective en France ; qu'en relevant qu'il résultait des dispositions de l'article 1er du décret du 27 décembre 1985 que, pour une société qui n'a pas son siège en territoire français, le tribunal dans le ressort duquel la société a un établissement est compétent pour ouvrir une procédure collective à son égard, pour conclure à la compétence du tribunal de commerce de Nanterre, bien que seul le tribunal dans le ressort duquel la société de droit algérien Khalifa airways avait son établissement principal en France était compétent, la cour d'appel a violé l'article 1er du décret du 27 décembre 1985 ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société avait fait immatriculer au registre du commerce et des sociétés de Nanterre son établissement principal installé à Puteaux, la cour d'appel a pu en déduire que le centre principal des intérêts de la société en France était situé dans le ressort du tribunal de commerce de Nanterre, et a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.