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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 24 mars 2011, n° 10/02436

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Piera Promotion (SARL), Lageat (ès qual.)

Défendeur :

De Carrière (ès qual.), Segard (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Muller

Conseillers :

M. Bernaud, Mme Pages

Avoués :

SCP Grimaud, Me Ramillon

Avocats :

Me Jourdan, Me Aoudiani

T. com. Gap, du 12 mai 2010

12 mai 2010

Le groupe PIERA, qui exerce depuis le début des années 1990 une activité de promotion immobilière, est constitué de trois sociétés principales : la société holding PIERA FINANCE chargée de l'exécution de prestations comptables et administratives pour les autres sociétés du groupe, la société PIERA PROMOTION spécialisée dans la réalisation d'opérations de promotion immobilière et de vente de droits immobiliers et la société PIERA DISTRIBUTION ayant une activité de gestion de patrimoine et de placements immobiliers.

Pour la réalisation de ses différents programmes immobiliers le groupe PIERA a créé un nombre important de sociétés civiles immobilières ou SNC (une centaine environ).

Jusqu'en 2007 le groupe a réalisé un chiffre d'affaires important, qui a connu toutefois une baisse importante au cours de l'année 2008 en relation avec la crise économique et le ralentissement consécutif du marché immobilier neuf.

Les sociétés du groupe ont bénéficié d'une procédure de conciliation au cours de l'année 2008, qui a donné lieu le 26 septembre 2008 à l'homologation d'un protocole d'accord par le tribunal de commerce de Gap.

Les trois sociétés de tête du groupe PIERA ont obtenu par trois jugements du même tribunal en date du 25 septembre 2009 l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, avec désignation de deux coadministrateurs judiciaires et d'un mandataire judiciaire.

Deux jugements subséquents des 2 décembre 2009 et 3 février 2010 ont autorisé la poursuite d'activité jusqu'au 7 avril 2010.

Sur le rapport des coadministrateurs du 6 avril 2010, le tribunal, par trois jugements du 12 mai 2010, prenant en compte l'importance du passif déclaré à hauteur de la somme de

160 millions d'euros, l'absence de tout projet de plan de sauvegarde à l'issue de la période d'observation de plus de huit mois et la démission du dirigeant du groupe, a prononcé la liquidation judiciaire des trois sociétés de tête, a autorisé toutefois la poursuite d'activité jusqu'au 11 juin 2010 afin de permettre la concrétisation de toute offre de reprise, a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 12 novembre 2009 et a désigné Me DE CARRIERE en qualité de liquidateur judiciaire ainsi que Me LAGEAT en qualité d'administrateur provisoire chargé de représenter la société pour la suite de la procédure.

La société PIERA PROMOTION a relevé appel du jugement la concernant selon déclaration reçue le 27 mai 2010.

Ne remettant pas en cause le principe même de la liquidation judiciaire, elle forme un appel limité à la question de la fixation de la date provisoire de cessation des paiements.

Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 1er février 2011 par la SAS PIERA PROMOTION qui demande à la cour, par voie d'infirmation partielle du jugement, de fixer la date de cessation des paiements au jour de l'ouverture de la procédure, soit au 12 mai 2010 et de déclarer irrecevable et mal fondé le mandataire liquidateur en sa demande de report de cette date aux motifs :

que l'état de cessation des paiements n'était pas caractérisé antérieurement à la décision de liquidation judiciaire ainsi que l'ont constaté les coadministrateurs judiciaires dans leur rapport pour l'audience du 3 février 2010 et l'expert-comptable,

que le solde du compte bancaire du groupe était créditeur le 2 avril 2010 d'une somme de 220 000 €, tandis que des virements pour des montants plus importants étaient effectués après l'audience par les administrateurs judiciaires, ce qui démontre l'existence de disponibilités de trésorerie,

qu'aucun débat n'a eu lieu en première instance sur sa capacité à faire face à son passif exigible avec son actif disponible, ce qui caractérise une violation du principe du contradictoire,

qu'à la date du 27 novembre 2009 l'ensemble des salaires et des charges étaient payés,

que jusqu'au jugement des ventes de terrains ont été réalisées,

que la demande de report au 31 décembre 2008 de la date de cessation des paiements est irrecevable devant la cour alors qu'en application de l'article L. 631-8 du code de commerce elle doit être présentée au tribunal dans le délai d'un an,

que cette demande reconventionnelle est également mal fondée dès lors que les trois décisions qui ont ouvert la procédure de sauvegarde et prolongé la période d'observation ont l'autorité de la chose jugée comme impliquant nécessairement l'absence de cessation des paiements.

Vu les conclusions récapitulatives signifiées et déposées le 26 janvier 2011 par Me DE CARRIERE , ès qualités, qui demande à la cour de fixer la date de cessation des paiements au 31 décembre 2008 en application de l'article L. 631-8 du code de commerce, de lui donner acte de ce qu'il se réserve le droit de solliciter à tout moment une expertise judiciaire en vue de déterminer contradictoirement la date de cessation des paiements et subsidiairement de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé cette date au 12 novembre 2009 aux motifs :

que la situation du groupe était totalement obérée au jour du jugement de liquidation judiciaire alors que les ventes réalisées n'avaient pas permis d'apurer notablement le passif non contesté s'élevant à 20 millions d'euros, qu'aucun plan n'avait été proposé après huit mois de période d'observation et que le dirigeant du groupe avait démissionné sans être remplacé,

qu'à ce jour la quasi-totalité des sociétés civiles immobilières de construction a été placée en liquidation judiciaire,

que les éléments recueillis au cours des opérations de liquidation judiciaire permettent d'affirmer que l'état de cessation des paiements était caractérisé dès le 31 décembre 2008, alors que les comptes de l'exercice clos à cette date n'ont pas été certifiés par les commissaires aux comptes comme ne donnant pas une image fidèle du résultat des opérations ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société, qu'à la date du 31 décembre 2008 la société a subi une perte de plus de 21 millions d'euros, que les capitaux propres sont négatifs depuis le 31 décembre 2006, que la trésorerie de l'entreprise n'a été considérée comme positive au 30 septembre 2008 qu'en considération d'un apport de l'associé principal de plus de 6 millions d'euros, qui n'a pas toutefois été retrouvé dans les comptes du groupe au 31 décembre, et enfin que le passif déclaré s'élève à la somme de 165 millions d'euros pour les trois sociétés.

Vu les conclusions de confirmation déposées le 2 novembre 2010 par Madame LA PROCUREURE GENERALE.

Vu l'assignation délivrée le 13 septembre 2010 à la société civile professionnelle CARBONI SEGARD, ès qualités d'administrateur judiciaire, qui n'a pas constitué avoué.

Vu la disjonction de l'instance à l'égard de la société civile professionnelle BOUET GILLIBERT, ès-qualités de coadministrateur judiciaire, par ordonnance du 20 octobre 2010.

MOTIFS DE L’ARRET

Si en application de l'article L. 620-1 du code de commerce la procédure de sauvegarde est ouverte sur demande d'un débiteur qui n'est pas en état de cessation des paiements, il résulte toutefois de l'article L. 621-12 du même code, dans sa rédaction de l'ordonnance du 18 décembre 2008 applicable en la cause (la procédure de sauvegarde a été ouverte le 25 septembre 2009), que « s'il apparaît, après l'ouverture de la procédure, que le débiteur était déjà en cessation des paiements au moment du prononcé du jugement, le tribunal le constate et fixe la date de la cessation des paiements dans les conditions prévues à l'article L. 631-8 ».

De la même façon selon l'article L. 622-10 du code de commerce le tribunal peut à tout moment de la période d'observation «convertir la procédure en redressement judiciaire si les conditions de l'article L. 631-1 sont réunies ou prononcer la liquidation judiciaire si les conditions de l'article L. 640-1 sont réunies ».

Dans ces deux hypothèses le jugement de conversion de la procédure fixe la date de cessation des paiements dans les conditions prévues à l'article L. 631-8 du code de commerce, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l'article L. 641-1. Cette date peut dès lors être fixée à tout moment de la période d'observation et peut même être reportée une ou plusieurs fois, sans pouvoir toutefois être antérieure de plus de 18 mois à la date du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde.

Il résulte de ces dispositions que le jugement ouvrant la procédure de sauvegarde, comme les jugements subséquents prolongeant la période d'observation, ne peuvent être revêtus de l'autorité de la chose jugée relativement à la condition d'absence d'état de cessation des paiements, qui n'est que présumée à l'ouverture de la procédure, sauf meilleure appréciation du tribunal en fonction des informations recueillies ultérieurement.

Aucune irrecevabilité ne frappe par ailleurs la demande de report formée par le liquidateur judiciaire, alors que dès l'ouverture de la procédure collective il appartient au tribunal, et à sa suite à la cour d'appel, de fixer la date de cessation des paiements dans les limites posées par l'article L. 631-8 du code de commerce.

Aux termes du bilan économique et social qu'ils ont établi en vue de l'audience intermédiaire du tribunal du 3 février 2010 les administrateurs judiciaires, après avoir analysé l'origine des difficultés du groupe, tenant selon eux à la crise économique des années 2007 et 2008 ayant provoqué une mévente importante dans le domaine de l'immobilier neuf, ont constaté que, si le passif global de la société PIERA PROMOTION au 23 septembre 2009 excédait notablement l'actif, l'entreprise disposait cependant à cette date de valeurs réalisables et disponibles (550 280 €) de nature à couvrir intégralement le passif échu (550 000 €).

Dans leur second rapport pour l'audience du tribunal de commerce du 7 avril 2010 ils ont estimé que les créances déclarées au passif des trois entités à hauteur de 163 millions d'euros devaient raisonnablement être ramenées à moins de 20 millions d'euros, alors notamment que les créanciers des SCI avaient également produit au passif des structures holding et que l'endettement était artificiellement grossi par les déclarations effectuées au titre des garanties locatives et des cautions de garantie d'achèvement.

Ils ont en outre constaté que la perte d'exploitation subie au cours des six premiers mois de la poursuite d'activité avait été intégralement financée par l'actionnaire LBO FRANCE et par la réalisation de certains actifs, et que pour l'avenir le cash-flow dégagé devait assurer le paiement des charges courantes.

En conclusion ils ont considéré que le groupe disposait de la trésorerie suffisante pour financer la poursuite d'activité.

Le rapport de gestion portant sur la période d'observation confirme que, si l'exploitation demeurait déficitaire, la trésorerie consolidée du groupe, ainsi que le solde bancaire, étaient positifs au 31 mars 2010.

Enfin, bien que dans leur rapport du 14 janvier 2010 les commissaires aux comptes aient refusé de certifier les comptes annuels clos le 31 décembre 2008 en raison notamment de l'absence de provisions pour litiges, du retard important de la date d'arrêté des comptes et de la différence existant entre les hypothèses de rentabilité et la commercialisation réelle des programmes, ils n'ont pas relevé l'état de cessation des paiements de l'une ou l'autre des trois sociétés de tête du groupe (ils se sont bornés à faire état du retard dans la déclaration de cessation des paiements des sociétés civiles immobilières de construction).

En l'état de ces éléments, qui font certes apparaître que l'activité de promotion immobilière du groupe PIERA, dont la survie à long terme dépendait de l'augmentation des engagements financiers de l'actionnaire majoritaire et du principal partenaire bancaire, était structurellement déficitaire depuis l'année 2008, mais qui démontrent que la société PIERA PROMOTION a disposé au cours de la période d'observation de la trésorerie et d'une réserve de crédit suffisantes pour faire face au passif échu et à ses charges courantes, maître DE CARRIERE , ès-qualités, n'apporte pas la preuve de l'impossibilité pour la société de faire face à son passif exigible au moyen de son actif disponible à la date du 12 novembre 2009 retenue par le tribunal, ni à fortiori à celle du 31 décembre 2008 ; étant observé que c'est sans motiver en aucune façon leur décision sur ce point que les premiers juges ont reporté provisoirement de six mois la date de la cessation des paiements.

Par voie de réformation du jugement, la date de cessation des paiements sera par conséquent provisoirement fixée à la date du jugement ayant converti la procédure de sauvegarde en liquidation judiciaire.

Il sera toutefois donné acte au liquidateur judiciaire de ce qu'il se réserve le droit de faire reporter la date de cessation des paiements dans les conditions prévues par l'article L. 631-8 du

code de commerce et de solliciter à cette fin l'instauration d'une mesure d'expertise.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la liquidation judiciaire de la SAS PIERA PROMOTION sur conversion de la procédure de sauvegarde ouverte le 25 septembre 2009, désigné les organes de la procédure collective, autorisé la poursuite d'activité jusqu'au 11 juin 2010 et fixé les délais prévus par la loi,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 12 novembre 2009 et statuant à nouveau de ce chef :

fixe provisoirement la date de cessation des paiements au 12 mai 2010,

donne acte au liquidateur judiciaire de ce qu'il se réserve le droit de faire reporter la date de cessation des paiements dans les conditions prévues par l'article L. 631-8 du code de commerce et de solliciter à cette fin l'instauration d'une mesure d'expertise,

Ordonne l'emploi des entiers dépens en frais privilégiés de procédure collective.