CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 21 octobre 2010, n° 09/05652
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Areka (SAS)
Défendeur :
Safet (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Maron
Conseillers :
Mme Brylinski, Mme Beauvois
Avoués :
SCP Gas, SCP Bommart Minault
Avocats :
Me Follain, Me Marguet Le Brizault
FAITS ET PROCEDURE
La SAS AREKA exerce le commerce de gros de sucres chocolats et confiseries, et a notamment pour activité le marquage et le conditionnement de petites boites métal « clik clak » contenant des bonbons ; depuis 1994 sans formalisation d'un contrat cadre, elle s'approvisionne exclusivement auprès de la SA SAFET, spécialisée dans la fabrication d'emballages métalliques légers.
La SA SAFET a été déclarée en redressement judiciaire par jugement du 31 janvier 2006, et AREKA a poursuivi ses commandes auprès d'elle.
Par jugement du 4 mai 2006, le tribunal de commerce de Nanterre a ordonné la cession des actifs de SAFET afin d'assurer le maintien d'activités susceptibles d'exploitation autonome de 297 des 534 emplois qui y sont attachés et d'apurer une partie du passif, maintenu Maître A... en qualité d'administrateur judiciaire jusqu'au terme de la période d'observation puis au-delà avec les pouvoirs nécessaires à la mise en oeuvre de la cession, et Maître D. comme représentant des créanciers jusqu'à la fin de la procédure de vérification des créances.
SAFET ayant été placée en liquidation judiciaire par jugement du 31 mai 2006, AREKA a adressé à Maître D. en sa qualité de liquidateur, le 12 juillet 2006 un courrier ayant pour objet la déclaration d'une créance née post ouverture de la procédure de redressement judiciaire, faisant état d'une réclamation formulée le 12 juin 2006 par son distributeur aux Etats Unis, portant sur une somme de 300 000 US$ à titre d'indemnité pour pallier les conséquences des manquements de AREKA et de ses fournisseurs, dans lequel elle sollicitait la prise en compte de sa demande lors de la liquidation des actifs de SAFET.
Maître D. a contesté que cette créance puisse relever des dispositions de l'article L. 622-17 du code de commerce, comme n'étant pas née post-ouverture de la procédure de redressement judiciaire.
AREKA a alors adressé à Maître D., le 12 décembre 2006, une nouvelle réclamation sur le fondement de l'article L. 622-17 du code de commerce, portant sur une somme totale de 75 797,77 € correspondant à l'ensemble des réclamations qui lui avaient été adressées par ses clients entre le 31 janvier et le 4 mai 2006, mettant Maître D... en demeure de lui régler cette somme sous quinzaine.
Maître D. n'ayant pas déféré à cette mise en demeure, AREKA l'a assigné devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de le voir condamner es qualités au paiement de la somme de 75 797,77 € en principal, puis modifiant ses prétentions, a demandé la condamnation de Maître D... à porter la créance de AREKA sur la liste de l'article 90 du décret du 28 décembre 2005 pour la somme de 105 692,16 € en principal, et au paiement de cette somme
Le tribunal de commerce de Nanterre, par jugement rendu le 22 mai 2009, a :
- dit mal fondée AREKA en ses demandes visant à voir reconnaître le bien fondé de sa créance ;
- dit n'y avoir lieu à se prononcer sur leur affectation au passif de SAFET ;
- débouté AREKA de sa demande visant à mettre en cause la responsabilité de Maître D... ès qualités de liquidateur de SAFET ;
- condamné AREKA au paiement à Maître D. ès qualités de la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
La SAS AREKA a interjeté appel et, aux termes de ses dernières écritures en date du 15 juillet 2010, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés, demande à la Cour, infirmant le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de procéder à divers constats et en conséquence de:
- condamner Maître D. en sa qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SA SAFET à porter sur la liste de l'article R 622-15 du code de commerce, la créance de la SAS AREKA pour la somme de 105 692,16 €, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;
- condamner Maître D. en sa qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SA SAFET à payer à la SAS AREKA la somme de 105 692,16 € augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 2006 ;
- dire que Maître D. en sa qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SA SAFET a commis une faute en décidant, en violation des dispositions légales impératives, de se substituer au juge commissaire pour statuer sur la demande de la SAS AREKA ;
- condamner Maître D. en sa qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SA SAFET au paiement de la somme de
6 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle soutient que sa créance correspond aux préjudices résultant de retards de livraisons sur plusieurs commandes, qu'elle énumère en détail ; qu'elle est postérieure au jugement d'ouverture dès lors que le fait générateur est la date de livraison.
Elle rappelle les dispositions des articles L. 622-17 et R. 622-15 du code de commerce et souligne que sa déclaration de créance a bien été régularisée dans le délai fixé par l'article L. 622-17 ; elle prétend que sa créance bénéficie en conséquence du privilège prévu par ce texte, comme étant par ailleurs utile à la procédure selon les critères fixés par l'article L. 622-17 I du même code
Elle fait grief à Maître D. ès qualités d'avoir commis une faute professionnelle en se portant juge de l'admission de sa créance sur la liste des créances privilégies alors que seul le juge commissaire dispose de cette compétence aux termes de dispositions d'ordre public ; se référant aux dispositions de l'article 90 du décret du 27 décembre 2005 elle prétend qu'eu égard à la faute commise par Maître D. constitutive d'une voie de fait, elle n'a eu d'autre recours que de saisir le tribunal et ce faisant a été privée d'un degré de juridiction.
Maître D. en sa qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SA SAFET, aux termes de ses dernières écritures en date du 5 mai 2010, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés, conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et sollicite la condamnation de la SAS AREKA au paiement de la somme de 5 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Reprenant les différents chefs de préjudice allégués par AREKA, il considère que cette dernière, qui ne rapporte pas la preuve que les avoirs, frais engagés et indemnités versées ont pour seule origine le retard de livraison de boites qu'elle aurait commandées à SAFET postérieurement au prononcé du redressement judiciaire du 31 janvier 2006, ne peut revendiquer une quelconque créance ; il souligne que AREKA n'a jamais adressé de réclamation pendant le redressement judiciaire, ses premières demandes ayant été présentées pour la première fois le 12 juillet 2006 plus de deux mois après le jugement arrêtant le plan de cession.
Il prétend que la créance de AREKA, si elle était fondée, serait antérieure à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, les dates de livraison contractuellement prévues étant antérieures au jugement d'ouverture.
Il considère que la créance, si elle était postérieure à l'ouverture de la procédure, ne pourrait pour autant rentrer dans le cadre de l'article L. 622-17 du code de commerce qui a pour finalité de rassurer les fournisseurs d'une société objet d'une procédure collective qui seront réglés des prestations fournies en période d'observation ; que cette créance indemnitaire n'est pas née pour les besoins du déroulement de la procédure de redressement et n'est pas utile à celle-ci, dès lors qu'elle correspond à des avoirs ou indemnités accordés par AREKA à ses clients, dont elle demande indemnisation.
Il fait valoir qu'en tout état de cause la cour d'appel n'a pas qualité pour condamner le liquidateur à payer une quelconque créance mais ne pourrait qu'ordonner son inscription sur la liste des créances postérieures.
Il soutient que la cour n'est pas compétente en matière de responsabilité du mandataire, qui relève de la compétence exclusive du tribunal de grande instance ; il considère n'avoir pas engagé sa responsabilité ès qualités, dès lors que le fait qu'une créance postérieure privilégiée doive être portée à la connaissance du liquidateur implique nécessairement de la part de ce dernier qu'il opère à tout le moins un contrôle de l'existence de cette créance ; qu'il n' a pas privé AREKA de ses droits à faire reconnaître sa créance.
Par conclusions en date du 29 juin 2010, AREKA a formé un incident aux fins de voir ordonner la communication sous astreinte de 20 € par jour de retard, par Maître D., du bilan économique et social de l'administration judiciaire, du rapport sur les offres de cession, du jugement arrêtant le plan de cession, de l'acte de cession et de la liste article 90 du décret du 28 décembre 2005 déposée au greffe.
Cet incident a été joint au fond.
DISCUSSION
Postérieurement au jugement prononçant la liquidation judiciaire de SAFET, AREKA n'a pas procédé à une déclaration de créance telle que prévue par l'article L. 622-24 du code de commerce.
La première réclamation par AREKA est son courrier adressé à Maître D. le 12 juillet 2006 ayant pour objet « déclaration de créance née post ouverture de la procédure de redressement judiciaire », dans lequel elle fait référence à une réclamation formée par son distributeur aux Etats Unis portant sur une indemnité compensatrice de 300 000 US$ du 12 juin, postérieurement au redressement judiciaire et devant être prise en compte lors de la liquidation des actifs de SAFET, et demande à Maître D. de prendre en compte sa demande dans le cadre de la procédure de liquidation des actifs de SAFET.
Par courrier en réponse du 18 juillet 2006, Maître D. a indiqué à AREKA que la créance dont elle fait état ne relève pas des dispositions de l'article L. 622-17 du code de commerce, au motif que le fait générateur de cette créance ne pouvait être la date de réclamation dont il était fait état.
Il précisait également à AREKA que si elle entendait se prévaloir d'une créance relevant des dispositions de l'article L. 622-24 du code de commerce, le délai de déclaration de créance avait expiré depuis le 9 mai 2006 et qu'elle disposait d'un délai expirant le 9 septembre 2006 (soit six mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODDAC du 9 mars 2006) pour se faire relever de la forclusion en introduisant une requête à cet effet au greffe du tribunal de commerce de Nanterre.
Le 13 décembre 2006 AREKA a adressé à Maître D... une lettre le mettant en demeure de lui payer la somme de « 44 221,95 € HT soit 55 889 ¿ TTC outre la somme de 100 000 US$ soit la somme de 75 797,77€ », exposant que sa première demande ne visait qu'une partie des défaillances subies, que pour la période du 31 janvier au 4 mai 2006 elle avait du supporter des réclamations justifiées de ses clients européens à raison des retards de livraison répétés de SAFET, et leur accorder des avoirs, lui adressant également diverses pièces comme justificatifs du bien fondé de ses réclamations.
L'article L. 622-17 du code de commerce en sa rédaction alors en vigueur, applicable au redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14 du même code, dispose que : 'I. - Les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, pour son activité professionnelle, pendant cette période, sont payées à leur échéance. (...) IV. - Les créances impayées perdent le privilège que leur confère le présent article si elles n'ont pas été portées à la connaissance du mandataire judiciaire et de l'administrateur lorsqu'il en a été désigné ou, lorsque ces organes ont cessé leurs fonctions, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur, dans le délai d'un an à compter de la fin de la période d'observation.'
L'article 90 du décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005, alors en vigueur, (devenu depuis lors l'article R 622-15 du code de commerce) dispose que la liste des créances mentionnées au I de l'article L. 622-17 du code de commerce, portées à la connaissance du mandataire judiciaire et de l'administrateur, lorsqu'il en a été désigné, en application du IV du même article, est transmise par ceux-ci, dès la cessation de leurs fonctions, au commissaire à l'exécution du plan, ou au liquidateur, selon le cas, qui la complète.
Le commissaire à l'exécution du plan ou le liquidateur dépose cette liste au greffe du tribunal à l'issue du délai d'un an qui suit la fin de la période d'observation, où tout intéressé peut en prendre connaissance. Le greffier fait publier au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales une insertion indiquant ce dépôt.
Tout intéressé peut contester cette liste devant le juge-commissaire dans un délai d'un mois à compter de la publication.
Les créances rejetées de cette liste par le juge-commissaire sont réputées avoir été déclarées dans les conditions de l'article L. 622-24 du même code.
Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'appréciation du bénéfice des dispositions de l'article L. 622-17 du code de commerce au profit d'une créance née entre le jugement de redressement judiciaire et le jugement de liquidation judiciaire, conférant à cette créance un privilège mais également une dispense de déclaration au passif telle que prévue par l'article L. 622-24, en cas de discussion, relève de la compétence et des pouvoirs du juge commissaire saisi sur recours contre la liste établie/complétée par le liquidateur.
AREKA pour justifier son action en paiement et en fixation de sa créance sur la liste des créances article L 622-17 du code de commerce directement devant le tribunal, argue d'une voie de fait de Maître D. qui, en décidant de ne pas inscrire sa créance sur cette liste, l'aurait empêchée d'exercer ses droits.
Mais elle se prévaut elle-même de l'article 90 du décret du 28 décembre 2005, qui doit recevoir application en toutes ses dispositions.
Quand bien même Maître D. aurait commis une voie de fait, que le seul refus d'inscrire la créance sur la liste des créances régies par l'article L. 622-17 du code de commerce ne suffit pas à caractériser, AREKA n'établit pas l'existence de circonstances qui auraient pu l'empêcher ou lui permettre de se dispenser de suivre le seul recours ouvert par l'article 90 du décret du 28 décembre 2005.
Dans ces conditions AREKA doit être non pas déboutée de sa demande mais déclarée irrecevable en son action telle que formée directement devant le tribunal de commerce.
Le jugement entrepris sera réformé en ce sens, ce qui rend sans objet l'incident aux fins de communication de pièces.
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux indemnités de procédure et dépens de première instance.
En cause d'appel AREKA supportera les dépens, et devra payer à Maître D. ès qualités une indemnité de procédure qu'il convient de fixer à la somme de 1 500 €.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, à l'exception de celles relatives aux indemnités de procédure et dépens de première instance ;
Statuant à nouveau,
Déclare la SAS AREKA irrecevable en son action telle qu'engagée devant le tribunal de commerce de Nanterre ;
Condamne la SAS AREKA payer à Maître D. ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SA SAFET, la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS AREKA aux dépens d'appel, dont recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.