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Décisions

Cass. crim., 27 avril 2000, n° 99-83.618

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Avocat général :

M. Geronimi

Avocat :

SCP Piwnica et Molinié

Aix-en-Provence, 5e ch., du 19 janv. 199…

19 janvier 1999

Statuant sur les pourvois formés par :

- X Marie,

- Y Jeanne,

- Z Maurice,

- A Jocelyne, épouse Z,

- B Sandrine,

- C Mireille,

- D Jean,

- E Lucien,

parties civiles, contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5e chambre, du 19 janvier 1999, qui, dans la procédure suivie contre Lucien F et Josette G, épouse F, pour escroqueries, complicité et recel, a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ; 

Sur la recevabilité du pourvoi de Jean D:

Attendu que le pourvoi formé le 7 avril 1999, plus de cinq jours francs après la signification de l'arrêt, est irrecevable comme tardif en application de l'article 568 du Code de procédure pénale ;

Sur la recevabilité du pourvoi de Lucien E:

Attendu que la déclaration de pourvoi du demandeur, faite par lettre, ne répond pas aux conditions exigées par les articles 576 et 577 du Code de procédure pénale ;

Que, dès lors, le pourvoi n'est pas recevable ;

Attendu qu'aucun moyen n'est produit à l'appui du pourvoi formé par Mireille C;

Sur les pourvois des autres demandeurs :

Vu les mémoires personnels et ampliatifs produits ;

Sur la recevabilité des mémoires personnels produits par Maurice Z, Jocelyne A, épouse Z, et Jeanne Y:

Attendu que ces mémoires, produits au nom des époux Z et de Jeanne Y par un avocat au barreau de Marseille, ne portent pas la signature des demandeurs ; que, dès lors, en application de l'article 584 du Code de procédure pénale, ils ne sont pas recevables et ne saisissent pas la Cour de Cassation des moyens qu'ils pourraient contenir ;

Sur la recevabilité du mémoire personnel produit par Sandrine B:

Attendu que ce mémoire, qui émane d'une demanderesse non condamnée pénalement par l'arrêt attaqué, n'a pas été déposé au greffe de la juridiction qui a statué, mais a été transmis directement à la Cour de Cassation, sans le ministère d'un avocat en ladite Cour ;

Que, dès lors, ne répondant pas aux exigences de l'article 584 du Code de procédure pénale, il ne saisit pas la Cour de Cassation des moyens qu'il pourrait contenir ;

Sur les faits :

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Lucien F, qui exerçait en son nom personnel une activité de promoteur constructeur depuis 1975, s'est trouvé en état de cessation des paiements à partir de juillet 1987 ; qu'il a, néanmoins, poursuivi ses activités et a diffusé par voie de presse des annonces par lesquelles il sollicitait de particuliers la remise de fonds sous la qualification de prêts, promettant un rendement de 15 à 18 %, moyennant des garanties illusoires ;

Attendu que, par le biais de cette publicité trompeuse, il a obtenu, courant 1991, 1992 et 1993, une somme totale de 120 000 000 de francs, avec la complicité de son épouse, Josette G, qui a participé activement à cette opération et a mis à sa disposition son compte bancaire sur lequel ont été versés les fonds empruntés ;

Attendu que, par jugement du 28 juillet 1993, le tribunal de commerce de Marseille a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de Lucien F, puis a prononcé sa liquidation judiciaire, le 26 août 1993 ;

Attendu qu'après avoir déclaré Lucien F coupable d'escroqueries et son épouse, de complicité et recel, les premiers juges les ont solidairement condamnés à payer des dommages-intérêts aux créanciers, constitués parties civiles, en énonçant que ceux-ci avaient recouvré leur droit de poursuite individuelle, en application de l'article 169, alinéa 2, de la loi du 25 janvier 1985 ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Piwnica et Molinié en faveur de Marie X, pris de la violation des articles 50 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, 66 du décret n° 85-98 du 27 janvier 1985, 66 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985, 427, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré éteinte, faute de déclaration, la créance de Marie X à l'encontre de Lucien F;

" alors que les juges ont le devoir, en application des dispositions de l'article 427 du Code de procédure pénale, d'examiner les pièces qui sont contradictoirement versées aux débats devant eux et qui sont invoquées par les parties au soutien de leur demande ; qu'il résulte des termes de l'article 50 de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises que la déclaration de créance peut être faite par le créancier ou tout mandataire de son choix et qu'aucune forme particulière n'est imposée au créancier, cette déclaration pouvant être faite par lettre simple ; que, devant la cour d'appel, Marie Xa régulièrement versé aux débats sa déclaration de créance ; qu'il résulte des mentions de celle-ci qui a été faite le 29 septembre 1993 par son conseil à Me Zucchi désigné par jugements du tribunal de commerce de Marseille en date des 26 juillet 1993 et 26 août 1993 en qualité de représentant des créanciers puis liquidateur de Lucien Fet a été reçue le 29 septembre 1993 et qu'en omettant d'examiner cette pièce, la cour d'appel a méconnu les dispositions du texte susvisé et, par là-même, excédé ses pouvoirs et privé la demanderesse du droit à un procès équitable " ;

Attendu que Marie X ne saurait se faire un grief de ce que la cour d'appel s'est abstenue d'examiner les pièces justificatives de sa déclaration de créance, dès lors que la mention de l'arrêt selon laquelle l'intéressée n'a pas justifié de cette déclaration fait foi jusqu'à inscription de faux ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par la société civile professionnelle Riziger et Bouzidi en faveur de Sandrine B, pris de la violation de l'article 3 du Code de procédure pénale, de l'article 50 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, de l'article 1382 du Code civil, des articles 485, 593 du Code de procédure pénale ;

" en ce que la décision attaquée a infirmé le jugement de première instance qui avait condamné les époux Fà payer 150 000 francs à Sandrine B, plus 1 000 francs au titre de l'article 475-1 du Code pénal et déclaré la créance de celle-ci éteinte ;

" aux motifs que toutes les victimes des agissements délictueux de Lucien F sont titulaires d'une créance dont l'origine est antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective dont le fondement repose sur les contrats de prêts ; que, par voie de conséquence, sont applicables en l'espèce les dispositions de l'article 50 de la loi du 25 janvier 1985, d'ordre public, et de l'article 66 du décret du 27 décembre 1985 ; que les parties civiles doivent avoir justifié leur déclaration de créance à Me Zucchi ou avoir été relevé de la forclusion en cas de non-respect du délai prévu par l'article 66 du décret susvisé ; que, faute de justification, à cet égard, les créances doivent être déclarées éteintes par application de l'article 53 de la loi du 25 janvier 1985 ; que la Cour fixera donc le montant des créances régulièrement déclarées, et découlant du délit d'escroquerie poursuivi ; que les créances non déclarées dans le délai avec date certaine, seront déclarées éteintes ;

" alors, d'une part, que seul Lucien F avait fait l'objet à titre personnel d'une procédure collective ; que tel n'était pas le cas de sa femme, Josette F, née G ; qu'à supposer même que les créances à l'encontre de Lucien F aient été comprises dans le passif de la liquidation judiciaire, et aient dû faire l'objet d'une déclaration par application de l'article 50 de la loi du 25 janvier 1985, elle ne pouvait trouver dans ce texte une cause d'extinction de la dette de dommages-intérêts de Josette Fen tant que coupable de complicité d'escroquerie ; que c'est par une violation de l'article 50 de la loi du 25 janvier 1985 que la décision attaquée a déclaré la créance de la demanderesse éteinte dans son entier ;

" alors, d'autre part, que le préjudice dont la partie civile est seule recevable à demander réparation devant la juridiction correctionnelle est celle qui prend directement sa source dans le délit ; que cette créance délictuelle comme tout créance délictuelle naît au jour du jugement allouant des dommages et intérêts, lequel est de nature constitutive ; qu'en décidant que Sandrine B était titulaire d'une créance dont le fondement reposait sur un contrat de prêt, la décision attaquée dont résulte que la demanderesse, comme les autres parties civiles, était victime des agissements délictueux de Lucien F, a méconnu la nature des dommages et intérêts dus à la demanderesse et violé les textes visés au moyen en déclarant sa créance éteinte " ;

Sur le second moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Piwnica et Molinié en faveur de Marie X, pris de la violation des articles 47 et 53 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, 59, 60, 405 et 460 de l'ancien Code pénal, 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré éteinte, faute de déclaration, la créance de Marie X et a rejeté sa demande à l'encontre de Josette F;

" aux motifs que Lucien Fa fait l'objet à titre personnel d'une procédure collective et a été placé en liquidation judiciaire, Me Zucchi étant le représentant des créanciers ; que Josette Fa, en connaissance de cause de l'état désastreux de la trésorerie de l'entreprise de son époux, mis à la disposition de Lucien F, interdit bancaire, son compte en banque ouvert à la Société Générale d'Aubagne sur lequel celui-ci versait le montant des emprunts qu'il avait obtenus grâce à ses escroqueries ; que Lucien F n'ayant pas la signature, son épouse a signé à sa place les chèques permettant à l'entreprise de fonctionner et que ces faits caractérisent les délits de complicité d'escroquerie et de recel de produits de celle-ci qui sont reprochés à Josette F;

que toutes les victimes des agissements délictueux de Lucien F sont titulaire d'une créance dont l'origine est antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, dont le fondement repose sur les contrats de prêts ; que, par voie de conséquence, sont applicables à l'espèce les dispositions de l'article 50 de la loi du 25 janvier 1985 d'ordre public et l'article 66 du décret du 27 décembre 1985 ; que les parties civiles doivent donc justifier avoir adressé leur déclaration de créance à Me Zucchi ou avoir été relevées de la forclusion en cas de non-respect du délai prévu par l'article 66 du décret susvisé ; que faute de justification à cet égard, les créances doivent être déclarées éteintes par application de l'article 53 de la loi du 25 janvier 1985 et que les créances non déclarées dans le délai avec date certaine, seront déclarées éteintes ;

" alors que le complice d'une personne placée en liquidation judiciaire qui ne fait pas lui-même l'objet d'une procédure collective doit répondre sur son patrimoine personnel qui n'est pas le gage des créanciers, de ses agissements délictueux ayant causé un préjudice direct aux victimes de l'infraction, la règle de l'égalité des créanciers dans la masse ne pouvant recevoir application " ;

Les moyens étant réunis ;

Sur le moyen unique de cassation de Sandrine B pris en sa seconde branche :

Attendu qu'en énonçant que toutes les victimes des agissements délictueux de Lucien F sont titulaires d'une créance antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective dont le fondement repose sur les contrats de prêt, la cour d'appel a fait l'exacte application des articles 47 et 50 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Qu'ainsi le grief de la seconde branche du moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le second moyen de cassation de Marie et le moyen unique de cassation de Sandrine B pris en sa première branche :

Vu l'article 47 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que le principe de l'égalité des créanciers ne s'oppose pas à leur action individuelle contre le complice d'un prévenu déclaré coupable d'escroquerie qui ne fait pas lui-même l'objet d'une procédure collective et dont le patrimoine n'est pas en conséquence le gage de l'ensemble des créanciers ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Marie X et Sandrine B se sont constituées parties civiles contre Lucien F et son épouse Josette G, prévenus d'escroqueries, complicité et recel ;

Que les premiers juges ont condamné solidairement les prévenus, déclarés coupables des faits poursuivis, à payer aux parties civiles les sommes respectives de 424 000 francs et 150 000 francs, à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que, pour infirmer cette décision et déclarer éteintes les créances des parties civiles, la juridiction du second degré, après avoir relevé que Lucien F avait fait l'objet, à titre personnel, d'une procédure collective et avait été déclaré en liquidation judiciaire, énonce que toutes les victimes des agissements délictueux du prévenu sont titulaires d'une créance dont l'origine est antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, dont le fondement repose sur les contrats de prêt et qu'en conséquence, sont applicables les dispositions d'ordre public de l'article 50 de la loi du 25 janvier 1985 et 66 du décret du 27 décembre 1985 ;

Que les juges ajoutent que les parties civiles doivent donc justifier avoir adressé leur déclaration de créance au représentant des créanciers ou avoir été relevé de la forclusion en cas de non-respect du délai prévu par l'article 66 du décret précité et que, faute de justification à cet égard, les créances doivent être déclarées éteintes par application de l'article 53 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que Josette G, épouse F, condamnée pour complicité du délit d'escroquerie commis par son époux, n'a pas fait l'objet d'une procédure collective, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

I-Sur les pourvois de Jean D et de Lucien E:

Les DECLARE IRRECEVABLES ;

II-Sur les pourvois de Jeanne Y, Maurice Z, Jocelyne A, épouse Z, et Mireille C:

Les REJETTE ;

III-Sur les pourvois de Marie X et Sandrine B:

CASSE et ANNULE l'arrêt précité de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, du 19 janvier 1999, en ses seules dispositions ayant déclaré éteintes les créances de Marie X et Sandrine B;

Et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.