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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 28 juin 2006, n° 05/20964

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Unika Computer (SA)

Défendeur :

Souchon (ès qual.), HDD Technologies (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

M. Roche, M. Byk

Avocats :

SCP Lagourgue-Olivier, Me Sedbon, SCP Varin-Petit

T. com. Evry, du 13 oct. 2005

13 octobre 2005

Par arrêt avant-dire droit du 29 mars 2006 auquel il est expressément référé pour l'exposé des faits, des demandes et des moyens des parties, la cour, vu les articles L. 621-107, L. 621-110 devenus L. 632-1 et L. 632-4 du Code de commerce, 425-2 du nouveau Code de procédure civile, a renvoyé l'affaire à la mise en état et ordonné la communication de la procédure à Monsieur le Procureur Général aux fins de conclusions sur les conséquences qu'il convient de tirer de l'absence de communication de la procédure au ministère public en première instance et, d'une manière générale, sur la pertinence de l'action engagée par le liquidateur.

Dans ses conclusions déposées le 15 mai 2006, Madame le représentant du Procureur Général a observé que l'accord transactionnel intervenu, par lequel une partie avait renoncé à poursuivre une procédure justifiée en son fondement moyennant une indemnité insignifiante, était manifestement déséquilibré, cette disproportion ayant été préjudiciable non seulement à la société débitrice, contrainte pour cette raison de déposer son bilan, mais, par suite, à l'ensemble des créanciers. Elle a demandé à la Cour d'annuler le jugement en ce qu'il a statué en l'absence du juge commissaire et de renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce d'Evry.

La société Unika Computer, appelante, a prié la Cour, par conclusions enregistrées le 28 avril 2006, de

- annuler le jugement en toutes ses dispositions,

- subsidiairement l'infirmer purement et simplement,

- déclarer Maître Souchon es-qualités irrecevable et subsidiairement mal fondé en toutes ses demandes et l'en débouter,

- à titre infiniment subsidiaire, réduire à de plus justes proportions le montant de l'indemnité de résiliation qui pourrait être mise à la charge de la société Unika,

- condamner Maître Souchon es-qualités à lui payer 2.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 19 mai 2006, Maître Souchon es-qualités de liquidateur de la société HDD Technologies, intimé, a demandé à la cour de

- débouter la société Unika de toutes ses demandes,

- le cas échéant faire application de l'article 562 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit nulle la transaction signée le 6 juin 2001,

En conséquence,

- à titre principal, faire droit à son appel incident et condamner la société Unika à lui payer es-qualités 2.323.201,30 euros ht augmentés des intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2000, date de la première mise en demeure,

- subsidiairement, vu l'article 1152 alinéa 2 du Code civil, confirmer le jugement en ce qu'il a réduit à la somme de 1.230.960,30 euros la condamnation et réformant, dire que ladite somme portera intérêts à compter du 22 novembre 2000,

- en tout état de cause, condamner la société Unika à lui payer es-qualités 5.000 euros pour ses frais irrépétibles et aux dépens.

SUR CE,

Sur la régularité de la procédure de première instance

Considérant que la société Unika fait valoir que le jugement est entaché de deux irrégularités substantielles, tenant la première au défaut de communication de la procédure au ministère public, la seconde à la non-production du rapport du juge commissaire, et demande son annulation ;

Considérant que l'action engagée par Maître Souchon es-qualités vise l'annulation d'un acte conclu par la société HDD Technologies dont il est le liquidateur, pendant la période suspecte ; qu'en application des dispositions de l'article L. 621-110 devenu L. 632-4 du Code de commerce, cette action fondée sur les dispositions de l'article L. 621-107 devenu L. 632-1 du même Code, relève de la compétence du tribunal de la procédure collective ;

Considérant qu'aux termes de l'article 425-2 du nouveau Code de procédure civile,

« Le ministère public doit avoir communication des procédures de suspension provisoire des poursuites et d'apurement collectif du passif, de faillite personnelle, ou d'autres sanctions et, s'agissant des personnes morales, des procédures de redressement et de liquidation (') » ; que ces prescriptions ont un caractère d'ordre public ; que la sanction d'un défaut de communication est la nullité du jugement ; qu'il résulte toutefois des dispositions de l'article L. 623-8 devenu L. 661-8 du Code de commerce que la société Unika n'a pas qualité pour demander cette annulation, sa demande devant être déclarée irrecevable ;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 24 du décret du 27 décembre 1985 dont les dispositions ont été reprises par l'article 66 du décret du 28 décembre 2005, « le tribunal statue, après rapport du juge commissaire, sur toutes les contestations nées de la procédure qui sont portées devant lui » ; que la production de ce rapport est une formalité substantielle dont l'inobservation entraîne la nullité du jugement ;

Considérant dès lors qu'il y a lieu d'annuler le jugement attaqué ;

Sur les demandes tendant au renvoi de la procédure devant la juridiction consulaire

Considérant qu'aux termes de l'article 562 du nouveau Code de procédure civile,

« L'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément ou implicitement et de ceux qui en dépendent.

La dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs, lorsqu'il tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible » ;

Considérant que les dispositions relatives à la production du rapport du juge commissaire s'appliquent à la procédure de première instance et ne concernent pas la procédure devant la cour d'appel ;

Qu'il s'ensuit que la société Unika, qui a formé à titre principal un appel-nullité, n'est pas fondée à solliciter de la cour le renvoi de l'affaire devant la juridiction consulaire pour que soit réparée l'omission résultant du non établissement de ce rapport ; qu'elle n'est pas davantage fondée à contester la régularité de la saisine du tribunal, les mentions portées sur le jugement, qui font foi jusqu'à inscription de faux, attestant que l'affaire a été distribuée et jugée par la 4ème chambre de ce tribunal compétente en matière de procédures collectives ;

Que la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, est tenue de statuer au fond ;

Sur le fond

Considérant qu'il ressort de l'assignation du 9 mars 2001 dont les termes ne sont pas contestés sur ce point que les société Unika et HDD Technologies (ci-après société HDD) qui exercent l'une et l'autre leur activité dans le domaine de l'informatique ont conclu le 13 août 1999 un contrat dit de « Prestations associées » d'une durée indéterminée, qui n'a pas été produit, ayant pour objet la mise à disposition de Unika par HDD d'une équipe de « techniciens hot line » au tarif horaire de 110 francs par technicien ;

Que l'exécution de cette première convention ayant donné satisfaction aux deux parties, les deux sociétés ont conclu le 25 janvier 2000 un nouvel accord dit de « Partenariat et d'assistance totale » par lequel la société HDD s'engageait à mettre à la disposition de la société Unika un ensemble de moyens matériels, techniques, technologiques et humains, et comprenant le service « hot line », l'ensemble de ces prestations qualifiées d'assistance totale répondant à une charte définie par Unika en partenariat direct avec HDD ;

Que selon l'article 6 du contrat, le service « assistance totale » sera rémunéré moyennant un budget annuel fixé à 5.300.000 francs ht payable

« - pour la première année 5 % à la signature et le solde en onze mensualités équivalentes sur présentation d'un état de service émis par HDD,

- pour les années suivantes la rémunération sera fractionnée en douze mensualités égales. Les versements mensuels s'opéreront au terme de chaque mois échu » ;

Que selon son article 7, « Le présent contrat est conclu pour une durée de trois ans à compter de la date de signature. Chaque partie signataire peut mettre fin, de plein droit, à cette convention en prévenant l'autre partie par lettre recommandée avec avis de réception, trois mois avant la fin de la période en cours, si :

- l'une des parties devient insolvable, fait faillite, dépose son bilan ou si un liquidateur est nommé ;

- l'une des parties a enfreint une obligation substantielle de cette convention et n'a pas mis fin à cette infraction dans les trente jours suivant notification écrite et recommandée par la partie lésée.

En cas de fin de convention, tous les paiements et compensation qui seraient dus selon les différentes clauses de la présente convention devront alors être effectués » ;

Considérant que ce contrat a été rompu à l'initiative de la société Unika, par lettre RAR du 12 mai 2000 à effet du 1er juillet 2000, motif pris d'une restructuration interne rendue nécessaire par ses difficultés financières ; que la société HDD ayant assigné sa partenaire le 9 mars 2001 devant le tribunal de commerce pour rupture abusive du contrat et en paiement de 15.239.203 francs ht, les parties se sont rapprochées et ont signé le 6 juin 2001 une transaction aux termes de laquelle le contrat étant amiablement résilié à effet du 30 juin 2000, Unika verse à HDD 468.090,48 francs ttc correspondant au paiement de deux factures et 291.000 francs ttc à titre d'indemnité globale en contrepartie de l'abandon par HDD de la procédure engagée ;

Considérant que la société HDD a été placée en liquidation judiciaire le 9 juillet 2001 par jugement du tribunal de commerce d'Evry ; que par jugement du 3 juin 2003 aujourd'hui définitif, la date de cessation des paiements de la société a été fixée au 17 juillet 2000 ; qu'il suit que la transaction intervenue a été conclue au cours de la période dite suspecte qui s'étend du jour de la cessation des paiements au jugement déclaratif ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 621-107 devenu L. 632-4 du Code de commerce,

« Sont nuls, lorsqu'ils auront été faits par le débiteur depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants : (...) tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l'autre partie » ;

Considérant que la société Unika n'est pas fondée à invoquer l'irrecevabilité de la demande de Maître Souchon es-qualités au motif que la société HDD n'aurait pas eu la qualité de « débiteur » mais au contraire celle de « créancier » lors de la conclusion de l'accord attaqué, alors que la qualité de « débiteur » au sens de l'article susvisé désigne à l'évidence la société objet de la procédure collective ;

Considérant que l'appelante fait encore valoir que la convention intervenue n'a pas le caractère commutatif requis par les dispositions susvisées ni même celui d'une transaction, en ce qu'elle n'aurait mis à la charge de la société HDD aucune obligation, que sa créance n'était ni liquide, ni certaine, ni exigible à la date de la transaction, et qu'au surplus elle portait sur un évènement aléatoire puisqu'elle avait pour objet la procédure engagée devant la juridiction consulaire ;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 1104 du Code civil, le contrat est commutatif « lorsque chacune des parties s'engage à donner ou à faire une chose qui est regardée comme l'équivalent de ce qu'on lui donne ou de ce que l'on fait pour elle. Lorsque l'équivalent consiste dans la chance de gain ou de perte pour chacune des parties, d'après un évènement incertain, le contrat est aléatoire » ; que la transaction, définie par l'article 2044 du même Code comme « un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître », et qui nécessite l'existence de concessions réciproques, est au nombre des contrats commutatifs susceptibles d'être annulés sur le fondement de l'article L. 621-107 devenu L. 632-4 du Code de commerce ;

Qu'en l'espèce, la transaction comportait une obligation à la charge de la société HDD puisque la signature de cet accord était conditionnée par son abandon de la quasi-totalité de sa créance et sa renonciation à toute action en paiement à ce titre, et ce alors que la rupture unilatérale anticipée du contrat notifiée par la société Unika à sa cocontractante le 12 mai 2001 à effet du 1er juillet 2001 a eu pour conséquence de rendre exigibles « tous les paiements et compensation qui seraient dus selon les différentes clauses de la présente convention » ainsi que le prévoit l'article 7 du contrat, et en particulier le paiement des redevances stipulées par son article 6 pour toute la durée de ce contrat à durée déterminée ;

Considérant qu'il est constant que la société HDD a renoncé par cette transaction à se prévaloir d'une créance de 15.239.203 francs (2.323.203 euros) ht en contrepartie du versement de 35.667,58 euros ht (291.000 francs ttc) qui représentait 1/65ème de cette somme ; que cette disproportion, manifestement excessive, établit le caractère gravement déséquilibré des obligations consenties de part et d'autre ;

Qu'il y a lieu, faisant application des dispositions de l'article L. 621-107 devenu L. 632-4 du Code de commerce, d'annuler la transaction attaquée ;

Considérant que les dispositions du contrat conclu le 25 janvier 2000 doivent dès lors recevoir application ;

Considérant que la société Unika s'oppose aux demandes en paiement que Maître Souchon forme es-qualités en exécution du contrat et spécialement de son article 7, en faisant valoir que la résiliation fautive d'un contrat à exécution successive à durée déterminée ne donne lieu qu'à des dommages intérêts qu'il appartient au juge de fixer à la hauteur exacte des préjudices directement causés et ajoute que la fraction du prix restant due n'est due qu'en cas d'inexécution de la convention ; qu'elle invoque enfin, si les dispositions de l'article 7 du contrat devaient être déclarées applicables, les dispositions de l'article 1152 du Code civil pour demander la réduction des sommes mises à sa charge, et l'enrichissement sans cause qui résulterait pour HDD d'un paiement intégral des sommes qu'elle réclame alors qu'elle a été libérée de ses propres obligations ;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 1134 du Code civil, les conventions régulièrement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi ; que les dispositions de l'article 7 du contrat, selon lesquelles « En cas de fin de convention, tous les paiements et compensation qui seraient dus selon les différentes clauses de la présente convention devront alors être effectués » ne peuvent s'analyser que comme une faculté de résiliation anticipée du contrat sous réserve notamment du règlement des sommes dues pour la période restant à courir, soit de l'exécution par Unika de son obligation de paiement ;

Considérant que si une telle clause a le caractère d'une clause pénale en ce qu'elle induit pour le débiteur de l'obligation soit la société Unika une majoration de ses charges financières résultant de l'anticipation de l'exigibilité des loyers dans leur intégralité dès la date de la résiliation, et s'il apparaît ainsi que la clause litigieuse apparaît avoir été stipulée à la fois comme un moyen de contraindre le débiteur à l'exécution de son obligation et comme l'évaluation conventionnelle et forfaitaire du préjudice futur subi par sa contractante du fait de l'interruption des paiements prévus, il n'apparaît pas qu'elle ait eu un caractère excessif ; qu'enfin les dispositions de l'article 1371 du Code civil sont inapplicables à l'espèce, l'action en paiement engagée par Maître Souchon es-qualités ayant pour cause un contrat librement conclu par la société Unika qu'elle a rompu pour des motifs qui lui sont propres ;

Considérant qu'il convient de faire droit aux demandes de Maître Souchon es-qualités et de condamner la société Unika à lui payer le solde des rémunérations attendues de l'exécution de la convention jusqu'à son terme fixé le 25 janvier 2003, dont le montant ne fait pas en soi l'objet de contestations soit 2.323.201,30 euros ht augmentés des intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2000, date de la première mise en demeure ;

Qu'il est équitable que Maître Souchon es-qualités soit indemnisé de ses frais irrépétibles d'appel, pour lesquels lui sera allouée une somme complémentaire de 2.000 euros ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

Vu l'arrêt avant-dire droit du 29 mars 2006,

Vu les conclusions du ministère public en date du 15 mai 2006,

Déclare irrecevable la demande de la société Unika tendant à l'annulation du jugement motif pris de la non-communication de la procédure au ministère public,

Annule le jugement pour non établissement du rapport du juge commissaire

Vu l'effet dévolutif de l'appel,

Dit que la cour est tenue de statuer sur l'entier litige,

Annule la transaction conclue le 6 juin 2001,

Condamne la société Unika à payer à Maître Souchon es-qualités 2.323.201,30 euros ht augmentés des intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2000,

La déboute de toutes ses demandes,

Condamne également la société Unika à payer à Maître Souchon es-qualités 2.000 euros pour ses frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct pour la SCP Varin Petit, avoué.