CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 22 septembre 2011, n° 10/11758
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Conseil Gestion Financement Immobilier (SA), Keslassy, Selarl Patrick Prigent (ès qual.), Montravers (ès qual.)
Défendeur :
Dukatenzeiler
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Monin-Hersant
Conseillers :
M. Loos, M. Picque
Avoués :
SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet, Me Pamart
Avocats :
Me Drai, Me Garnon
Suivant acte sous-seings privés en date des 27 (pour l'acquéreur) et 31 (pour le vendeur) mars 2009 la S.A. CONSEIL GESTION FINANCEMENT IMMOBILIER -COGEFIM- (vendeur) et Madame Sylvie DUKATENZEILER (acquéreur) ont signé un compromis de vente concernant deux appartements et leurs dépendances situés dans un immeuble en cours de rénovation à Strasbourg, moyennant le prix de 461 150 €, payable comptant le jour de la signature de l'acte authentique, un dépôt de garantie d'un montant de 23 057,50 € ayant été versé entre les mains du notaire chargé d'établir l'acte de vente.
Ledit acte prévoyant notamment que :
- l'acquéreur aura la propriété du bien vendu à compter du jour de la réitération par acte authentique du compromis de vente [page 4],
- des conditions suspensives [pages 15 et 16], stipulées dans le seul intérêt de l'acquéreur, celui-ci ayant la faculté d'y renoncer, concernant les droits de préemption, l'urbanisme, les hypothèques, les titres de propriétés, l'obtention d'un crédit par l'acquéreur dans les conditions des articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation.
Entre temps, la société COGEFIM a été placée sous procédure de sauvegarde par jugement du 28 mai 2009 du tribunal de commerce de Paris ayant désigné la selarl PATRICK PRIGENT en qualité d'administrateur judiciaire et Maître MONTRAVERS en qualité de mandataire judiciaire.
Estimant :
- d'une part, que la vente était parfaite à la date du 31 mars 2009, du fait de l'accord des parties sur la chose et sur le prix,
- et, d'autre part, se fondant essentiellement sur l'article 42 de la loi du 1er juin 1924 applicable en Alsace-Moselle, disposant notamment que l'acte qui n'a pas été dressé par un notaire doit, à peine de nullité, être suivi d'un acte authentique ou d'une demande en justice, dans les six mois,
Madame DUKATENZEILER, a, le 31 août 2009, saisi le tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins de :
- voir condamner la société COGEFIM à comparaître dans le mois, sous astreinte, devant le notaire en vue de signer l'acte authentique de vente,
- et, à défaut, de dire que le jugement à intervenir tiendra lieu de vente.
Par jugement du 23 novembre 2010 (soit postérieurement au jugement du tribunal de commerce de Paris dont appel), le tribunal de grande instance de Strasbourg a fait droit aux demandes de Madame DUKATENZEILER, la décision, exécutoire par provision, ayant été frappée d'appel, l'instance étant toujours pendante devant la cour de Colmar.
Cependant, après la saisine du tribunal de grande instance de Strasbourg, mais avant sa décision, l'administrateur judiciaire a, le 10 septembre 2009, sur le fondement de l'article L. 622-13 du code de commerce, saisi le juge-commissaire de la procédure de sauvegarde ouverte au bénéfice de la société COGEFIM, d'une requête tendant à la résiliation du compromis de vente, aux motifs, essentiellement, que la société COGEFIM avait 'été conduite à signer le compromis de vente pour rassurer les banques créancières et ce, alors que le prix proposé ne correspondait pas à la valeur réelle des biens et ne permettait pas de désintéresser les créanciers inscrits' [conclusions page 3].
Par ordonnance du 1er décembre 2009, le juge-commissaire retenant essentiellement que :
- d'une part, « la cession en l'état, sans travaux préalables de rénovation des parties communes [...] qui sont l'économie même des opérations de rénovation serait de nature à créer en terme de grille de prix une référence baissière préjudiciable à la commercialisation future des autres lots' ce qui 'n'est pas l'intérêt de la procédure collective »,
- d'autre part, « l'atteinte aux intérêts de Madame DUKATENZEILER n'apparaît point excessive dans un contexte de taux particulièrement bas »,
a prononcé la résiliation du compromis de vente.
Saisi d'un recours de Madame DUKATENZEILER à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire, le tribunal de commerce de Paris a, par jugement contradictoire du 18 mai 2010 assorti de l'exécution provisoire, annulé l'ordonnance critiquée ayant résilié le compromis de vente.
Vu l'appel interjeté le 4 juin 2010, par la société COGEFIM, Madame Evelyne KESLASSY née COHEN personnellement, la selarl PATRICK PRIGENT ès qualités d'administrateur judiciaire de la société COGEFIM, et Maître MONTRAVERS ès qualités de mandataire-judiciaire de la société COGEFIM, et leurs ultimes écritures signifiées le 28 février 2011 réclamant 3.000 € de frais irrépétibles au bénéfice de la société COGEFIM et poursuivant l'infirmation du jugement en priant la cour de dire, en conséquence, que le compromis est résilié;
Vu les dernières conclusions signifiées le 1er avril 2011 par Madame DUKATENZEILER réclamant 5.000 € de frais non compris dans les dépens et poursuivant la confirmation du jugement ;
Vu le visa du 3 mars 2011 du Ministère public ;
Le Ministère public entendu en ses observations à l'audience estimant essentiellement que la résiliation de la vente n'apparaissait pas nécessaire à la sauvegarde de l'entreprise ;
SUR CE, la cour :
Considérant que les appelants soutiennent essentiellement que :
- le compromis de vente litigieux est un contrat en cours au jour de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, au sens de l'article L. 622-13 du code de commerce, en observant que tant l'obligation de délivrance du vendeur, que le transfert de propriété n'étaient pas intervenus au jour du jugement d'ouverture, les conditions suspensives n'étant pas réalisées, le prix n'ayant pas davantage été payé à ladite date,
- les conditions d'application de l'articles L. 622-13 IV sont réunies, la société COGEFIM cherchant à « valoriser ses actifs immobiliers au meilleur prix dans l'intérêt de l'entreprise sous sauvegarde et de ses créanciers » et hors la pression de ces derniers, Madame DUKATENZEILER ne subissant aucun préjudice puisque le prix, postérieurement versé entre les mains du notaire, lui a immédiatement été restitué et que l'intéressée n'a pas résilié le bail du logement qu'elle occupait,
- la perte d'une chance d'acquérir les biens au prix initialement convenu ne suffit pas à caractériser une atteinte excessive aux intérêts de l'intéressée ,
tandis que, pour sa part, Madame DUKATENZEILER soutient que le compromis n'est pas un contrat qui était en cours au jour de l'ouverture de la sauvegarde, en ce qu'il avait « épuisé ses effets fondamentaux » et que les deux conditions cumulatives de l'articles L. 622-13.IV du code de commerce n'étaient pas réunies ;
Considérant qu'il n'est pas contesté qu'au jour de l'ouverture de la sauvegarde de la société COGEFIM le 28 mai 2010 :
- le transfert de propriété, à charge du vendeur, n'était pas opéré, puisque le compromis de vente en retardait l'effet au jour de la réitération de la vente par acte authentique, lequel n'était pas intervenu,
- le paiement du prix, à charge de l'acquéreur, n'était pas davantage exécuté, puisque le compromis de vente en fixait l'exigibilité également au jour de ladite réitération et que le montant du prix a été consigné chez le notaire le 3 juin 2009 seulement ;
Que dès lors, au jour de l'ouverture de la sauvegarde, le compromis litigieux n'avait pas épuisé ses effets essentiels en laissant encore les obligations correspondantes à exécuter à la charge de l'une et de l'autre des deux parties ;
Mais considérant que le paragraphe IV de l'article L. 622-13 précité permet la résiliation du contrat en cours à la demande de l'administrateur judiciaire à la double condition que celle-ci soit nécessaire à la sauvegarde du débiteur et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant ;
Que le souhait de l'administrateur judiciaire de faire réaliser une meilleure opération financière à son administrée, par rapport à celle qu'elle avait initialement souscrite avant de bénéficier d'une mesure de sauvegarde, comme celui de la société COGEFIM de valoriser ses actifs immobiliers au meilleur prix, ne constituent pas des nécessités au sens des dispositions précitées ;
Que surabondamment, en privant l'acquéreur du bénéfice de la vente, dont les conditions à la charge de la société COGEFIM étaient déjà toutes définitivement fixées au jour de la survenance de la sauvegarde et dont les conditions suspensives sont expressément stipulées en faveur de Madame DUKATENZEILER, laquelle peut, seule, y renoncer, la résiliation du compromis de vente porterait une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant au sens des mêmes dispositions précitées ;
Que le jugement sera confirmé sauf à préciser que l'ordonnance du juge-commissaire est rétractée et non pas annulée ;
Considérant par ailleurs que, succombant dans leur recours, la demande des appelants au titre de l'indemnisation des frais irrépétibles de la société COGEFIM ne saurait prospérer mais, qu'en revanche, il serait inéquitable de laisser à l'intimée la charge définitive des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer en cause d'appel, l'indemnisation correspondante étant mise à la charge de Madame Evelyne KESLASSY née COHEN, appelante personnellement, laquelle sera également condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS:
Confirme le jugement sauf à préciser que l'ordonnance du 1er décembre 2009 du juge-commissaire, ayant initialement résilié le compromis de vente, est rétractée,
Dit qu'en conséquence, le compromis de vente des 27 et 31 mars 2009 conserve tous ses effets,
Condamne Madame Evelyne KESLASSY née COHEN à verser cinq mille euros (5.000 €) de frais irrépétibles à Madame Sylvie DUKATENZEILER ,
Met les dépens à la charge de cette dernière,
Admet Maître PAMART au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.