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Décisions

CA Paris, 4e ch. a, 15 décembre 2004, n° 04/20120

PARIS

Arrêt

Infirmation

CA Paris n° 04/20120

15 décembre 2004

LA COUR : Considérant que pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :

- le 7 juin 1991, a été conclu un protocole d'accord entre la société ORFOCI, Inès Seignard de la Fressange et la société Inès de la Fressange (ci-après IF 1), aux termes duquel :

- la société ORFOCI et IF 1 s'engageaient à constituer ensemble une société commerciale dénommée Inès de la Fressange (ci-après IF 2) ;

- Inès de la Fressange s'engageait expressément, irrévocablement, concomitamment à la constitution de la société commune, à lui céder pour la France et le monde entier, la pleine et entière propriété sans restriction ni réserve des droits aux marques déposées en France « Inès », « Inès de la Fressange », « de la Fressange » ainsi que du droit exclusif de déposer à titre de marque dans les classes de produits et services no 3, 9, 14, 16, 18, 20, 24, 25, 26, 27, 34 et 35 le prénom « Inès » et le patronyme « de la Fressange » accompagné ou non du prénom Inès, ainsi que toutes déclinaisons pouvant être faites à partir du patronyme et du prénom ;

- IF 2 engagerait Inès de la Fressange en qualité de directrice artistique et des relations publiques,

- le 4 octobre 1991, IF 2 a été immatriculé au registre du commerce et des sociétés, ont été régularisés, le 6 septembre 1991, l'acte de cession de marques et, le 5 octobre 1991, le contrat de travail,

- le 17 janvier 1994, a été conclu un protocole d'accord entre, d'une part, François Vuitton, d'autre part, Inès de la Fressange et la société Radis Beurre et, encore, Thierry Dufresne aux termes duquel il convient de relever que :

- la société ORCOFI cédait à François Vuitton sa participation dans IF 2 ainsi que les créances qu'elle détenait en compte courant, Henry Racamier conservant sa participation à hauteur de 5 % sur laquelle Thierry Dufresne obtenait un droit de préférence en cas de cession ;

- François Vuitton apportait, en compte courant, la somme de 18 MF afin d'équilibrer l'exploitation sans modifier la répartition du capital, et reprenait à son compte l'intégralité des engagements souscrits par ORCOFI dans le Premier Protocole en faveur de la société Radis Beurre et/ou de Madame Inès Seignard de la Fressange qui pour sa part confirme en faveur de Monsieur François Louis Vuitton les engagements qu'elle a pris envers ORCOFI ;

- les dispositions de l'article 3 du Premier Protocole restent en vigueur entre les parties aux présentes, les dispositions des articles 4 et 5 du Premier Protocole sont annulées, les dispositions de l'article 6 du Premier Protocole sont annulées et remplacées par celles de l'article 1 du présent Protocole, les dispositions de l'article 7 du Premier Protocole sont annulées et remplacées par l'article 7 paragraphe 4 ci-dessus, les dispositions du Chapitre II du Premier Protocole sont annulées à l'exception des dispositions des paragraphes 13.2, 13.3, 13.4 et l'article 13 maintenus sous réserve des modifications apportées par l'article 2 ci-dessus et des dispositions du paragraphe 9.4 de l'article 9 et des articles 10, 12 et 15 qui restent en vigueur, et les dispositions du Chapitre III du Premier Protocole (article 17 à 19) restent en vigueur et sont complétées par l'article 4 du présent Protocole ;

- François Vuitton s'engageait par ailleurs à maintenir le contrat de travail de Inès de la Fressange avec IF 2 conclu en application de l'article 17 du Premier Protocole ;

- par lettre du 29 juin 1999, la société IF 2 a procédé au licenciement pour faute grave de Inès de la Fressange, par arrêt en date du 30 janvier 2001, la Cour de céans, après avoir relevé que Inès de la Fressange avait incontestablement commis une faute, a confirmé la décision du conseil des prud'hommes du 8 mars 2000 ayant jugé que le licenciement ne reposait ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse et lui alloué une somme de 470 612,07 € au titre de diverses indemnités, et a, en outre, condamné la société IF 2A au paiement de la somme de 15 244,99 € de dommages et intérêts au titre du préjudice moral ;

- au printemps 2000, François Vuitton a cédé sa participation dans la société IF 2 ;

- faisant valoir qu'ayant pris conscience que le changement de stratégie de l'entreprise, en violation, selon elle, des conventions intervenues, s'avérait désastreux non seulement pour elle-même mais également pour la pérennité des marques qui portent son nom, Inès de la Fressange a engagé la présente procédure tendant principalement à voir juger que le protocole du 7 juin 1991, le contrat de cession de marques du 6 septembre 1991, le contrat de travail du 5 octobre 1991, le protocole du 17 janvier 1994, constituant un ensemble contractuel dont aucune disposition ne peut être dissociée, il convenait de prononcer leur nullité ;

[...]

- sur la déchéance des marques :

Considérant, en droit que, selon les dispositions de l'article L. 714-6 b du code de la propriété intellectuelle, encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d'une marque devenue de son fait (...) b) propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ;

Considérant, en l'espèce, que, invoquant ces dispositions, Inès de la Fressange demande que soit prononcées la déchéance des marques litigieuses dès lors que, selon elle, jusqu'à son licenciement en 1999, sa présence au sein de la société et sa maîtrise de l'activité artistique garantissaient au public une adéquation entre sa propre image et celle des produits devant être commercialisés et que, tel n'étant plus le cas depuis lors, le public serait abusé en ce qu'il lui attribuerait la création, dont elle n'est plus à l'origine, des produits vendus sous l'appellation de l'une des marques en cause ; qu'un tel comportement serait de nature à rendre la marque déceptive aux yeux du public qui pourrait croire qu'elle continue d'exploiter personnellement sa marque alors qu'il n'en est rient ;

Considérant que la société IF 2 prétend que Inès de la Fressange ne verse aux débats aucune pièce de quelque nature que ce soit venant démontrer le caractère prétendument trompeur qu'elle invoque et que, tout au contraire, le public aurait été très largement informé des conditions de leur rupture ; que, en tout état de cause, la marque est indépendante de la personne de son titulaire, y compris lorsque cette marque est constituée d'un nom patronymique ;

Mais considérant que si le principe de l'inaliénabilité et de l'imprescriptibilité du nom patronymique ne s'oppose pas à la conclusion d'un accord portant sur l'utilisation de ce nom comme dénomination sociale, au demeurant non contestée par Inès de la Fressange en ce qui concerne la société IF 2, enseigne, nom commercial ou marque, cette circonstance n'est pas de nature à faire échec à la fonction de toute marque qui est un signe servant à distinguer des produits et services, pour garantir au consommateur et à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit marque ;

Or, considérant que, la marque constituée d'un nom patronymique, d'un prénom ou de la combinaison des deux ayant acquis une notoriété telle qu'els deviennent un signe évocateur et indicateur pour le consommateur, ce dernier lie d'évidence dans son esprit le produit marqué à la personne dont l'identité est déclinée à titre de marque ;

Que la marque doit être et demeurer un instrument loyal d'information du consommateur, de sorte qu'il convient de prononcer la déchéance d'une marque qui, en raison d'un modification dans les conditions d'exploitation de celle-ci du fait de son propriétaire, est devenue déceptive ;

Que tel est le cas en l'espèce puisque, depuis son licenciement intervenu en 1999 et imputable à la société IF 2, Inès de la Fressagne n'exerce plus aucune maîtrise sur la création artistique des produits commercialisés sous le signe des marques litigieuses, alors même qu'il résulte des pièces versées à la procédure que la société IF 2 tente de maintenir artificiellement dans l'esprit des consommateurs un lien entre l'image attachée à la personnalité de Inès de la Fressange et les produits vendus sous les signes contestés ;

Qu'ainsi la société IF 2 a fait figurer des photographies de Inès de la Fressange dans le cadre de la présentation et du catalogue de la collection Printemps/Eté 2000, à la conception de laquelle celle-ci n'a pris aucune part ;

Que de même sa silhouette, parfaitement identifiable, a continué à être utilisée lors de la promotion, en septembre 2004, du nouveau parfum Inès de la Fressange, la société IF 2 soutenant, contre la réalité, que cette silhouette serait celle d'une parisienne ;

Que la société IF 2 prétend tout aussi vainement qu'il serait de notoriété publique qu'elle aurait cessé toute collaboration avec Inès de la Fressange ; qu'en effet s'il a pu être fait mention dans quelques rares publications, en 1999, de son licenciement, force est de constater qu'il n'est pas démontré l'impact réel d'une telle information dans l'esprit du public, d'autant que les extraits de presse versés aux débats concernent pour l'essentiel la parution d'un livre, tout comme la dépêche de l'AFP évoquée par la société appelante ;

Qu'il s'ensuit que la société IF 2 fait preuve, en entretenant la confusion dans l'esprit des consommateur entre Inès de la Fressange et les marques qui ont pour signe son nom patronymique, son prénom ou la combinaison des deux, d'un comportement de nature à induire le consommateur en erreur sur les produits commercialisés sous ces différents signes ;

Qu'il convient, en conséquence, de prononcer la déchéance, qui prendra effet le 7 octobre 2002, date, non contestée par les parties, de la demande initiale de Inès de la Fressage, des marques INES no 688 979/1 258 069, Inès de la Fressange no 688 980/1 258 070, 741, Inès no 186 826/1 574 740, Inès de la Fressange no 186 827/1 574 741, Inès no 288 923/1 668 875, de la Fressange no 288 925/1 668 877, Inès de la Fressange no 288 924/1 668 876, Inès no 292 013/1 671 651, de la Fressange no 292 014/1 571 652, Inès de la Fressange no 292 015/1 671 653 et des marques semi-figuratives Inès de la Fressange no 95 573 072, Inès no 96 618 635 et Inès de la Fressange no 96 656 111 ;

- sur l'action engagée à l'encontre des sociétés :

Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que l'instance engagée à l'encontre des sociétés Mumm et Compagnie et Ballentine's Mumm Distribution est sans objet ;

- sur les autres demandes :

Considérant que l'équité ne commande pas de faire bénéficier la société IF 2 et Inès de la Fressange des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; que, en revanche, elle commande, sur ce même fondement, de condamner la société IF 2 à verser aux sociétés Mumm et Compagnie et Ballantine's Mumm Distribution, chacune, une indemnité complémentaire de 5 000 € ;

Par ces motifs,

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne les dispositions relatives aux sociétés Mumm et Compagnie et Ballantine's Mumm Distribution,

Et statuant à nouveau :

Déclare Inès de la Fressange irrecevable en ses demandes relatives à la nullité ou à la résiliation du protocole du 7 juin 1991, du protocole du 17 janvier 1994 et de l'acte de cession des marques du 6 septembre 1991,

Déclare Inès de la Fressange recevable en ses prétentions tendant à voir prononcer la déchéance des marques INES no 688 979/1 258 069, Inès de la Fressange no 688 980/1 258 070, 741, Inès no 186 826/1 574 740, Inès de la Fressange no 186 827/1 574 741, Inès no 288 923/1 668 875, de la Fressange no 288 925/1 668 877, Inès de la Fressange no 288 924/1 668 876, Inès no 292 013/1 671 651, de la Fressange no 292 014/1 571 652, Inès de la Fressange no 292 015/1 671 653 et des marques semi-figuratives Inès de la Fressange no 95 573 072, Inès no 96 618 635 et Inès de la Fressange no 96 656 111,

Prononce la déchéance des dites marques, pour l'ensemble des classes mentionnées à leurs dépôts, à compter du 7 octobre 2002,

Dit que le présent arrêt sera transmis à l'INPI pour qu'il soit procédé aux formalités de radiation nécessaires, sur réquisition du greffe ou de l'une des parties,

Condamne la société Inès de la Fressange à payer aux sociétés Mumm et Compagnie et Ballantine's Mumm Distribution, chacune, une indemnité complémentaire de 5 000 € au titre des frais irrépétibles d'appel,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société Inès de la Fressange aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

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