CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 7 septembre 2021, n° 19/16377
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Courteille Creations (SARL)
Défendeur :
Diamond Tree Limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Douillet
Conseillers :
Mme Barutel, Mme Bohée
Avocats :
Me Matthieu, Me Brun, Me Guyonnet, Me Mercier
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme K P, dite M D, se présente comme experte en bijoux anciens et créatrice de bijoux haut de gamme. Elle expose qu'elle est une artiste qui bénéficie d'une grande notoriété et que ses créations allient notamment des pierres et des gemmes rares à des formes de bijoux inspirées de différents thèmes, notamment la faune et la flore.
Mme D indique qu'elle exploite ses bijoux via la société L. COURTEILLE CREATIONS, immatriculée le 22 septembre 2005 au RCS de Paris.
Elle fait valoir que l'un de ses bijoux emblématique est une bague dénommée « C » , créée en 2003 pour la collection « Extralucide » :
Mme D indique qu'elle a créé également en 2006 une collection de bijoux « A Cassandre » composée de bagues, de broches, de bracelets et de colliers déclinés autour du thème de la rose, et notamment une bague/pendentif, une « bague armure » recouvrant deux phalanges et un collier commercialisés en février 2011 :
Mme D revendique aussi la création de deux autres bijoux dont la fabrication a été confiée à la société HOOVER INTERNATIONAL établie à Bangkok :
- une bague « Hippocampe Deep Sea » commercialisée dès le 23 février 2015 :
- une bague « chauve-souris Bestiaire » commercialisée le 10 octobre 2011:
Mme D indique s'être rapprochée, en 1999, de Mme N Q, dite S U, via la société DIAMOND TREE établie à G I. Elle soutient qu'en qualité de donneur d'ordre, elle fournissait des modèles pour fabrication, modifiait ses croquis et donnait les instructions en vue de la fabrication, Mme U et la société DIAMOND TREE n'étant en charge que de la fabrication.
Mme U expose être créatrice de joaillerie à G I, la société de droit chinois DIAMOND TREE, créée en 1999, fabriquant et commercialisant ses créations.
Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS exposent qu'en 2015, elles ont constaté que Mme U commercialisait, notamment via sa société DIAMOND TREE, des bijoux reprenant les caractéristiques esthétiques des bijoux M D, et notamment :
- une bague référencée « One of a kind stone ring » reprenant les caractéristiques originales de la bague « C »,
- des bijoux référencés « Flower and wine necklace », « Flower necklace » et « Z and Flower Cocktail ring » reprenant les caractéristiques des bijoux de la collection « A Cassandre »,
- des bagues référencées « Opal Beetle and bat ring » et « Seahorse sapphire ring » associant des pierres d'opales à des motifs animaliers reprenant les caractéristiques des bagues « Deep Sea » et « Bestiaire ».
Par exploits d'huissier du 21 octobre 2016, la société L. COURTEILLE CREATIONS et Mme D ont fait assigner Mme U et la société devant DIAMOND TREE le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d'auteur et en concurrence déloyale et parasitaire.
Par ordonnance du 6 juillet 2017, le juge de la mise en état a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Mme U et la société DIAMOND TREE, déclarant le tribunal de grande instance de Paris compétent pour connaître des demandes formalisées par Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS dès lors que les bijoux argués de contrefaçon étaient offerts à la vente en France.
Par jugement rendu le 11 juillet 2017, le tribunal de grande instance de Paris a :
- déclaré Mme D irrecevable en ses demandes formées au titre du droit d'auteur,
- débouté Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS de leurs demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,
- rejeté la demande reconventionnelle en dommages intérêts pour dénigrement formée par Mme U et la société DIAMOND TREE,
- condamné in solidum Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS aux dépens, dont distraction, et au paiement à Mme U et à la société DIAMOND TREE de la somme de 7 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement.
Le 7 août 2019, Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS ont interjeté appel de ce jugement.
Dans leurs dernières conclusions numérotées 3 transmises le 14 avril 2021, Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS, appelantes, demandent à la cour :
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a :
- déclaré Mme D irrecevable en ses demandes formées au titre du droit d'auteur,
- débouté Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS de leurs demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,
- condamné in solidum Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS à payer à Mme U et à la société DIAMOND TREE 7 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS aux dépens,
- de confirmer le jugement et de rejeter l'appel incident relatif au rejet par le tribunal de la demande de condamnation de Mme D et de la société L. COURTEILLE CREATIONS au titre d'un prétendu dénigrement,
- statuant à nouveau :
- de juger que Mme U et sa société DIAMOND TREE ont commis des actes de contrefaçon en France en reproduisant, représentant, en offrant à la vente, en important, en fabriquant et en commercialisant le modèle de bijou « One of a kind stone ring » constituant la copie du modèle de bague « C » de Mme D et sa société L. COURTEILLE CREATIONS,
- subsidiairement, dire et juger qu'en commercialisant le produit « One of a kind stone ring » Mme U et sa société DIAMOND TREE ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire en application de l'article 1240 du code civil,
- de juger qu'en imitant un certain nombre de modèles et collections (notamment la collection « A Cassandre », le modèle « Bestiaire » et le modèle « Seahorse sapphire ring ») de Mme D et sa société L. COURTEILLE CREATIONS, ainsi qu'en reprenant les codes, l'univers et la présentation de la boutique et du site internet de Mme D, O et sa société DIAMOND TREE ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire distincts de ceux allégués au titre de la contrefaçon en application de l'article 1240 du code civil,
- de rejeter les pièces adverses de Mme U et de la société DIAMOND TREE : 31, 32, 33, 34, 35, 40, 41, 42, 43 et 44 pour défaut de force probante,
- en conséquence,
- de condamner in solidum Mme U et la société DIAMOND TREE à payer à Mme D :
- en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon et sauf à parfaire en fonction des éléments qui seront fournis par les intimées, la somme provisionnelle de 350 000 euros, ou, subsidiairement, la somme de 315 720 euros, si la cour venait à juger que l'augmentation du quantum du préjudice constituait une demande nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile,
- subsidiairement, la somme provisionnelle de 350 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale et parasitaire, sauf à parfaire en fonction des éléments qui seront fournis par les intimées, ou, subsidiairement, à la somme de 315 720 euros, si la cour venait à juger que l'augmentation du quantum du préjudice constituait une demande nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile,
- la somme provisionnelle de 100 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire distincts des faits de contrefaçon,
- d'ordonner à Mme U et à la société DIAMOND TREE de verser tout document comptable certifié attestant du 38 nombre de bijoux référencés « One of a kind stone ring » ou par toute autre référence et commercialisés en France, du prix d'achat et de vente de ce modèle, du chiffre d'affaires ainsi réalisé en France, ainsi que de l'état de ses stocks, sous astreinte de 1 500 euros par infraction constatée, à compter de la signification de la décision à intervenir,
- d'interdire à Mme U et à la société DIAMOND TREE de fabriquer, faire fabriquer, importer, détenir, offrir à la vente et commercialiser le modèle de bijou contrefaisant et ce, sous astreinte de 1 500 euros par infraction constatée, à compter de la signification de la décision à intervenir,
- d'ordonner la destruction du modèle de bijou contrefaisant restant en stock, et la restitution de tous les moules des modèles que Mme U était chargée de fabriquer, pour le compte de Mme D, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,
- de se réserver la compétence pour connaître de la liquidation de cette astreinte,
- d'ordonner la publication du jugement à intervenir, dans son intégralité ou par extraits, dans 5 journaux ou publications professionnels au choix et de Mme D, aux frais avancés de Mme U et de la société DIAMOND TREE, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 5 000 euros HT, soit la somme totale de 25 000 euros HT,
- de condamner Mme U et la société DIAMOND TREE à verser à la société L. COURTEILLE CREATIONS et à Mme D la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- « d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir »,
- de rejeter l'ensemble des demandes de Mme U et de la société DIAMOND TREE,
- de condamner Mme U et la société DIAMOND TREE aux entiers dépens de l'instance en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions numérotées 4 transmises le 29 avril 2021, Mme U et la société DIAMOND TREE, intimées, demandent à la cour :
- in limine litis, de déclarer irrecevables les demandes nouvelles formulées au titre de la réparation financière au titre de la contrefaçon et au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme,
- à titre principal, de confirmer le jugement en ce qu'il a :
- déclaré Mme D irrecevables en ses demandes formées au titre du droit d'auteur,
- débouté Mme D et la société L. COURTEILLE de leurs demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,
- condamné in solidum Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS à la somme de 7 000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS aux dépens,
- à titre reconventionnel, d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour dénigrement formée Mme U et la société DIAMOND TREE, - statuant à nouveau :
- de constater les actes de dénigrement de Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS à l'encontre de Mme U et la société DIAMOND TREE,
- de condamner in solidum Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS à la somme de 20 000 euros à parfaire,
- de condamner in solidum Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS à la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner in solidum Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Arnaud GUYONNET , en application de l'article 699 du code de procédure civile,
- de rappeler que l'exécution provisoire est de plein droit.
L'ordonnance de clôture est du 4 mai 2021.
MOTIFS
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur la demande des appelantes de rejet de pièces produites par les intimées
Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS sollicitent le rejet de pièces produites par les intimées (pièces 31, 32, 33, 34, 35, 40, 41, 42, 43 et 44) pour défaut de force probante, expliquant que leur authenticité ou leur origine ne peut être vérifiée.
Il n'y a pas lieu cependant d'écarter a priori les pièces concernées des débats, alors qu'elles ont été produites contradictoirement par les intimées et que les appelantes sont en mesure de les critiquer dans leurs conclusions, l'appréciation de leur caractère probant ou non probant relevant de l'examen, au fond, auquel se livrera la cour des éléments de preuve qui lui sont soumis.
La demande sera en conséquence rejetée.
Sur les demandes de Mme D et de la société L. COURTEILLE CREATIONS
Sur les demandes de Mme D en contrefaçon de droit d'auteur concernant la bague « C »
Mme K D soutient qu'elle est la seule créatrice de la bague « C » qu'elle a fait fabriquer par la société DIAMOND TREE et qui a été divulguée et commercialisée en France sous le nom de M D, de sorte qu'elle bénéficie de la présomption de titularité de l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, et que les pièces produites par les intimées ne rapportent nullement la preuve que Mme U aurait créé la bague « C », ni aucun des autres bijoux revendiqués.
Mme U et la société DIAMOND TREE soutiennent que les bijoux revendiqués par Mme D ont en réalité été créés par Mme U à la demande de Mme D, et fabriqués par la société DIAMOND TREE, puis commercialisés par Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS. Elles opposent que les procès-verbaux de dépôt communiqués en demande sont insuffisants à établir que les bijoux revendiqués par Mme D sont issus de son processus créatif.
Ceci étant exposé, selon l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée. La présomption posée par cet article est simple et peut être combattue par tous moyens.
La cour relève qu'en appel, Mme D ne revendique des droits d'auteur que sur la seule bague « C », à l'exclusion des cinq autres bijoux (les trois bijoux de la collection « A Cassandre » et les deux bagues « Hippocampe Deep Sea » et « chauve-souris Bestiaire ») cités supra.
Les appelantes produisent aux débats :
- le procès-verbal de dépôt établi par Me SCHAMBURG, huissier de justice, en date du 28 décembre 2004 concernant 6 modèles de bagues et comportant une photographie de la bague « C » ;
- une attestation de M. L X incluant deux photographies - de mauvaise qualité et donc peu visibles - de la bague « C » dans laquelle celui-ci indique : « Je reconnais avoir fait ce dessin sur une commande spéciale de M D en 2003. Ce dessin est donc sa propriété » (leur pièce 7-2) ;
- une attestation en anglais d'une société turque BIRIZ MUCEVHERAT intégrant des photographies de la bague « C » et dans laquelle elle indique avoir reçu le design de la bague « C » M D en mai 2004 (et non pas en mai 2003 comme indiqué dans les conclusions des appelantes), que la production a pris 5 mois et qu'elle a livré la bague en octobre 2004 (et non pas en octobre 2003 comme indiqué dans les conclusions des appelantes) à M D ;
- une revue de presse de laquelle il ressort que la bague «C» a été portée à la connaissance du public sous le nom de M D notamment dans le numéro Joaillerie hors-série de Valeurs Actuelles 2005/2006, le numéro Série Limitée des Echos de décembre 2005, le numéro de Dreams de décembre 2005, dans le numéro Le Bijoutier - revue française des bijoutiers horlogers de décembre 2005, dans le numéro MFF (Magazine For Fashion) de janvier 2006, dans le numéro du 2 février 2006 du New Fashion Daily.
Cependant, les intimées produisent aux débats des pièces établissant que Mme U est joaillière à G I et qu'elle a réalisé de nombreux croquis de bijoux (annotés en chinois) pour Mme D, qui étaient soumis à l'acceptation de cette dernière qui les validait, le cas échéant après des demandes de modifications (pièces intimées 2, 3, 18, 26 - exemple à propos d'un bracelet en forme de serpent : « Veuillez confirmer l'acceptation par retour d'email ou fax pour la production », ce à quoi Mme D répond : « Le modèle est OK mais il doit tourner deux fois autour du poignet. Il est trop court... »), avant fabrication par la société DIAMOND TREE créée et dirigée par Mme V H apparaît également que Mme D s'adressait parfois directement à la société DIAMOND TREE pour des commandes (« Pourriez-vous me dire ce que j'ai commandé de votre propre collection et quand je serai livrée, j'ai besoin de créoles avec serpent et des créoles avec les crânes en onyx de taille médium ») (pièces 17, 43-1).
Comme le tribunal l'a retenu, ces dernières pièces, qui établissent que pour de nombreux bijoux Mme D a en réalité seulement commandé les créations de Mme U, sont de nature à combattre la présomption de titularité résultant de la divulgation de la bague «C» dans les revues précitées sous le nom de M D, cette divulgation n'étant pas dénuée de toute ambiguïté dès lors que Mme D, tout en continuant à affirmer qu'elle est l'auteur de la bague «C», sans pour autant fournir le moindre document (croquis...) susceptible d'accréditer un processus créatif, invoque désormais une commande passée auprès de M. L X, dont le témoignage tardif, très laconique, ne respectant pas les formes prescrites par l'article 202 du code de procédure civile (absence de mention que l'attestation est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu'une fausse attestation l'expose à des sanctions pénales ; absence de document officiel justifiant de l'identité de l'attestant et comportant sa signature) et qui n'est accompagné d'aucun croquis ou autre document attestant de son association au travail créatif de Mme D, ne convainc pas.
Dans ces conditions, eu égard à la collaboration pré existante de Mme U avec Mme D et de l'ambiguïté qui existe quant aux conditions de création de la bague «C», la seule divulgation de cette bague par Mme D sous son nom ne peut suffire à établir qu'elle est titulaire de droits d'auteur sur ce bijou.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a déclaré Mme D irrecevable en ses demandes formées au titre du droit d'auteur.
Sur les demandes en concurrence déloyale et parasitaire
A titre subsidiaire, Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS soutiennent que les intimées, parfaitement conscientes du succès rencontré par la bague «C», ont offert à la vente et commercialisé en France une bague référencée « One of a kind stone ring » reproduisant quasi servilement leur modèle «C», créant ainsi un risque de confusion entre les produits afin de détourner la clientèle de Mme D et bénéficiant en outre de façon indue des investissements réalisés par cette dernière, de ses efforts créatifs et de son succès. Les appelantes invoquent par ailleurs des actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire consistant (i) en l'imitation de nombreux modèles de Mme D (les modèles précités de la collection « A Cassandre » (bague/pendentif, bague armure et collier), les bagues « Hippocampe Deep Sea » et « Chauve souris Bestiaire ») par des bijoux reproduisant systématiquement et sans nécessité l'univers et les thématiques développés par Mme D, et créant ainsi un risque de confusion, (ii) en la reprise des codes de leur magasin et de leur site internet.
Les intimées opposent que les appelantes n'ont aucun droit privatif sur le modèle «C», qu'en tout état de cause, il n'est démontré aucune faute liée à un préjudice par un lien de causalité, ajoutant que le modèle « One of a kind stone ring » de Mme YUE apparaissait sur le site www. modaopeandi. com dans le cadre d'un « trunk show » terminé lors des constats et que son prix est en dollars, de sorte qu'aucun préjudice n'a pu être subi sur le territoire national. Elles contestent également les actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire allégués, faisant valoir, en substance, que sans démontrer aucun processus créatif, les appelantes prétendent s'arroger un monopole d'exploitation sur le thème de la rose en joaillerie (collection « A Cassandre ») alors que, dès 2008, elles-mêmes ont exploité ce thème qui l'est aussi par de nombreux joailliers, que le modèle Bestiaire a en réalité été créé antérieurement par Mme U, que les appelantes ont passé commande du modèle « Hippocampe Deep Sea » en 2009 et qu'il s'agit d'un thème répandu en joaillerie. Elles contestent toute reprise des codes de la boutique et du site internet.
La cour rappelle que la concurrence déloyale et le parasitisme, pareillement fondés sur l'article 1240 du code civil, sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l'étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance qu'à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements. Ces deux notions doivent être appréciées au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet d'un droit privatif de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou par l'absence d'une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l'exercice paisible et loyal du commerce.
Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire invoqués à titre subsidiaire
Il ressort des procès-verbaux de constat établis les 1er juillet et 9 décembre 2015 par Me DOROL à la demande de la société L.DE, notamment sur le site www.modaopeandi.com rédigé en anglais , sur une page dont l'adresse url est https://www. modaoperandi. com/S U r15, l'offre à la vente d'une bague S U référencée « One of a kind stone ring » apparaissant proche de la bague «C» revendiquée en ce qu'il s'agit d'une bague de type cabochon avec une pierre centrale enchâssée par plusieurs étoiles stylisées ornées de diamants sertis.
Si le prix est en dollars sur le premier constat, il apparaît en euros sur le second (page 23), ce qui indique que le site, accessible en France, était aussi destiné à un public européen, potentiellement français.
Toutefois, comme il a été dit, les conditions de la création de la bague «C» demeurent incertaines et les procès-verbaux de constat précités présentent seulement des images de la bague « One of a kind stone ring » vue de face de sorte qu'il n'est pas possible de constater que d'autres caractéristiques de la bague revendiquée sont reprises, telles notamment la présence d'un anneau constitué de bouquets sertis de diamants ou d'or, la bague « One of a kind stone ring » apparaissant, de plus, carrée alors que la bague «C» est décrite comme ovale. C'est pourquoi, alors que les appelantes ne bénéficient pas de droits privatifs sur les caractéristiques de la bague «C», la création ou la recherche fautive d'un risque de confusion n'est pas établie et ne peut ressortir à suffisance de commentaires sur une page du réseau Instagram, non traduite et matériellement peu lisible en raison de la mauvaise qualité de la copie produite (pièce 21 des appelantes).
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS de leurs demandes subsidiaires en concurrence déloyale et parasitaire.
Sur les actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire invoqués à titre principal
En appel, Mme D invoque les trois bijoux à motifs de roses de la collection « A Cassandre » et les deux bagues « Hippocampe Deep Sea » et « chauve-souris Bestiaire », au titre de la reprise, par les intimées, de l'univers et de thématiques de Mme D, qui serait constitutive d'actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire.
En ce qui concerne les trois bijoux de la collection « A Cassandre », que Mme D affirme avoir créés en 2006 et commercialisés à partir de février 2011, les intimées justifient que Mme U a exploité le thème de la rose pour une bague dès août 2008 (article de Harper's Baazar - pièce 35) selon un modèle très proche de celui qui est incriminé par les appelantes et, s'il en était besoin, que la thématique de la rose pour des bijoux a été adoptée par plusieurs joailliers de renom (Y en 1890 pour un collier, JAR en 2003 pour une broche, DIOR, A, R B...). Si la société L. COURTEILLE CREATIONS a acquis la bague en forme de rose en octobre 2006 d'une société hong kongaise E. JEWELRY (facture du 23 octobre 2006 - pièce 29), elle n'explique pas comment Mme U a pu avoir connaissance de ce bijou avant sa commercialisation en février 2011.
En ce qui concerne la bague « Hippocampe Deep Sea » que Mme D indique avoir acquise de la société HOOVER INTERNATIONAL en février 2012 et commercialisée pour la première fois le 23 février 2015, outre que la cour constate que la bague « Seahorse sapphire ring » de Mme U :
présente des différences significatives par rapport à la bague revendiquée, les intimées justifient qu'elles ont travaillé sur des modèles de bijoux représentant des hippocampes dès 2002, commercialisé une broche en forme d'hippocampe en 2006 (facture à la société russe ESMIZALD - pièce 42) et créé des bracelets hippocampe en 2007 et que l'utilisation du thème de l'hippocampe en joaillerie n'est pas exceptionnelle (leur pièce 45).
Il en est de même de la bague « chauve-souris Bestiaire », dont les appelantes indiquent qu'elle a été fabriquée par la société HOOVER INTERNATIONAL en 2007 et commercialisée le 10 octobre 2011, prétendument reprise par la bague « Opal beetle and bat ring » de Mme U :
Outre que les bagues présentent des différences (la bague incriminée représente une chauve-souris et un insecte et non pas trois chauve-souris enserrant une pierre comme sur la bague de M D), les intimées produisent un mail du 7 juillet 2005 de Mme U à Mme D lui transmettant des croquis, notamment celui d'une bague LC-15 incorporant des chauve-souris (pièce 40-1), et une facture du 31 octobre 2005 portant notamment sur la vente à Mme D d'un anneau LC-15, ce qui est de nature à accréditer la thèse que la bague « chauve-souris Bestiaire » est une création de Mme V
Ces éléments ne permettent pas de retenir des actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire imputables aux intimées au titre des bijoux à motifs de roses de la collection « A Cassandre » et des deux bagues « Hippocampe Deep Sea » et « chauve-souris Bestiaire », sur lesquels les appelantes ne bénéficient pas de droits privatifs.
Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS dénoncent enfin la reprise des codes de leurs magasins - devanture sobre entièrement noire avec une enseigne en blanc et, à l'intérieur, un mobilier entièrement noir associé à une lumière créant des effets bleutés - et une présentation du site www.wendyyue.com en tous points conformes au site www.lydiacourteille. com.
Mais l'utilisation de couleurs sobres, notamment du noir et blanc, sur des devantures de boutiques de joaillerie de luxe est banale et le choix par les intimées des couleurs bleue sombre et noire pour décorer leur boutique de G I, à l'instar des codes couleurs adoptées par les appelantes pour leur boutique de la ..., n'est pas susceptible d'engendrer un risque de confusion dans l'esprit du consommateur ou de constituer la reprise parasitaire d'une valeur économique. Il en est de même de l'utilisation par les intimées sur leur site internet de la représentation d'une femme sophistiquée assise, vue de profil, les yeux clos, les bras croisés, portant des gants manchettes noirs, que l'on retrouve aussi sur le site des appelantes, les deux femmes ainsi présentées laissant apparaître d'importantes différences (coiffures, robes, bijoux, fonds de décor).
Les demandes formées en appel par Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS au titre d'actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire seront en conséquence rejetées.
Sur la demande de Mme U et de la société DIAMOND TREE pour dénigrement
Mme U et la société DIAMOND TREE font valoir que Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS ont mené une campagne de dénigrement à leur préjudice auprès de leurs points de vente, prétendant que les créations de Mme U qu'elles commercialisaient étaient contrefaisantes, et que ce comportement a eu pour effet d'amener deux célèbres enseignes (ANNOUSCHKA et TSUM) à renoncer à travailler avec Mme V
Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS répondent que les intimées ne justifient d'aucune faute de dénigrement qui leur serait imputable, que les courriers adressés aux société commercialisant les bijoux de Mme U l'ont été par l'intermédiaire de leur avocat qui s'est contenté de faire état de la situation en des termes très mesurés sans porter d'accusations infondées ni demander l'arrêt de la commercialisation des bijoux de S V Elles ajoutent qu'aucun préjudice n'est démontré.
C'est pour de justes motifs que la cour adopte que les premiers juges ont rejeté la demande en considérant qu'aucun abus ne ressortait des courriers d'avocats versés aux dossiers et qu'aucun préjudice n'était établi.
Il sera ajouté qu'aucun élément n'est fourni en ce qui concerne la décision de la société russe TSUM de mettre un terme à sa collaboration avec Mme U et que la société ANNOUSHKA a expliqué sa propre décision par des raisons objectives tenant à la qualité des collections de S U (« nous avions déjà décidé de ne plus représenter S, principalement parce que nous sentions que les collections n'étaient plus aussi excitantes ou attrayantes pour nos clients »), ce qui ne peut permettre de rattacher le renoncement des deux revendeurs au comportement reproché.
Le jugement sera donc également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle en dommages intérêts pour dénigrement formée par Mme U et la société DIAMOND TREE.
Sur l'exécution provisoire
La demande d'exécution provisoire est sans objet devant la cour d'appel.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS, parties perdantes, seront condamnées in solidum aux dépens d'appel et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
La somme qui doit être mise à la charge de Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS au titre des frais non compris dans les dépens exposés par O et la société DIAMOND TREE peut être équitablement fixée à 10 000 ', cette somme complétant celle allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS de leur demande tendant à ce que soient a priori écartées des débats les pièces 31, 32, 33, 34, 35, 40, 41, 42, 43 et 44 produites par Mme U et la société DIAMOND TREE,
Déboute Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS de leurs demandes au titre d'actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire,
Condamne in solidum Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Arnaud GUYONNET, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne in solidum Mme D et la société L. COURTEILLE CREATIONS à payer à Mme U et à la société DIAMOND TREE la somme de 10 000 ' en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
Composition de la juridiction : Isabelle DOUILLET, Françoise BARUTEL, Karine ABELKALON, Me Marie MERCIER, Me Arnaud GUYONNET, GREFFE, O U E PARIS VERSAILLES
Décision attaquée : Tribunal de grande instance Paris 2019-07-11
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