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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 10 septembre 2021, n° 20/05349

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Télé Paris (SARL), Ardis (SAS)

Défendeur :

Société d'édition de Canal Plus (SAS), C8 (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Sentucq

Conseillers :

M. Ardisson, Mme Paulmier Cayol

Avocats :

Me Lallement, Me Ennochi, Me Fourlon, Me Boccon Gibod, Me Chappuis, Me Dumesnil

T. com. Paris, du 21 janv. 2020

21 janvier 2020

Monsieur X, ci-après X, exerce une activité d'animateur, auteur et producteur artistique d'émissions de télévision. Il est l'auteur de l'émission "Salut les Terriens"

La société ARDIS ci-après ARDIS, société de production audiovisuelle, détenue de manière constante en intégralité par X, via sa holding TPCA. Elle est le producteur de l'émission de télévision ' Salut les Terriens'.

La société TELEPARIS, ci-après TELEPARIS contrôlée par la société ARDIS et X, assure la production exécutive de la série d'émission "Salut les Terriens"

Le groupe CANAL PLUS est, éditeur de chaînes payantes et thématiques, distributeur d'offres de télévisions payantes mais également d'un groupe de chaînes gratuites dont la chaîne CANAL 8 dite C8 est une filiale.

La société d'EDITION CANAL PLUS est une filiale du groupe CANAL PLUS chargée de la conclusion des contrats de pré-achats de droits de diffusion des programmes diffusés sur les chaînes payantes et non payantes du Groupe CANAL plus dont C8, en charge de l'exploitation de la chaîne éponyme.

Au mois de juin 2006, la société ARDIS a proposé à la société CANAL+ de produire pour son compte une série de 25 émissions hebdomadaires, d'une durée d'environ 50 minutes chacune, consistant en une revue de l'actualité de la semaine avec deux invités, présentée par X.

La société CANAL+ a marqué son intérêt pour cette série d'émissions, en vue d'une diffusion exclusive sur CANAL+ à partir du 4 novembre 2006 et jusqu'au terme de la saison télévisuelle 2006/2007, soit le 23 juin 2007.

Le groupe CANAL + et la société ARDIS en présence de X ont convenu à l'issue de la première saison de poursuivre la production de la série « Salut les Terriens » dans le cadre d'une succession de contrats d'une durée annuelle qui a amené la société ARDIS a contracter avec le Groupe CANAL + pour les saisons suivantes :

saison 2007/2008 : contrat signé le 4 septembre 2008, prévoyant la production de 32 émissions hebdomadaires de 50 minutes, devant être diffusées sur CANAL+ du 3 septembre 2007 au 29 juin 2008 (pièce appelantes n° 1.3) ;

saison 2008/2009 : contrat signé le 16 décembre 2008, prévoyant la production de 32 émissions hebdomadaires de 50 minutes, devant être diffusées sur CANAL+ du 1er septembre 2008 au 26 juin 2009 (pièce appelantes n° 1.5) ;

saison 2009/2010 : contrat signé le 29 mai 2009, prévoyant la production de 35 émissions hebdomadaires de 50 minutes (outre 3 émissions spéciales de même durée), devant être diffusées sur CANAL+ du 31 août 2009 au 19 juin 2010 (pièce appelantes n° 1.7) ;

saison 2010/2011 : contrat signé le 3 novembre 2010, prévoyant la production de 35 émissions hebdomadaires de 50 minutes (outre 3 émissions spéciales de même durée), devant être diffusées sur CANAL+ du 30 août 2010 au 1 er juillet 2011 (pièce appelantes n° 1.9) ;

A partir de la saison suivante, ARDIS et TELEPARIS contractaient avec la société d'Edition du Groupe CANAL + selon les modalités suivantes :

saison 2011/2012 : contrat signé le 11 octobre 2011, prévoyant la production de 36 émissions hebdomadaires de 50 minutes (outre 2 émissions spéciales de même durée), devant être diffusées sur CANAL+ du 29 août 2011 au 1 er juillet 2012 (pièce appelantes n° 1.13) ;

saison 2012/2013 : contrat signé le 4 janvier 2013, prévoyant la production de 36 émissions hebdomadaires de 56 minutes (outre 2 émissions spéciales de même durée), devant être diffusées sur CANAL+ du 8 septembre 2012 au 29 juin 2013 (pièce appelantes n° 1.15) ;

saison 2013/2014 : contrat signé le 14 mai 2014, prévoyant la production de 36 émissions hebdomadaires de 56 minutes (outre 4 émissions spéciales de même durée), devant être diffusées sur CANAL+ du 7 septembre 2013 au 30 juin 2014 (pièce appelantes n° 1.22) ;

saison 2014/2015 : contrat signé le 2 février 2016, prévoyant la production de 36 émissions hebdomadaires de 56 minutes (outre 4 émissions spéciales de même durée), devant être diffusées sur CANAL+ du 6 septembre 2014 au 30 juin 2015 (pièce appelantes n° 1.24) ;

saison 2015/2016 : contrat signé le 21 octobre 2016, prévoyant la production de 36 émissions hebdomadaires de 56 minutes (outre 4 émissions spéciales de même durée), devant être diffusées sur CANAL+ du 12 septembre 2015 au 25 juin 2016 (pièce appelantes n° 1.26).

Au cours du mois de février 2016, les deux sociétés ont échangé des courriels actant le principe d'une reconduction de la série « Salut les Terriens » pour la saison 2016/2017 (pièce appelantes n° 43).

Cependant, dans les faits, aucun renouvellement ne sera conclu entre les sociétés CANAL+ et ARDIS pour la saison 2016/2017 et le dernier numéro de « Salut les Terriens » sur la chaîne CANAL+ a été diffusé le samedi 25 juin 2016.

La société C8, à l'époque dénommée D8, qui éditait le service de télévision D8, dénommée C8 depuis le 5 septembre 2016, a proposé à la société ARDIS, qui l'a accepté, de programmer sur son antenne, pendant la saison 2016/2017, la série d'émissions

« Salut les Terriens » précédemment diffusée sur les antennes de CANAL+.

Les sociétés C8 et ARDIS ont signé, en présence de Monsieur X, le 9 décembre 2016, un contrat de pré-achat de droits de diffusion portant sur 36 émissions hebdomadaires de la série « Salut les Terriens », d'une durée de 95 minutes chacune (outre 4 émissions spéciales de même durée), devant être diffusées sur C8 du 10 septembre 2016 à fin juin 2017 (pièce appelantes n° 1.28).

A l'issue de la saison 2016/2017, les sociétés C8 et ARDIS ont décidé de poursuivre la production de la série « Salut les Terriens », sur la saison 2017/2018.

Elles ont également convenu de la production d'une nouvelle série de programmes de flux, intitulée « Les Terriens du Dimanche », également animée par X, mais construite autour d'une nouvelle équipe de chroniqueurs.

C'est ainsi que les sociétés C8 et ARDIS ont signé :

le 12 octobre 2017 :

un contrat prévoyant la production de 38 émissions hebdomadaires de la série « Salut les Terriens », de 100 minutes chacune (outre 2 émissions spéciales de même durée), destinées à être diffusées sur C8 du 7 septembre 2017 à fin juin 2018 (pièce appelantes n° 1.30) ;

un contrat prévoyant la production de 13 programmes de la série « Les Terriens du Dimanche », de 100 minutes chacun, pour un budget global de 153.846 euros par programme (pièce appelante n° 1.29).

le 5 octobre 2018, un contrat prévoyant la production de 33 émissions hebdomadaires de la série « Les Terriens du Samedi » (outre 1 émission spéciale) et la production de 26 émissions hebdomadaires de la série « Les Terriens du Dimanche », de 105 minutes chacune, destinées à être diffusées sur C8 à compter du 10 septembre 2018 jusqu'à fin juin 2019 (pièce appelantes n° 1.32).

Dans le courant du mois d'avril 2019, les parties ont entamé des discussions relatives à la prolongation éventuelle des séries « Les Terriens du Samedi » et « Les Terriens du Dimanche » pour la saison télévisuelle 2019/2020.

Par un courriel du 18 avril 2019, remis en copie à Franck APPIETTO, Gérald-Brice VIRET et Frank CADORET de manière constante, respectivement Président de la société C8, Directeur Général des Antennes et des Programmes du Groupe CANAL+ et Directeur Général Adjoint du Groupe CANAL+, X adressait à Maxime SAADA Président du Directoire du Groupe CANAL+, le message qui suit (pièce intimés n° 3):

« Je vois F [C] le 15. À l'époque où vous m'aviez demandé de passer de Canal + à C8, F m'avait assuré que mon contrat de 2006 ne serait pas remis en cause, que mon budget était «sanctuarisé ».

Apparemment ce n'est plus le cas. Ce qu'il faut savoir au sujet de ce contrat, c'est qu'il prévoit que nous livrions une émission de 55 minutes, or nous livrons 90 minutes sans facturation supplémentaire. (…) Nous faisons donc déjà des efforts de solidarité. Pour le reste, comme je vous l'ai écrit, j'ai le sentiment que l'objectif du Groupe avec moi pour Septembre n'est pas de créer de nouvelles émissions pour développer la Chaine (on m'avait dit que C8 serait utilisée comme labo), mais de supprimer l'émission du dimanche et de réduire le budget de celle du samedi. Sans malheureusement compenser par d'autres sources de revenu (séries & films). Bref, tu en conviendras, c'est pas très galvanisant. Mais j'espère que nous trouverons une solution. »

Par un courriel du 2 mai 2019 (pièce intimés n° 5), Maxime SAADA confirmait à X que la chaîne C8 se trouvait dans l'obligation impérieuse d'équilibrer ses comptes et qu'elle ne pouvait plus lui maintenir un traitement de faveur :

Le 18 mai 2019, X annonçait dans un communiqué de presse (pièce n° 6 et 7 des intimées) : « Je ne serai pas sur C8 à la Rentrée. La Chaine n'a plus les moyens de s'offrir X et ses équipes. Et je ne veux pas faire de la télé low cost sous le joug des comptables.

Le 19 mai 2019, Maxime SAADA, Frank CADORET, Gérald-Brice VIRET et Franck APPIETTO étaient destinataires en copie d'un email adressé par X à Monsieur Y, regrettant que ce dernier lui ait proposé de réduire sa facturation de 50 %, lors d'un échange téléphonique intervenu le vendredi 17 mai 2019 (pièce appelantes n° 35) rédigé en ces termes :

« Suite à mon sms de vendredi après après-midi, tu m'as appelé pour me proposer pour septembre un contrat réduit de 50 %, 5M au lieu de 10 pour la même émission ! Comme je te l'ai dit, ce n'est pas viable. Certes, on peut faire des émissions à ce prix-là, mais pas « Les Terriens ». Inutile de te dire à quel point je regrette ta décision »

Par lettre du 14 juin 2019 (pièce intimées n° 9), la société C8 a écrit à la société ARDIS qu'elle avait pris acte de sa décision de ne plus produire les émissions « Les Terriens du Samedi » et « Les Terriens du Dimanche » pour la saison 2019/2020 sur l'antenne de C8, ce qui rendait sans objet le mécanisme de renouvellement prévu à l'article 12 du contrat signé le 5 octobre 2018 au titre de la saison 2018/2019 (pièce appelantes n° 1.32).

Le samedi 15 juin 2019, C8 a diffusé le dernier numéro de « Les Terriens du Samedi », en lui consacrant une émission spéciale en prime-time.

Par lettre du 20 juin 2019, ARDIS a répondu à C8 que « c'est la chaîne par le biais de son actionnaire qui a décidé de rompre le contrat » (pièce intimées n° 10), Nous discutons, depuis avril, du renouvellement du contrat avec vous Franck, Président de la chaîne C8, Gerald-Brice Viret, Directeur des antennes du groupe Canal+, Frank Cadoret, Directeur Général adjoint de Canal+ et Maxime Saada, Directeur Général du groupe Canal+. Le 14 mai, nous avons avec Frank Cadoret et Gerald-Brice Viret trouvé un accord pour faire une émission plus longue, englobant l'access et le prime-time, plus un best-of gratuit le dimanche.(...)

Le lendemain 15 mai, lors d'un rendez-vous avec Y, j'ai découvert que, selon Michel Sibony, Directeur de la valeur de Vivendi, « mon émission n'était pas prévue sur la grille de septembre »

Le vendredi 17 mai, j'ai reçu un appel de Y m'imposant, à périmètre égal, de réduire de 50 % notre facturation.

Je me suis longuement expliqué en lui indiquant qu'il était impossible de faire « Les Terriens » moyennant ces conditions financières.

Il a refusé catégoriquement d'entendre mes arguments. »

La société C8 a réfuté cette version, dans une lettre adressée le 1 er juillet 2019 à ARDIS (pièce intimées n° 11) : « Contrairement à vos affirmations, ce n'est en aucun cas la chaîne ni a fortiori son actionnaire qui aurait décidé de ne pas renouveler sa collaboration avec votre société, mais bien vous seul par le biais de votre surprenante déclaration par voie de presse le 18 mai 2019. Cette déclaration unilatérale et inopinée exprimait très clairement votre décision irrévocable de ne plus être à l'antenne de C8 à la rentrée alors même que nos discussions étaient en cours sur nos projets de collaboration pour la saison prochaine.

Comme nous en avons discuté ensemble, le Groupe Canal+ souhaitait pour la rentrée prochaine trouver les meilleurs ajustements pour conserver « les Terriens » sur ses antennes, en tenant compte à la fois de nos contraintes économiques et de celles de notre secteur, que vous n'êtes pas sans ignorer, et de vos exigences quant à la qualité des émissions. La proposition que nous vous avions faite pour la rentrée de septembre tenait compte de ces impératifs et c'est pourquoi nous avons été fortement surpris et affectés par votre déclaration unilatérale dans la presse de ne plus souhaiter collaborer avec C8 (…)

Compte tenu de ce qui précède, il est donc tout à fait inexact de votre part de prétendre que c'est C8 ou le Groupe Canal+ qui aurait mis fin à notre collaboration alors que cette décision vous appartient entièrement et exclusivement. »

La société ARDIS, Monsieur X et la société TELEPARIS, par actes du 24 septembre 2019, ont assigné à bref délai la société C8 et la société CANAL+ devant le Tribunal de commerce de Paris, sur le fondement de l'article L. 442-1, II du Code de commerce, pour faire juger que la société C8 aurait brutalement rompu ses relations commerciales établies avec les sociétés ARDIS et TELEPARIS.

Les demandeurs soutenaient pour l'essentiel :

que les sociétés ARDIS et TELEPARIS étaient en relations commerciales établies avec la société C8 et que ces relations remontaient à juin 2006, en tenant compte des relations initialement nouées avec la société CANAL+, soit une durée de 13 ans ;

que les sociétés ARDIS et TELEPARIS étaient en situation de grande dépendance économique à l'égard du Groupe CANAL+ (à hauteur de 98,81 % pour la première et de 86,31 % pour la seconde, en 2018) ;

que la société C8, par la voix de son actionnaire, aurait rompu ces relations en tentant d'imposer à ARDIS, le 17 mai 2019, des conditions financières inacceptables pour la saison 2019/2020 ;

que cette rupture aurait été brutale dans la mesure où la société C8 n'aurait ménagé aucun préavis à ARDIS et TELEPARIS, ou alors un préavis de 3 mois tout au plus, alors qu'elle aurait dû respecter un préavis de 24 mois au regard des paramètres des relations commerciales en cause.

En réparation de cette rupture brutale, la société ARDIS sollicitait la condamnation in solidum des sociétés C8 et CANAL+ à lui verser la somme de 5.821.680 euros à titre de dommages-intérêts, en compensation de la perte de marge brute qu'elle aurait subie.

La société TELEPARIS, quant à elle, sollicitait la somme de 2.935.440 euros à titre de dommages-intérêts, en compensation de la perte de marge brute qu'elle aurait elle-même subie ; elle réclamait, en outre, une indemnisation de 390.174 euros, au titre des coûts des licenciements économiques soi-disant rendus inévitables par la rupture des relations, et une autre indemnisation de 165.604 euros, au titre du solde du montant de l'amortissement du décor des émissions.

Monsieur X demandait pour lui-même l'allocation de la somme de 1.000.000 euros, en réparation du préjudice moral et professionnel qu'il alléguait avoir subi.

Dans le cadre de leurs conclusions en défense, les sociétés C8 et CANAL+ ont contesté l'ensemble des griefs et demandes formulés à leur encontre.

Elles faisaient globalement valoir :

à titre liminaire, que la société CANAL+ devait être mise hors de cause, étant étrangère au grief de rupture brutale formulé par ARDIS et TELEPARIS ;

à titre principal, que les sociétés ARDIS et TELEPARIS étaient mal fondées à engager la responsabilité de la société C8 sur le fondement de l'article L. 442-1, II du Code de commerce, aux motifs que la rupture des relations n'était pas imputable à C8 et que celle-ci, en toute hypothèse, avait respecté un préavis suffisant ;

à titre purement subsidiaire, que le Tribunal ne pouvait que débouter les sociétés ARDIS et TELEPARIS de l'ensemble de leurs demandes de réparation (au motif notamment que les éléments produits par elles ne permettaient pas d'apprécier leurs prétendues pertes de marges sur coûts variables à raison d'une éventuelle insuffisance de préavis) et débouter également Monsieur X de ses propres demandes de réparation (à défaut pour celui-ci de rapporter la preuve d'un quelconque préjudice moral et professionnel) ;

à titre reconventionnel, que Monsieur X avait dénigré les programmes de la chaîne C8 et que la société ARDIS avait par ailleurs violé son obligation contractuelle de confidentialité envers C8, ce qui justifiait leur condamnation à lui verser, chacun, la somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Le jugement entrepris, prononcé le 21 janvier 2020 a prononcé la mise hors de cause de la SAS société d'EDITION DE CANAL + et retenu que la société C8 a pris l'initiative de rompre les relations commerciales d'une durée de 13 ans en tenant compte de la relation initiée avec CANAL+, compte tenu de « la réduction drastique imposée à ARDIS » le 17 mai 2019, et que cette rupture avait été brutale, au motif que la société C8 n'aurait accordé à la société ARDIS qu'un préavis de 1,5 mois alors qu'elle aurait dû lui accorder un préavis de 6 mois (soit une insuffisance de préavis de 4,5 mois).

Le Tribunal a en conséquence condamné C8 à verser :

à la société ARDIS, la somme de 811.500 euros au titre de sa perte de « marge brute sur coûts variables », après avoir déduit de la marge brute invoquée par ARDIS plusieurs séries de charges liées aux émissions « Les Terriens du Samedi » et « Les Terriens du Dimanche ».

à la société TELE PARIS la somme de 269.333 euros au titre d'un préavis non accordé de 4 mois et demi.

Le Tribunal a débouté la société TELEPARIS de toutes ses demandes relatives au coût des licenciements économiques et à la part non amortie du coût du décor des émissions, débouté Monsieur X de sa demande au titre du préjudice moral, débouté la société C8 de ses demandes au titre du dénigrement et de l'inexécution contractuelle, dit irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par Monsieur X et condamné la SAS C8 à régler à la société ARDIS et à la société SARL TELE PARIS une somme de 10 000 euros à chacune au titre des frais irrépétibles.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 16 mars 2020, les sociétés ARDIS et TELEPARIS et Monsieur X ont interjeté appel du jugement précité, tant à l'encontre de la société C8 que de la société D'EDITION DE CANAL+.

Les appelants ont signifié leurs conclusions d'appel le 27 mai 2020.

Le 24 juin 2020, les parties ont été avisées que l'affaire avait été fixée à bref délai, en application de l'article 905 du CPC.

Par des conclusions en réplique à l'appel incident signifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 24 mars 2021, la société ARDIS, Monsieur X et la société TELE PARIS demandent à la cour :

Vu les dispositions des articles 1103, 1142, 1143, 1242 du Code Civil, et L 442-1, II du Code de Commerce,

Vu les dispositions des articles 70 et 721-3 du Code de Procédure Civile,

Vu la requête afin d'être autorisé à assigner à bref délai,

Vu l'assignation délivrée le 24 septembre 2019,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 21 janvier 2020,

Vu les significations du jugement effectuées à la requête de C8 et de la SOCIETE D'EDITION DE CANAL+,

De CONFIRMER le jugement dont appel en ce qu'il a jugé que les contrats successifs conclus entre les parties doivent s'analyser comme une relation économique continue acceptée par l'ensemble des parties à savoir la société ARDIS et la société TELEPARIS, la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS et la société C8 et présentant bien le caractère suivi et significatif exigé par l'article L442-1, II du Code de commerce ;

CONFIRMER le jugement dont appel en ce qu'il a jugé que la relation des parties initiée par la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS et poursuivie par la société C8 a duré au total 13 ans, depuis le 20 juin 2006 ;

CONFIRMER le jugement dont appel en ce qu'il a imputé la rupture de la relation commerciale établie à C8 et fixé la date de cette rupture au 17 mai 2019 ;

CONFIRMER le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté toutes les demandes reconventionnelles formées par la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS à l'encontre des sociétés ARDIS et TELEPARIS au titre de la procédure abusive du fait de sa mise en cause et toutes les demandes reconventionnelles formées par C8 à l'encontre de Monsieur X au titre du dénigrement et à l'encontre de ARDIS au titre de l'inexécution contractuelle ;

CONFIRMER le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de C8 visant à voir ordonner une expertise comptable.

Pour le surplus,

REFORMER le jugement dont appel en toutes ses dispositions, et notamment en ce qu'il a :

mis hors de cause la société la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS,

fixé le préavis dont ARDIS aurait eu normalement besoin à une durée d'un an, indemnisé sur la base d'une marge brute dégagée pendant une saison de 9 mois,

réduit ce préavis à 6 mois indemnisé sur la base de la marge brute générée pendant une demi-saison, soit 4,5 mois,

retenu qu'il n'a été accordé à ARDIS qu'un préavis de 1,5 mois, insuffisant,

calculé les indemnisations sur la marge brute sur coûts variables, venant réparer les préjudices respectivement subis par ARDIS et TELEPARIS sur la base d'un préavis de 3 mois (4,5 mois de préavis non accordé diminués de 1,5 mois de préavis décompté à compter du 17 mai 2019) en retenant un chiffre d'affaires pour les trois dernières saisons non conformes aux attestations fournies par les experts comptables des concluants, et selon une analyse erronée des déclarations de Monsieur X en aucun cas imputables au surplus,

rejeté les demandes de TELEPARIS quant à l'indemnisation du coût des licenciements et de la partie non amortie du décor au prétexte que ce préjudice ne saurait être indemnisé deux fois alors que ce préjudice n'a pas été indemnisé à hauteur des coûts exposés et supportés par TELEPARIS à ce titre, puisque l'indemnisation allouée à cette dernière du chef de la rupture brutale ne les couvre pas,

rejeté la demande de Monsieur X au titre du préjudice moral,

fait droit partiellement aux demandes des concluants au titre de l'article 700 du CPC.

Y AJOUTANT ET STATUANT A NOUVEAU :

A TITRE PRINCIPAL

JUGER que la mise en cause de la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS est justifiée dès lors que la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS a initié la relation établie avec les sociétés ARDIS et TELEPARIS, et Monsieur X au sens des dispositions de l'article L442-1, II du Code de commerce,

IMPUTER à la société C8 et la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS la rupture brutale des relations commerciales avec la société ARDIS et la société TELEPARIS, aggravée par l'état de dépendance économique de ces dernières à l'égard de la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS et de C8 en 2018 à hauteur de 98,81 % pour la société ARDIS et 82 % pour TELEPARIS ;

CONDAMNER in solidum la société C8 et la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS pour rupture brutale des relations commerciales, aggravée par l'état de dépendance économique au titre d'un préavis non accordé de 24 (vingt-quatre) mois, à payer à la société ARDIS la somme de 5 821 680 euros.

CONDAMNER in solidum la société C8 et la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS à payer à la société TELEPARIS, la somme de 2.742.000 euros (deux millions sept cent quarante-deux mille euros) à titre de dommages et intérêts en raison de la brutalité de la rupture des relations commerciales établies, en considération de l'état de dépendance économique de la société TELEPARIS à l'égard des sociétés intimées, et du préavis de 24 mois non accordé par les intimées à la société TELEPARIS.

CONDAMNER in solidum la société C8 et la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS à payer à la société TELEPARIS :

la somme de 532.534,04 (cinq cent trente-deux mille euros cinq cent trente-quatre euros et 4 centimes) euros au titre des coûts des licenciements économiques rendus inévitables par la brutalité de la rupture de la relation économique établie imputée à la société C8 et la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS et assumés exclusivement par TELEPARIS,

la somme de 165.604 (cent soixante-cinq mille six cent quatre) euros correspondant à la part non-amortie du décor des émissions produites par TELEPARIS pour les intimées, la brutalité de la rupture de la relation établie avec ces dernières ayant privé TELEPARIS de toute possibilité de reconversion et ayant au surplus généré à sa charge exclusive des frais supplémentaires notamment de stockage.

CONDAMNER in solidum la société C8 et la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS à payer à Monsieur X la somme de 1.000.000 euros à titre de dommages et intérêts, et au titre de son préjudice moral et professionnel, du fait de la rupture abusive et brutale des relations commerciales établies ;

ASSORTIR l'ensemble des condamnations pécuniaires susvisées, prononcées à l'encontre de la société C8 et de la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS au paiement des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2019 ;

ORDONNER la capitalisation des intérêts sur l'ensemble des condamnations pécuniaires susvisées, prononcées à l'encontre de la société C8 et de la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS au bénéfice de ARDIS, TELEPARIS et de Monsieur X;

A TITRE SUBSIDIAIRE et dans l'hypothèse où la société C8 souhaiterait revenir sur la rupture brutale des relations établies avec ARDIS et TELEPARIS qui est imputable aux sociétés intimées,

DONNER ACTE à la société ARDIS et au producteur exécutif, la société TELEPARIS, que ces dernières seraient disposées à fournir pour la durée du préavis, à la société C8 et le cas échéant à la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS, leurs prestations de production des émissions dans des conditions et périmètres identiques aux saisons audiovisuelles 2017-2018 et 2018-2019.

SUR L'APPEL INCIDENT

DIRE ET JUGER irrecevables l'appel incident et la demande reconventionnelle car ne se rattachant pas aux prétentions originaires par un lien suffisant.

En conséquence,

REJETER purement et simplement l'appel incident et la demande reconventionnelle de la société C8.

SUBSIDIAIREMENT,

ORDONNER la disjonction et RENVOYER la demande de dénigrement devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS.

ENCORE PLUS SUBSIDIAIREMENT,

DIRE ET JUGER que les propos tenus par Monsieur X ne constituent pas un dénigrement de C8 ou de ses programmes.

DEBOUTER purement et simplement la société C8 de son appel incident et de sa demande reconventionnelle.

DEBOUTER purement et simplement la société C8 de sa demande en violation d'un engagement de confidentialité.

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

DEBOUTER purement et simplement la société C8 et la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions et de leurs prétentions au soutien de leur appel incident.

CONDAMNER in solidum la société C8 et la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS à payer à la société TELEPARIS la somme de 90.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

CONDAMNER in solidum la société C8 et la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS à payer à la société ARDIS la somme de 90.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

CONDAMNER in solidum la société C8 et la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS à payer à Monsieur X la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

CONDAMNER in solidum la société C8 et la SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS aux entiers dépens, de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me I L de la SELARL BDL Avocats, ces dépens comprenant les frais de constats d'huissiers exposés par les appelants, en date du 28 mai 2019 (429,20 € TTC) et du 18 novembre 2019 (558,40 euros TTC) à hauteur d'un montant total de 987,60 euros TTC.

La société d'EDITION CANAL + et la société C8 ont signifié le 17 mars 2021 des conclusions en répliques n° 2 par lesquelles elles demandent à la cour :

A TITRE PRELIMINAIRE

De CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de la société CANAL +

Y ajoutant,

De CONDAMNER in solidum la société ARDIS, Monsieur X et la société TELEPARIS à verser à la société d'édition CANAL PLUS la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

A TITRE PRINCIPAL

De REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que la société C8 avait pris l'initiative de rompre ses relations commerciales avec la société ARDIS ;

Statuant à nouveau,

JUGER que les relations commerciales en cause ont été rompues à l'initiative de la société ARDIS

A TITRE SUBSIDIAIRE

Vu l'article L. 442-II du code de commerce,

REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la société C8 a brutalement rompu ses relations commerciales établies avec les sociétés ARDIS et TELEPARIS en raison d'une insuffisance de préavis de 4 mois et demi ;

Statuant à nouveau,

JUGER que la société C8 a ménégé la société ARDIS avec un préavis suffisant ;

En conséquence,

JUGER que la société C8 n'a pas rompu brutalement ses relations commerciales avec les sociétés ARDIS et TELEPARIS

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE

REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société C8 du chef de la rupture brutale des relations établies à verser la somme de 811,500 euros à la société ARDIS et la somme de 269 333 euros à la société TELEPARIS au titre d'un préavis non accordé de 4 mois et demi ;

Statuant à nouveau,

CONSTATER que les éléments produits par les sociétés ARDIS et TELEPARIS ne permettent pas d'apprécier les pertes de marge sur coûts variables qu'elles auraient respectivement subies à raison d'une éventuelle insuffisance de préavis ;

En conséquence,

DEBOUTER les sociétés ARDIS et TELEPARIS de leur demande d'indemnisation au titre de leur manque à gagner à raison de la prétendue rupture brutale des relations commerciales ;

Subsidiairement,

ORDONNER une expertise judiciaire aux frais des sociétés ARDIS et TELEPARIS aux fins de déterminer leurs éventuelles pertes de marge sut coûts variables ;

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société TELEPARIS de ses autres demandes d'indemnisation au titre des coûts des licenciements économiques allégués et au titre du solde de l'amortissement du décor des émissions ;

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur X de sa demande d'indemnisation au titre de son prétendu préjudice moral et professionnel ;

A TITRE RECONVENTIONNEL

Vu l'article 1240 du code civil,

REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société C8 de sa demande reconventionnelle au titre du dénigrement commis par celui-ci ;

Statuant à nouveau,

JUGER que Monsieur X a dénigré les programmes de la chaîne C8 éditée par la société C8 ;

En conséquence,

CONDAMNER Monsieur X à verser à la société C8 la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

FAIRE INJONCTION à Monsieur X de retirer le communiqué publié le 18 mai 2019 sur son compte Twitter offciel, accessible à l'adresse https:twitter.com/X'lang=fr, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;

Vu les articles 1103 et 1231-1 du code civil,

REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société C8 de sa demande reconventionnelle formée contre la société ARDIS à raison de la violation de son obligation contractuelle de confidentialité ;

Statuant à nouveau,

JUGER que la société ARDIS a violé l'obligation contractuelle de confidentialité stipulée à l'article 7.9 du contrat conclu le 5 octobre 2018 avec la société C8

En conséquence,

CONDAMNER la société ARDIS à verser à la société C8 la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice moral ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

DEBOUTER la société ARDIS, Monsieur X et la société TELEPARIS de l'ensemble de leurs demandes, fins moyens et prétentions ;

REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société C8 à payer à la société ARDIS et à la société TELEPARIS la somme de 10 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

CONDAMNER in solidum la société ARDIS, Monsieur X et la société TELEPARIS à verser à la société C8 la somme de 60 000 euros au titre des frais irrépétibles

CONDAMNER in solidum la société ARDIS, Monsieur X et la société TELEPARIS à verser à la société d'EDITION DE CANAL PLUS la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER in solidum la société ARDIS, Monsieur X et la société TELEPARIS aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de la SEL LEXAVOUE avocats au Barreau de Paris ;

SUR QUOI,

LA COUR :

Sur le caractère établi des relations contractuelles entre les sociétés ARDIS, TELEPARIS et la société d'EDITION DU GROUPE CANAL +

Les appelants soutiennent que la relation initiée par la société d'EDITION DE CANAL + le 20 juin 2006, a été poursuivie par la société C8, filiale du Groupe CANAL + et s'inscrit dans une même continuité de 13 années, C8 venant aux droits de cette dernière, ce qui est avéré, selon elles, par le transfert de l'émission ' Salut les Terriens' au profit de C8 qui procède d'un choix imposé par les intimées à ses partenaires commerciales et marque la volonté des premières de situer leurs relations commerciales dans la continuité des relations existantes.

Les intimées opposent que le changement de diffuseur a été proposé à X et non imposé, que celui-ci s'en est publiquement félicité, que C8 n'a aucunement repris les engagements de la SOCIETE D'EDITION DE CANAL+ à laquelle d'ailleurs les appelantes n'imputent pas la brutalité de la rupture ; que les deux sociétés distinctes obéissaient à des règles de calcul de rentabilité des programmes bien différentes, s’agissant d'une diffusion sur une chaîne gratuite (C8) et non payante, et que tant la durée des émissions, passée de 56 à 95 minutes que les conditions financières, constituent des différences notables entre les contrats que le tribunal n'a pas mesuré devant conduire la cour à constater la réalité d'une relation commerciale entre C8 et ARDIS d'une durée inférieure à 3 ans au moment de la rupture rendant infondée la mise en cause de la SOCIETE D'EDITION DE CANAL+ .

Il suit de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 que "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure."

Les relations commerciales de la société ARDIS avec les sociétés D'EDITION DE CANAL + et C8, s'inscrivent dans le cadre d'une succession de contrats distincts portant sur la production, l'animation, l'exploitation et la diffusion de la même émission "Salut les Terriens" à laquelle le contrat du 5 octobre 2018 signé par C8 a ajouté la production du seconde série d'émissions « les Terriens du dimanche ».

Les sociétés SAS D'EDITION DE CANAL + et SAS C8 font partie du groupe CANAL + qui de manière constante est la holding ; ces deux filiales du groupe, sociétés par actions simplifiées immatriculées au registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce de Paris sous des numéros distincts, ont un objet social différent : la société d'EDITION DE CANAL + ayant en charge la conclusion des contrats de pré-achats de droits de diffusion des programmes sur les antennes des chaînes du groupe et la société C8 ayant pour objet l'exploitation de la chaîne éponyme du Groupe CANAL +.

Par le fait de leur personnalité morale distincte, ces deux sociétés répondent de manière autonome de leurs engagements, sauf à démontrer l'existence de relations financières anormales entre les deux filiales, constitutives d'une confusion de patrimoine, ou à établir l'effectivité de la reprise des engagements de l'une par l'autre dans le cadre de la poursuite des relations d'affaires ou encore la réalité d'un transfert juridique des droits et obligations à caractère patrimonial de l'une à l'autre.

Cependant, il n'est en l'espèce pas établi que la société d'EDITION DE CANAL + et la société C8 aient entretenu des relations financières anormales, caractéristiques d'une confusion de patrimoine quand par ailleurs les trois contrats signés par la société C8 ne font pas référence aux contrats antérieurement passés par la société d'EDITION DE CANAL + et que la reprise par la société C8 des droits et obligations antérieurement souscrits par la société d'EDITION DE CANAL + à l'égard de la société ARDIS ne peut se déduire de la seule similitude de l'objet du programme des émissions visé au contrat de production, en l'occurrence la série d'émissions "Salut les Terriens", quand ce programme a au demeurant évolué avec la seconde série d'émissions produite par C8 à partir du 5 octobre 2018, "Les Terriens du Dimanche" et quand, enfin, rien ne vient au soutien de la substitution de C8 à la société d'EDITION DE CANAL + par suite d'un changement de dénomination sociale, d'une cession de branche d'activité ou d'une transmission universelle de patrimoine.

La conclusion des contrats de pré-achats des droits de diffusion des séries d'émission « Salut les Terriens » par C8 à partir du 12 octobre 2017 ne saurait, contrairement à ce qui est allégué, suffire à faire la preuve que C8 vient aux droits de la société d'EDITION DE CANAL + :  en effet, ce changement d'interlocuteur établit que le groupe CANAL + a choisi, à partir de 2016, de confier directement à la chaîne chargée de la diffusion des séries d'émissions, la contractualisation des rapports avec la société ARDIS, laquelle n'apporte par ailleurs aucun élément au soutien de l'affirmation selon laquelle le groupe CANAL + lui aurait "imposé" de contracter avec C8 au lieu et place de la société d'EDITION DE CANAL +.

Par conséquent la preuve n'étant pas rapportée que la relation commerciale liant la société ARDIS à la société C8 procède de la poursuite des engagements de la société d'EDITION DE CANAL + par cette dernière, la mise en cause de la société d'EDITION DE CANAL + par les appelantes alors que celles-ci n'entretenaient plus de relations commerciales la société d'EDITION DE CANAL + à l'époque alléguée de la rupture au mois de mai 201 n'est donc pas fondée.

Le jugement sera donc confirmé sur la mise hors de cause de la société d'EDITION DE CANAL +.

2- A l'égard de la société C8

Au soutien du caractère établi de la relation contractuelle, les appelants invoquent leur croyance raisonnable dans la continuité du flux d'affaires et l'indifférence du changement de diffuseur qui leur a été imposé par SECP et C8. Ils excipent d'un communiqué de presse du 2 mars 2016 marquant l'expression "enjouée de C8 et SCEP quant au développement du flux d'affaires" avec les appelants, confirmé par l'amplification des commandes démontré par le courriel adressé le 26 février 2016 par Maxime SAADA président du directoire du Groupe CANAL + à X confirmant la reconduction de « Salut les Terriens » sur CANAL + et souhaitant en outre que 6 émissions de prime time tirées du concept « Zéro limite » soient produites pour D8 (devenue C8) la conclusion d'un accord de développement avec Studio Canal sur des longs métrages et des séries. Ils soulignent que les contrats portent sur le même objet Salut les Terriens dont la durée initialement convenue de 50 minutes a été augmentée à 105 mn, par le fait de la création d'une deuxième série d'émission « Les Terriens du Dimanche », représentant un courant d'affaires croissant de 7,5 millions d'euros à 11 millions d'euros, sur la base d'un intuitu personae étroitement liée à la personnalité de X et qu'ainsi les relations s'inscrivaient donc dans un cadre bien plus large que celui que les intimées voudraient limiter aux trois années les liant contractuellement à C8.

La société C8 oppose principalement que sa responsabilité ne peut pas être engagée dans le cadre de l'article L 442-1 II du code de commerce dès lors d'une part que la spécificité de l'audiovisuel n'entre pas dans le champ des relations commerciales visées par cet article et qu'en outre aucune rupture des relations commerciale ne lui est pas imputable, celle-ci résultant de la seule initiative de X qui n'a pas donné suite à la proposition de négociation initiée par C8.

Les sociétés C8 et ARDIS ont entretenu de manière constante un courant d'affaires à compter de la saison 2016-2017, poursuivi en 2017-2018, et 2018-2019 portant :

pour la saison 2016-2017 sur la programmation de 36 émissions hebdomadaires d'une durée d'environ 95 minutes chacune, consistant en une revue de l'actualité traitée et présentée par X, facturée chacune 198 250 euros HT outre 4 Emissions Spéciales de même durée facturée chacune 61 750 euros

pour la saison 2017-2018 : une série de 13 programmes intitulés « Les Terriens du Dimanche » comportant 7 chroniqueurs à l'antenne, d'une durée chacun de 100 minutes représentant un budget global de production par programme de 153 846 euros TTC outre les coûts générés par les décors, habillage facturés 40 000 euros pour l'ensemble des programmes et une facturation de 35 000 euros pour couvrir le surcoût lié à la participation d'un chroniqueur Stéfan ETCHEVERRY et 38 émissions hebdomadaires "Les Terriens du Samedi" d'une durée de 100 minutes chacune facturées chacune 198 250 euros HT et 2 émissions spéciales de même durée facturées chacune 61 750 euros

pour la saison 2018-2019 : 33 émissions hebdomadaires "Les Terriens du Samedi", une même émission en Airplay, facturées chacune 198 000 euros HT, 26 émissions hebdomadaires des « Terriens du Dimanche » d'une duré de 105 minutes environ facturées chacune 155 000 euros HT, une émission spéciale "Les Terriens du Samedi" facturée 164 000 euros HT et une somme de 192 000 euros HT pour l'émission du samedi en Airplay.

Les relations commerciales se sont étalées sur 3 ans, ont suscité la création par ARDIS de plus de 250 émissions animées par X avec une croissance exponentielle liée au doublement des émissions à partir de 2017, ARDIS recrutant les invités choisis et sous-traitant à TELE PARIS la mise au point des programmes, l'engagement des équipes, la mise en oeuvre des moyens techniques et le contrôle du budget.

La continuité des relations d'affaires orientées sur la conception et la mise en production d'émissions marquées par la personnalité de leur auteur, nonobstant l'indépendance des contrats et l'existence d'une clause article 12 impartissant à C8 l'obligation de notifier à ARDIS au plus tard le 30 mai de chaque saison son souhait de poursuivre ou non la série, donne la mesure de leur stabilité et de la croyance légitime des sociétés ARDIS, TELE PARIS et de X en leur caractère pérenne quand par ailleurs la seule continuité des relations commerciales établies suffit, nonobstant l'originalité des oeuvres diffusées et produites, à les rendre passible de l'application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5°.

L'existence de relations commerciales établies entre la société C8 d'une part et les sociétés ARDIS et TELE PARIS d'autre part est donc avérée et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la brutalité de la rupture

Les appelants se prévalent des échanges de courriels entre le dirigeant de TELE PARIS Stéphane SIMON, et le responsable des programmes de C8, F PUJOL, qui corroborent selon eux, le fait que la proposition de Y de ne reconduire l'émission « Salut les Terriens » qu'à la condition de réduire le budget de production de 56,9 % du prix des émissions était un ultimatum non négociable, qui s'analyse en une modification substantielle de la relation commerciale, constitutive de la rupture brutale, quand il apparaît qu'aucun préavis écrit ne leur a jamais été notifié, lequel ne pourrait en tout état de cause être déduit de l'échange téléphonique entre X et Y le 17 mai 2019 et alors que la spécificité du secteur audiovisuel n'est pas exclusive de l'application des dispositions de l'article L. 442-1 II du code de commerce.

Ils observent en outre que les pertes financières alléguées par C8 ne peuvent être prises en compte comme valant préavis de rupture dès lors qu'elles n'ont pas été portées à leur connaissance en temps utile et qu'elles sont liées à des éléments extérieurs à la relation d'affaires.

Les sociétés intimées opposent que les faits de rupture allégués ne sont pas démontrés par les messages invoqués qui sont interprétés de manière tendancieuse et ne font la preuve ni de la prétendue proposition de Y de réduire de 50 % sa facturation ni de l'imputabilité de la rupture dont seuls ARDIS et X doivent endosser la responsabilité pour n'avoir pas donné suite aux échanges provoqués avec la direction de C8 laquelle a découvert par la presse le départ de X.

Ils observent que la spécificité des contrats de l'audiovisuel fait obstacle à l'application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° qui ne peuvent s'appliquer à des matières se rapportant à la création d'oeuvres originales.

Ils soulignent en outre qu'à supposer la rupture démontrée, ce qu'ils contestent, son absence de brutalité est avéré dès lors qu'elle obéit à l'impératif, bien connu des appelants, de réduire leurs dépenses de programme de CANAL + pour limiter les pertes d'exploitation de la chaîne tandis que les résultats d'audience des deux émissions « Les Terriens » publiés par de nombreux articles de presse antérieurement à la rupture ne cessaient de se dégrader.

Les bilans sont produits par chacune sociétés appelantes pour les exercices 2016-2017, 2017-2018 et 2018-2019.

Ils établissent dans la relation avec C8 une progression du chiffre d'affaires de la société ARDIS de 12 006 000 en 2017 à 13 133 000 en 2018 par le fait de la création de l'émission « Les Terriens du Dimanche », et le maintien du chiffre d'affaires de TELE PARIS à 11 503 000 en 2018, tandis qu'au mois de juin 2019 chacune des sociétés dégageait, pour ARDIS un budget de 6 683 000, et pour TELE PARIS, un budget de 4 944 000.

Par un courriel du 2 mai 2019 adressé à X, (pièce intimés n° 5), Maxime SAADA, président du Directoire du Groupe CANAL + s'exprimait en ces termes :

« Depuis ton passage à C8 (et bien avant), nous t'avons largement témoigné de notre confiance en t'accompagnant dans la mise en place d'une 2ème case de week-end avec la nouvelle émission du dimanche. Le budget qui t'a ainsi été consacré a été plus que « sanctuarisé », il a été augmenté. (…) Reste que nous devons désormais faire face à un marché publicitaire stagnant et à un environnement de plus en plus concurrentiel. Et sans perspective d'augmentation significative des revenus de la chaîne, l'équilibre ne pourra être atteint qu'en réduisant les coûts, ce dont tu as été largement préservé jusqu'à présent. Notre objectif n'est pas de « supprimer l'émission du dimanche et de réduire le budget de celle du samedi » comme tu l'écris mais plus globalement d'équilibrer les comptes de notre chaîne C8, ambition que je te sais comprendre car tu es toi-même chef d'entreprise. Aucune décision n'a été arrêtée à date ni sur le samedi, ni sur le dimanche et il me semble avoir été clair sur ce point avec toi lors de notre déjeuner. Enfin, je me permets de t'écrire que j'ai été un peu surpris de la reprise dans Le Parisien de quelques éléments précis de nos échanges en cours et en particulier de la date de ton rendez-vous avec Y. Si l'objet est de nous mettre la pression »

Ce message exprime sans équivoque la volonté de C8 de renégocier les bases des relations à venir au regard de l'impératif de réduction des coûts soulignés par le dirigeant du groupe, dont ARDIS et TELEPARIS étaient informées qu'elles ne pourraient plus continuer à bénéficier d'un régime de faveur et les amenait à réfléchir sur la réduction à venir des budgets de production alloués antérieurement à ces dernières dans des proportions certes, à arbitrer, mais laissant clairement augurer que les enveloppes précédemment allouées ne pourraient plus être reconduites.

Il fait en outre la preuve que les sociétés ARDIS ET TELE PARIS avaient été jusqu'alors préservées de toute remise en cause des conditions financières qui leur étaient consenties ce qui vient contredire l'affirmation de C8 selon laquelle les appelantes, conscientes des pertes générées par CANAL +, devaient nécessairement s'attendre à la diminution de leurs budgets production.

En effet, rien ne vient étayer un désaccord ou à tout le moins une divergence ayant opposé les parties dans l'appréciation des lignes budgétaires et/ou éditoriales de C8 antérieurement à l'échange du 2 mai 2019 et le caractère renouvelable de chaque contrat à terme fixe, au regard de la nécessité de réviser la grille des programmes, compte tenu notamment de l'appréciation de l'opportunité de la poursuite d'une relation d'affaires, en l'occurrence éminemment liée à l'intuitu personae de l'auteur des émissions, ne fait pas obstacle, ainsi qu'il a été dit plus haut, à l'application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° dès lors que la relation s'inscrit dans un flux financier croissant, poursuivi pendant près de 3 années, dont aucun élément extérieur ne permettait de présumer la remise en cause.

Par conséquent la déclaration du 18 mai 2019, par laquelle X annonçait dans un communiqué de presse (pièce n° 6 et 7 des intimées) son départ de C8 ne peut lui être imputée comme faisant la preuve de l'initiative de la rupture quand les termes du communiqué de presse reproduit plus bas démontrent que celui-ci n'a fait que tirer les conséquences d'une rupture qui est de fait imputable à C8 en ces termes : « Je ne serai pas sur C8 à la Rentrée. La Chaine n'a plus les moyens de s'offrir G et ses équipes. Et je ne veux pas faire de la télé low cost sous le joug des comptables. La divergence porte sur les moyens nécessaires pour faire une bonne et belle émission, comme celles qui me valent un site dédié à l'INA, des coffrets, des centaines de milliers de vues sur Youtube et de nombreux documentaires. La qualité a un prix. Quant à moi, je vais m'occuper de mes équipes, et j'annoncerai avant l'été mes prochaines activités dans le talk show, le flux et la fiction. »

Le 19 mai 2019, Maxime SAADA, Frank CADORET, Gérald-Brice VIRET et Franck APPIETTO étaient destinataires en copie d'un email adressé par X à Monsieur Y, regrettant que ce dernier lui ait proposé de réduire sa facturation de 50 %, lors d'un échange téléphonique intervenu le vendredi 17 mai 2019 (pièce appelantes n° 35) rédigé en ces termes :

« Suite à mon sms de vendredi après après-midi, tu m'as appelé pour me proposer pour septembre un contrat réduit de 50 %, 5M au lieu de 10 pour la même émission ! Comme je te l'ai dit, ce n'est pas viable. Certes, on peut faire des émissions à ce prix-là, mais pas « Les Terriens ». Inutile de te dire à quel point je regrette ta décision »

Ainsi, contrairement à ce que soutient C8, la remise en cause des termes financiers des budgets de production caractérise une modification substantielle de la relation commerciale qui équivaut à une rupture brutale quand en effet, elle n'a été accompagnée ni d'une tentative de négociation d'une nouvelle offre de contrats ni d'aucune proposition concrète de C8 tendant à aménager la poursuite des relations commerciales en tenant compte, comme elle l'avait annoncé à ARDIS, de la nécessité d'équilibrer les comptes de la chaîne et qu'elle n'a au demeurant pas été formalisée par un écrit avant la lettre du 14 juin 2019 (pièce n° 10 intimées) par laquelle C8 a pris acte de la décision d'ARDIS de ne plus produire les émissions « Salut les Terriens » et « Les Terriens du Dimanche » indiquant que cela rendait sans objet le mécanisme de renouvellement prévu à l'article 12 du contrat signé le 5 octobre 2018.

Par conséquent les faits établissent que C8 est seule à l'origine de la rupture qui a été consommée lors de l'échange téléphonique du 17 mai 2019 et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la durée du préavis

Les appelantes soutiennent que C8 s'est abstenue de notifier un préavis ou à tout le moins ne l'aurait fait que par la lettre du 14 juin 2019 (pièce n° 10 intimées) par laquelle C8 a pris acte de la décision d'ARDIS de ne plus produire les émissions « Salut les Terriens » et « Les Terriens du Dimanche » indiquant que cela rendait sans objet le mécanisme de renouvellement prévu à l'article 12 du contrat signé le 5 octobre 2018 ; que le tribunal s'est mépris en imputant comme une faute à ARDIS le refus d'adapter ses émissions au nouveau cadre budgétaire alors qu'elles n'avaient aucune possibilité de bénéficier d'un quelconque préavis dès lors que leur sort était scellé à la date du 17 mai 2019, la programmation suivante étant déjà arrêtée, que l'inter-saison ne peut valablement être prise en compte dans ces conditions et que les appelantes ne sauraient donc se voir reprocher d'avoir contribuer à leur propre dommage ; qu'un préavis d'une durée de 24 mois est conforme aux usages et aurait dû bénéficier à ARDIS au regard de la dépendance économique avérée des deux sociétés à l'égard de C8.

Les intimées opposent que conformément aux pratiques du secteur, les parties ont toujours conclu des contrats de pré-achats limités à une seule saison télévisuelle, la clause article 12 fixant au 15 juin 2019 la date butoir à laquelle ARDIS devait être fixée sur le souhait de C8 de poursuivre ou non la production de la série à l'expiration de la saison et qu'à la date du 17 mai 2019 la saison n'était pas arrêtée, laissant aux parties un délai suffisant pour finaliser la nouvelle grille des programmes aux mois de juillet et août ; qu'ainsi, l'analyse du tribunal selon laquelle ARDIS aurait besoin d'une durée équivalente à une saison télévisuelle complète pour pouvoir s'organiser est totalement erronée et que seul le préavis de 4 mois ou au pire de 3,5 mois accordé par C8 doit être pris en compte.

De manière constante la production des émissions « Salut les Terriens » et « Les Terriens du Dimanche » était appelée à être diffusée sur une saison de 9 mois, alors qu'il vient d'être vu que le chiffre d'affaires était en croissance pour ARDIS au cours de l'exercice qui a précédé la rupture et en légère baisse pour TELEPARIS.

Sont produites deux attestations du cabinet d'expertise comptable RSM en date du 3 septembre 2019 caractérisant le taux de dépendance d'ARDIS et de TELE PARIS à l'égard du Groupe CANAL + de 2016 à 2018 dont il s'évince que le chiffre d'affaires réalisé par chacune des sociétés avec C8 au titre des émissions « Salut les Terriens » et « Les Terriens du Dimanche » représente, sur les trois années concernées jusqu'au 30 juin 2019, pour chacune des appelantes, un ratio supérieur à 90 % non aggravé cependant par la clause d'exclusivité bénéficiant à C8, la portée de celle-ci, limitée à chaque saison contractualisée, n'étant pas invoquée comme un obstacle à disposer de marchés alternatifs auprès d'autres antennes de diffusion, aggravant l'état de dépendance économique.

Il ne peut enfin être reproché aux appelantes d'avoir participé à leur propre dommage quand les échanges produits entre les différents interlocuteurs d'ARDIS et de TELEPARIS établissent que les grilles de programmes, contrairement à ce qui est soutenu par les intimés sont arrêtées à la fin du mois de juin et qu'il a été vu que les appelantes ne disposaient d'aucune marge de négociation puisqu'elles n'ont bénéficié d'aucun préavis lequel, au regard des constatations précitées, sera, sur infirmation, fixé à 12 mois.

Sur les préjudices

De la société ARDIS

ARDIS fait valoir qu'elle a réalisé depuis le 1er janvier 2016 jusqu'au 30 juin 2019 un chiffre d'affaires de 40 415 000 euros représentant une marge brute de 10 188 000 euros sur cette période de 42 mois souit une marge brute mensuelle de 242 570 euros correspondant à une perte de 5 821 680 euros.

C8 conteste la pertinence de l'évaluation du manque à gagner par référence au critère de la marge brute soutenant qu'il convient de se référer au critère de la marge sur coûts variables dans lesquelles doivent être réintégrées comme venant en déduction de la marge réalisée : les rémunérations versées à X, celles versées à son agent, GY Consulting, le poste figurant au bilan sous le n° 6046000 prestations diverses se rattachant en grande partie aux deux émissions.

Le préjudice réparable est celui né du caractère brutal de la rupture des relations d'affaires, il correspond à la perte d'activité qui n'a pas pu être prévenue par la recherche d'autres partenariats pendant la période de préavis dont ARDIS a été privée et doit être évalué au regard de la marge brute qui aurait pu être dégagée durant cette période de 12 mois.

La notion de marge brute est appréhendée en retirant du chiffre d'affaires tous les coûts générés par les émissions réalisées pour C8.

Les éléments chiffrés certifiés par le cabinet d'expertise comptable RSM Paris le 3 septembre 2019, non utilement remis en cause par les intimées, établissent un taux de marge brute de 25 % sur la moyenne des années 2016, 2017, 2018 jusqu'au 30 juin 2019 dont il n'y a pas lieu de déduire les prestations supplémentaires invoquées par C8 dès lors que seule fait foi la prise en compte des charges comptabilisées au titre des exercices précités.

Rapportée aux seules émissions litigieuses, la moyenne du chiffre d'affaires réalisé au titre des trois saisons 2016, 2017, 2018 jusqu'au 30 juin 2019 s'élève à 11 401 428 euros ce qui représente au regard du taux de marge brute de 25 % retenu par l'expert-comptable, rapporté à la durée du préavis non accordé de 12 mois et compte tenu du fait que chaque saison recouvre une période d'activité de 9 mois, une somme de 3 800 476 euros que C8 sera condamnée à verser à la société ARDIS.

2- De la société TELE PARIS

TELEPARIS invoque un préjudice correspondant au manque à gagner équivalent à la perte de marge brute dont elle a été privée sur une durée de 24 mois soit un chiffre d'affaires mensuel moyen de 8 723,917 euros représentant une marge brute de 4 113 000 euros sur 36 mois soit une marge brute mensuelle de 114 250 euros dont elle demande réparation sur 24 mois par l'allocation de la somme de 2 742 000 euros.

Elle y ajoute le coût des licenciements rendus inévitable par la brutalité de la rupture qu'elle estime à 532 534,04 euros à laquelle elle ajoute le coût non amorti des décors des émissions produites qu'elle n'a pu reconvertir et qui ont généré des frais de stockage.

C8 oppose que le préavis de 24 mois est illusoire, qu'il ne tient pas compte du préavis de 4 mois respecté par C8, que l'assiette du préjudice sur laquelle sont basées les réclamations englobe toutes les relations avec CANAL + alors que seules sont concernées les relations avec C8. Sur les préjudices complémentaires elle oppose que la preuve n'est pas rapportée de l'imputabilité des coûts des licenciements à la rupture et que les dépenses afférentes au décor non seulement ressortissent des coûts déjà pris en compte dans le taux de marge mais qu'il n'est de surcroît pas justifié de l'impossibilité de la reconversion alléguée.

La méthodologie de la réparation du préjudice répond aux mêmes critères que ceux précédemment développés, auxquels il sera expressément fait référence, sous réserve des évaluations chiffrées du cabinet d'expertise comptable RSM Paris le 3 septembre 2019, non utilement remis en cause par les intimées.

Sur le préjudice lié à la brutalité de la rupture, il s'en s'évince que rapportée aux seules émissions litigieuses, la moyenne du chiffre d'affaires réalisé au titre des trois saisons 2016, 2017, 2018 jusqu'au 30 juin 2019 s'élève à 11 468 285 euros représentant, au regard du taux de marge brute de 15 % retenu, de la durée du préavis non accordé de 12 mois rapportée à la période d'activité de 9 mois dont TELE PARIS a été privé, une somme de 2 293 657 euros que C8 sera, sur infirmation, condamnée à verser à la société ARDIS.

Sur le préjudice lié aux licenciements, la demande est justifiée par le fait que ceux-ci sont intervenus dans le cadre d'une restructuration sollicitée par le commissaire aux comptes au mois de juillet 2019 en conséquence de la fin de la production des émissions « Salut les Terriens » et « Les Terriens du Dimanche » (pièces n° 41 et 42 des appelants) celui-ci alertant la société TELE PARIS sur la répercussion de l'arrêt de la production des deux émissions réduisant de 50 % le chiffre d'affaires.

Ce préjudice n'est donc pas couvert par l'indemnité versée au titre de la rupture brutale et il est en l'espèce justifié par la preuve que sur 11 licenciements, 9 concernaient des postes directement affectés à la production des émissions et ont généré un coût global de 510 385 euros (pièce n° 59 des appelants) lequel, rapporté aux 9 salariés affectés aux postes directement rattachables au volume d'activité auquel il a été mis un terme, doit être évalué à la somme de 417 587 euros que, sur infirmation, C8 sera condamnée à régler à TELE PARIS.

Le préjudice réclamé au titre du non-amortissement des décors acquis en 2018 correspond à une charge déjà prise en compte et imputée sur le chiffre d'affaires en outre, l'impossibilité de reconversion n'est aucunement justifiée quand par ailleurs les frais de stockage qui correspondent à une charge variable déjà prise en compte ne sont réclamés que pour une période de 3 mois ce dont il se déduit une réaffectation ou une revente sur laquelle les appelants ne s'expliquent pas.

Cette demande sera en conséquence rejetée et le jugement confirmé de ce chef.

3- De X

Il est sollicité par X la réparation d'un préjudice moral au regard des conséquences de son éviction de l'antenne de C8 qui ont, selon l'appelant, diminué considérablement son image médiatique laissant craindre que d'autres chaînes concurrentes « réfléchiront avant de lui confier une nouvelle émission » celui-ci pouvant être présenté comme licencié par son précédent employeur et son retour à l'antenne s'avérant d'autant plus difficile que C8 a largement médiatisé la présente procédure qu'il a été contraint d'engager.

C8 oppose que les allégations de l'appelant se rapportent à un préjudice hypothétique, qu'elle s'est abstenue de toute déclaration malveillante tandis que X multipliait les déclarations publiques pour expliquer son départ lui seul étant à l'origine de la médiatisation de l'affaire.

La demande en réparation du préjudice moral ne peut prospérer qu'autant qu'il est justifié d'un dommage personnel, directement imputable à la brutalité de la rupture or le dommage invoqué par l'intéressé au regard du seul fait que 24 mois après la rupture litigieuse, X soit absent des antennes de télévision, n'est pas en soi caractéristique d'un préjudice moral : en effet, rien n'établit qu'il ait cherché d'autres partenariats, que ceux-ci aient été déclinés et/ou que sa personnalité ait été discréditée par C8 dans les suites du présent litige.

En outre il doit être observé que dès le lendemain de la rupture, X prenait l'initiative d'un communiqué de presse au sujet de son départ de C8, lequel a été suivi de nombreuse interview données par l'intéressé pour en éclairer les raisons et qu'ainsi, étant une personnalité reconnue dans le monde médiatique il apparaît, comme le tribunal l'a justement constaté, que c'est X lui-même et non C8 qui a entendu donner un large retentissement au litige.

X sera en conséquence débouté de ce chef et le jugement confirmé sur ce point.

Sur l'appel incident

la demande au titre du dénigrement

La société C8 excipe de l'irrecevabilité de cette demande qui ne se rattache pas par un lien suffisant à la demande principale et de l'incompétence de la cour d'appel pour solliciter le renvoi de la demande en dénigrement devant le tribunal de grande instance de Paris. Et, subsidiairement, de l'absence de dénigrement, l'expression « télé low cost sous le joug des comptables » n'étant selon les appelants que le constat d'une réalité économique généralement acquise, tendant à la minimisation des coûts pour optimiser les profits.

C8 soutient que le terme « low cost » renvoie directement à la qualité des programmes qui selon eux a clairement été dévalorisée, assimilant CANAL + à une télévision au rabais.

Cependant l'action en réparation d'un préjudice personnel, accessoire à une demande principale se rattache par un lien suffisant à celle-ci et relève de la compétence de cette juridiction qui ressortit de manière incontestée de la juridiction commerciale quand, au demeurant, le moyen est inopérant dès lors que cette cour est juridiction d'appel relativement à la décision contestée.

La société C8 ne saurait être suivie en son irrecevabilité et en son exception d'incompétence.

Sur le fond, il est reproché à X de s'être exprimé en ces termes :

le 18 mai 2019 communiqué de presse diffusé sur Twitter et relayés par les réseaux sociaux « Je ne serai pas sur C8 à la rentrée. La Chaîne n'a plus les moyens de s'offrir X et ses équipes. Et je ne veux pas faire de télé low-cost sous le joug des comptables. »

le 14 juin 2019 dans une interview publiée dans le journal Le Parisien « je ne veux pas m'accrocher à l'antenne et faire de la télé low-cost sous le joug des comptables. Je pars, car je ne travaille pas au rabais. Je ne suis pas en colère, je trouve ça stupide. Y détruit une émission qui avait une réelle ambition. Petit à petit, on laisse s'installer une télévision bas de gamme qui abrutit les gens plutôt que de les élever. »

Sur TV MAGAZINE le 15 juin 2019 :

« Mais je ne suis pas amer, je trouve ça simplement stupide. Y détruit une certaine idée de la télévision. Une conception qui remonte à l'ORTF. A l'époque, l'ambition du petit écran était d'élever les gens. Aujourd'hui on laisse s'installer une télévision bas de gamme. Il ne faut pas se faire d'illusions, mon émission ne sera pas remplacée par une émission du même niveau. La difficulté pour C8 sera de supporter la comparaison. »

C8 excipe d'un préjudice d'image aggravé par la reprise massive des propos dénigrants et la réaction des annonceurs qui ne souhaitent pas être associés à une chaîne au rabais.

Cependant, les propos tenus par X à l'égard de C8 reprennent des expressions admises dans le langage courant pour caractériser d'une manière générale la tendance de certains médias à revoir les critères de qualité de leurs prestations dans le but de réduire leurs coûts de production. La critique exprimée à l'encontre de C8 renvoie à un sujet d'intérêt général, reposant sur une base factuelle limitée au litige opposant les parties, de sorte que la divulgation de ces propos relève du droit à la liberté d'expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, dès lors qu'elle est exprimée avec mesure.

La société C8 sera donc déboutée de ce chef, en ce compris la demande accessoire de retrait du communiqué publiée sur le compte Twitter de X le 18 mai 2019 et le jugement sur ce point sera confirmé.

2- La demande au titre du manquement à l'obligation contractuelle de confidentialité

La société C8 se prévaut de la clause article 7-9 du contrat du 5 octobre 2018 selon laquelle « ARDIS s'engage à garder confidentiel pendant toute la durée du présent contrat et au-delà de son terme, l'ensemble des éléments du présent contrat à l'exception toutefois d'une divulgation requise par la loi, les règlements ou pour les besoins d'une procédure judiciaire. ARDIS se porte garant du respect de cette obligation de confidentialité par tous les membres de son personnel et/ou les personnes mandatées dans le cadre de cette collaboration. »

Il est soutenu par la société C8 que X, en divulgant les données financières de son contrat le 23 février 2019 sur RTL puis le 14 juin 2019, dans une interview publiée par le journal Le Parisien, a violé son obligation de confidentialité ce à quoi la société ARDIS oppose que les propos tenus par X sur les budgets alloués sont évasifs, en tous cas non conformes aux montants exacts contractualisés et qu'en tout état de cause aucun préjudice n'est imputé à la prétendue violation.

La validité de la clause de confidentialité n'est pas discutée et la divulgation par X des données chiffrées de ses contrats de production est caractérisée par les propos tenus dans le cadre des interviews dont les extraits communiqués sont rapportés ainsi qu'il suit :

Réponse de X au journaliste de RTL le 23 février 2019 qui lui demandait:

Question : « Au niveau du budget des Terriens on est loin des 180 000 euros par numéro de "Tout le monde en parle"

Réponse de X : « Non c'est à peu près ça, pourquoi (…) Je n'ai pas négocié je n'ai pas changé mon prix. »

Le 14 juin 2019, X répondait au journal Le Parisien sur la question du budget de l'Emission « Salut les Terriens » : « Depuis le début de l'année, les Terriens coûtent 10 millions par saison et après des semaines de négociation Y lui-même m'en a subitement proposé la moitié. »

Le 15 juin 2019, X indiquait lors d'une interview à TV MAGAZINE : « J'aurais aimé dire (à Maxime SAADAT) que Y me demandait de faire mon émission pour la moitié de la somme qui m'était allouée depuis 13 ans. Les 2 "Terriens" coûtaient 10 millions d'euros par saison, Y m'a proposé 5 millions d'euros en sachant que je refuserai. »

Par conséquent dès lors que les éléments chiffrés des budgets alloués à ARDIS dans le cadre des contrats négociés avec C8 ont été divulgués par X dans un ordre de grandeur proche de la réalité, cette seule divulgation d'une information financière protégée, fait présumer la faute de ce dernier et cette violation ouvre droit à indemnité sans qu'il soit nécessaire de rapporter la preuve d'un quelconque préjudice quand celui-ci est avéré par la violation du secret des affaires destiné à protéger les négocations commerciales.

La société ARDIS sera donc condamnée à régler à la société C8, seule signataire du contrat du 7 octobre 2018, une somme de 50 000 euros à ce titre.

Les intérêts au taux légal et la capitalisation des intérêts

Le point de départ des intérêts au taux légal sera fixé à compter du 17 mai 2019, date de la rupture abusive et la capitalisation des intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1154 ancien du code civil, est due à compter du 27 mai 2020 date de signification des premières conclusions des appelants.

Sur les frais irrépétibles

La société SARL ARDIS, la société SARL TELE PARIS et Monsieur X seront condamnés in solidum, sur infirmation à régler à la société SAS société d'EDITION DE CANAL + une somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance outre une somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel;

La société SAS C8 sera condamnée à régler à la SARL ARDIS, à la société SARL TELE PARIS une somme de 10 000 euros à chacune au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Monsieur X sera débouté de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en ses dispositions relatives à la réparation de la rupture brutale des relations commerciales établies, au rejet des demandes formées au titre de la prise en charge des indemnités de licenciements, au titre du manquement contractuel à la clause de confidentialité et au titre des frais irrépétibles exposés en première instance par la société SAS d'EDITION DE CANAL +;

Statuant à nouveau sur ces chefs de demandes,

Condamne la société C8 à régler en conséquence de la rupture brutale des relations commerciales :

à la société SARL ARDIS une somme de 3 800 476 euros,

à la société SARL TELE PARIS une somme de 2 293 657 euros,

Condamne la société C8 à régler à la société SARL TELE PARIS :

une somme de 417 587 euros en conséquence des licenciements opérés à la suite de la rupture brutale des relations d'affaires ;

Condamne in solidum les sociétés SARL ARDIS, SARL TELEPARIS et Monsieur X à régler à la société SAS C8 :

une somme de 50 000 euros en réparation de la violation de la clause de confidentialité;

Condamne in solidum la SARL ARDIS, la société SARL TELE PARIS et Monsieur X à régler à la société SAS société d'EDITION DE CANAL + :

une somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ;

Dit que les intérêts au taux légal sont dus sur ces sommes à compter du 17 mai 2019 ;

Ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 27 mai 2020 ;

Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne in solidum la SARL ARDIS, la société SARL TELE PARIS et Monsieur X à régler à la société SAS société d'EDITION DE CANAL + :

une somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;

Condamne la société SAS C8 à régler à la SARL ARDIS et à la société SARL TELE PARIS une somme de 10 000 euros chacune, au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Déboute Monsieur X de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la société SAS C8 aux entiers dépens de première instance et d'appel.