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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 8 septembre 2021, n° 20/18352

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ateliers Dinand (SARL)

Défendeur :

My Exclusive Collection (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseiller :

Mme Bongrand

Avocats :

Me Ingold, Me Rodrigue, Me Fontaine

T. com. Paris, prés., du 2 déc. 2020

2 décembre 2020

La société My Exclusive Collection, fondée en 2015 par M. X., a pour activité la fabrication de parfums et produits cosmétiques. Par contrat du 12 janvier 2019, elle a confié à la société Ateliers Dinand une licence exclusive mondiale d'exploitation des parfums de M. Y pour une durée de dix ans, la société licenciée s'engageant à exploiter les réalisations de M. Y et à rémunérer la société concédante.

Lors de l'assemblée générale du 22 août 2020, M. X a été révoqué de ses fonctions de président de la société My Exclusive Collection et M. Z a été nommé président en remplacement de M. X. Par courrier du 28 septembre 2020, la société My Exclusive Collection a notifié à la société Ateliers Dinand la résiliation du contrat de licence exclusive avec effet rétroactif au 22 août 2020. La société Ateliers Dinand a, ultérieurement, contesté cette résiliation, par courrier du 8 décembre 2020.

Reprochant à la société My Exclusive Collection le non-respect du contrat de licence exclusive, la société Ateliers Dinand a, par acte des 28 et 29 septembre 2020, fait assigner en référé devant le tribunal de commerce de Paris la société My Exclusive Collection, M. Z et M. X aux fins de voir :

- désigner un administrateur provisoire avec mission de représenter la société My Exclusive Collection dans le cadre de l'exécution du contrat de licence exclusive passé avec la société Ateliers Dinand et de suspendre tous les accords conclus en violation des droits de la société Ateliers Dinand et le cas échéant en demander la résolution judiciaire devant la juridiction compétente,

- interdire sous astreinte à M. Z la moindre ingérence dans l'exécution du contrat de licence exclusive,

- outre une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance contradictoire du 2 décembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Ateliers Dinand de ses demandes,

- débouté M. X de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à référé,

- débouté M. Z et la société My Exclusive Collection pour le surplus,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Ateliers Dinand aux entiers dépens.

Suivant déclaration du 15 décembre 2020, la Sarl Ateliers Dinand a interjeté appel de cette ordonnance en ce qu'elle l'a déboutée de ses demandes, dit n'y avoir lieu à référé, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens.

Dans ses dernières conclusions du 26 mai 2021, la Sarl Ateliers Dinand demande à la cour de :

Vu l'article 873 du code de procédure civile,

Vu l'article 16 du code de procédure civile,

- nfirmer l'ordonnance rendue le 2 décembre 2020 en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé et en ce qu'elle a débouté les Ateliers Dinand de ses demandes,

en conséquence, statuant à nouveau des chefs critiqués,

- constater que les Ateliers Dinand contestent la résiliation unilatéralement notifiée par My Exclusive Collection,

- juger que le contrat conclu entre les Ateliers Dinand et My Exclusive Collection est en vigueur tant qu'aucune décision ayant autorité de la chose jugée n'aura jugé le contraire,

- juger que la notification de la rupture constitue un trouble manifestement illicite,

- juger que les actes commis par le dirigeant actuel de la société My Exclusive Collection mettent en péril grave l'exécution de ce contrat,

- désigner Me W. ou tel administrateur qu'il plaira à la cour de désigner en qualité d'administrateur provisoire avec pour mission de :

* représenter la société My Exclusive Collection dans le cadre de l'exécution du contrat de licence exclusive passé avec les Ateliers Dinand,

* suspendre tous les accords conclus en violation des droits des Ateliers Dinand et le cas échéant en demander la résolution judiciaire devant la juridiction compétente,

- ordonner à M. Z et à My Exclusive Collection de poursuivre l'exécution du contrat,

- interdire à M. Z, à titre personnel ou en sa qualité de président, la moindre ingérence dans l'exécution du contrat de licence exclusive sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée,

- ordonner à M. Z et à My Exclusive Collection de retirer toute mention de la résiliation du contrat accessible au public, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir et dire que l'astreinte court pendant 90 jours,

- débouter M. Z et la société My Exclusive Collection de l'ensemble de leurs demandes, fins et moyens,

A titre subsidiaire,

- condamner in solidum M. Z et la société My Exclusive Collection à verser à la société Ateliers Dinand la somme de 172 959 euros à titre de provision sur dommages-intérêts,

- condamner in solidum M. Z et la société My Exclusive Collection à verser à la société Ateliers Dinand la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum M. Z et la société My Exclusive Collection aux dépens.

Dans leurs dernières conclusions du 27 mai 2021, la SAS My Exclusive Collection et M. Z, président de la société My Exclusive Collection, demandent à la cour de :

Vu l'article 873 du Code de procédure civile,

- confirmer l'ordonnance de référé du 2 décembre 2020 en ce qu'elle a débouté la société Ateliers Dinand de l'ensemble de ses demandes,

- confirmer l'ordonnance de référé du 2 décembre 2020 en ce qu'elle a débouté M. X de l'ensemble de ses demandes,

y ajoutant,

- enjoindre à la société Ateliers Dinand, sous astreinte de 500 euros par jour à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, de supprimer le compte instagram accessible à l'adresse URL https://www.instagram.com/by-jeanpaulguerlain/'hl=fr,

- enjoindre à la société Ateliers Dinand, sous astreinte de 500 euros par jour à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, de supprimer la page facebook accessible à l'adresse URL https://frfr.facebook.com/byjeanpaulguerlain,

- enjoindre à M. X, sous astreinte de 500 euros par jour à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, de communiquer à M. Z le registre de la société My Exclusive Collection,

en tout état de cause,

- juger Ateliers Dinand irrecevable en sa demande nouvelle de condamnation de la société My Exclusive Collection au paiement de dommages-intérêts,

- la débouter de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Ateliers Dinand à payer à M. Z la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Ateliers Dinand à payer à la société My Exclusive Collection la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Ateliers Dinand aux entiers dépens.

M. X n'a pas constitué avocat.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

MOTIFS

Sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire :

La société Ateliers Dinand sollicite la désignation d'un administrateur provisoire pour représenter la société My Exclusive Collection afin de s'assurer de la bonne exécution et de la pérennité du contrat de licence exclusive mises en péril par des droits concurrents du fait de M. Z, nouveau président de la société My Exclusive Collection.

Il est constant que la désignation judiciaire d'un administrateur provisoire de la société est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société concernée et menaçant celle-ci d'un péril imminent. La demande est présentée par un ou plusieurs associés ou un organe d'administration. Les personnes extérieures à la société n'ont pas qualité à agir, en ce compris les créanciers sociaux au motif que la carence du dirigeant menacerait leurs intérêts.

En l'espèce, la société Ateliers Dinand n'a pas la qualité d'associé de la société My Exclusive Collection. De surcroît, elle n'allègue aucun fonctionnement anormal de la société My Exclusive Collection ni un quelconque péril imminent susceptible de la menacer, se contentant d'invoquer la menace de ses propres intérêts.

L'ordonnance entreprise qui n'a pas fait droit à la demande de désignation d'un administrateur provisoire sera confirmée de ce chef.

Sur la résiliation du contrat de licence exclusive et le trouble manifestement illicite :

La société Ateliers Dinand fait valoir que la résiliation du contrat de licence exclusive dont se prévaut la société My Exclusive Collection est illégale tant dans la forme, intervenue en violation des stipulations contractuelles relatives à la médiation, que sur le fond, n'étant assise sur aucun fondement sérieux, et revêt un caractère manifestement illicite. Elle demande à la cour d'ordonner la poursuite forcée du contrat de distribution exclusive à titre de mesure conservatoire sur le fondement de l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile.

Le trouble manifestement illicite s'entend de toute perturbation résultant d'un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

En l'espèce, les relations des parties sont régies par un contrat de licence à durée déterminée. Selon l'article 1212 du code civil, lorsque le contrat est conclu pour une durée déterminée, chaque partie doit l'exécuter jusqu'à son terme.

L'article 1224 du code civil dispose cependant que "la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire, soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice", y compris s'agissant d'un contrat à durée déterminée.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 septembre 2020, la société My Exclusive Collection représentée par son nouveau président M. Z a notifié à la société Ateliers Dinand la résiliation du contrat de licence en ses termes :

« Le contrat que vous aviez conclu avec notre société reposait expressément sur la personne de M. X comme président. L'article 9 du contrat stipule le caractère intuitu personae de la relation contractuelle. Il est précisément mentionné qu'il s'agit d'une qualité essentielle du contrat sans laquelle les parties ne se seraient pas engagées. L'article 15 du contrat stipule en outre que toutes les clauses du présent contrat sont de rigueur et en son alinéa 2 qu'aucune des clauses ne peut être réputée de style.

Ainsi dès le 22 août 2020, le contrat qui nous liait à votre société s'est éteint du fait de la perte du caractère intuitu personae, ce que vous ne pouviez ignorer. C'est donc en toute illégalité que vous continuez à vous présenter comme notre distributeur ».

En outre, la société My Exclusive Collection s'est prévalue de plusieurs manquements graves de la société Ateliers Dinand qui lui ont été notifiés par lettres des 15 et 28 septembre 2020 pour mettre fin au contrat de licence.

La société My Exclusive Collection n'a pas mis en œuvre la clause « médiation » figurant à l'article 24 du contrat en ces termes « Avant toute décision définitive sur leurs différends, les parties s'engagent à faire désigner un médiateur judiciaire conformément aux articles L. 131-1 et suivants du code de procédure civile. En cas d'échec de la médiation judiciaire, les parties retrouveront leur liberté d'actions » mais a usé de sa faculté de résilier celui-ci de manière unilatérale, sans préavis, en application des dispositions susvisées.

En la matière, le trouble manifestement illicite ne peut être constitué que dans l'hypothèse où la résiliation est manifestement illicite en la forme ou en raison de ses motifs, ce qui ne ressort pas des circonstances de l'espèce avec l'évidence requise en référé, sans qu'il y ait lieu de procéder à un examen tant de la portée de la clause de médiation ou de celle de l'intuitu personae de l'article 9 du contrat que du bien-fondé des griefs énoncés à l'appui de la résiliation, lequel examen excède les pouvoirs du juge des référés.

Il s'ensuit que la résiliation anticipée du contrat ne revêt pas le caractère d'un trouble manifestement illicite. La poursuite forcée du contrat de distribution exclusive ne saurait donc être ordonnée à titre de mesure conservatoire. L'ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.

Sur la demande de dommages-intérêts à titre provisionnel :

A titre subsidiaire, la société Ateliers Dinand sollicite sur le fondement de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile le versement d'une provision sur dommages-intérêts invoquant des dépenses engagées pour l'exécution du contrat en pure perte du fait de la résiliation dudit contrat de licence.

Les intimés soulèvent l'irrecevabilité de cette demande de provision formulée pour la première fois devant la cour, comme nouvelle. La société appelante ne réplique pas de ce chef.

Il apparaît que la société Ateliers Dinand n'a pas formé de demande de condamnation en paiement de provision à valoir sur des dommages-intérêts en première instance, limitant ses demandes à la désignation d'un administrateur provisoire avec mission de représenter la société My Exclusive Collection dans le cadre de l'exécution du contrat de licence exclusive et de suspendre tous les accords conclus en violation des droits de la société Ateliers Dinand et le cas échéant en demander la résolution judiciaire devant la juridiction compétente ainsi qu'à voir interdire à M. Z la moindre ingérence dans l'exécution du contrat de licence exclusive sous astreinte.

La demande nouvelle de condamnation par provision à des dommages-intérêts ne tend assurément pas aux mêmes fins que la demande en désignation d'un administrateur provisoire pour la société My Exclusive Collection ni que la demande de faire défense à M. Z de s'ingérer dans l'exécution du contrat, pas plus qu'elle n'en constitue l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Elle est donc irrecevable en cause d'appel conformément à l'article 564 du code de procédure civile.

Sur la demande reconventionnelle de suppression du compte instagram et de la page facebook:

Les deux pièces produites à cette fin par les intimés, à savoir la page instagram et la page facebook, pour partie en anglais, ne permettent pas de caractériser avec l'évidence requise en référé les allégations de dénigrement et d'accusation diffamatoire fondant la demande de suppression. Il n'y a donc pas lieu à référé de ce chef.

Sur la demande de communication du registre de la société My Exclusive Collection :

M. Z dirige cette demande à l'encontre de M. X, ancien président de la société My Exclusive Collection, sans plus de précision ni de motivation. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu à référé de ce chef de demande par trop imprécis.

Sur les autres demandes :

Le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge.

La société Ateliers Dinand, qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel et sera condamnée à verser à chacun des intimés qui en ont fait la demande la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Déclare irrecevable la demande de provision à valoir sur des dommages-intérêts formée par la société Ateliers Dinand,

Dit n'y avoir lieu à référé du chef des demandes reconventionnelles des intimés,

Condamne la société Ateliers Dinand aux dépens d'appel,

Condamne la société Ateliers Dinand à verser à la société My Exclusive Collection et à M. Z, chacun, la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.