TUE, 9e ch. élargie, 15 septembre 2021, n° T-24/19
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
INC SpA, Consorzio Stabile Sis SCpA
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Costeira
Juges :
M. Gratsias (rapporteur), M. Kancheva, M. Berke, Mme Perišin
Avocats :
Me Kamann, Me Tzifa
LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),
Antécédents du litige
1 Par deux lettres du 13 octobre 2017, les autorités italiennes ont notifié à la Commission européenne une série de mesures portant sur un plan d’investissements relatif aux autoroutes italiennes.
2 Environ 5 800 kilomètres d’autoroutes italiennes sont actuellement exploités par des opérateurs privés dans le cadre de concessions. En vertu des contrats s’y rapportant, les concessionnaires doivent effectuer des travaux ou fournir des services afférents au fonctionnement des autoroutes. Les concessionnaires supportent les risques relatifs à la construction ainsi qu’au fonctionnement des autoroutes et doivent se conformer à une série d’obligations liées à l’importance de ce type d’infrastructure pour le public. En outre, le cadre réglementaire applicable prévoit plusieurs systèmes de tarification ayant pour objet de garantir l’équilibre financier entre les recettes des concessions et le coût des investissements effectués par les concessionnaires.
3 Dans ce contexte, la République italienne a conçu un plan consistant essentiellement en la prorogation de la durée de certaines concessions aux fins du financement d’investissements supplémentaires. Dans sa version subséquemment révisée, le plan en question, tel que notifié, a concerné des autoroutes gérées soit directement, soit indirectement, à savoir par le biais de participations à des consortiums, par Autostrade per l’Italia SpA et par la Società Iniziative Autostradali e Servizi SpA.
Décision attaquée
4 Par la décision C(2018) 2435 final de la Commission, du 27 avril 2018, portant sur l’aide d’État octroyée aux fins du plan d’investissement relatif aux autoroutes italiennes [affaires SA.49335 (2017/N) et SA.49336 (2017/N)] (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a considéré que certaines mesures prises dans le cadre dudit plan constituaient des aides d’État au sens de l’article 107 TFUE et qu’elles étaient compatibles avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 106, paragraphe 2, TFUE. Ainsi, la Commission a décidé, sans ouvrir la procédure formelle d’examen, de ne pas soulever d’objections à l’égard de ces mesures (chapitre 5 de la décision attaquée).
5 En particulier, le plan notifié à la Commission par les autorités italiennes concerne seize autoroutes gérées par Autostrade per l’Italia et deux autoroutes gérées par la Società Iniziative Autostradali e Servizi. Ce plan repose essentiellement sur deux piliers. Le premier concerne l’exécution d’investissements supplémentaires à effectuer par les concessionnaires. Le second concerne la prorogation de certaines concessions, assortie des modalités visant à limiter les tarifs des péages à des niveaux acceptables et à éviter le risque de surcompensation des concessionnaires (paragraphes 12, 13 à 16, 18 à 21 et 34 de la décision attaquée).
Autoroutes gérées par Autostrade per l’Italia
6 La concession des seize autoroutes, totalisant 2 857,50 kilomètres, gérées par Autostrade per l’Italia, trouve sa source dans les concessions attribuées à la société Autostrade-Concessioni e Costruzioni Autostrade SpA en 1968. Cette dernière entité a été privatisée en 1999 et, en 2003, a transféré ses activités de concessions autoroutières à Autostrade per l’Italia. La concession litigieuse a été modifiée, notamment, en 1997 et sa dernière version a été signée, sous forme d’une « convention unique » (Convenzione Unica), en 2007, elle-même amendée en 2013 en vertu d’un « acte additionnel » (Atto Aggiuntivo). Conformément à l’avenant signé en 1997, la concession litigieuse a été conclue pour une période de 40 ans expirant le 31 décembre 2038 (paragraphes 34, 35 et 136 de la décision attaquée).
7 Toutefois, la République italienne a exposé qu’Autostrade per l’Italia se devait encore d’effectuer des investissements dans le réseau qu’elle gérait. À la suite des décisions prises par les autorités compétentes quant aux caractéristiques des investissements en question, le coût estimé de ceux-ci s’élève à environ 8 milliards d’euros. De ce montant, 4,908 milliards d’euros sont dédiés à des travaux considérés comme « déjà prévus » dans le contrat de concession tel qu’en vigueur avant la modification litigieuse, dont « la Gronda di Genova » (contournement de Gênes) pour 4,32 milliards d’euros. Les 3,03 milliards d’euros restants sont dédiés à des « travaux additionnels », c’est-à-dire non prévus dans le contrat de concession tel qu’en vigueur avant la modification litigieuse. Or, selon le contrat de concession en vigueur, la réalisation des investissements en question nécessiterait une augmentation du coût des péages à des niveaux exorbitants pour les usagers. Dans ce contexte, la République italienne a proposé, premièrement, de proroger la durée de la concession, deuxièmement, de plafonner l’augmentation du coût des péages et, troisièmement, de prévoir une « indemnité de reprise » (takeover value) à verser au concessionnaire à la fin de la concession par l’éventuel nouveau concessionnaire. Ainsi, selon ce plan, la durée de la concession serait prorogée de quatre ans, jusqu’au 31 décembre 2042, et une indemnité de reprise plafonnée entre 1,3 et 1,5 fois l’excédent brut d’exploitation serait versée au concessionnaire actuel par tout éventuel concessionnaire lui succédant après cette date (paragraphes 36 à 43 de la décision attaquée).
Autoroutes gérées par la Società Iniziative Autostradali e Servizi
8 Les deux autoroutes gérées par la Società Iniziative Autostradali e Servizi faisant l’objet de la décision attaquée sont la SATAP A4 Torino – Milano et l’A33 Asti – Cuneo. La concession relative à la construction et au fonctionnement de l’autoroute SATAP A4 Torino – Milano date de 1989 et expire, à la suite de modifications des instruments juridiques la régissant, intervenues en 2007 et en 2013, le 31 décembre 2026. Le contrat de concession relatif à la construction et au fonctionnement de l’autoroute A33 Asti – Cuneo a été signé le 1er août 2007 à la suite d’une procédure d’attribution et prévoit que la concession est faite pour une période de 27,5 ans, dont quatre années seraient dédiées à l’exécution des travaux et les 23,5 ans restants, calculés à compter de l’accomplissement de ceux-ci, à la gestion de la concession. Compte tenu de cette dernière stipulation, la Commission considère que cette concession prendrait fin en 2043 (paragraphes 19 et 20 de la décision attaquée).
9 Or, les travaux prévus pour l’autoroute A33 Asti – Cuneo n’auraient pas été achevés à temps et les coûts s’y rapportant auraient augmenté considérablement pour des raisons qui, selon la République italienne, n’étaient pas imputables à la Società Iniziative Autostradali e Servizi, concessionnaire de cette autoroute. En même temps, la construction des seuls 55 kilomètres d’autoroute au lieu des 90 initialement prévus aurait limité les recettes en provenance des péages à des niveaux modestes. La construction des parties d’autoroute manquantes aurait donc impliqué une augmentation du coût des péages à des niveaux prohibitifs. Dans ce contexte, la République italienne a proposé que le concessionnaire réalise les investissements nécessaires pour obtenir une liaison fonctionnelle entre les diverses parties achevées de l’autoroute A33 Asti – Cuneo. Ces investissements consistent en la construction d’environ 13 kilomètres d’autoroute pour un coût de 350 millions d’euros, au lieu des 35 kilomètres restants initialement prévus, qui auraient coûté 589 millions d’euros. Les travaux en question sont considérés comme étant déjà prévus dans le contrat de concession initial. En outre, des investissements d’une valeur totale de 153 millions d’euros seraient à effectuer sur l’autoroute SATAP A4 Torino – Milano. De ce dernier montant, 109 millions d’euros sont considérés comme concernant des travaux déjà prévus dans le contrat de concession initial et 44 millions d’euros comme concernant des travaux additionnels. Tous ces travaux devraient être achevés pour la fin de l’année 2022 (paragraphes 21 à 23 de la décision attaquée).
10 S’agissant de la couverture des coûts des travaux en question, la République italienne a proposé un financement croisé des travaux concernant l’autoroute A33 Asti – Cuneo à partir des recettes de l’autoroute SATAP A4 Torino – Milano, assorti d’un plafonnement des tarifs des péages des deux autoroutes en question. Or, selon la République italienne, ce plafonnement entraîne des pertes de revenus pour les concessionnaires. Ainsi, de manière similaire à ce qu’elle a proposé s’agissant des autoroutes gérées par Autostrade per l’Italia (voir point 7 ci-dessus), la République italienne a exprimé son intention, premièrement, de réaménager la durée de ces deux concessions et, deuxièmement, de prévoir une indemnité de reprise à verser au concessionnaire sortant, en cas de non-renouvellement après leur terme, par l’éventuel nouveau concessionnaire. En particulier, la durée de la concession de l’autoroute SATAP A4 Torino – Milano serait prorogée pour quatre ans jusqu’au 31 décembre 2030, alors que celle de l’autoroute A33 Asti – Cuneo serait raccourcie pour prendre fin le 31 décembre 2030 également, au lieu de 2043 (voir point 8 ci-dessus). Cet arrangement permettrait une nouvelle mise en concurrence conjointe de la concession des deux autoroutes pour la période courant à partir du 1er janvier 2031. Au demeurant, l’indemnité de reprise serait plafonnée à 1,4 fois l’excédent brut d’exploitation à verser au concessionnaire actuel par l’éventuel concessionnaire lui succédant à partir du 1er janvier 2031 (paragraphes 25 à 31 de la décision attaquée).
11 L’ensemble des mesures concernant les autoroutes faisant l’objet de la décision attaquée est assorti d’engagements relatifs au commencement de certains des travaux envisagé avant le 1er janvier 2020. D’autres engagements ont été également prévus concernant la publicité des contrats de concession, le caractère en principe stable du coût budgétisé des travaux, le respect des règles de l’Union européenne en matière de modification des contrats de concession en cas de nécessité d’exécuter des travaux supplémentaires, la mise en œuvre de sanctions en cas d’infraction aux obligations du concessionnaire, la réduction proportionnelle de la prorogation en cas de non-exécution des travaux, la présentation de rapports annuels et quinquennaux portant sur la réalisation des travaux et le suivi des paramètres pris en compte et, enfin, la révision de l’indemnité de reprise en cas de niveaux de trafic plus importants que ceux prévus ou de non-exécution de travaux (paragraphes23, 44 et 47 à 53 de la décision attaquée).
Appréciation de la Commission
12 Selon la Commission, le fait d’accorder des droits d’exploitation de biens publics peut impliquer une renonciation à des ressources d’État et conférer un avantage aux bénéficiaires de ces droits. En l’espèce, la prorogation de la durée des concessions pour quatre ans aurait pour effet que les concessionnaires encaisseront le produit des péages pendant cette période, en excluant ainsi la possibilité pour l’État membre d’encaisser lui-même ces fonds. Une renonciation à des ressources d’État au profit de certains opérateurs privés serait donc à constater (paragraphes 61 à 63 de la décision attaquée).
13 S’agissant de l’existence d’un avantage, la Commission a tenu compte des obligations d’investissements et de gestion imposées aux concessionnaires et a conclu qu’il y avait lieu d’analyser les mesures notifiées à la lumière des quatre critères cumulatifs établis par la Cour de justice dans son arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415), à savoir l’existence d’obligations de service public, l’établissement préalable, objectif et transparent des paramètres de compensation, l’établissement de la compensation à un niveau qui couvre les coûts d’exécution des obligations de service public et un bénéfice raisonnable et, enfin, l’analyse des coûts et du bénéfice en question. À ce dernier égard, la Commission a observé que les autorités italiennes n’avaient pas produit d’analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations. Il s’ensuivrait que, eu égard, également, à l’absence de procédure d’attribution ayant précédé les concessions litigieuses, le quatrième critère Altmark n’était pas rempli. En outre, compte tenu de la dimension internationale du marché de la construction et de la gestion d’autoroutes ainsi que de l’exclusivité que confèrent les contrats de concession, les avantages accordés peuvent affecter le commerce entre États membres. Il s’ensuivrait que la mesure litigieuse constitue une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (paragraphes 64 à 73 de la décision attaquée).
14 La Commission a, néanmoins, estimé qu’il y avait lieu d’apprécier la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur à l’aune de l’article 106, paragraphe 2, TFUE et, corrélativement, de la communication de la Commission portant encadrement de l’Union européenne applicable aux aides d’État sous forme de compensations de service public (2011) (JO 2012, C 8, p. 15, ci-après la « communication sur les compensations de service public ») (paragraphes 75 à 77 de la décision attaquée).
15 Dans ce contexte, la Commission a considéré :
– premièrement, que la construction et la mise à disposition d’infrastructures autoroutières à des coûts abordables pour les utilisateurs constituait un véritable service d’intérêt économique général au sens de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, de sorte que les conditions du chapitre 2.2 de la communication sur les compensations de service public étaient remplies ;
– deuxièmement, que les services d’intérêt économique général en cause étaient confiés aux concessionnaires concernés en vertu d’actes qui mentionnaient la durée et l’objet des obligations de service public, les engagements entrepris, la nature des droits exclusifs, la description des mécanismes de compensation et les paramètres pertinents ainsi que les mesures prévues pour éviter et recouvrer toute éventuelle surcompensation. Par conséquent, les conditions du chapitre 2.3 de la communication sur les compensations de service public seraient remplies (paragraphes 85 à 90 de la décision attaquée) ;
– troisièmement, que la durée des prorogations parvenait à équilibrer financièrement le plan proposé en tenant dûment compte du plafonnement du coût des péages, du coût des travaux à effectuer, de la rémunération des concessionnaires et de l’indemnité de reprise. Par conséquent, les conditions du chapitre 2.4 de la communication sur les compensations de service public seraient remplies (paragraphes 92 à 95 de la décision attaquée) ;
– quatrièmement, que les mesures notifiées n’enfreignaient pas la directive 2006/111/CE de la Commission, du 16 novembre 2006, relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques ainsi qu’à la transparence financière dans certaines entreprises (JO 2006, L 318, p. 17), de sorte que les conditions du chapitre 2.5 de la communication sur les compensations de service public seraient remplies (paragraphes 96 à 99 de la décision attaquée) ;
– cinquièmement, que les mesures notifiées étaient conformes à la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession (JO 2014, L 94, p. 1) et, plus particulièrement, à l’article 43 de celle-ci, relatif à la modification des contrats de concession en cours ;
– sixièmement, que les principes, les objectifs, les paramètres et les méthodes de calcul de la compensation versée aux concessionnaires n’enfreignaient pas le principe de non-discrimination, si bien que les conditions du chapitre 2.7 de la communication sur les compensations de service public étaient également remplies (paragraphes 142 et 143 de la décision attaquée) ;
– septièmement, que la compensation résultant de la modification des contrats de concession ne dépassait pas ce qui était nécessaire pour couvrir le coût net de l’exécution des obligations de service public, compte tenu d’un bénéfice raisonnable, conformément au chapitre 2.8 de la communication sur les compensations de service public ;
– huitièmement, que toute préoccupation relative à d’éventuelles distorsions résiduelles de concurrence était dissipée de manière conforme au chapitre 2.9 de la communication sur les compensations de service public (paragraphes 167 à 171 de la décision attaquée).
16 Dans ce contexte, et après avoir examiné les engagements souscrits par la République italienne en matière de transparence conformément au chapitre 2.10 de la communication sur les compensations de service public et les arguments présentés par des parties tierces, la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections et de déclarer l’aide compatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 106, paragraphe 2, TFUE (paragraphes 178 à 186 et chapitre 5 de la décision attaquée).
Procédure et conclusions des parties
17 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 janvier 2019, les requérantes, INC SpA et Consorzio Stabile Sis SCpA, ont introduit le présent recours. Le 29 avril 2019, la Commission a déposé son mémoire en défense. La réplique et la duplique ont été respectivement déposées le 18 juillet et le 18 octobre 2019.
18 La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal, le juge rapporteur a été affecté à la neuvième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.
19 Sur proposition de la neuvième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.
20 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
21 Dans son mémoire en défense, la Commission a conclu à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérantes aux dépens.
22 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a invité les parties à déposer certains documents et leur a posé des questions écrites, en les invitant à y répondre lors de l’audience.
23 Les parties ont répondu au Tribunal par courriers du 3 novembre 2020.
24 Lors de l’audience, la Commission a informé le Tribunal de la décision des autorités italiennes de ne pas mettre en œuvre les mesures ayant fait l’objet de la décision attaquée, à tout le moins en ce qui concerne la Società Iniziative Autostradali e Servizi.
25 Dans ce contexte, le Tribunal a invité la Commission à l’informer par écrit sur les éventuelles décisions des autorités italiennes en ce qui concerne la mise en œuvre des mesures litigieuses tant en ce qui concerne la Società Iniziative Autostradali e Servizi que s’agissant d’Autostrade per l’Italia. Il en a été pris acte dans le procès-verbal d’audience.
26 Par courrier du 14 décembre 2020, la Commission a communiqué au Tribunal une lettre datée du 10 décembre 2020, que lui avait adressée le ministère des Infrastructures et des Transports italien. Eu égard au contenu de cette lettre, la Commission a fait observer que les mesures au regard desquelles elle n’avait pas soulevé d’objections en vertu de la décision attaquée ne pouvaient pas et ne seraient pas mises en œuvre par les autorités italiennes, de sorte que les requérantes ne justifiaient plus d’un intérêt à agir.
27 Par courrier du 27 janvier 2021, les requérantes ont présenté leurs observations et ont affirmé maintenir un intérêt à l’annulation de la décision attaquée.
28 À titre de mesures d’organisation de la procédure adoptées les 8 février et 11 mars 2021, le Tribunal a demandé à la Commission des informations supplémentaires, que celle-ci a fournies par courriers, respectivement, du 26 février et du 29 mars 2021. Sur le fondement de ces informations, provenant des autorités italiennes, la Commission a réitéré sa conclusion tendant à ce que les requérantes ne justifiaient plus d’un intérêt à voir la décision attaquée annulée.
29 Par courrier du 28 avril 2021, les requérantes ont présenté leurs observations sur ces dernières lettres et ont réitéré qu’elles maintenaient un intérêt à poursuivre l’annulation de la décision attaquée pour les raisons exposées dans leur courrier du 27 janvier 2021 (voir point 27 ci-dessus).
30 La phase orale de la procédure a été clôturée le 29 avril 2021 et l’affaire a été mise en délibéré à cette date.
31 À la suite du décès de M. le juge Berke survenu le 1er août 2021, les trois juges dont le présent arrêt porte la signature ont poursuivi les délibérations, conformément à l’article 22 et à l’article 24, paragraphe 1, du règlement de procédure.
En droit
32 À l’appui de leur recours, les requérantes, concurrentes directes d’Autostrade per l’Italia et de la Società Iniziative Autostradali e Servizi dans les secteurs de la construction et de la concession d’autoroutes, soulèvent deux moyens.
33 Le premier moyen concerne les mesures portant sur les autoroutes gérées par Autostrade per l’Italia. À cet égard, les requérantes exposent que l’appréciation de la Commission, selon laquelle les mesures concernant les autoroutes gérées par Autostrade per l’Italia satisfont aux critères de la communication sur les compensations de service public et sont donc compatibles avec le marché intérieur repose sur trois prémisses qui seraient erronées. La première est la qualification des travaux de construction de « la Gronda di Genova » en tant que travaux déjà prévus relevant d’un projet octroyé en concession à Autostrade per l’Italia déjà en 2002, alors qu’il s’agirait en réalité d’un projet entièrement nouveau par rapport aux concessions en vigueur, qui appellerait une nouvelle procédure d’attribution. La deuxième est qu’Autostrade per l’Italia est le concessionnaire dans le cadre d’une concession unique, alors que, en réalité, cette société bénéficierait d’un faisceau de concessions distinctes. La troisième est que les coûts de réalisation des travaux ayant justifié la prorogation litigieuse ont été valablement calculés par Autostrade per l’Italia et par les autorités italiennes alors que tel ne serait pas le cas. En outre, et indépendamment de l’analyse relative aux prémisses en question, les requérantes font valoir que l’analyse de la Commission portant sur la compatibilité des mesures litigieuses avec les chapitres 2.2 à 2.10 de la communication sur les compensations de service public (voir point 15 ci-dessus) est entachée d’erreurs.
34 Le second moyen concerne les mesures portant sur les autoroutes gérées par la Società Iniziative Autostradali e Servizi. À cet égard, les requérantes exposent que l’appréciation de la Commission, selon laquelle les mesures concernant les autoroutes A33 Asti – Cuneo et SATAP A4 Torino – Milano, gérées par la Società Iniziative Autostradali e Servizi, satisfont aux critères de la communication sur les compensations de service public et sont donc compatibles avec le marché intérieur repose sur quatre prémisses qui seraient erronées. La première est que le retard de onze ans dans l’exécution des travaux sur l’autoroute A33 Asti – Cuneo et l’augmentation des coûts en résultant ne sont pas attribuables à la Società Iniziative Autostradali e Servizi, concessionnaire de ladite autoroute. La deuxième est que les coûts en question ont été valablement calculés par la Società Iniziative Autostradali e Servizi et par les autorités italiennes alors que tel ne serait pas le cas. La troisième est que les modifications qu’a subies le projet de construction de ladite autoroute n’appellent pas une nouvelle procédure d’attribution. La quatrième est que la limitation de la durée des concessions renouvelées de deux autres autoroutes, à savoir l’autoroute SATAP A21 liant Turin et Brescia et l’autoroute Torino – Ivrea – Valle d’Aosta, jusqu’à 2030 aux fins d’une mise en concurrence conjointe des quatre autoroutes, à savoir A33 Asti – Cuneo, SATAP A4 Torino – Milano, SATAP A21 et Torino – Ivrea – Valle d’Aosta, constitue un engagement qui limite les effets anticoncurrentiels de l’aide litigieuse. En outre, et indépendamment de l’analyse relative aux prémisses en question, les requérantes font valoir que l’analyse de la Commission portant sur la compatibilité des mesures litigieuses avec les chapitres 2.2 à 2.10 de la communication sur les compensations de service public (voir point 15 ci-dessus) est entachée d’erreurs.
35 Par ces moyens, les requérantes font valoir que la Commission aurait dû avoir des doutes sérieux quant à la compatibilité des mesures examinées avec le marché intérieur et, par conséquent, ouvrir la procédure formelle d’examen conformément à l’article 4, paragraphe 4, et à l’article 6 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9). Ce faisant, la Commission aurait enfreint les droits procéduraux que les requérantes tirent de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement 2015/1589.
36 Selon une jurisprudence constante, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt, condition essentielle et première de tout recours en justice, suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle‑même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, points 55 et 58 et jurisprudence citée).
37 L’intérêt à agir d’une partie requérante doit être né et actuel. Il ne peut concerner une situation future et hypothétique (arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 56). En effet, si l’intérêt dont se prévaut une partie requérante concerne une situation juridique future, celle-ci doit établir que l’atteinte à cette situation se révèle, d’ores et déjà, certaine (arrêt du 14 avril 2005, Sniace/Commission, T‑141/03, EU:T:2005:129, point 26, et ordonnance du 26 mars 2012, Cañas/Commission, T‑508/09, non publiée, EU:T:2012:152, point 49).
38 S’agissant, en particulier, des règles relatives aux aides d’État, cet intérêt doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui‑ci, sous peine d’irrecevabilité, et perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non‑lieu à statuer (arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 57). La question du non-lieu à statuer en raison de l’absence de persistance de l’intérêt à agir peut être soulevée d’office par les juridictions de l’Union (arrêt du 6 septembre 2018, Bank Mellat/Conseil, C‑430/16 P, EU:C:2018:668, point 49).
39 Dans ce contexte, les concurrents du bénéficiaire de l’aide ont un intérêt à demander l’annulation d’une décision en vertu de laquelle, sans ouvrir la procédure formelle d’examen, la Commission la déclare compatible avec le marché intérieur conformément à l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589.
40 En effet, un tel intérêt existe dans la mesure où l’annulation en question imposerait à la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen conformément à l’article 4, paragraphe 4, du règlement 2015/1589 et à inviter les concurrents du bénéficiaire de la mesure à présenter, en tant que « parties intéressées » au sens de l’article 1er, sous h), dudit règlement, leurs observations en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission, T‑388/03, EU:T:2009:30, point 62).
41 Il convient néanmoins de relever que, pour que cet intérêt soit considéré comme perdurant jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, il faut que, au moment d’une éventuelle décision d’annulation de la décision de ne pas soulever d’objections, il existe toujours un projet d’octroi d’une aide susceptible d’être mis en œuvre par l’État membre notifiant et, ainsi, de faire l’objet d’une procédure formelle d’examen.
42 En effet, il ressort d’une lecture combinée de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et des articles 2, 4 et 9 du règlement 2015/1589 que la procédure formelle d’examen porte sur un projet d’octroi d’une aide.
43 L’existence d’un tel projet peut, certes, être présumée du seul fait de la notification de celui-ci par l’État membre aux fins de son approbation par la Commission conformément à la procédure prévue au règlement 2015/1589, d’autant plus que, selon l’article 10 de ce règlement, l’État membre peut retirer la notification avant l’adoption de la décision clôturant l’examen préliminaire prévue à l’article 4 de celui-ci.
44 Toutefois, le fait de ne pas avoir retiré la notification n’exclut pas que l’État membre puisse abandonner définitivement le projet après l’adoption, par la Commission, de sa décision de ne pas soulever d’objections. En effet, d’une part, ainsi qu’il ressort de l’article 10, paragraphe 1, du règlement 2015/1589, la notification ne peut être formellement retirée qu’aussi longtemps que la Commission n’a pas pris une décision en application de l’article 4 dudit règlement. D’autre part, si l’article 108, paragraphe 3, TFUE oblige les États membres à notifier à la Commission leurs projets d’octroi d’une aide avant sa mise à exécution, il ne les oblige pas, en revanche, à octroyer une aide, même si celle-ci a été approuvée par une décision de cette institution. Une telle décision a seulement pour objet et pour effet d’autoriser un projet d’octroi d’une aide en le déclarant compatible avec le marché intérieur, et non d’imposer sa mise en œuvre à l’État membre concerné (voir ordonnance du 6 mai 2020, Blumar e.a., C‑415/19 à C‑417/19, EU:C:2020:360, point 23 et jurisprudence citée).
45 Or, le fait pour l’État membre d’abandonner définitivement le projet ayant fait l’objet de la décision de la Commission de ne pas soulever d’objections peut affecter la persistance d’un intérêt à agir tel que celui décrit au point 40 ci-dessus.
46 En particulier, dans un tel cas de figure, l’annulation de la décision de la Commission de ne pas soulever d’objections n’est, en principe, plus apte à procurer à la partie requérante le bénéfice procédural que celui-ci cherche à obtenir, à savoir l’ouverture de la procédure formelle d’examen et la possibilité de faire valoir ses observations dans le cadre de cette procédure, ce qui fait disparaître son intérêt à agir et entraîne, selon le cas, l’irrecevabilité du recours ou un non-lieu à statuer sur celui-ci (voir point 38 ci-dessus).
47 À cet égard, tout d’abord, il ressort d’une lecture combinée de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et des articles 2, 4 et 9 du règlement 2015/1589, que la procédure formelle d’examen porte sur un projet d’octroi d’une aide. Il s’ensuit que le fait pour l’État membre notifiant d’abandonner, postérieurement à l’adoption d’une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections, le projet en question neutralise l’effet utile de cette décision et, surtout, prive d’emblée de son objet la procédure formelle d’examen que la Commission serait contrainte à ouvrir à la suite de l’annulation de ladite décision.
48 Corrélativement, ensuite, en l’absence d’un projet d’octroi d’une aide, il n’existe plus de « bénéficiaire », ni de « concurrent » dudit bénéficiaire ni, par conséquent, de « partie intéressée » au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, qui serait invitée à présenter ses observations lors d’une éventuelle procédure formelle d’examen conformément à l’article 6, paragraphe 1, de celui-ci. Il s’ensuit que, dans ces circonstances, l’annulation de la décision de ne pas soulever d’objections n’est, en principe, pas susceptible de procurer à la partie requérante le bénéfice consistant en la possibilité de faire valoir ses observations dans le cadre de la procédure formelle d’examen.
49 Enfin, cette conclusion s’impose à plus forte raison s’il ressort des circonstances de l’espèce que l’État membre notifiant n’a plus la possibilité de prendre appui sur la décision de la Commission de ne pas soulever d’objections au cas où il déciderait, postérieurement à sa décision d’abandonner le projet d’aide litigieux, de revenir sur cette décision et de mettre finalement en œuvre le projet d’aide en question. En effet, dans une telle hypothèse, l’annulation de ladite décision n’est pas susceptible de procurer à la partie requérante, concurrent du bénéficiaire, un bénéfice distinct consistant à enlever cette possibilité audit État membre.
50 En l’espèce, il ressort des paragraphes 61 à 63 de la décision attaquée que la Commission a motivé l’implication de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE par la seule référence à la prorogation des concessions litigieuses (voir point 12 ci-dessus). En outre, il ressort des paragraphes 64 à 73 de la décision attaquée que l’analyse de la Commission relative à l’existence d’un avantage au sens de la même disposition repose sur la prémisse que la prorogation en question générerait des recettes qui, eu égard aux informations fournies par les autorités italiennes, ne pourraient être comparées aux coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises aurait encourus pour exécuter les obligations de service public en cause (voir point 13 ci-dessus.
51 Or, par lettre du 10 décembre 2020, adressée à la Commission et produite par cette dernière le 14 décembre 2020 (voir points 25 et 26 ci-dessus), le ministère des Infrastructures et des Transports italien a exposé notamment ce qui suit :
« […] il est confirmé que les hypothèses de modification des relations de concession envisagées par la décision de la Commission […] sont aujourd’hui intégralement dépassées et remplacées par d’autres solutions qui ne prévoient pas d’extension de la durée des concessions.
En particulier, en ce qui concerne [les autoroutes Asti – Cuneo et SATAP A4 Torino – Milano] une nouvelle hypothèse de révision des plans financiers a été préparée [et] approuvée par délibération du [Comitato interministeriale per la programmazione economica (comité interministériel de programmation économique)] du 14 mai 2020 […]
La société Autostrade per l’Italia a préparé une nouvelle proposition de modification de la concession, qui ne prévoit pas de prorogation de son terme et qui se trouve actuellement en phase d’examen. »
52 Dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure adoptée le 8 février 2021, le Tribunal a invité la Commission à préciser, le cas échéant après avoir consulté les autorités italiennes, si les termes de la lettre du 10 décembre 2020 devaient être compris comme signifiant que la prorogation de la concession d’Autostrade per l’Italia était définitivement abandonnée, en dépit du fait que la nouvelle proposition émanant dudit concessionnaire était toujours sous examen.
53 Par courrier du 26 février 2021, la Commission a transmis au Tribunal, notamment, un courriel daté du 10 février 2021, provenant du ministère des Infrastructures et des Transports italien (voir point 28 ci-dessus). Le courriel en question expose ce qui suit :
« Je confirme, à l’évidence, qu’est dépassée l’hypothèse d’une prorogation de la concession d’[Autostrade per l’Italia], pour laquelle une nouvelle proposition réaffirmant l’expiration initialement prévue en 2038 est actuellement en phase d’examen. »
54 Au demeurant, le courriel en question confirme qu’un nouveau contrat de concession a été signé en ce qui concerne les autoroutes A33 Asti – Cuneo et SATAP A4 Torino – Milano.
55 Enfin, à la suite d’une nouvelle mesure d’organisation de la procédure, par courrier du 29 mars 2021, la Commission a transmis au Tribunal une lettre du ministère des Infrastructures et de la Mobilité durables, datée du 26 mars 2021 (voir point 28 ci-dessus). Dans cette lettre, le ministère en question expose, notamment, que les actes additionnels concernant les concessions des autoroutes SATAP A4 Torino – Milano et Asti – Cuneo ont été finalisés et que leurs stipulations rendent obsolètes les circonstances faisant l’objet de la décision attaquée. Selon la même lettre, ces actes additionnels ne prévoient aucune prorogation des concessions des deux autoroutes en question, mais, en revanche, « confirment » que la première expire le 31 décembre 2026 et que la fin de la seconde est « rétablie » au 31 décembre 2031.
56 En ce qui concerne les autoroutes gérées par Autostrade per l’Italia, la lettre en question expose que les services instruisent, de manière concertée, la proposition de plan financier confirmant l’échéance de la concession à la date du 31 décembre 2038 et que cette proposition exclut une prorogation du contrat de concession au-delà de cette date, rendant à cet égard obsolète la décision attaquée.
57 Il ressort des éléments exposés aux points 51 à 56 ci-dessus, que la République italienne a abandonné de manière définitive le projet de prorogation des concessions litigieuses, prorogation qui constitue l’élément sur le fondement duquel la Commission a qualifié les mesures ayant fait l’objet de la décision attaquée d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir points 12 et 13 ci-dessus).
58 En effet, selon les informations fournies par la République italienne, s’agissant des autoroutes gérées par la Società Iniziative Autostradali e Servizi, un acte additionnel ne prévoyant pas de prorogation a déjà été signé et est entré en vigueur. Selon ledit acte additionnel, la concession de l’autoroute SATAP A4 Torino – Milano prendra fin le 31 décembre 2026, à savoir à la date initialement prévue. Selon le même acte additionnel, la concession de l’autoroute Asti – Cuneo prendra fin le 31 décembre 2031, à savoir bien avant son terme initial (voir point 8 ci-dessus).
59 S’agissant des autoroutes gérées par Autostrade per l’Italia, la République italienne a exposé que la présentation d’une proposition de révision fondée sur l’expiration de la concession le 31 décembre 2038 exclut toute prorogation de ladite concession au-delà de cette date, qui est celle ayant été initialement stipulée (voir point 6 ci-dessus).
60 Par conséquent, le gouvernement italien ayant définitivement abandonné le projet d’aide litigieux, l’annulation éventuelle, par le Tribunal, de la décision attaquée n’obligerait la Commission qu’à ouvrir une procédure formelle d’examen qui serait d’emblée privée de son objet, ce qui prive également d’objet le dépôt, par les requérantes, d’observations sur un projet qui n’est plus susceptible d’être mis en œuvre (voir points 47 et 48 ci-dessus).
61 De surcroît, il convient de relever que, ainsi que le fait observer la Commission dans son courrier du 14 décembre 2020, il ressort des paragraphes 23, 44 et 50 de la décision attaquée que la constatation de la compatibilité des mesures litigieuses avec le marché intérieur dépend de la condition que certains travaux envisagés commencent le 1er janvier 2020 au plus tard. En effet, selon la note en bas de page n° 30, appelée au paragraphe 50 de la décision attaquée, les accords projetés stipulaient que, si les travaux relatifs à l’autoroute A33 Asti – Cuneo ne commençaient pas avant le 1er janvier 2020, le plan concernant les autoroutes gérées par la Società Iniziative Autostradali e Servizi serait entièrement abandonné. De manière similaire, selon la même note en bas de page, si les travaux de construction de « la Gronda di Genova » et des interconnections des autoroutes A7/A10/A12 ne commençaient pas avant le 1er janvier 2020, l’extension de la concession d’Autostrade per l’Italia serait abandonnée dans son intégralité.
62 Ces clauses s’expliquent par le fait que, ainsi qu’il ressort, notamment, des paragraphes 44, 147, 151 et 152 de la décision attaquée, l’équilibre financier du projet litigieux dépend, notamment, du calcul de certains taux de retour sur investissement et de la prise en compte des conditions macroéconomiques actuelles. Ces facteurs reposent, à leur tour, sur des données susceptibles de varier au fil du temps. Ainsi, selon le paragraphe 160 de la décision attaquée, l’abandon automatique de la prorogation des concessions litigieuses dans les conditions prévues au paragraphe 50 de celle-ci (voir point 61 ci-dessus), constitue une mesure nécessaire pour éviter une surcompensation des concessionnaires.
63 Or, la Commission, qui, selon le paragraphe 51, sous a), deuxième tiret, de la décision attaquée, devrait être informée de l’avancement des travaux, affirme, dans son courrier du 14 décembre 2020, que les travaux dont l’exécution devait commencer le 1er janvier 2020 au plus tard n’ont pas été entamés, élément que les requérantes ne contestent pas.
64 Il ressort de ces constatations que la République italienne ne saurait prendre appui sur les conclusions de la Commission relatives, notamment, au caractère raisonnable du bénéfice résultant des mesures litigieuses et de l’absence de surcompensation, exposées aux paragraphes 151 à 165 de la décision attaquée (voir point 15, septième tiret, ci-dessus), au cas où elle déciderait à l’avenir de mettre en œuvre le projet litigieux en dépit du fait qu’elle affirme l’avoir abandonné. En effet, dès lors que la condition tenant au commencement avant le 1er janvier 2020 des travaux mentionnés au point 61 ci-dessus n’est pas satisfaite, un tel projet ne serait pas celui à l’égard duquel la Commission n’a pas soulevé d’objections en vertu de la décision attaquée.
65 Par conséquent, si la mesure que la République italienne envisagerait ultérieurement comportait l’octroi d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, une nouvelle notification à la Commission serait nécessaire conformément à l’article 2 du règlement 2015/1589, au regard de laquelle la Commission devrait exercer ses compétences en vertu de l’article 4 du même règlement.
66 C’est donc à juste titre que la Commission fait valoir, dans son courrier du 14 décembre 2020, que le projet litigieux ne peut pas et ne sera pas mis en œuvre par la République italienne tel qu’approuvé.
67 Les requérantes, pour leur part, avancent, en substance, quatre arguments à l’appui de leur conclusion selon laquelle elles continuent à justifier d’un intérêt à poursuivre l’annulation de la décision attaquée.
68 En particulier, premièrement, les requérantes avancent que la nouvelle proposition d’Autostrade per l’Italia n’a pas encore été approuvée par les autorités italiennes.
69 À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que, eu égard aux éléments relatés aux points 51 à 56 ci-dessus, la République italienne affirme que le fait pour Autostrade per l’Italia d’avoir introduit une nouvelle proposition fondée sur l’expiration de sa concession le 31 décembre 2038 exclut la prorogation de cette concession au-delà de cette date. En second lieu, et en tout état de cause, l’exclusion de cette prorogation découle du fait que les travaux relatifs à « la Gronda di Genova » et à l’autoroute A33 Asti – Cuneo n’ont pas commencé au 1er janvier 2020 (voir points 61 à 63 ci-dessus), ce que les requérantes ne contestent pas.
70 Deuxièmement, les requérantes font valoir que les autorités italiennes n’ont pas fourni d’explication détaillée concernant les nouveaux plans financiers, destinés à remplacer les mesures approuvées en vertu de la décision attaquée. En particulier, les autorités italiennes se seraient simplement référées au fait que les nouveaux plans ne prévoiraient pas de prorogation des concessions litigieuses, sans offrir d’explications au sujet du financement de l’autoroute A33 Asti – Cuneo à partir des recettes de l’autoroute SATAP A4 Torino – Milano ou au sujet de l’éventuelle indemnité de reprise à verser aux concessionnaires à la fin des concessions par l’éventuel nouveau concessionnaire et sans garantir qu’elles ne feraient pas « revivre » la prorogation des concessions litigieuses à l’avenir. Dans ces conditions, l’annulation de la décision attaquée empêcherait la Commission de répéter les erreurs identifiées par le recours litigieux si les nouveaux plans financiers renfermaient des mesures d’aide dont la compatibilité avec le marché intérieur dépendait des appréciations analogues à celles sous-tendant la décision attaquée.
71 Il convient de rappeler, à cet égard, que l’élément sur lequel la Commission a pris appui afin de qualifier les mesures en cause d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE est la prorogation des concessions litigieuses. En particulier, ce sont les recettes générées pendant la période correspondant à ladite prorogation qui, selon la Commission, constituent des ressources d’État conférant un avantage aux concessionnaires actuels (voir points 12, 13 et 50 ci-dessus). En outre, et en ce qui concerne, en particulier, le financement des travaux de l’autoroute A33 Asti – Cuneo, c’est à partir des recettes générées par la prorogation de la concession de l’autoroute SATAP A4 Torino – Milano que seraient financés ces travaux et c’est en tenant compte de ces recettes que serait calculée l’indemnité de reprise (voir points 10, 11 et 15, troisième tiret, ci-dessus).
72 Il s’ensuit que l’abandon de la prorogation des concessions litigieuses rend automatiquement obsolète l’analyse effectuée par la Commission dans la décision attaquée en ce qui concerne tant le caractère des mesures en cause en tant qu’aides d’État que leur compatibilité avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.
73 Dans ce contexte, la question de savoir si les nouveaux plans financiers constituent des mesures impliquant l’octroi d’aides d’État sous quelque forme que ce soit n’est susceptible d’être examinée qu’au sein d’une nouvelle procédure que la Commission serait, le cas échéant, appelée à entamer, à la suite d’une nouvelle notification de la part de la République italienne, conformément à l’article 108 TFUE et à l’article 4 du règlement 2015/1589. C’est dans le cadre d’une telle procédure que la Commission examinerait la compatibilité des mesures en cause avec le marché intérieur en tenant compte de toutes leurs caractéristiques pertinentes et apprécierait la nécessité d’ouvrir une procédure formelle d’examen conformément à l’article 4, paragraphe 4, et à l’article 6 du règlement 2015/1589.
74 Quant à l’argument pris de l’éventualité de voir la République italienne bénéficier de la décision attaquée en faisant revivre la prorogation des concessions litigieuses après la clôture de la présente affaire, celui-ci doit être écarté pour les motifs exposés aux points 61 à 65 ci-dessus.
75 Troisièmement, les requérantes font valoir que l’annulation de la décision attaquée obligerait la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen et à respecter, ainsi, leurs droits procéduraux. Toutefois, cet argument doit être écarté pour les motifs exposés aux points 47 à 60 ci-dessus.
76 Quatrièmement, les requérantes font valoir que la décision attaquée demeure en vigueur et est obligatoire au regard de tout litige portant sur les « mesures d’aide actuelles » ou sur des mesures futures, puisque seul le paramètre relatif à la prorogation des concessions litigieuses aurait été modifié.
77 À cet égard, il convient de rappeler que, pour les motifs exposés aux points 71 et 72 ci-dessus, la prorogation des concessions litigieuses ne constitue pas un simple paramètre des mesures examinées par la décision attaquée, mais l’élément qui, selon la Commission, justifie de qualifier ces mesures d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, l’abandon de la prorogation en question entraîne la disparition des « mesures d’aide actuelles » telles qu’elles ont été examinées par la Commission. Au demeurant, la nature de la décision attaquée, qui consiste à déclarer compatibles avec le marché intérieur les mesures examinées, exclut que celle-ci déploie un quelconque effet obligatoire au regard d’autres mesures d’aide devant faire l’objet d’un nouvel examen (voir point 73 ci-dessus).
78 Il s’ensuit que la présente affaire doit être distinguée des affaires invoquées par les requérantes dans le cadre desquelles le Tribunal a affirmé la persistance de l’intérêt à agir dans des circonstances substantiellement différentes.
79 Il s’agit en premier lieu, des cas dans lesquels la procédure formelle d’examen que la Commission est contrainte de lancer à l’issue de l’annulation de la décision adoptée après un examen préliminaire n’est pas, contrairement à la présente espèce, dépourvue d’objet, en raison du fait que la mesure litigieuse n’a aucunement été abandonnée (voir, en ce sens, arrêts du 19 juin 2019, Ja zum Nürburgring/Commission, T‑373/15, EU:T:2019:432, points 15, 83 et 90 à 92, et du 19 juin 2019, NeXovation/Commission, T‑353/15, EU:T:2019:434, points 14, 67 et 72 à 74). En effet, dans ces conditions, l’annulation de l’acte attaqué peut avoir pour effet d’obliger la Commission à inviter les parties intéressées à formuler leurs observations dans le cadre de la procédure formelle d’examen, qui, contrairement au cas de la présente espèce, n’est pas privée de son objet.
80 La présente affaire doit, en deuxième lieu, être distinguée des cas dans lesquels le recours tendant à l’annulation d’une décision devenue caduque met en cause la légalité ou l’interprétation de règles en vertu desquels a été adopté l’acte attaqué et qui sont susceptibles de s’appliquer à l’avenir dans le cadre des procédures auxquelles il est probable que la partie requérante prendra part. Dans une telle hypothèse, la partie requérante peut également conserver un intérêt à demander l’annulation d’un acte pour permettre d’éviter que l’illégalité dont celui-ci est prétendument entaché ne se reproduise à l’avenir (voir, en ce sens, arrêts du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92/78, EU:C:1979:53, point 32, et du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, EU:C:2007:322, points 45 à 60).
81 Or, cet intérêt à agir ne saurait exister que si l’illégalité alléguée est susceptible, ainsi que le précise la jurisprudence, de se reproduire à l’avenir « indépendamment des circonstances de l’affaire ayant donné lieu au recours formé par [la partie requérante] » (arrêt du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, EU:C:2007:322, point 52) ou « indépendamment des circonstances particulières de l’affaire en cause » (arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 48).
82 Ainsi, eu égard au caractère actuel et non hypothétique que doit revêtir l’intérêt à agir (voir point 37 ci-dessus), celui-ci peut être considéré comme établi lorsque le recours met en cause la validité ou l’interprétation des règles appliquées aux fins de l’adoption de l’acte attaqué (voir, en ce sens, arrêts du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92/78, EU:C:1979:53, point 32 ; du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, EU:C:2007:322, points 54 à 59, et du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, points 49 à 52).
83 En l’espèce, toutefois, les requérantes font valoir un intérêt à poursuivre l’annulation de la décision attaquée afin d’éviter que la Commission ne commette de nouveau les prétendues erreurs d’appréciation qui l’ont conduite à déclarer les mesures litigieuses comme étant compatibles avec le marché intérieur sans ouvrir la procédure formelle d’examen. Or, eu égard à la portée des moyens soulevés à l’appui du recours (voir points 32 à 35 ci-dessus), les prétendues erreurs en question concernent les appréciations effectuées par la Commission, qui sous-tendent la déclaration des mesures litigieuses comme compatibles avec le marché intérieur, appréciations qui visent précisément les circonstances particulières de l’espèce. Il s’ensuit que les erreurs d’appréciation soulevées ne se réfèrent manifestement pas à des illégalités susceptibles de se reproduire « indépendamment des circonstances de l’affaire ayant donné lieu au recours » au sens exposé aux points 81 et 82 ci-dessus.
84 En outre, si cet argument était considéré comme adéquat pour fonder le maintien de l’intérêt à agir dans des circonstances telles que celles de l’espèce, l’exigence tenant au caractère actuel et non hypothétique dudit intérêt (voir point 37 ci-dessus) serait vidée de son sens. En effet, dans ce cas, l’intérêt à éviter la répétition de toute prétendue illégalité soulevée dans le cadre d’un recours pourrait être utilement invoqué en toutes circonstances, y compris lorsque la partie requérante ne tirerait, comme en l’espèce, aucun bénéfice de l’annulation de l’acte attaqué (voir point 87 ci-après).
85 La présente affaire doit, en troisième et dernier lieu, être distinguée des cas dans lesquels, loin de devenir caduque, l’acte attaqué a produit des effets obligatoires auxquels la partie requérante, destinataire de celui-ci, s’est conformée, effets que l’institution défenderesse sera obligée d’anéantir en fonction des motifs d’annulation dudit acte (voir, en ce sens, arrêts du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T‑102/96, EU:T:1999:65, points 40 à 42 ; du 15 décembre 1999, Kesko/Commission, T‑22/97, EU:T:1999:327, points 55 à 64, et du 28 septembre 2004, MCI/Commission, T‑310/00, EU:T:2004:275, points 44 à 55).
86 Toutefois, en l’espèce, d’une part, le fait que les mesures litigieuses ont été abandonnées avant toute mise en œuvre exclut qu’elles aient produit des effets sur la situation concurrentielle des requérantes (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 27 avril 1995, ASPEC e.a./Commission, T‑435/93, EU:T:1995:79, points 29 et 30, et du 27 avril 1995, Casillo Grani/Commission, T‑443/93, EU:T:1995:81, points 7 et 8). D’autre part, ainsi qu’il a été exposé aux points 39 et 40 ci-dessus, l’intérêt à agir des requérantes ne consiste pas en l’anéantissement d’effets obligatoires engendrés par la décision attaquée, que ces dernières auraient subis, mais en la sauvegarde de droits procéduraux qu’elles seraient en position d’exercer à la suite de l’annulation de celle-ci. Or, pour les motifs exposés aux points 50 à 66 ci-dessus, l’annulation de la décision attaquée n’est pas susceptible de procurer aux requérantes le bénéfice qu’elles cherchent, à savoir la possibilité de faire valoir leurs observations dans le cadre d’une procédure formelle d’examen.
87 Il ressort de l’ensemble des appréciations qui précèdent que l’annulation de la décision attaquée n’est susceptible de procurer, par son résultat, aucun bénéfice aux requérantes.
88 Il n’y a donc plus lieu de statuer sur le recours (voir points 36 à 38 ci-dessus).
Sur les dépens
89 Aux termes de l’article 137 du règlement de procédure, en cas de non-lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens. Compte tenu du fait que la Commission a présenté les informations principales tenant à l’abandon du projet litigieux pour la première fois lors de l’audience, alors qu’elle était en leur possession à un stade antérieur, il y a lieu de décider que cette institution supportera, outre ses propres dépens, la moitié de ceux exposés par les requérantes et que ces dernières supporteront la moitié de leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Il n’y a plus lieu de statuer sur le recours introduit par INC SpA et par Consorzio Stabile Sis SCpA.
2) La Commission européenne supportera, outre ses propres dépens, la moitié des dépens exposés par INC et par Consorzio Stabile Sis.
3) INC et Consorzio Stabile Sis supporteront la moitié de leurs propres dépens.