Cass. com., 5 juin 2019, n° 17-25.665
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Bernard Hémery, Me Thomas-Raquin, Me Le Guerer, SCP Richard
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les sociétés MHCS, Jas Hennessy et C°, Polmos Zyrardow Sp.Zo. O et Macdonald et Muir Ltd (les sociétés du groupe Moët Hennessy), respectivement propriétaires des marques de l'Union européenne "Moët et Chandon" n° 515338, "Veuve Clicquot Ponsardin" n° 4099743, "Ruinart" n° 514638, "Hennessy" n° 4559241 et "Glenmorangie" n° 85 316, ont confié à la société 2BDR la création "d'articles de service", seaux à glace, flûtes, vasques, plateaux, chariots frigos, et de coffrets événementiels ainsi que l'adaptation d'une étiquette et d'un flask ; que les parties ont mis fin à leurs relations commerciales ; que les sociétés du groupe Moët Hennessy, soutenant que la société 2BDR faisait désormais un usage indu de visuels reproduisant ces marques, ont agi en responsabilité civile pour atteinte à la renommée de celles-ci et parasitisme ; que la société 2BDR ayant été mise en redressement, puis liquidation judiciaires, M. R... , mandataire à cette liquidation, est intervenu aux débats ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 9, paragraphe 1, sous c) du règlement n° 207/2009 sur la marque communautaire, dans sa rédaction applicable en la cause ;
Attendu que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (6 octobre 2009, C-301/07, Pago) que, pour bénéficier de la protection attachée à une marque jouissant d'une renommée, une marque de l'Union européenne doit être connue par une partie significative du public concerné par les produits ou les services couverts par elle, dans une partie substantielle du territoire de la Communauté européenne ;
Attendu que pour rejeter l'action fondée sur l'atteinte à la renommée de la marque "Glenmorangie", l'arrêt retient que les produits désignés par cette marque sont des produits de luxe, consommés ou repérés par tout Français qui fréquente notamment les restaurants, les bars, les magasins spécialisés dans la vente d'alcool ou les grandes surfaces et qu'en conséquence, pour être renommée, une marque doit être connue d'une fraction significative de ce public ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle était saisie d'une action fondée sur l'atteinte à une marque renommée de l'Union européenne, la cour d'appel, qui a défini le public concerné comme étant le seul public français, a violé le texte susvisé ;
Sur ce moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt, après avoir relevé que la marque "Glenmorangie" avait été créée en 1843 et était exploitée de façon continue, retient encore que si cette marque est présentée comme leader en Ecosse sur le marché du single malt, les sociétés du groupe Moët Hennessy évoquent le whisky, en produisant un article de presse et un tableau de ses parts de marché au Royaume-Uni et en France, et en déduit que ces documents concernent deux produits qui sont commercialisés sous cette marque, sans démontrer que celle-ci aurait acquis une renommée pour l'un ou pour l'autre ni en France, ni au Royaume-Uni ;
Qu'en statuant ainsi, sans examiner ni analyser, même sommairement, l'attestation de Mme W..., montrant le chiffre d'affaires et les volumes de vente de produits de la marque "Glenmorangie" réalisés au Royaume-Uni entre 2010 et 2014, les campagnes de communication et de publicité effectuées sur le marché anglais et les articles de presse parus dans la presse générale et spécialisée française, communiqués sous les n° 57, 58 et 80 par ces sociétés, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;
Sur ce moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 207/2009 sur la marque communautaire, dans sa rédaction applicable en la cause ;
Attendu que pour rejeter les demandes des sociétés du groupe Moët Hennessy fondées sur l'atteinte à leurs marques notoires, l'arrêt retient que si le fait de créer des articles de service pour ces marques renommées a constitué un avantage pour la société 2BDR, il n'est pas démontré qu'elle en aurait tiré un profit indu ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'existence éventuelle d'un juste motif à l'usage du signe n'entre pas en compte dans l'appréciation du profit indûment tiré de la renommée de la marque, mais doit être appréciée séparément, une fois l'atteinte caractérisée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur ce moyen, pris en sa septième branche :
Vu l'article 9, paragraphe 1, sous c) du règlement n° 207/2009 sur la marque communautaire, dans sa rédaction applicable en la cause ;
Attendu que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (18 juin 2009, L'Oréal c/ Bellure, C-487/07) que l'existence d'un profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ne présuppose ni l'existence d'un risque de confusion, ni celle d'un risque de préjudice porté à ces caractère distinctif ou renommée ou, plus généralement, au titulaire de celle-ci et que le profit résultant de l'usage par un tiers d'un signe similaire à une marque renommée est tiré indûment par ce tiers des dits caractère distinctif ou renommée lorsque celui-ci tente par cet usage de se placer dans le sillage de la marque renommée afin de bénéficier du pouvoir d'attraction, de la réputation et du prestige de cette dernière, et d'exploiter, sans compensation financière, l'effort commercial déployé par le titulaire de la marque pour créer et entretenir l'image de celle-ci ;
Attendu que pour rejeter les demandes des sociétés du groupe Moët Hennessy, l'arrêt se fonde, s'agissant des reproches portant sur l'usage des marques en cause par la société 2BDR indépendamment de toute création de sa part, sur l'absence de tout risque d'atteinte à la fonction de garantie d'origine desdites marques, dès lors que le consommateur moyen ne peut être trompé sur les produits offerts par la société 2BDR, d'autant qu'elle s'adresse à des professionnels ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour rejeter les demandes formées par les sociétés du groupe Moët Hennessy sur le fondement du parasitisme, l'arrêt retient que la société 2BDR n'a reproduit les marques de ces sociétés que sur les créations qu'elle a réalisées pour leur compte, qu'elle a ensuite représentées, conformément aux contrats et aux usages en vigueur, sur ses supports commerciaux, à titre d'information, et que ce comportement n'est ni excessif, ni déloyal ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions soutenant que bien que ses créations ne portent que sur des articles de service, des coffrets et des étuis, la société 2BDR avait reproduit les marques donnant lieu au litige sur des bouteilles dont elle n'avait conçu ni la forme ni l'étiquette, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes des sociétés MHCS, Jas Hennessy et C°, Polmos Zyrardow Sp.Zo. O et Macdonald et Muir Ltd pour atteinte à la renommée de leurs marques et parasitisme, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 mai 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.