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Décisions

Cass. com., 18 décembre 1990, n° 88-20.243

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Defontaine

Rapporteur :

M. Le Tallec

Avocat général :

M. Raynaud

Avocats :

SCP Boré et Xavier, SCP Riché, Blondel et Thomas-Raquin

Bordeaux, du 19 oct. 1988

19 octobre 1988

Sur les deux moyens réunis, pris en leurs diverses branches :

Attendu que, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 19 octobre 1988) et les documents produits, la société civile du Château Beauregard, titulaire de la marque Château Beauregard déposée en renouvellement le 21 juin 1978 pour désigner des vins, a demandé la condamnation de M. X pour contrefaçon par la marque Château Rocher Beauregard déposée et utilisée pour désigner des vins ;

Attendu que M. X fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande alors que, selon le pourvoi, d'une part, tout propriétaire de parcelles complantées en vigne peut légitimement utiliser le nom du terrain pour désigner les vins qu'il y récolte, sous réserve de prendre toute disposition pour éviter toute confusion avec la ou les dénominations utilisées antérieurement et régulièrement par un autre propriétaire récoltant sur le même terrain ; que ce droit d'incorporer le nom du lieu dans la marque ou une dénomination commerciale est une protection d'ordre public qui s'applique non seulement à la désignation des vins provenant de parcelles ayant fait l'objet d'un tènement portant le nom du lieu envisagé, mais aussi à la désignation des vins provenant de terres voisines incorporées à la propriété et formant avec celle-ci un ensemble viticole unique et une unité culturale, sauf en cas d'abus nettement caractérisé, et que l'arrêt qui constate que M. X justifiait de la propriété d'un tènement portant un vignoble du nom de Beauregard depuis la fin du 19e siècle, ne pouvait priver son propriétaire du droit d'incorporer ce nom de lieu dans sa marque Château Rocher Beauregard déposée depuis 1943, laquelle était insusceptible de confusion avec la marque distincte Château Beauregard, au seul prétexte d'une insuffisance de superficie par rapport à l'ensemble du vignoble exploité ; qu'en effet, outre que ce fait ne constituait pas un abus que l'arrêt, d'ailleurs, n'a pas relevé, les juges d'appel auraient dû rechercher concrètement si les autres tènements de la propriété n'y avaient pas été incorporés et ne formaient pas avec celui-ci une unité culturale indivisible ; que l'arrêt est donc entaché d'un défaut de base légale par violation des articles 544 du Code civil et 1er et suivants, 27 et suivants de la loi modifiée du 31 décembre 1964 et des usages invoqués en la matière ; alors, d'autre part, que l'arrêt n'a pas ainsi recherché si la marque complexe de M. X Château Rocher Beauregard ne constituait pas un tout indivisible, auquel cas elle ne pouvait contrefaire la marque simple Château Beauregard, dès lors surtout que partie de la récolte qu'elle servait à désigner provenait du lieu géographique Beauregard ; que l'arrêt est donc entaché d'un défaut de base légale par violation des articles 1er et suivants et 27 de la loi modifiée du 3 décembre 1964 ; et alors, enfin, qu'en tout état de cause, l'arrêt, après avoir constaté que la parcelle cadastrée C 276 était située au lieu-dit Beauregard et provenait de surcroît d'un démembrement du domaine de Beauregard, ne pouvait, pour cette parcelle, faire défense à Max X d'incorporer à l'avenir le nom de Beauregard dans le nom et dans la marque qu'il utilise, sans méconnaître le droit reconnu à tout propriétaire de parcelles complantées en vigne d'utiliser le nom du terroir pour désigner les vins qu'il y récolte en évitant toute confusion et sans violer par

là-même les articles 544 du Code civil et 27 et suivants de la loi modifiée du 31 décembre 1964 ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'il ne résulte ni des conclusions ni de l'arrêt que M. X ait soutenu devant les juges du fond l'argumentation, mélangée de fait et de droit, selon laquelle la marque complexe Château Rocher Beauregard constituait un " tout indivisible " ;

Attendu, en second lieu, qu'après avoir relevé l'antériorité de la marque Château Beauregard sur la marque déposée par M. X qui désignait les vins en général, la cour d'appel a constaté que le tènement du nom de Beauregard ne représentait que le cinquième du vignoble exploité par M. X et qu'il n'était ni démontré ni allégué que la production de ce tènement faisait l'objet d'une vinification séparée ; qu'elle a pu déduire de ces constatations que M. X ne pouvait pas légitimement, pour désigner ses vins par sa marque, utiliser l'expression Château Rocher Beauregard comme désignant le terroir sur lequel ils étaient produits ;

D'où il suit que les moyens, irrecevables pour partie, ne sont pas fondés pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.