CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 12 juin 2013, n° 11/05520
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Edition Clouet (SAS)
Défendeur :
Cartexpo (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rajbaut
Conseillers :
Mme Chokron, Mme Gaber
Avocats :
Me Teytaud, Me Bouchard Stech, Me Lapeyrere
Vu l'appel interjeté le 23 mars 2011 par Alain C. et la société EDITIONS CLOUET (SAS), du jugement contradictoire rendu par le tribunal de grande instance de Fontainebleau dans le litige l'opposant à la société CARTEXPO (SARL) ;
Vu les dernières conclusions des appelants, signifiées le 15 janvier 2013 ;
Vu les dernières conclusions de la société intimée CARTEXPO, signifiées le 18 février 2013;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 26 mars 2013 ;
SUR CE, LA COUR :
Considérant qu'il est expressément référé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures, précédemment visées, des parties ;
Qu'il suffit de rappeler que Alain C. est titulaire de 13 marques françaises figuratives représentant des affiches publicitaires anciennes telles que :
- CHOCOLAT LOMBARD (dépôt n° 03 3 203 464 du 7 janvier 2003)
- SAVON DE LA TULIPE (dépôt n° 03 3 203 482 du 8 janvier 2003)
- SAVONNERIE J. GONTARD (dépôt n° 03 3 203 287 du 13 février 2003)
- CHOCOLAT MASSON (dépôt n° 03 3 228 029 du 16 mai 2003)
- ABSINTHE BLANQUI (dépôt n°05 3 342 451 du 10 février 2005)
- HUILE D'OLIVE UNION DES PROPRIETAIRES DE NICE (dépôt n° 06 3 354 696 du 4 octobre 2006)
- ABSINTHE ROBETTE (dépôt n° 06 3 454 698 du 4 octobre 2006)
- LAIT PUR DE LA VINGEANNE (dépôt n° 06 3 454 695 du 4 octobre 2006)
- TOURNEE DU CHAT NOIR (dépôt n° 06 3 454 697 du 4 octobre 2006)
- A LA BODINIERE (dépôt n° 06 3 457 292 du 17 octobre 2006)
- FROU FROU (dépôt n° 06 3 459 026 du 24 octobre 2006)
- SAVON MALACEINE (dépôt n° 06 3 461 050 du 2 novembre 2006)
- BIERES DE CHARTRES (dépôt n° 07 3 500 859 du 14 mai 2007), destinées à distinguer des boîtes et panneaux décoratifs en métaux communs, calendriers, plateaux et vaisselles, articles de porcelaine outre, pour certaines d'entre elles, les thermomètres, aimants de fixation, l'horlogerie et exploitées sous licence par la société EDITIONS CLOUET, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation d'objets pour la maison ;
Que la société CARTEXPO, se livrant en concurrence directe avec la société CLOUET à l'offre en vente d'articles décoratifs pour la maison sur lesquels sont reproduits des affiches publicitaires anciennes, s'est vue assignée par Alain C. et la société EDITIONS CLOUET, suivant acte du 10 septembre 2008, devant le tribunal de grande instance de Fontainebleau aux griefs de contrefaçon des marques précitées et de concurrence déloyale ;
Que le tribunal, aux termes du jugement dont appel, a annulé les 13 marques opposées au motif qu'elles ne sont pas de nature à satisfaire à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir au consommateur l'identité d'origine des produits marqués en lui permettant de distinguer ces produits, sans confusion possible, de ceux qui ont une autre provenance, débouté la société EDITIONS CLOUET de sa demande en concurrence déloyale, débouté la société CARTEXPO de ses demandes reconventionnelles fondées sur le parasitisme et la procédure abusive, condamné in solidum les demandeurs à verser à la société défenderesse une indemnité de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Que les appelants persistent à faire valoir que les 13 marques revendiquées sont distinctives au regard des produits désignés et par voie de conséquence valables, que la contrefaçon par reproduction de ces marques sur des produits identiques est caractérisée à la charge de la société CARTEXPO, laquelle s'est en outre rendue coupable d'actes distincts de concurrence déloyale par la création d'un risque de confusion et la pratique de prix dérisoires, demandent des mesures d'interdiction, de destruction et de retrait des circuits commerciaux sous astreinte, de publication de l'arrêt, outre, respectivement, Alain C., 30.000 euros de dommages intérêts par marque contrefaite soit au total 390.000 euros de dommages intérêts, la société EDITIONS CLOUET, dans l'attente des résultats d'une mesure d'expertise, une provision de 100.000 euros à valoir sur son préjudice commercial des suites de la contrefaçon ainsi qu'une provision de 150.000 euros au titre de la concurrence déloyale ;
Que la société CARTEXPO conclut à la confirmation du jugement sauf à voir Alain C. et la société EDITIONS CLOUET condamnés in solidum à lui verser 50.000 euros de dommages intérêts pour parasitisme et procédure abusive ;
Sur la validité des marques opposées,
Considérant que la marque est définie à l'article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle comme un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits et services d'une personne physique ou morale ;
Qu'il résulte de ces dispositions, interprétées à la lumière de l'article 2 de la Directive 89/104 CEE du Conseil de l'Union européenne, que la fonction essentielle de la marque est de garantir aux consommateurs ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer, sans confusion possible, ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance ;
Considérant que la société intimée soutient, pour conclure à la nullité des marques opposées, qu'elles ne sont pas susceptibles d'être perçues comme une indication de l'origine des produits sur lesquels elles seraient apposées et qu'elles ne sont pas aptes, en conséquence, à assurer la fonction essentielle de la marque ;
Considérant, en l'espèce, que les marques querellées représentent des affiches de réclame datant du début du siècle dernier dont il n'est pas contesté qu'elles revêtent un intérêt d'ordre esthétique, artistique voire historique, et désignent des boîtes et panneaux décoratifs en métaux communs, calendriers, plateaux et vaisselles, articles de porcelaine outre, pour certaines d'entre elles, les thermomètres, aimants de fixation, l'horlogerie ;
Considérant que s'il n'est certes pas interdit qu'une oeuvre de dessin ou de peinture puisse faire l'objet d'une appropriation privative à titre de marque, il n'en demeure pas moins qu'une telle marque doit, pour être valable, être susceptible de remplir la fonction distinctive de la marque c'est-à- dire de garantir l'identité d'origine des produits marqués ;
Considérant encore, que s'il n'est pas exclu qu'un signe soit utilisé à des fins décoratives et à titre de marque, une fonction décorative n'étant pas incompatible avec la fonction distinctive dévolue à la marque, encore faut-il que ce signe ne soit pas exclusivement décoratif mais puisse servir à distinguer des produits ou services ;
Or considérant qu'il ressort des constatations auxquelles la Cour a procédé au vu des produits et des documents versés aux débats, que les affiches publicitaires, objets des dépôts litigieux, apposées sur les boîtes et panneaux décoratifs, calendriers, plateaux, vaisselle, thermomètres, aimants de fixation (magnets), horloges, visés à l'enregistrement, ne seront pas regardées par le consommateur ou l'utilisateur final comme un signe de reconnaissance lui permettant d'identifier la provenance de ces produits et de les rattacher à une même entreprise, mais exclusivement comme un élément de décoration, ce d'autant, que l'usage dans le commerce d'affiches publicitaires anciennes, pour illustrer en particulier ses calendriers et des objets pour la maison, était connu antérieurement au dépôt des marques en cause, ainsi que le montrent notamment les catalogues MAISON & OBJET des années 2000 à 2003 et surtout les catalogues CARTEXPO qui établissent l'exploitation par celle-ci, antérieurement à leur dépôt à titre de marque, de 10 images publicitaires, sur les 13 en cause dans le litige ;
Considérant que c'est dès lors à raison que le tribunal a retenu que les images publicitaires, objets des dépôts attaqués, n'étaient pas susceptibles d'assurer la fonction d'indication de l'origine des produits et de constituer des marques et a, par voie de conséquence, annulé les enregistrements revendiqués ;
Considérant que la demande en contrefaçon d'Alain C. se trouve dépourvue de tout fondement et qu'il en sera débouté ;
Sur la demande en concurrence déloyale,
Considérant que la société CLOUET soutient de ce chef que la société CARTEXPO se placerait systématiquement dans son sillage en introduisant dans son catalogue, à des prix inférieurs et dans une moindre qualité, les mêmes produits que ceux commercialisés par la société CLOUET la saison précédente, en reprenant pour ses affiches publicitaires décoratives les mêmes thèmes que ceux sélectionnés par la société CLOUET, en adoptant les mêmes codes couleur, et qu'il résulte de l'ensemble de ces faits un risque de confusion ;
Or considérant qu'il résulte de l'examen, auquel la Cour a procédé, des catalogues respectifs, que si la société CLOUET a, en effet, commercialisé les boîtes en métal en 2001 et a été, pour ce produit, suivie par la société CARTEXPO en 2002, c'est en revanche la société CARTEXPO qui a commercialisé en premier les sacs cabas en polypropylène 2010, suivie par la société CLOUET en 2011, outre que, par ailleurs, les deux sociétés ont concomitamment introduit dans leur catalogue les thermomètres en 2003, les mugs et les horloges en 2004, les magnets en 2005 ;
Considérant que ces éléments ne suffisent pas à établir et à la charge de la société CLOUET un comportement déloyal au regard des usages du commerce, les pièces du débat et en particulier les catalogues d'autres entreprises déployant leur activité dans le domaine des objets décoratifs pour la maison montrant en outre que l'offre en vente de mugs en 2004, de magnets en 2005 et de sacs cabas en polypropylène en 2010-2011 s'inscrivait dans une tendance de la mode et répondait à une demande des consommateurs ;
Considérant, en ce qui concerne les affiches, que la société CLOUET invoque pour seul grief précis, l'utilisation par la société CARTEXPO de l'affiche CHOCOLAT SUCHARD quand elle même utilise l'affiche BANANIA sans indiquer toutefois si c'est pour les mêmes produits ;
Or considérant que la société CLOUET ne saurait interdire à sa concurrente d'utiliser l'affiche CHOCOLAT SUCHARD ou tout autre image publicitaire relative au chocolat au motif qu'elle même utilise l'affiche BANANIA ;
Que force est de relever par ailleurs que la société CARTEXPO fait un grand usage des affiches COCA COLA et BETTY B. qui ne sont pas exploitées par la société CLOUET ;
Considérant enfin que l'examen d'ensemble des catalogues respectifs ne révèle pas des choix de couleurs identiques à l'exception d'une vaisselle de couleur jaune pour la saison 2007 ;
Considérant qu'il ressort en définitive des éléments de la procédure que les ressemblances entre les produits respectifs résultent inéluctablement du choix, revendiqué par les deux sociétés, de les illustrer d'affiches publicitaires anciennes et de les doter d'un style vintage mais ne sont pas de nature à caractériser une faute de la société CARTEXPO par la recherche délibérée d'un risque de confusion ;
Considérant qu'il suit de ces développements que la demande en concurrence déloyale de la société CLOUET n'est pas fondée et que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il l'a rejetée ;
Sur les demandes reconventionnelles,
Considérant que pour imputer à Alain C. et la société EDITIONS CLOUET des actes de parasitisme, la société CARTEXPO fait valoir que le dépôt à titre de marque à compter de 2003 d'images qu'elle exploitait d'ores et déjà dans son activité commerciale justifie d'une volonté de se
placer dans son sillage et caractérise des actes de parasitisme ;
Mais considérant que s'il est effectivement établi, au vu de son catalogue, que la société CARTEXPO faisait usage dès l'année 2000 des affiches publicitaires Chocolat Lombard , Savon la Tulipe', Lait pur de la Vingeanne , Union des propriétaires de Nice , La tournée du chat noir , Bières de Chartres , Frou Frou , dès 2001 de l’affiche Absinthe Robette , en 2002 de la publicité Absinthe Blanqui et en 2004 de la publicité A la Bodinière , et que le dépôt des marques correspondantes par Alain C. est postérieur à cette exploitation, ces éléments ont été pris en compte au titre des causes d'annulation des marques et ne sont pas susceptibles de caractériser des actes distincts de parasitisme au préjudice de la société CARTEXPO par pillage de ses investissements financiers intellectuels ou humains, alors qu'il n'est à cet égard rapporté le moindre élément de preuve et qu'il est par ailleurs établi que la société EDITIONS CLOUET, constituée en 1987, est plus ancienne sur le marché que la société ARTEXPO, constituée, avec un objet social identique à celui de sa concurrente, en 1997 ;
Considérant enfin que le droit d'ester en justice qui comporte le droit de former appel n'est susceptible de dégénérer en abus ouvrant droit à réparation que s'il est exercé de mauvaise foi, par intention de nuire ou par légèreté blâmable équipollente au dol, toutes circonstances qui ne sont pas établies à la charge des appelants qui ont légitimement pu se méprendre sur l'étendue de leurs droits ;
Considérant que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société CARTEXPO de ses demandes reconventionnelles en dommages intérêts pour parasitisme et procédure abusive ;
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement dont appel,
Y ajoutant,
Condamne in solidum Alain C. et la société EDITIONS CLOUET aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à verser à la société CARTEXPO une indemnité complémentaire de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles.