CJUE, 4e ch., 16 septembre 2021, n° C-337/19 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission européenne
Défendeur :
Royaume de Belgique, Magnetrol International, Soudal NV, Esko-Graphics BVBA, Flir Systems Trading Belgium BVBA, Anheuser-Busch InBev SA/NV, Ampar BVBA, Atlas Copco Airpower NV, Atlas Copco AB, Wabco Europe BVBA, Celio International NV, Irlande
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Vilaras
Juges :
M. Piçarra, M. Šváby, M. Rodin, Mme Jürimäe (rapporteure)
Avocat général :
Me Kokott
Avocats :
Me Segura, Me Clayton, Me Gilliams, Me Goossens, Me Viaene, Me Verstraeten, Me Docclo, Me Reypens, Me von Bonin, Me Brouwer, Me Pliego Selie, Me Haelterman, Me Righini, Me Villani, Me Völcker, Me Papadimitriou
LA COUR (quatrième chambre),
1 Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 14 février 2019, Belgique et Magnetrol International/Commission (T‑131/16 et T‑263/16, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2019:91), par lequel celui-ci a annulé la décision (UE) 2016/1699 de la Commission, du 11 janvier 2016, relative au régime d’aides d’État concernant l’exonération des bénéfices excédentaires SA.37667 (2015/C) (ex 2015/NN) mis en œuvre par la Belgique (JO 2016, L 260, p. 61, ci-après la « décision litigieuse »).
2 Par son pourvoi incident, le Royaume de Belgique demande l’annulation partielle de l’arrêt attaqué dans la mesure où, par celui-ci, le Tribunal a écarté le premier moyen d’annulation.
Le cadre juridique
3 Aux termes de l’article 1er, sous d), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9) :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
d) “régime d’aides” : toute disposition sur la base de laquelle, sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaires, des aides peuvent être octroyées individuellement à des entreprises, définies d’une manière générale et abstraite dans ladite disposition et toute disposition sur la base de laquelle une aide non liée à un projet spécifique peut être octroyée à une ou plusieurs entreprises pour une période indéterminée et/ou pour un montant indéterminé ».
4 L’article 1er, sous e), de ce règlement définit une « aide individuelle » comme « une aide qui n’est pas accordée sur la base d’un régime d’aides, ou qui est accordée sur la base d’un régime d’aides, mais qui devrait être notifiée ».
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
5 Les faits à l’origine du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 1 à 28 de l’arrêt attaqué. Pour les besoins de la présente procédure, ils peuvent être résumés de la manière suivante.
Le droit belge
Le CIR 92
6 En Belgique, les règles relatives à l’imposition des revenus sont codifiées dans le code des impôts sur les revenus de 1992 (ci-après le « CIR 92 »). Selon l’article 1er, paragraphe 1, du CIR 92, est établi à titre d’impôt sur les revenus, notamment, un impôt sur le revenu global des sociétés résidentes, dénommé « impôt sur les sociétés ».
7 S’agissant spécifiquement de la base de l’impôt sur les sociétés, l’article 185 du CIR 92 prévoit que les sociétés sont imposables sur le montant total de leurs bénéfices, y compris les dividendes distribués.
La loi du 24 décembre 2002
8 L’article 20 de la loi du 24 décembre 2002, modifiant le régime des sociétés en matière d’impôts sur les revenus et instituant un système de décision anticipée en matière fiscale (Moniteur belge du 31 décembre 2002, p. 58815) (ci-après la « loi du 24 décembre 2002 »), prévoit que le service public fédéral Finances (SPF Finances) « se prononce par voie de décision anticipée sur toute demande relative à l’application des lois d’impôts ». En outre, la notion de « décision anticipée » est définie comme étant l’acte juridique par lequel le SPF Finances détermine conformément aux dispositions en vigueur comment la loi s’appliquera à une situation ou à une opération particulière qui n’a pas encore produit d’effets sur le plan fiscal. Par ailleurs, il est indiqué que la décision anticipée ne peut emporter exemption ou modération de l’impôt.
9 L’article 22 de la loi du 24 décembre 2002 prévoit qu’une décision anticipée ne peut être accordée, notamment, lorsque la demande a trait à des situations ou à des opérations identiques à celles ayant déjà produit des effets sur le plan fiscal en ce qui concerne le demandeur.
10 En outre, l’article 23 de la loi du 24 décembre 2002 dispose que, sauf dans les cas où l’objet de la demande le justifie, la décision anticipée est rendue pour un terme qui ne peut excéder cinq ans.
La loi du 21 juin 2004
11 Par la loi du 21 juin 2004, modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 et la loi du 24 décembre 2002 modifiant le régime des sociétés en matière d’impôts sur les revenus et instituant un système de décision anticipée en matière fiscale (Moniteur belge du 9 juillet 2004) (ci-après la « loi du 21 juin 2004 »), le Royaume de Belgique a introduit de nouvelles dispositions fiscales concernant les transactions transfrontalières d’entités liées au sein d’un groupe multinational, prévoyant notamment une correction des bénéfices soumis à l’impôt, dénommée « ajustement corrélatif ».
– L’exposé des motifs
12 Selon l’exposé des motifs figurant dans le projet de loi présenté par le gouvernement belge à la Chambre des députés (Belgique), d’une part, cette loi vise à adapter le CIR 92 afin d’y reprendre explicitement le principe de pleine concurrence, généralement accepté au niveau international. D’autre part, elle vise à modifier la loi du 24 décembre 2002 afin d’accorder au service des décisions anticipées en matière fiscale (SDA) la compétence pour adopter ces décisions. Le principe de pleine concurrence est introduit dans la législation fiscale belge par l’addition d’un paragraphe 2 à l’article 185 du CIR 92, lequel est fondé sur le texte de l’article 9 de la convention-modèle de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) concernant l’impôt sur le revenu et la fortune. L’objectif de l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92 est d’assurer que la base imposable des sociétés assujetties à l’impôt en Belgique puisse être adaptée par des corrections sur les bénéfices résultant de transactions transfrontalières intragroupes, lorsque les prix de transfert appliqués ne reflètent pas les mécanismes de marché et le principe de pleine concurrence. En outre, la notion d’« ajustement approprié », introduite à l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, est justifiée aux fins d’éviter ou de supprimer une double imposition. Par ailleurs, il est indiqué que cet ajustement doit s’effectuer au cas par cas sur la base des éléments disponibles qui sont fournis, notamment, par le contribuable et qu’il n’y a lieu de procéder à un ajustement corrélatif que si les autorités fiscales belges estiment que l’ajustement primaire réalisé dans un autre État est justifié dans son principe et son montant.
– L’article 185, paragraphe 2, du CIR 92
13 L’article 185, paragraphe 2, du CIR 92 dispose ce qui suit :
« [...] [P]our deux sociétés faisant partie d’un groupe multinational de sociétés liées et en ce qui concerne leurs relations transfrontalières réciproques :
a) lorsque les deux sociétés sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions convenues ou imposées qui diffèrent de celles qui seraient convenues entre des sociétés indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient été réalisés par l’une des sociétés, mais n’ont pu l’être à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette société ;
b) lorsque, dans les bénéfices d’une société sont repris des bénéfices qui sont également repris dans les bénéfices d’une autre société, et que les bénéfices ainsi inclus sont des bénéfices qui auraient été réalisés par cette autre société si les conditions convenues entre les deux sociétés avaient été celles qui auraient été convenues entre des sociétés indépendantes, les bénéfices de la première société sont ajustés d’une manière appropriée. »
La circulaire administrative du 4 juillet 2006
14 La circulaire du 4 juillet 2006 sur l’application du principe de pleine concurrence (ci-après la « circulaire administrative du 4 juillet 2006 ») a été envoyée aux fonctionnaires de l’administration générale de la fiscalité (Belgique), au nom du ministre des Finances, afin de commenter notamment l’insertion d’un paragraphe 2 à l’article 185 du CIR 92 et l’adaptation correspondante de ce code. La circulaire administrative du 4 juillet 2006 souligne que ces modifications, en vigueur depuis le 19 juillet 2004, visent à transposer dans le droit fiscal belge le principe de pleine concurrence et constituent le fondement juridique permettant, eu égard à ce principe, d’ajuster le bénéfice imposable résultant de relations transfrontalières intragroupes entre sociétés liées faisant partie d’un groupe multinational.
15 Ainsi, d’une part, la circulaire administrative du 4 juillet 2006 indique que l’ajustement positif prévu à l’article 185, paragraphe 2, sous a), du CIR 92 permet une majoration des bénéfices de la société résidente faisant partie d’un groupe multinational pour y inclure des bénéfices que la société résidente aurait dû réaliser à l’occasion d’une transaction donnée dans un contexte de pleine concurrence.
16 D’autre part, la circulaire administrative du 4 juillet 2006 indique que l’ajustement corrélatif négatif, prévu à l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, a pour but d’éviter ou de supprimer une double imposition. Il est indiqué qu’aucun critère ne peut être établi à cet effet, dans la mesure où cet ajustement doit s’effectuer au cas par cas sur la base des éléments disponibles qui sont fournis, notamment, par le contribuable. En outre, il est signalé qu’il n’y a lieu de procéder à un ajustement corrélatif que si les autorités fiscales belges ou le SDA estiment que l’ajustement est justifié dans son principe et son montant. Par ailleurs, il est précisé que l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 ne s’applique pas si le bénéfice réalisé dans l’État partenaire est majoré, de telle façon qu’il est supérieur à celui qui serait obtenu en cas d’application du principe de pleine concurrence.
Les réponses du ministre des Finances à des questions parlementaires sur l’application de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92
17 Le 13 avril 2005, en réponse à des questions parlementaires concernant l’exonération des bénéfices excédentaires, le ministre des Finances a, tout d’abord, confirmé que l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 visait la situation dans laquelle une décision anticipée était prise à propos d’une méthode visant à parvenir à un bénéfice de pleine concurrence. Ensuite, il a confirmé que les bénéfices apparaissant dans les rapports financiers belges d’un groupe international présent en Belgique et qui dépassaient les bénéfices de pleine concurrence ne devaient pas être pris en compte dans la détermination du bénéfice fiscal belge. Enfin, il a validé la position selon laquelle il n’appartenait pas aux autorités fiscales belges de déterminer dans les bénéfices de quelles entreprises étrangères ce bénéfice supplémentaire devait être repris.
18 Le 11 avril 2007, en réponse à une nouvelle série de questions parlementaires relatives à l’application de l’article 185, paragraphe 2, sous a) et b), du CIR 92, le ministre des Finances a déclaré que seules des demandes d’ajustement négatif avaient été reçues à ce stade. En outre, il a précisé que, pour la détermination de la méthode visant à établir le bénéfice de pleine concurrence de l’entité belge, dans le cadre des décisions anticipées, il était tenu compte des fonctions qui seraient exercées, des risques qui seraient supportés et des actifs qui seraient affectés à des activités qui n’avaient pas encore eu d’incidence fiscale en Belgique. Ainsi, le bénéfice démontré en Belgique au moyen des rapports financiers belges du groupe multinational et qui excéderait le bénéfice de pleine concurrence ne devrait pas être inclus dans le bénéfice fiscal imposable en Belgique. Enfin, le ministre des Finances a indiqué que, dans la mesure où il n’appartenait pas au fisc belge de déterminer à quelles sociétés étrangères le bénéfice supplémentaire devait être attribué, il n’était pas possible d’échanger des informations avec des administrations fiscales étrangères à cet égard.
19 Enfin, le 6 janvier 2015, le ministre des Finances a confirmé que le principe à la base des décisions anticipées était d’imposer le bénéfice qui correspondait à un bénéfice de pleine concurrence pour l’entreprise concernée et a validé les réponses données par son prédécesseur, le 11 avril 2007, quant au fait que le fisc belge n’avait pas à décider à quelle société étrangère le bénéfice excédentaire non imposé en Belgique devait être attribué.
La décision litigieuse
20 Par la décision litigieuse, la Commission a constaté que les exonérations accordées par le Royaume de Belgique par la voie de décisions anticipées, fondées sur l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, constituaient un régime d’aides, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui était incompatible avec le marché intérieur et qui avait été mis à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. La Commission a ordonné la récupération des aides ainsi octroyées auprès des bénéficiaires, dont la liste définitive devait être ultérieurement établie par le Royaume de Belgique.
21 En premier lieu, s’agissant de l’appréciation de la mesure d’aide (considérants 94 à 110 de la décision litigieuse), la Commission a estimé que la mesure en cause constituait un régime d’aides, fondé sur l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, tel qu’appliqué par les autorités fiscales belges. Cette application aurait été expliquée dans l’exposé des motifs de la loi du 21 juin 2004, la circulaire administrative du 4 juillet 2006 et les réponses du ministre des Finances à des questions parlementaires relatives à l’application de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92. Ces actes constituaient, selon la Commission, la base sur laquelle les exonérations en cause avaient été accordées. En outre, la Commission a considéré que ces exonérations avaient été accordées sans que l’adoption de mesures d’application des dispositions de base aient été nécessaires, les décisions anticipées ne constituant que des modalités techniques d’application du régime en cause. Par ailleurs, la Commission a relevé que les bénéficiaires des exonérations en cause étaient définis « de manière générale et abstraite » par les dispositions à la base de ce régime. En effet, celles-ci visaient les entités qui faisaient partie d’un groupe multinational de sociétés.
22 En deuxième lieu, s’agissant des conditions d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (considérants 111 à 117 de la décision litigieuse), premièrement, la Commission a indiqué que l’exonération des bénéfices excédentaires relevait d’une intervention de l’État, imputable à celui-ci, et donnait lieu à une perte de ressources d’État, dans la mesure où cette exonération entraînait une réduction de l’impôt dû en Belgique par les entreprises bénéficiant du régime en cause. Deuxièmement, elle a considéré que ce régime était susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, dans la mesure où il avait bénéficié à des sociétés multinationales exerçant leurs activités dans plusieurs États membres. Troisièmement, la Commission a souligné que ledit régime libérait les entreprises bénéficiaires d’une charge qu’elles auraient normalement dû supporter et que, en conséquence, le même régime faussait ou menaçait de fausser la concurrence en renforçant la position financière de ces entreprises. Quatrièmement, la Commission a considéré que le régime en cause procurait un avantage sélectif aux entités belges en ne bénéficiant ainsi qu’aux groupes multinationaux d’entreprises auxquels ces entités appartenaient.
23 En troisième lieu, la Commission a considéré que les mesures en cause constituaient des aides au fonctionnement et étaient, partant, incompatibles avec le marché intérieur. En outre, ces mesures n’ayant pas été notifiées à la Commission en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, elles constitueraient des aides illégales (considérants 189 à 194 de la décision litigieuse).
24 En ce qui concerne la récupération des aides (considérants 195 à 211 de la décision litigieuse), la Commission a relevé que le Royaume de Belgique ne saurait invoquer ni le principe de protection de la confiance légitime ni le principe de sécurité juridique, pour se soustraire à son obligation de récupérer les aides incompatibles accordées illégalement et que les montants à récupérer pouvaient être calculés, pour chaque bénéficiaire, sur la base de la différence entre l’impôt qui aurait été dû, sur la base du bénéfice réellement enregistré, et l’impôt effectivement payé en vertu de la décision anticipée.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
25 Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 22 mars et 25 mai 2016, le Royaume de Belgique et Magnetrol International ont introduit des recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
26 Le Tribunal a décidé de joindre les affaires T‑131/16, Belgique/Commission, et T‑263/16, Magnetrol International/Commission, aux fins de la phase orale de la procédure et de la décision mettant fin à l’instance, conformément à l’article 68, paragraphe 2, de son règlement de procédure.
27 À l’appui de son recours en annulation, le Royaume de Belgique a soulevé cinq moyens. Le premier était tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 6, TFUE et de l’article 5, paragraphes 1 et 2, TUE, en ce que la Commission aurait interféré avec la compétence fiscale du Royaume de Belgique. Le deuxième était tiré d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation, en ce que la Commission aurait qualifié à tort les mesures en cause de régime d’aides. Ce moyen était divisé en deux branches visant à contester, pour la première, l’identification des actes sur lesquels se fonde le régime en cause et, pour la seconde, la considération relative à l’absence de mesures d’application supplémentaires. Le troisième était tiré de la violation de l’article 107 TFUE, en ce que la Commission a considéré que le système d’exonération des bénéfices excédentaires constituait une mesure d’aide d’État. Le quatrième était tiré de l’erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission quant à l’identification des bénéficiaires de la prétendue aide. Le cinquième, invoqué à titre subsidiaire, était tiré de la violation du principe général de légalité et de l’article 16, paragraphe 1, du règlement 2015/1589, en ce que la décision litigieuse ordonne la récupération auprès des groupes multinationaux auxquels appartiennent les entités belges ayant obtenu une décision anticipée.
28 À l’appui de son recours en annulation, Magnetrol International a soulevé quatre moyens. Le premier était tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, d’un abus de pouvoir et d’un défaut de motivation dans la mesure où, dans la décision litigieuse, la Commission a constaté l’existence d’un régime d’aides. Le deuxième moyen était tiré d’une violation de l’article 107 TFUE ainsi que de l’obligation de motivation et d’une erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où, dans la décision litigieuse, la Commission a qualifié le régime en cause de mesure sélective. Le troisième moyen était tiré d’une violation de l’article 107 TFUE ainsi que de l’obligation de motivation et d’une erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où, dans la décision litigieuse, la Commission a considéré que ce régime faisait naître un avantage. Le quatrième moyen, soulevé à titre subsidiaire, était tiré d’une violation de l’article 107 TFUE, d’une violation du principe de protection de la confiance légitime, d’une erreur manifeste d’appréciation, d’un abus de pouvoir et d’un défaut de motivation, en ce qui concerne la récupération de l’aide ordonnée dans la décision litigieuse, l’identification des bénéficiaires ainsi que le montant à récupérer.
29 Dans l’arrêt attaqué, en premier lieu, le Tribunal a examiné les moyens soulevés par le Royaume de Belgique et Magnetrol International, tirés, en substance, d’une méconnaissance par la Commission de ses compétences en matière d’aides d’État et d’une ingérence dans les compétences exclusives du Royaume de Belgique en matière de fiscalité directe (premier moyen dans l’affaire T‑131/16 et première branche du troisième moyen dans l’affaire T‑263/16). Au point 74 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté ces moyens comme étant non fondés.
30 En deuxième lieu, le Tribunal a examiné les moyens soulevés par le Royaume de Belgique et Magnetrol International, tirés, en substance, de la conclusion erronée de la Commission relative à l’existence d’un régime d’aides, au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, notamment du fait de l’identification incorrecte des actes sur la base desquels se fonderait le régime en cause et de la considération erronée selon laquelle ce régime ne requiert pas de mesures d’application supplémentaires (deuxième moyen dans l’affaire T‑131/16 et premier moyen dans l’affaire T‑263/16).
31 Aux points 86 à 88 de l’arrêt attaqué, tout d’abord, le Tribunal a rappelé les éléments définissant la notion de « régime d’aides », visée à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589. Ensuite, premièrement, il a examiné, aux points 90 à 98 de cet arrêt, si les éléments essentiels du régime en cause ressortaient des dispositions que la Commission a identifiées comme étant le fondement de ce régime, aux fins de déterminer notamment si les aides individuelles étaient accordées sans l’intervention de mesures d’application supplémentaires. Deuxièmement, aux points 99 à 113 dudit arrêt, le Tribunal a analysé si, lors de l’adoption des décisions anticipées conditionnant l’absence d’imposition des bénéfices excédentaires, les autorités fiscales belges disposaient d’un pouvoir d’appréciation leur permettant d’influer sur le montant de l’exonérations des bénéfices excédentaires, les éléments essentiels dudit régime et les conditions dans lesquelles cette exonération était octroyée. Troisièmement, aux points 114 à 119 du même arrêt, le Tribunal a évalué si les actes fondant le même régime définissaient les bénéficiaires « de manière générale et abstraite ».
32 Au terme de cette analyse, le Tribunal a constaté, au point 120 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait erronément conclu que le régime d’exonération des bénéfices excédentaires, tel que défini dans la décision litigieuse, ne nécessitait pas de mesures d’application supplémentaires et que ce régime constituait, partant, un « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589. Aux points 121 à 132 de cet arrêt, le Tribunal a en outre écarté les arguments de la Commission tirés de l’existence d’une prétendue « ligne systématique de conduite » des autorités fiscales belges qu’elle aurait identifiée au travers de l’examen de 22 décisions anticipées sur les 66 décisions existantes relatives à l’exonération des bénéfices excédentaires et a considéré que ces arguments ne remettaient pas en cause la conclusion formulée à ce point 120.
33 Partant, au point 136 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli les moyens soulevés par le Royaume de Belgique et Magnetrol International, tiré de la violation de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589. Par conséquent, sans qu’il ait estimé nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés contre la décision litigieuse, le Tribunal a annulé cette décision dans son ensemble.
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
34 Par son pourvoi, la Commission demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué dans la mesure où il conclut que la décision litigieuse a qualifié à tort le système d’exonération des bénéfices excédentaires de « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 ;
– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il se prononce sur les moyens qui n’ont pas été examinés, et
– de réserver les dépens de la procédure de première instance et de pourvoi.
35 Le Royaume de Belgique ainsi que Magnetrol International et les intervenantes au pourvoi concluent au rejet du pourvoi et à la condamnation de la Commission aux dépens.
36 L’Irlande, partie intervenante en première instance, n’a pas souhaité participer à la procédure devant la Cour.
37 Par ordonnances du président de la Cour du 15 octobre 2019, Soudal NV, Esko-Graphics BVBA, Flir Systems Trading Belgium BVBA, Anheuser-Busch InBev SA/NV, Ampar BVBA, Atlas Copco Airpower NV, Atlas Copco AB, Wabco Europe BVBA et Celio International NV (ci-après, ensemble, les « intervenantes au pourvoi ») ont été admises à intervenir au soutien des conclusions de Magnetrol International.
38 Par son pourvoi incident, le Royaume de Belgique demande à la Cour :
– d’annuler partiellement l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal a écarté le premier moyen d’annulation soulevé par cet État membre et de statuer sur ce moyen ;
– de confirmer l’arrêt attaqué en ce qu’il annule la décision litigieuse, et
– de condamner la Commission aux dépens exposés dans le cadre du pourvoi incident.
39 La Commission conclut au rejet du pourvoi incident.
Sur le pourvoi
Sur la recevabilité
Argumentation des parties
40 Le Royaume de Belgique et Magnetrol International, soutenue par les intervenantes au pourvoi, font valoir, en substance, que le pourvoi formé par la Commission est irrecevable.
41 En premier lieu, Magnetrol International, soutenue à cet égard par Soudal, Esko-Graphics et par Wabco Europe, estime que, telles que formulées, les conclusions de ce pourvoi visent à demander l’annulation de l’arrêt attaqué uniquement dans la mesure où le Tribunal a conclu que la Commission avait erronément qualifié le système de l’exonération des bénéfices excédentaires de « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589. La Commission aurait demandé ainsi une annulation partielle d’une partie indivisible du dispositif de l’arrêt attaqué, de telle sorte que ces conclusions seraient irrecevables.
42 En deuxième lieu, le Royaume de Belgique, Soudal, Esko-Graphics et Flir Systems Trading Belgium estiment que, par ledit pourvoi, la Commission demande à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des faits, sans pour autant invoquer d’éléments démontrant une quelconque dénaturation de ces faits. En outre, l’argumentation de la Commission se fonderait sur des faits nouveaux, qui viseraient, notamment, à réécrire a posteriori la décision litigieuse.
43 En troisième lieu, le Royaume de Belgique, Soudal et Esko-Graphics soutiennent que la Commission n’a pas indiqué avec suffisamment de précision en quoi consiste l’erreur commise par le Tribunal dans l’interprétation de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589.
44 La Commission conteste cette argumentation et fait valoir que le pourvoi est recevable.
Appréciation de la Cour
45 S’agissant, en premier lieu, du grief tiré de l’irrecevabilité des conclusions du pourvoi, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 169, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, « [l]es conclusions du pourvoi tendent à l’annulation, totale ou partielle, de la décision du Tribunal, telle qu’elle figure au dispositif de cette décision ».
46 Cette disposition vise le principe fondamental en matière de pourvoi selon lequel celui–ci doit être dirigé contre le dispositif de la décision du Tribunal et ne peut se limiter à viser la modification de certains motifs de cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission, C‑122/16 P, EU:C:2017:861, point 51 et jurisprudence citée).
47 En l’espèce, contrairement à ce que Magnetrol International fait valoir en substance, les conclusions de la Commission devant la Cour, telles qu’elles sont reproduites au point 34, premier tiret, du présent arrêt, visent l’annulation intégrale, et non partielle, de l’arrêt attaqué. En effet, en accueillant les moyens soulevés par le Royaume de Belgique et Magnetrol International, tirés d’une qualification erronée du système des bénéfices excédentaires en tant que « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, le Tribunal a prononcé l’annulation de la décision litigieuse et c’est le point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué que la Commission conteste dans le pourvoi.
48 Dans ces conditions, il convient d’écarter ce grief.
49 En second lieu, l’argumentation selon laquelle le pourvoi tend à demander à la Cour de réexaminer des constatations de faits effectuées par le Tribunal ne saurait prospérer.
50 En effet, d’une part, par son moyen unique de pourvoi, la Commission soulève des questions de droit, relatives à l’interprétation par le Tribunal de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, afin de contester le bien–fondé de la solution juridique retenue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué, notamment en ce que celui-ci a considéré que le système de l’exonération des bénéfices excédentaires ne satisfaisait pas les conditions pour être qualifié de « régime d’aides », au sens de cette disposition. Par conséquent, l’argumentation qu’elle développe à cet égard dans le cadre des quatre branches de ce moyen unique est recevable.
51 D’autre part, dans le cadre dudit moyen unique, la Commission fait également valoir que le Tribunal a procédé à une dénaturation de plusieurs considérants de la décision litigieuse, notamment en ce qu’il aurait méconnu que la Commission y a constaté que le système des bénéfices excédentaires était fondé sur une pratique administrative constante des autorités fiscales belges, consistant en une application contra legem systématique de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92.
52 Or, une telle argumentation qui porte en définitive sur l’interprétation par le Tribunal de la décision litigieuse et qui, au demeurant, se fonde sur une dénaturation par celui-ci des faits et des éléments de preuve invoqués par la Commission doit être considérée comme étant recevable.
53 En outre, cette argumentation vise également les points 121 à 134 de l’arrêt attaqué par lesquels le Tribunal s’est prononcé sur le point de savoir si la Commission avait prouvé, à suffisance de droit, l’existence de la pratique administrative constante visée au point 51 du présent arrêt et qui, selon elle, permettait de conclure que le système de l’exonération des bénéfices excédentaires était constitutif d’un « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589. Or, l’examen d’une telle question qui porte sur la motivation de la décision litigieuse ainsi que sur les principes régissant la preuve est recevable au stade du pourvoi.
54 En troisième lieu, il y a également lieu d’écarter le grief tiré de l’imprécision du pourvoi.
55 En effet, au vu de ce qui précède, il suffit de constater qu’il ressort clairement du pourvoi que la Commission soutient que le Tribunal a interprété de manière erronée les conditions fixées à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 et qu’il a dénaturé certains considérants de la décision litigieuse. À cet égard, elle identifie précisément non seulement ces considérants, mais également les points de l’arrêt attaqué qu’elle entend critiquer, de telle sorte que ce grief doit être écarté.
56 Il résulte de ce qui précède que le pourvoi est recevable.
57 Pour le surplus, en ce que le Royaume de Belgique et Magnetrol International, soutenue par les intervenantes au pourvoi, font valoir que ce pourvoi se fonderait sur des faits nouveaux ou viseraient à réécrire la décision litigieuse, ces arguments sont, pour autant que de besoin, examinés dans le cadre de l’appréciation du bien-fondé dudit pourvoi.
Sur le fond
Observations liminaires
58 Le moyen unique soulevé par la Commission porte sur des erreurs commises par le Tribunal dans l’interprétation de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, lequel définit un « régime d’aides ».
59 Aux termes de cette disposition, un « régime d’aides » doit notamment s’entendre comme toute disposition sur la base de laquelle, sans qu’il soit besoin d’adopter des mesures d’application supplémentaires, des aides peuvent être octroyées individuellement à des entreprises, définies d’une manière générale et abstraite dans ladite disposition.
60 Ainsi, la qualification d’une mesure étatique en tant que régime d’aides présuppose la réunion de trois conditions cumulatives. Premièrement, des aides peuvent être octroyées individuellement à des entreprises sur le fondement d’une disposition. Deuxièmement, aucune mesure d’application supplémentaire n’est requise pour l’octroi de ces aides. Troisièmement, les entreprises auxquelles les aides individuelles peuvent être octroyées doivent être définies « de manière générale et abstraite ».
61 Le moyen unique de la Commission est divisé en quatre branches. En substance, les trois premières de ces branches visent respectivement les trois conditions définissant un « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589. La quatrième branche porte sur une méconnaissance par le Tribunal de la ratio legis de cette disposition.
Sur la première branche
– Argumentation des parties
62 Par la première branche de son moyen unique, la Commission fait valoir que le Tribunal a procédé à une interprétation et à une application erronées de la première condition prévue à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589. Cette interprétation l’aurait conduit à dénaturer les considérants 94 à 110 de la décision litigieuse en concluant, aux points 84, 90 à 120 et 125 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait considéré que seuls les actes normatifs visés au considérant 99 de cette décision constituaient la base du régime en cause.
63 Selon la Commission, il ressort des considérants 94 à 110 de ladite décision qu’elle a considéré que ce régime était fondé sur la pratique administrative constante des autorités fiscales belges consistant à appliquer systématiquement, et de manière contra legem, l’article 185, paragraphe 2, du CIR 92.
64 S’agissant du terme « disposition », employé à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, la Commission estime, en premier lieu, que, en dépit des divergences existant entre les différentes versions linguistiques de ce règlement, ce terme permet d’englober une pratique administrative constante des autorités d’un État membre. La jurisprudence de la Cour, issue de l’arrêt du 13 avril 1994, Allemagne et Pleuger Worthington/Commission (C‑324/90 et C‑342/90, EU:C:1994:129, points 14 et 15), plaiderait en faveur d’une telle interprétation.
65 Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait retenu une interprétation restrictive dudit terme qui l’aurait conduit à examiner le système de l’exonération des bénéfices excédentaires en opérant une distinction erronée entre, d’une part, la pratique administrative constitutive de ce régime et, d’autre part, les dispositions normatives qui en sont le fondement. Or, il aurait dû analyser si ce système constituait un « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, en ce qu’il était fondé sur la pratique administrative constante des autorités fiscales belges consistant en une application contra legem systématique de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92.
66 En deuxième lieu, il ressortirait, à suffisance de droit, des considérants 94 à 110 de la décision litigieuse que la Commission a appréhendé le système de l’exonération des bénéfices excédentaires comme reposant sur une telle pratique administrative constante. Pour cette raison, la Commission aurait établi à plusieurs reprises une distinction entre, d’une part, les décisions anticipées relatives aux bénéfices excédentaires fondés, conformément à cette pratique administrative constante, sur une application contra legem systématique de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 et donnant lieu à un régime d’aides d’État et, d’autre part, les décisions anticipées accordées dans le respect de cette disposition et ne donnant lieu à aucune aide d’État.
67 En troisième lieu, les motifs figurant aux considérants 94 à 110 de la décision litigieuse devraient être évalués à la lumière du contexte dans lequel cette décision a été adoptée, à savoir la décision de la Commission du 3 février 2015 dans l’affaire SA.37667 (2015/C) (ex 2015/NN) sur le système belge de décisions fiscales anticipées relatives aux bénéfices excédentaires – Article 185, paragraphe 2, sous b), du Code des impôts sur les revenus 1992 (« CIR 92 ») – Invitation à présenter des observations en application de l’article [108, paragraphe 2, TFUE] (JO 2015, C 188, p. 24, ci-après la « décision d’ouverture »). Il ressortirait clairement de la décision d’ouverture que la Commission aurait toujours considéré que le système d’exonération des bénéfices excédentaires reposait sur une pratique administrative constante consistant en une application erronée de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 et des règles juridiques régissant la matière concernée.
68 Le Royaume de Belgique fait valoir que la première branche du moyen unique de pourvoi est dénuée de fondement.
69 Magnetrol International, soutenue par les intervenantes au pourvoi, est d’avis que, par cette première branche, la Commission tend à modifier a posteriori la motivation de la décision litigieuse et effectue une lecture erronée de l’arrêt attaqué.
70 À titre subsidiaire, ces parties font valoir que, pour démontrer l’existence d’un « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, la Commission ne peut invoquer une « ligne systématique de conduite » des autorités d’un État membre que lorsqu’elle n’identifie aucun acte juridique susceptible de fonder le régime en cause. Une telle interprétation serait confortée par la jurisprudence de la Cour visée aux points 79 et 122 de l’arrêt attaqué. Or, en l’espèce, les considérants 97 à 99 de la décision litigieuse identifieraient de tels actes juridiques en tant que fondement du régime en cause. Ainsi, la Commission ne pourrait se fonder sur une « ligne systématique de conduite » pour conclure à l’existence d’un tel régime.
– Appréciation de la Cour
71 Dans la mesure où la Commission reproche au Tribunal d’avoir procédé à une interprétation erronée de la première condition prévue à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, il convient de déterminer, en premier lieu, si, comme elle le fait valoir, une disposition fiscale d’un État membre doit être considérée comme étant une « disposition », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, lorsqu’elle fait l’objet d’une application contra legem systématique par les autorités fiscales de cet État membre et, dans l’hypothèse d’une telle application, s’il y a lieu de tenir compte de la pratique administrative constante de ces autorités dans le cadre de l’identification des actes constitutifs du régime d’aides se fondant sur cette disposition fiscale.
72 S’agissant, premièrement, de la portée du terme « disposition », visé à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, il y a lieu de relever que, conformément au libellé de cet article 1er, ce terme renvoie à toute disposition sur la base de laquelle, sans qu’il soit besoin d’adopter des mesures d’application supplémentaires, des aides peuvent être octroyées individuellement à des entreprises.
73 À cet égard, il convient de souligner que l’interprétation littérale dudit article 1er ne permet pas de déterminer si le terme « disposition » est susceptible de recouvrir un régime caractérisé, selon la Commission, par une application contra legem systématique d’une disposition fiscale d’un État membre par les autorités fiscales de cet État membre dans le cadre d’une pratique administrative constante. En effet, ainsi que la Commission le fait valoir, les différentes versions linguistiques de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 utilisent des termes divergents, lesquels sont, selon le cas, susceptibles ou non de recouvrir une telle pratique administrative.
74 Or, selon une jurisprudence constante de la Cour, aux fins d’assurer une interprétation et une application uniformes d’un même texte dont la version dans une langue de l’Union diverge de celles établies dans les autres langues, la disposition en cause doit être interprétée en fonction du contexte et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêt du 12 septembre 2019, Commission/Kolachi Raj Industrial, C‑709/17 P, EU:C:2019:717, point 88 et jurisprudence citée).
75 Ainsi, s’agissant, deuxièmement, du contexte dans lequel s’inscrit l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, il y a lieu de relever que la notion de « régime d’aides » se distingue de la notion d’« aide individuelle », visée à l’article 1er, sous e), de ce règlement.
76 À la différence d’une aide individuelle, qui concerne une mesure d’aide d’État nécessitant un examen individuel au regard des critères visés à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, le recours à la notion de « régime d’aides » permet à la Commission d’examiner, à la lumière de cette disposition, un ensemble d’aides octroyées individuellement à des entreprises sur le fondement d’une disposition commune qui en constitue, en principe, la base juridique.
77 À cet égard, le Tribunal a rappelé à bon droit, au point 78 de l’arrêt attaqué, que, dans le cas d’un régime d’aides, la Commission peut se limiter à étudier ses caractéristiques pour apprécier, dans les motifs de la décision en cause, si, en raison des modalités que ce régime prévoit, celui-ci assure un avantage sensible aux bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter essentiellement à des entreprises qui participent aux échanges entre États membres. Ainsi, dans une décision qui porte sur un tel régime, la Commission n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un tel régime. Ce n’est qu’au stade de la récupération des aides qu’il est nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée.
78 Il en découle que le terme « disposition », figurant à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, désigne les actes constitutifs d’un régime d’aides à partir desquels il est possible d’identifier les caractéristiques essentielles nécessaires à sa qualification en tant que mesure d’aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
79 Si, en règle générale, ce terme est susceptible de désigner les actes qui constituent la base juridique du régime d’aides, il ne saurait être exclu, comme le Tribunal l’a d’ailleurs relevé, qu’il puisse, dans certaines circonstances, également renvoyer à une pratique administrative constante des autorités d’un État membre, lorsque cette pratique révèle une « ligne systématique de conduite », dont les caractéristiques répondent aux exigences prévues à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589.
80 À cet égard, au point 79 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est référé, à juste titre, aux points 14 et 15 de l’arrêt du 13 avril 1994, Allemagne et Pleuger Worthington/Commission (C‑324/90 et C‑342/90, EU:C:1994:129), pour souligner que la Cour a jugé que, dans le cadre de l’examen d’un régime d’aides et, en l’absence d’une base légale instituant un tel régime d’aides, la Commission peut se fonder sur un ensemble de circonstances de nature à déceler l’existence, en fait, d’un régime d’aides.
81 Contrairement à ce que fait valoir notamment Magnetrol International, soutenue, à ce titre, par les intervenantes au pourvoi, il ne ressort aucunement de cet arrêt de la Cour que la possibilité pour la Commission de déceler l’existence, en fait, d’un régime d’aides soit limitée à la situation dans laquelle il n’existe aucune disposition légale fondant ce régime. Au contraire, les enseignements issus dudit arrêt de la Cour permettent de conclure que, a fortiori, une telle possibilité est offerte lorsque le régime d’aides résulte, ainsi que la Commission l’allègue en l’espèce, de l’application contra legem systématique d’une disposition fiscale d’un État membre par les autorités fiscales de cet État membre dans le cadre d’une pratique administrative constante.
82 En effet, la prise en compte d’une telle pratique administrative, dans le cadre de la détermination de la « disposition » constitutive d’un régime d’aides, au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, permet de révéler la portée réelle de cette disposition fiscale qui ne pourrait autrement être appréhendée sur la seule base de ladite disposition.
83 Troisièmement, une telle interprétation du terme « disposition » est confortée par l’objectif poursuivi par le règlement 2015/1589 qui vise à définir les modalités du contrôle relatif aux aides d’État prévu à l’article 108 TFUE.
84 En effet, l’effet utile des règles en matière d’aides d’État serait considérablement réduit si le terme « disposition », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, devait se limiter à désigner les actes formels constitutifs d’un régime d’aides.
85 D’une part, il y a lieu de relever que l’étendue et les modalités de ce contrôle seraient, dans une telle hypothèse, nécessairement tributaires de la forme que les États membres confèrent aux mesures d’aides d’État. D’autre part, ainsi que la Commission le fait valoir, certaines de ces mesures d’aides qui reposent sur une application contra legem d’une disposition du droit national se verraient nécessairement exclues de la notion de « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, alors même qu’un ensemble de circonstances permettraient de déceler l’existence, en fait, d’un tel régime.
86 Partant, la Commission peut conclure à l’existence d’un régime d’aides lorsqu’elle parvient à démontrer, à suffisance de droit, que celui-ci se fonde sur l’application d’une disposition d’un État membre, selon une « ligne systématique de conduite » des autorités de cet État membre, et que les caractéristiques de cette ligne de conduite répondent aux exigences prévues à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589.
87 En deuxième lieu, il y a lieu de déterminer si, comme le fait valoir la Commission, le Tribunal a procédé à une application erronée du terme « disposition », visé à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, et dénaturé la décision litigieuse en estimant que les seuls actes énumérés au considérant 99 de la décision litigieuse constituaient la base du régime en cause, tel qu’identifié par la Commission.
88 À cet égard, il convient de relever que, au point 80 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné, dans un premier temps, les actes énumérés aux considérants 97 à 99 de la décision litigieuse. Il a ainsi relevé que les actes figurant au considérant 99 de cette décision, à savoir tant l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 que l’exposé des motifs de la loi du 21 juin 2004, la circulaire administrative du 4 juillet 2006 et les réponses du ministre des Finances aux questions parlementaires relatifs à l’application de cette disposition par les autorités fiscales belges, constituaient les actes sur la base desquels l’exonération des bénéfices excédentaires en cause est accordée.
89 Aux points 81 et 82 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que le raisonnement de la Commission était empreint d’une certaine ambivalence dans la mesure où elle aurait toutefois reconnu que ni l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 ni, d’ailleurs, aucune autre disposition du CIR 92 ne prescrivait cette exonération des bénéfices excédentaires.
90 Le Tribunal a néanmoins estimé, au point 83 de l’arrêt attaqué, que, au terme d’une analyse globale de la décision litigieuse, il devait être considéré que la base du régime en cause était constituée par l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, tel qu’appliqué par les autorités fiscales belges, et qu’une telle application pouvait être déduite des actes visés au point 88 du présent arrêt. Aux points 84 à 88 de l’arrêt attaqué, il en a déduit, en substance, que l’examen de la réunion des conditions prévues à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 devaient, par conséquent, être effectué à la lumière du contenu de ces actes.
91 Ainsi, dans un second temps, aux points 90 à 98 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a notamment analysé si les éléments essentiels du régime en cause, que la Commission a identifiés au considérant 102 de la décision litigieuse, ressortaient des actes énumérés aux considérants 97 à 99 de cette décision.
92 À cet égard, au point 92 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé, d’emblée, que, compte tenu de l’analyse figurant aux considérants 101 et 139 de la décision litigieuse, ces éléments essentiels ne ressortaient pas de ces actes, mais plutôt de l’échantillon de décisions anticipées analysé par la Commission. Au point 93 de cet arrêt, tout en reconnaissant que certains desdits éléments essentiels découlaient effectivement desdits actes, il a toutefois estimé que tel n’était pas le cas de l’ensemble des mêmes éléments essentiels et, notamment, de la méthode de calcul en deux étapes des bénéfices excédentaires sujets à l’exonération litigieuse, ainsi que de la condition liée à la création d’emplois, de la centralisation ou de l’accroissement des activités en Belgique.
93 Ce raisonnement est entaché d’erreurs de droit.
94 En effet, ainsi qu’il est relevé au point 90 du présent arrêt, bien que le Tribunal ait constaté que la base juridique du régime en cause résultait non pas uniquement de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, mais de l’application de cette disposition par les autorités fiscales belges, celui-ci n’a toutefois pas tiré toutes les conséquences de ce constat. En particulier, il n’a pas tenu compte des considérants de la décision litigieuse dont il ressortait clairement que la Commission a déduit cette application non seulement des actes visés au considérant 99 de cette décision, mais également d’une ligne de conduite systématique de ces autorités qu’elle a constatée à partir de l’analyse d’un échantillon de décisions anticipées qu’elle a examiné.
95 Ainsi, dans le cadre de la lecture globale de la décision litigieuse effectuée au point 83 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait dû tenir compte des considérations formulées aux considérants 100 à 108 et 110 de cette décision, dont il ressort, en substance, que la Commission a estimé que l’une des caractéristiques essentielles du régime en cause était que lesdites autorités ont systématiquement émis des décisions accordant l’exonération des bénéfices excédentaires selon les conditions énumérées au considérant 102 de ladite décision.
96 Dans ce contexte, ainsi qu’il ressort notamment du point 98 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est, en revanche, fondé sur la prémisse erronée que la circonstance que certains des éléments essentiels du régime en cause ne ressortaient pas des actes figurant au considérant 99 de la décision litigieuse, mais des décisions anticipées elles-mêmes, impliquait que ces actes devaient nécessairement faire l’objet de mesures d’application supplémentaires.
97 Par conséquent, en ayant limité son analyse des conditions de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 aux seuls actes visés au considérant 99 de la décision litigieuse, le Tribunal a procédé à une application erronée du terme « disposition », figurant à cet article 1er.
98 Cette erreur l’a conduit, d’une part, à exclure, par principe, qu’un « régime d’aides », au sens dudit article 1er, puisse, ainsi qu’il est relevé aux points 80 et 86 du présent arrêt, se fonder sur un ensemble de circonstances de nature à déceler son existence en fait et, d’autre part, à effectuer une lecture erronée de cette décision en ce qui concerne l’examen de la première de ces conditions.
99 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la première branche du moyen unique de pourvoi est fondée.
Sur la deuxième branche
– Argumentation des parties
100 Par la deuxième branche de son moyen unique, la Commission fait valoir que le Tribunal a interprété de manière erronée la deuxième condition prévue à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 et a dénaturé les considérants 100 à 108 de la décision litigieuse en concluant, aux points 94, 96, 98, 103 à 113, 119, 120 et 129 à 133 de l’arrêt attaqué, que l’octroi de l’exonération des bénéfices excédentaires nécessitait l’adoption de mesures d’application supplémentaires.
101 Le Tribunal se serait limité à réitérer l’affirmation selon laquelle, si les éléments essentiels du régime en cause énumérés au considérant 102 de la décision litigieuse n’étaient pas énoncés dans les actes normatifs visés au considérant 99 de cette décision, ils devaient nécessairement faire l’objet de mesures d’application supplémentaires. Selon la Commission, le Tribunal n’aurait pas examiné si, en ce qui concerne l’exonération des bénéfices excédentaires, les autorités fiscales belges étaient effectivement en mesure d’influer sur le montant de l’exonération des bénéfices excédentaires, les éléments essentiels du régime en cause et les conditions d’octroi de cette exonération dans des cas individuels. En outre, le Tribunal aurait confondu la marge d’appréciation dont disposaient ces autorités pour vérifier le respect des conditions d’octroi de l’exonération des bénéfices excédentaires et la capacité desdites autorités d’influer sur le montant de cette exonération, les éléments essentiels du régime en cause et les conditions d’octroi de ladite exonération dans des cas individuels. Si le Tribunal avait correctement interprété et appliqué la notion de « mesures d’application supplémentaires », il aurait dû conclure que les mêmes autorités n’étaient pas en mesure d’influer sur de tels éléments.
102 Le Royaume de Belgique estime que le raisonnement du Tribunal, relatif à la deuxième condition prévue à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 est exempt d’erreur de droit.
103 Magnetrol International, soutenue par les intervenantes au pourvoi, allègue, en substance, que, pour conclure à l’existence d’un régime d’aides, la Commission aurait dû démontrer dans la décision litigieuse, en premier lieu, que les actes énumérés aux considérants 97 à 99 de cette décision imposaient des méthodes de calcul que les autorités fiscales belges devaient appliquer et, en deuxième lieu, que le montant de l’exonération des bénéfices excédentaires dans chaque cas individuel pouvait être établi au moyen de ces méthodes. En troisième lieu, en ce qui concerne les conditions d’octroi de l’aide, la Commission aurait dû démontrer, d’une part, que ces actes fixaient les conditions dans lesquelles les autorités fiscales belges pouvaient accepter les demandes d’aides individuelles et, d’autre part, qu’il était possible de décider sur la base de ces conditions si la transaction proposée par le demandeur de la décision anticipée répondait à la condition de « situation nouvelle ».
– Appréciation de la Cour
104 La deuxième branche du moyen unique de pourvoi porte sur la deuxième condition permettant de définir un « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, à savoir celle tenant à l’absence de « mesures d’application supplémentaires » nécessaires à l’octroi des aides individuelles sur le fondement de la disposition constitutive d’un tel régime.
105 Ainsi que le Tribunal l’a relevé à bon droit au point 99 de l’arrêt attaqué, en se référant à cet égard au considérant 100 de la décision litigieuse, l’existence de mesures d’application supplémentaires implique l’exercice d’un pouvoir d’appréciation par l’autorité fiscale adoptant les mesures en cause, lui permettant d’influer sur le montant de l’aide, les caractéristiques de celle-ci ou les conditions dans lesquelles cette aide est octroyée. En revanche, la simple application technique des actes prévoyant l’octroi des aides concernées ne constitue pas une « mesure d’application supplémentaire », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589.
106 Il en découle que la question de savoir si des « mesures d’application supplémentaires » sont nécessaires à l’octroi d’aides individuelles au titre d’un régime d’aides est intrinsèquement liée à celle de la détermination de la « disposition », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, sur laquelle ce régime se fonde. En effet, c’est au regard de cette disposition qu’il convient de déterminer si l’octroi d’aides individuelles est conditionnée à l’adoption de telles mesures ou si, au contraire, cet octroi peut se faire sur la seule base de ladite disposition.
107 Ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 100 de ses conclusions, l’erreur de droit identifiée aux points 97 et 98 du présent arrêt a, dès lors, nécessairement affecté l’appréciation effectuée par le Tribunal du point de savoir si l’exonération des bénéfices excédentaires était, en l’espèce, octroyée sans qu’il soit besoin d’adopter des mesures d’application supplémentaires.
108 En effet, d’une part, ainsi qu’il est constaté au point 96 du présent arrêt, le Tribunal s’est fondé sur la prémisse erronée que la circonstance que certains des éléments essentiels du régime en cause ne ressortaient pas des actes figurant au considérant 99 de la décision litigieuse, mais avaient été déduits des décisions anticipées elles-mêmes impliquait que ces actes devaient nécessairement faire l’objet de l’adoption de mesures d’application supplémentaires.
109 D’autre part, dans le cadre de l’examen, effectué aux points 103 à 113 de l’arrêt attaqué, de la question de savoir si, lors de l’adoption des décisions anticipées au titre de l’exonération des bénéfices excédentaires, les autorités fiscales belges disposaient d’un pouvoir d’appréciation leur permettant d’influer sur le montant de cette exonération, les éléments essentiels du régime en cause et les conditions dans lesquelles ladite exonération était accordée, le Tribunal s’est contenté de se référer aux actes énumérés au considérant 99 de la décision litigieuse pour conclure, en substance, que ces actes se limitaient à définir, de manière générale, la position des autorités fiscales belges quant à la même exonération.
110 Il en a déduit que, en l’absence d’autres éléments limitant le pouvoir décisionnel de cette administration, lors de l’adoption de ces décisions anticipées, les autorités fiscales belges ont nécessairement joui d’un pouvoir d’appréciation, de telle sorte qu’il ne pouvait être conclu que ces autorités avaient procédé à une application technique du cadre réglementaire, celles-ci ayant effectué, au contraire, un examen « au cas par cas » de chaque demande.
111 Dans le cadre de cet examen, le Tribunal a toutefois omis de tenir compte du fait que, ainsi qu’il est relevé au point 95 du présent arrêt, l’une des caractéristiques essentielles du régime en cause, tel qu’identifié par la Commission dans la décision litigieuse, résidait dans le fait que les autorités fiscales belges avaient systématiquement accordé l’exonération des bénéfices excédentaires lorsque les conditions énumérées au considérant 102 de cette décision étaient réunies.
112 Or, contrairement à ce que le Tribunal a jugé, l’identification d’une telle pratique systématique était susceptible de constituer un élément pertinent dans le cadre d’une appréciation de l’ensemble des circonstances de nature à déceler l’existence, en fait, d’un régime d’aides, permettant, le cas échéant, d’établir que ces autorités fiscales ne disposaient en réalité d’aucun pouvoir d’appréciation dans le cadre de l’application de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 et que, par conséquent, aucune « mesure d’application supplémentaire », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, n’était nécessaire dans l’octroi de l’exonération des bénéfices excédentaires en cause.
113 Partant, ainsi que la Commission le fait valoir, en fondant sa conclusion relative à la deuxième condition prévue à l’article 1er, sous d), de ce règlement sur une prémisse erronée, le Tribunal a commis une erreur de droit.
114 Ce constat ne saurait être remis en cause par les considérations formulées aux points 106 et 107 de l’arrêt attaqué. Le Tribunal s’est fondé à ces points sur le constat que le régime en cause ne visait pas toutes les décisions anticipées adoptées sur la base de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92, mais uniquement celles d’entre elles qui octroyaient des ajustements négatifs sans que l’administration ait vérifié si les bénéfices concernés avaient été inclus dans les bénéfices d’une autre société du groupe établie dans un autre ressort, alors que les décisions anticipées qui octroyaient un ajustement négatif correspondant à l’ajustement positif des bénéfices imposables d’une autre société du groupe établie dans un autre ressort ne feraient pas partie de ce régime. Selon le Tribunal, dans la mesure où, sur la base de la même disposition, les autorités fiscales belges pouvaient adopter tant des décisions qui, de l’avis de la Commission, conféraient des aides d’État que des décisions qui ne conféraient pas de telles aides, le rôle de ces autorités fiscales ne se limitait pas à une application technique du régime en cause.
115 Or, ainsi qu’il est constaté au point 94 du présent arrêt, la Commission a estimé que c’était l’application contra legem de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 dans le cadre d’une pratique administrative constante des autorités fiscales belges qui constituait le fondement du régime en cause. Ce constat ne saurait être remis en cause par le seul fait que ces autorités fiscales auraient également appliqué cette disposition dans des situations qui relevaient effectivement de son champ d’application.
116 De même, l’existence d’une phase préliminaire dans le cadre de la procédure d’obtention d’une décision anticipée au titre de l’exonération des bénéfices excédentaires, relevée au point 112 de l’arrêt attaqué, ne saurait constituer un indice que les autorités fiscales belges jouissaient nécessairement d’un pouvoir d’appréciation dans le cadre du système de l’exonération des bénéfices excédentaires. En effet, ce pouvoir d’appréciation doit être apprécié au regard des seules décisions anticipées qui ont été accordées au titre de ce système, de telle sorte que les situations qui n’ont pas donné lieu à l’adoption d’une telle décision sont sans pertinence à cet égard.
117 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de conclure que la deuxième branche du moyen unique de pourvoi est fondée.
Sur la troisième branche
– Argumentation des parties
118 Par la troisième branche de son moyen unique, la Commission soutient que le Tribunal a erronément interprété la troisième condition prévue à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 et a dénaturé les considérants 66, 102, 103, 109, 139 et 140 de la décision litigieuse en concluant, aux points 114 à 119 de l’arrêt attaqué, que les bénéficiaires de l’exonération des bénéfices excédentaires n’étaient pas définis « de manière générale et abstraite » par les dispositions constituant la base de ce régime. Pour la Commission, si le Tribunal avait dûment tenu compte de la pratique administrative constante des autorités fiscales belges afférente à cette exonération, il serait parvenu à la conclusion inverse.
119 Le Royaume de Belgique et Magnetrol International, soutenue par les intervenantes au pourvoi, contestent cette argumentation.
– Appréciation de la Cour
120 La troisième branche du moyen unique de pourvoi porte sur la troisième condition définissant un « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, à savoir celle tenant au fait que les bénéficiaires d’un tel régime sont définis de « manière générale et abstraite » dans la disposition qui constitue la base de ce régime.
121 À cet égard, il découle des rapports existants entre les trois conditions permettant de qualifier une mesure de « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, que la question de savoir si la troisième de ces conditions est satisfaite est intrinsèquement liée aux deux premières desdites conditions, relatives à l’existence d’une « disposition » et à l’absence de « mesures d’application supplémentaires ».
122 Partant, les erreurs de droit commises par le Tribunal, qui ont été relevées aux points 97, 98 et 113 du présent arrêt et qui concernent les deux premières des mêmes conditions, ont entaché l’appréciation du Tribunal relative à la définition des bénéficiaires de l’exonération des bénéfices excédentaires.
123 En effet, aux points 115 à 119 de l’arrêt attaqué, le Tribunal, tout en reconnaissant que l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 vise une catégorie générale et abstraite d’entités, s’est essentiellement fondé sur une analyse des actes visés au considérant 99 de la décision litigieuse pour conclure que les bénéficiaires du régime en cause n’étaient pas définis « de manière générale et abstraite » par ces actes, de telle sorte qu’une telle définition devait nécessairement s’effectuer par des mesures d’application supplémentaires.
124 Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que la troisième branche du moyen unique de pourvoi est fondée.
125 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, et sans qu’il soit nécessaire d’examiner la quatrième branche du moyen unique de pourvoi, il y a lieu de conclure que, en jugeant, notamment au point 120 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait erronément considéré que le régime d’exonération des bénéfices excédentaires, tel que défini dans la décision litigieuse, constituait un « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit.
Sur les motifs surabondants de l’arrêt attaqué relatifs à la preuve d’une « ligne systématique de conduite »
126 Il convient de relever que, dans le cadre de motifs surabondants, figurant aux points 121 à 134 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné si la Commission était parvenue à démontrer l’existence d’une « ligne systématique de conduite » des autorités fiscales belges identifiée au terme de l’examen d’un échantillon de 22 décisions anticipées sur les 66 qui avaient été adoptées au titre de l’exonération des bénéfices excédentaires.
127 Aux fins de déterminer si les erreurs de droit identifiées au point 125 du présent arrêt sont susceptibles d’entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué, il y a lieu d’examiner si, dans le cadre de ces motifs, le Tribunal a écarté, à bon droit, les arguments de la Commission tirés de l’existence d’une telle « ligne systématique de conduite ».
– Argumentation des parties
128 Dans le cadre de son argumentation relative aux trois premières branches du moyen unique de pourvoi, la Commission a formulé des arguments spécifiques visant à contester le raisonnement du Tribunal figurant aux points 121 à 134 de l’arrêt attaqué, au terme duquel celui-ci a jugé qu’elle n’avait pas démontré à suffisance de droit l’existence d’une « ligne systématique de conduite » des autorités fiscales belges dans l’octroi de l’exonération des bénéfices excédentaires.
129 En premier lieu, la Commission fait valoir que, contrairement à ce que le Tribunal a jugé aux points 127 et 128 de l’arrêt attaqué, elle a suffisamment démontré les éléments qui l’ont amenée à conclure à l’existence d’une telle « ligne systématique de conduite ».
130 S’agissant, tout d’abord, du choix de l’échantillon des 22 décisions anticipées à partir duquel la Commission aurait déduit l’existence d’une pratique administrative constante, la Commission admet que ce choix ne ressort pas des considérants 94 à 110 de la décision litigieuse. Toutefois, le Tribunal aurait omis de prendre en compte le considérant 3 de cette décision qui fait état de la demande de renseignements de la Commission adressée au Royaume de Belgique portant sur les décisions anticipées émises en 2004, en 2007, en 2010 et en 2013. Ces décisions ne seraient autres que les 22 décisions anticipées constitutives de l’échantillon à partir duquel la Commission a déduit l’existence d’une pratique administrative constante.
131 Ensuite, en ce qui concerne la représentativité de cet échantillon, la Commission souligne que, premièrement, les décisions anticipées auraient été sélectionnées parmi quatre des neuf années d’application du régime en cause. Deuxièmement, les années choisies seraient espacées de trois ans chacune, couvrant le début, le milieu et la fin de la période pendant laquelle les autorités fiscales belges auraient émis de telles décisions anticipées. Troisièmement, les 22 décisions anticipées représenteraient un tiers de toutes les décisions rendues au cours de cette période de neuf ans et, quatrièmement, ces 22 décisions couvriraient un tiers de tous les bénéficiaires du régime en cause, ce qui signifierait nécessairement que l’échantillon était représentatif et qu’aucune explication spécifique n’était nécessaire à cet égard. En tout état de cause, le Royaume de Belgique n’aurait jamais contesté les conclusions provisoires de la Commission dans le cadre de la décision d’ouverture et il n’aurait présenté aucune décision anticipée démontrant que les éléments essentiels du régime en cause ne résultaient pas d’une pratique administrative constante.
132 En outre, la Commission estime qu’il ne lui était pas nécessaire de décrire les décisions individuelles dans la décision litigieuse, après avoir conclu, sur le fondement de son examen des 22 décisions anticipées, que ces décisions relevaient d’une pratique administrative constante. Il incomberait, en revanche, au Royaume de Belgique et aux bénéficiaires de contester sa conclusion selon laquelle l’exonération des bénéfices excédentaires a été accordée au titre d’un régime d’aides, ce qu’ils ne seraient pas parvenus à faire.
133 Enfin, s’agissant des six décisions anticipées décrites aux considérants 62 à 64 et à la note en bas de page 80 de la décision litigieuse, le considérant 61 de la décision litigieuse indiquerait que les trois exemples fournis à ces considérants ne feraient qu’illustrer les décisions anticipées rendues dans le cadre de la mise en œuvre du régime en cause par les autorités fiscales belges.
134 En second lieu, la dénaturation des considérants 94 à 110 de la décision litigieuse aurait conduit le Tribunal à commettre une erreur de droit en concluant, aux points 127 et 128 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas démontré l’existence d’une approche systématique.
135 Le Royaume de Belgique et Magnetrol International, soutenue par les parties intervenantes au pourvoi, contestent cette argumentation.
– Appréciation de la Cour
136 La Commission reproche au Tribunal d’avoir erronément constaté qu’elle n’était pas parvenue à démontrer l’existence d’une « ligne systématique de conduite » répondant aux exigences prévues à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589.
137 À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que le Tribunal a considéré, en substance, au point 125 de l’arrêt attaqué, qu’une telle « ligne systématique de conduite » ne pouvait constituer la base même du régime en cause, au motif qu’il ne s’agissait pas du fondement qui a été retenu dans la décision litigieuse, notamment, au considérant 99 de cette décision.
138 Or, au vu de l’erreur de droit constatée aux points 97 et 98 du présent arrêt, ce motif est également erroné en droit.
139 En second lieu, le Tribunal a estimé, au point 126 de l’arrêt attaqué, que, à supposer même que les éléments essentiels du régime en cause ressortaient d’une « ligne systématique de conduite » identifiée à partir de l’échantillon des décisions anticipées analysé par la Commission, cette dernière ne serait pas parvenue à démontrer l’existence d’une telle ligne de conduite.
140 Tout d’abord, au point 127 de l’arrêt attaqué, tout en relevant que cet échantillon était constitué de 22 décisions anticipées sur les 66 décisions concernées, le Tribunal a estimé que la Commission n’avait pas précisé dans la décision litigieuse le choix dudit échantillon et les raisons pour lesquelles celui-ci devait être considéré comme étant représentatif.
141 Ainsi que la Commission le soutient, en substance, s’agissant du choix de l’échantillon des décisions anticipées qu’elle a analysé, il découle cependant d’une lecture d’ensemble des considérants de la décision litigieuse et, notamment d’une lecture combinée des considérants 3 et 59 de cette décision, que cet échantillon était constitué des décisions anticipées adoptées au cours des années 2005 (aucune décision n’ayant été adoptée en 2004), 2007, 2010 et 2013 afin de couvrir les décisions adoptées au début, au milieu et à la fin de la période du régime en cause.
142 En ce qui concerne la représentativité dudit échantillon, ainsi que Mme l’avocate générale l’a souligné, en substance, au point 86 de ses conclusions, il ressort de manière manifeste du choix des 22 décisions anticipées sur le total des 66 décisions adoptées au titre du régime en cause que le même échantillon représente un tiers de ces décisions.
143 À cet égard, il y a lieu de relever qu’une telle proportion de décisions anticipées, sélectionnées de manière pondérée parmi l’ensemble des décisions adoptées au titre de l’exonération des bénéfices excédentaires sur la période considérée, est, par nature, susceptible d’être représentative d’une « ligne systématique de conduite » des autorités fiscales belges. En effet, précisément en raison de la nature « systématique » d’une telle pratique, la Commission pouvait raisonnablement présumer que, jusqu’à preuve du contraire, les éléments identifiés dans l’échantillon de décisions anticipées qu’elle a examiné se retrouveraient nécessairement dans l’ensemble des décisions anticipées adoptées au titre de l’exonération des bénéfices excédentaires.
144 Dans ces conditions, le Tribunal n’était pas fondé à considérer que la Commission n’avait pas précisé dans la décision litigieuse le choix de cet échantillon et les éléments pour lesquels celui-ci devait être considéré comme étant représentatif.
145 Une telle conclusion n’est, au demeurant, pas remise en cause par le constat effectué au point 128 de l’arrêt attaqué, selon lequel la Commission n’a pas précisé le choix des six décisions anticipées mentionnées aux considérants 62 à 64 de la décision litigieuse. En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 61 de cette décision et que la Commission le fait valoir, ces six décisions n’ont qu’une vocation illustrative de la manière dont l’exonération des bénéfices excédentaires a été accordée par les autorités fiscales belges, de telle sorte que celles-ci ne sauraient entrer en ligne de compte aux fins de déterminer si la Commission a démontré à suffisance de droit l’existence d’une « ligne systématique de conduite » dans la pratique décisionnelle des autorités fiscales belges.
146 Ensuite, au point 129 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est fondé sur les considérations formulées aux points 103 à 112 de l’arrêt attaqué, relatives à l’existence d’un pouvoir d’appréciation des autorités fiscales belges et à la nécessité de mesures d’application supplémentaires. Selon le Tribunal, ces considérations permettent, en soi, d’infirmer l’existence de la « ligne systématique de conduite » alléguée par la Commission.
147 Or, dans la mesure où cette conclusion se fonde sur la prémisse erronée que les seuls actes visés au considérant 99 de la décision litigieuse constituaient la base du régime en cause, il y a lieu de considérer que, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 97, 98 et 113 du présent arrêt, la conclusion figurant au point 129 de l’arrêt attaqué est erronée en droit.
148 Enfin, aux points 131 à 133 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que, en tout état de cause, les décisions anticipées constitutives de l’échantillon examiné par la Commission ne concernaient pas toutes des situations dans lesquelles une structure d’« entrepreneur central » avait été mise en place par l’entité belge en cause et que la méthode de calcul en deux étapes des bénéfices excédentaires identifiée par la Commission n’avait pas été systématiquement adoptée.
149 Toutefois, ainsi que la Commission le fait valoir, les constats effectués par le Tribunal à ces points reposent sur une dénaturation du considérant 102 de la décision litigieuse, auquel la Commission a énuméré les éléments essentiels du régime en cause qu’elle a identifiés à partir de l’analyse de l’échantillon des 22 décisions anticipées représentatif de la pratique administrative constante des autorités fiscales belges.
150 Ainsi, il ressort de ce considérant 102 que, contrairement aux constatations effectuées par le Tribunal au point 132 de l’arrêt attaqué, la Commission n’a pas considéré que la relocalisation d’un « entrepreneur central » en Belgique constituait la seule et unique condition permettant d’obtenir une exonération des bénéfices excédentaires, mais qu’une telle situation constituait, au contraire, un simple exemple de condition plus générale tenant à l’existence d’une situation nouvelle n’ayant pas encore produit d’effets d’un point de vue fiscal.
151 S’agissant de la méthode de calcul en deux étapes, visée au point 133 de l’arrêt attaqué, il ressort du troisième tiret du considérant 102 de la décision litigieuse que, contrairement aux constatations effectuées par le Tribunal, la Commission n’a pas retenu l’application d’une telle méthode comme étant un élément essentiel du régime en cause, mais, en substance, le fait que le montant de l’exonération des bénéfices excédentaires correspondait systématiquement à la différence entre les bénéfices réellement enregistrés par le bénéficiaire et un bénéfice, hypothétique, généré si ce dernier avait été opéré indépendamment de son groupe, et ce indépendamment de la méthode utilisée pour aboutir à ce constat.
152 Par conséquent, il convient de constater que les points 130 à 133 de l’arrêt attaqué ne sauraient fonder la conclusion du Tribunal selon laquelle la Commission n’avait pas établi que l’exonération des bénéfices excédentaires était accordée selon une « ligne systématique de conduite ».
153 Il découle de l’ensemble des motifs qui précèdent que la conclusion du Tribunal selon laquelle la Commission n’avait pas démontré l’existence d’une « ligne systématique de conduite » est erronée en droit.
154 Partant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la quatrième branche du moyen unique de pourvoi, il y a lieu de conclure que ce moyen est fondé.
155 Dans ces conditions, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le pourvoi incident, il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué.
Sur le litige en première instance
156 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.
157 En l’espèce, ainsi que le Tribunal l’a constaté au point 57 de l’arrêt attaqué, à l’appui de leurs recours, le Royaume de Belgique et Magnetrol International soulèvent des moyens tirés, en substance :
– premièrement, de l’ingérence de la Commission dans les compétences exclusives du Royaume de Belgique en matière de fiscalité directe (premier moyen dans l’affaire T‑131/16 et première branche du troisième moyen dans l’affaire T‑263/16) ;
– deuxièmement, de la conclusion erronée relative à l’existence d’un régime d’aides en l’espèce, au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, notamment en raison de l’identification incorrecte des actes sur la base desquels se fonderait le régime en cause et de la considération erronée selon laquelle ce régime ne requiert pas de mesures d’application supplémentaires (deuxième moyen dans l’affaire T‑131/16 et premier moyen dans l’affaire T‑263/16) ;
– troisièmement, de la qualification erronée des décisions anticipées relatives aux bénéfices excédentaires en tant qu’aides d’État, compte tenu notamment de l’absence d’avantage et de sélectivité (troisième moyen dans l’affaire T‑131/16 et troisième moyen, deuxième et troisième branches, dans l’affaire T‑263/16) ;
– quatrièmement, de la violation, notamment, des principes de légalité et de protection de la confiance légitime, en ce que la récupération des prétendues aides aurait été erronément ordonnée, y compris auprès des groupes auxquels appartiennent les bénéficiaires de ces aides (quatrième et cinquième moyens dans l’affaire T‑131/16 ainsi que quatrième moyen dans l’affaire T‑263/16).
158 Au vu, notamment, de la circonstance que les moyens mentionnés aux premier et deuxième tirets du point précédent ont fait l’objet d’un débat contradictoire devant le Tribunal et que leur examen ne nécessite d’adopter aucune mesure supplémentaire d’organisation de la procédure ou d’instruction du dossier, la Cour estime que les recours dans les affaires T‑131/16 et T‑263/16 sont en état d’être jugés en ce qui concerne ces moyens et qu’il y a lieu de statuer définitivement sur ceux–ci à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 130).
Sur la prétendue ingérence de la Commission dans les compétences exclusives du Royaume de Belgique en matière de fiscalité directe
Argumentation des parties
159 Le Royaume de Belgique et Magnetrol International, à l’instar de l’Irlande dans ses observations en première instance, font valoir, en substance, que la Commission a outrepassé ses compétences en utilisant le droit de l’Union en matière d’aides d’État pour déterminer de façon unilatérale des éléments relevant de la compétence fiscale exclusive d’un État membre. En effet, la détermination des revenus imposables resterait une compétence exclusive des États membres tout comme la façon d’imposer les bénéfices générés par des transactions transfrontalières au sein des groupes d’entreprises, même si cela conduit à une « double absence d’imposition ». Or, la position de la Commission consistant à considérer que les décisions anticipées sur les bénéfices excédentaires constituent des aides d’État dès lors que ces décisions s’écartent d’une application du principe de pleine concurrence qu’elle considère comme correcte équivaudrait à une harmonisation forcée des règles relatives au calcul des revenus imposables, ce qui ne relève pas de la compétence de l’Union.
160 La Commission fait valoir, en substance, que, bien que les États membres jouissent d’une autonomie fiscale en matière d’imposition directe, toute mesure fiscale adoptée par un État membre doit être conforme aux règles de l’Union en matière d’aides d’État.
Appréciation de la Cour
161 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les interventions des États membres dans les domaines qui n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation dans le droit de l’Union ne sont pas exclues du champ d’application des dispositions du traité FUE relatives au contrôle des aides d’État (arrêts du 16 mars 2021, Commission/Pologne, C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 26, et du 16 mars 2021, Commission/Hongrie, C‑596/19 P, EU:C:2021:202, point 32 ainsi que jurisprudence citée).
162 Les États membres doivent exercer leur compétence en matière de fiscalité directe dans le respect du droit de l’Union et, notamment, des règles instituées par le traité FUE en matière d’aides d’État. Ils doivent, par conséquent, s’abstenir, dans l’exercice de cette compétence, d’adopter des mesures susceptibles de constituer des aides d’État incompatibles avec le marché intérieur, au sens de l’article 107 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 105 et jurisprudence citée).
163 Or, il ressort de la jurisprudence rappelée aux points précédents qu’il ne pouvait être reproché à la Commission d’avoir outrepassé ses compétences lorsqu’elle a examiné les mesures constituant le régime en cause et vérifié si ces mesures constituaient des aides d’État ainsi que, dans l’affirmative, si lesdites mesures étaient compatibles avec le marché intérieur, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
164 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments du Royaume de Belgique, tirés, d’une part, de l’absence de compétence fiscale pour imposer les bénéfices excédentaires et, d’autre part, de sa propre compétence pour adopter des mesures visant à éviter la double imposition.
165 En effet, à supposer que les décisions adoptées par les autorités fiscales belges dans le cadre du régime en cause visaient à délimiter l’étendue de la compétence fiscale du Royaume de Belgique, cela ne signifie pas que la Commission n’était pas en droit d’examiner leur conformité à la réglementation de l’Union en matière d’aides d’État.
166 Si, certes, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, relèvent de la compétence des États membres la désignation des bases d’imposition et la répartition de la charge fiscale sur les différents facteurs de production et les différents secteurs économiques (arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 97), il ressort de la jurisprudence citée au point 162 du présent arrêt que, en exerçant cette compétence, les États membres doivent s’abstenir d’adopter des mesures susceptibles de constituer des aides d’État, dont le contrôle relève de la compétence de la Commission. Il en va de même de l’adoption, par les États membres, dans l’exercice de leurs compétences en matière fiscale, de mesures nécessaires pour prévenir les situations de double imposition.
167 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le premier moyen dans l’affaire T‑131/16 et la première branche du troisième moyen dans l’affaire T‑263/16 doivent être écartés comme étant non fondés.
Sur l’existence d’un régime d’aides, au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, et les autres moyens d’annulation
168 Il ressort des motifs exposés dans le cadre de l’analyse des première à troisième branches du moyen unique de pourvoi que le deuxième moyen dans l’affaire T‑131/16 et le premier moyen dans l’affaire T‑263/16, lesquels, ainsi qu’il ressort du point 157, deuxième tiret, du présent arrêt, sont en substance tirés de la conclusion erronée relative à l’existence d’un régime d’aides en l’espèce, doivent être écartés comme étant non fondés.
169 En revanche, le litige n’est pas en état d’être jugé s’agissant des moyens tirés, en substance, de la qualification erronée de l’exonération des bénéfices excédentaires en tant qu’aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, compte tenu notamment de l’absence d’avantage ou de sélectivité (troisième moyen dans l’affaire T‑131/16 et troisième moyen, deuxième et troisième branches, dans l’affaire T‑263/16), ainsi que des moyens tirés, notamment, de la violation des principes de légalité et de protection de la confiance légitime, en ce que la récupération des prétendues aides aurait été erronément ordonnée, y compris auprès des groupes auxquels appartiennent les bénéficiaires de ces aides (quatrième et cinquième moyens dans l’affaire T‑131/16 et quatrième moyen dans l’affaire T‑263/16).
170 En effet, ainsi qu’il ressort du point 136 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que les moyens soulevés par le Royaume de Belgique et Magnetrol International, tirés de la violation de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 ayant été accueillis, il n’y avait pas lieu d’examiner les autres moyens soulevés contre la décision litigieuse. Or, ces moyens impliquent de procéder à des appréciations factuelles complexes, pour lesquelles la Cour considère qu’elle ne dispose pas de l’ensemble des éléments de fait nécessaires.
171 Par conséquent, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur les moyens mentionnés au point 169 du présent arrêt.
Sur les dépens
172 L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :
1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 14 février 2019, Belgique et Magnetrol International/Commission (T‑131/16 et T‑263/16, EU:T:2019:91), est annulé.
2) Les premier et deuxième moyens du recours dans l’affaire T‑131/16 ainsi que le premier moyen et la première branche du troisième moyen du recours dans l’affaire T‑263/16 sont écartés.
3) L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne pour qu’il statue sur les troisième à cinquième moyens du recours dans l’affaire T‑131/16 ainsi que sur le deuxième moyen, les deuxième et troisième branches du troisième moyen ainsi que le quatrième moyen dans l’affaire T‑263/16.
4) Les dépens sont réservés.