Cass. crim., 16 février 2021, n° 20-81.151
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
M. Samuel
Avocat général :
M. Aldebert
Avocats :
SCP Bernard Hémery, Me Thomas-Raquin, Me Le Guerer, SCP Didier et Pinet
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 8 août 2013, la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Provence Alpes Côte d'Azur a adressé à la société Les vignerons de Grimaud, cave coopérative, un avertissement relatif à la mise en circulation de vin bénéficiant de l'appellation d'origine protégée «Côtes de Provence», dans des bouteilles qui, en contravention avec l'article 5 du décret du 4 mai 2012, étaient revêtues de la mention «Cuvée du Golfe de Saint-Tropez» ou «Port Grimaud».
3. A l'issue d'un second contrôle réalisé le 15 avril 2014 ayant permis de constater l'absence de mise en conformité avec cette réglementation, la DIRECCTE a dressé un procès-verbal constatant la mise en circulation, sans étiquetage conforme, de 1 153 128 bouteilles de vin portant les mêmes mentions, contraventions punies, par l'article L. 214-2 (devenu R. 451-1), alinéa 1er, du code de la consommation, de l'amende encourue pour les contraventions de troisième classe.
4. La société et son représentant légal ont été poursuivis de ce chef devant la juridiction de proximité qui les a relaxés.
5. Sur pourvoi de l'officier du ministère public, la Cour de cassation a cassé cette décision et renvoyé l'affaire devant un tribunal de police qui a relaxé M. H... C... en qualité de président de la société Les vignerons de Grimaud, mais a déclaré cette dernière coupable des faits reprochés.
6. La société et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen est pris de la violation des articles 591 du code de procédure pénale, R. 412-21 6°, R. 451-1 al.1 du code de la consommation, 119, 120, 121 de l'annexe VII, § 11, du Règlement UE du 17 décembre 2013.
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé la société Les vignerons de Grimaud du chef de mise en circulation de vin sans étiquetage conforme en contravention aux dispositions du décret du 5 mai 2012, alors «qu'en considérant que la durée de l'instruction de la procédure d'inscription de la mention «Saint-Tropez» dans le cahier des charges, telle qu'elle résulte de l'application de l'article 5 du décret du 4 mai 2012 constitue une atteinte disproportionnée au droit de propriété sur la marque déposée et enregistrée, la cour d'appel a ajouté une condition supplémentaire à l'application de ce texte».
Réponse de la Cour
Vu les articles 67 et 70 du règlement (CE) n°607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009 fixant certaines modalités d'application du règlement (CE) n°479/2008 du Conseil en ce qui concerne les appellations d'origine protégées et les indications géographiques protégées, les mentions traditionnelles, l'étiquetage et la présentation de certains produits du secteur vitivinicole, et 5 du décret n°2012-655 du 4 mai 2012 relatif à l'étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles et à certaines pratiques oenologiques :
9. Il résulte du dernier de ces textes, pris en application notamment des deux premiers, les principes suivants.
10. En premier lieu, l'étiquetage des vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée peut mentionner le nom d'une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l'appellation ou indication à condition, d'une part, que tous les raisins à partir desquels ces vins ont été obtenus proviennent de cette unité plus petite, d'autre part, que cette possibilité soit prévue dans le cahier des charges de l'appellation ou indication.
11. En second lieu, l'usage du nom d'une unité géographique plus petite que celle qui est à la base de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée n'est pas interdit, mais seulement soumis à des conditions au regard des dispositions précitées du règlement du 14 juillet 2009. La modification du cahier des charges, lorsqu'il ne prévoit pas une telle possibilité, peut être sollicitée par les producteurs intéressés dans les conditions prévues à l'article 105 du règlement (UE) n°1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, de sorte que les restrictions ainsi prévues, qui sont justifiées par la nécessité d'assurer la sauvegarde des intérêts de ces producteurs contre la concurrence déloyale et celle des consommateurs contre les indications susceptibles de les induire en erreur, ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété des titulaires de marques commerciales antérieures qui contiennent, ou consistent en, un nom d'une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l'appellation ou de l'indication concernées.
12. Pour relaxer la prévenue, l'arrêt attaqué énonce notamment qu'il résulte d'une lettre du Syndicat des vins des Côtes de Provence du 10 juillet 2018, postérieur à l'arrêt de la Cour de cassation, que la demande visant à l'obtention d'une inscription dans le cahier des charges de l'appellation Côtes de Provence, de mentions précisant les conditions dans lesquelles la mention «Saint Tropez» pourrait être utilisée en tant que dénomination géographique complémentaire, constitue un obstacle disproportionné au droit de propriété résultant du dépôt de marque antérieur au décret du 4 mai 2012. Il souligne, à cet effet, la durée de l'instruction de la modification sollicitée, estimée à une dizaine d'années, et la nécessité qu'elle émane de plusieurs producteurs ou entreprises représentatifs de la zone géographique définie et correspondant à un volume significatif.
13. Les juges ajoutent qu'aucune atteinte à la concurrence ou aux droits des consommateurs n'est caractérisée, comme l'avait relevé la Cour de cassation, et que les restrictions apportées par l'article 5 du décret du 4 mai 2012 apparaissent disproportionnées au regard du but poursuivi de protection du consommateur et de lutte contre la concurrence déloyale.
14. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
15. En l'absence de doute raisonnable pour les motifs exposés aux paragraphes 9 à 11, il n'y a lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, ni de la question préjudicielle portant sur la possibilité de soumettre l'utilisation du nom d'une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine ou de l'indication géographique protégées à la condition que cette utilisation soit prévue dans le cahier des charges de cette appellation ou indication, ni de la question préjudicielle relative à la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété des titulaires de droits de marques régulièrement acquis antérieurement à l'adoption d'une telle réglementation nationale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 17 décembre 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize février deux mille vingt et un.