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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 14 septembre 2021, n° 20/00684

REIMS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Champagne de Castellane (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mehl-Jungbluth

Conseillers :

Mme Maussire, M. Lecler

Avocats :

Me Guillaume, Me Vinchant, Me Caulier-Richard, Me Vandoorne, Me Renard

T. com. Reims, du 25 févr. 2020

25 février 2020

M. X a conclu le 1er juin 1982 un contrat d'agent commercial avec la SA Champagne Beaumet Chaurey pour les produits fabriqués ou diffusés sous la marque "Beaumet".

M. X a également conclu un second contrat d'agent commercial le 13 décembre 1982 avec la SA Champagne Oudinot Jeanmaire pour les produits fabriqués ou diffusés sous les marques "Oudinot Jeanmaire".

Ces deux contrats précisent que la représentation s'applique pour tous les pays étrangers à l'exclusion de la France.

Le 3 septembre 1987, M. X a conclu un avenant au contrat avec la société Beaumet portant sa durée à dix ans et prévoyant une tacite reconduction pour des périodes identiques, sauf signification d'un préavis de résiliation de 18 mois avant la fin de chaque période.

Le 31 juillet 2000, la société Champagne Oudinot Jeanmaire a été absorbée par la société Champagne Beaumet devenue SA Château Malakoff suite au changement de dénomination.

Un avenant au contrat d'agent commercial portant sur les marques de champagne "Beaumet, Oudinot et Jeanmaire" ainsi que sur les sous-marques en dépendant (Chaurey, Freminet et Hennerick) a été régularisé le 11 février 2004 entre la société Y et la société Château Malakoff portant notamment sur la modification des taux de commission.

Durant l'année 2008, la société Château Malakoff a transmis, par voie d'apport partiel d'actifs, à la société Champagne de Castellane les contrats Oudinot Jeanmaire et Beaumet sans modification des termes et conditions des contrats.

Le 19 décembre 2008, M. X a accepté que la société Château Malakoff transfère les contrats d'agent commercial et l'ensemble des droits et obligations en résultant à la société Champagne de Castellane.

La société Champagne de Castellane a dénoncé les contrats d'agent commercial le 10 avril 2015 pour une fin fixée au 31 décembre 2016.

Par exploit d'huissier du 17 novembre 2017, la société Y a assigné la SA Champagne de Castellane devant le tribunal de commerce de Reims aux fins :

-  d'obtenir la réparation des préjudices liés à la rupture du contrat d'agent commercial soit :

* 85 800,51 euros HT au titre des commissions perdues en vertu de l'arrêt des demandes spontanées,

* 10 000 euros nets au titre de la réparation du préjudice causé par la prise de contact en direct avec la société M&S,

* 134 029,85 euros HT au titre des remises unilatéralement accordées à la société Mark & Spencer (M&S),

* 59 924 euros HT au titre des commissions perdues en vertu des refus de clients,

* 858 005,10 euros HT au titre de la réduction unilatérale du taux de commission,

* 1.938.954,89 euros HT au titre de l'indemnité de rupture,

-  de dire la rupture des contrats d'agent commercial verbaux pour les marques "Chaurey, Freminet et Hennerick" imputable à la société Champagne de Castellane et, à ce titre, de la condamner à lui payer les sommes suivantes :

* 18 554,58 euros HT au titre de l'indemnité de préavis,

* 10 000 euros nets au titre de la réparation du préjudice lié à la rupture brutale des relations commerciales établies, en vertu des dispositions de l'article L. 442-6 5° du code de commerce,

-  d'ordonner la capitalisation des intérêts,

-  de débouter la société Champagne de Castellane de l'intégralité de ses demandes,

-  de condamner la société Champagne de Castellane au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-  de condamner la société Champagne de Castellane aux dépens,

-  d'ordonner l'exécution provisoire de la décision.

La SA Champagne de Castellane a proposé, en application de l'article L. 134-12 du code de commerce, de verser à la société Y une indemnité de cessation des contrats d'agent commercial dont le montant ne pourrait être supérieur à la somme de 591 535 euros correspondant à deux années de commissions calculées sur la base de la moyenne des commissions perçues sur les trois dernières années d'exécution des contrats.

Par jugement du 25 février 2020, le tribunal :

-  a donné acte à la société Champagne de Castellane de sa proposition d'indemnisation limitée à la somme de 591 535 euros,

-  a condamné la société Champagne de Castellane à payer à la société Y la somme de 599 725 euros,

-  a débouté la société Y de ses autres demandes,

-  a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-  a dit que chacune des parties conservera à sa charge les frais engagés par elle au titre de cette instance,

-  a ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration reçue le 29 avril 2020, la société Y a formé appel de ce jugement.

Une médiation a été proposée aux parties.

Elle a été refusée par la société Champagne de Castellane le 27 juillet 2020.

Par conclusions notifiées le 21 mai 2021, la société Y demande à la cour :

Vu les articles L. 134-4 à L. 134-13 et L. 442-6 du code de commerce,

Vu les articles 1134 ancien, 1162 ancien et 1998 du code civil,

Vu l'article 515 du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence,

-  de confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Reims en ce qu'il a reconnu le droit de la société A... Agenturen à percevoir une indemnité de rupture,

-  d'infirmer pour le surplus le jugement rendu,

-  de débouter la société Champagne de Castellane de son appel incident,

Statuant à nouveau,

-  de condamner la société Champagne de Castellane à verser à la société Y les sommes suivantes avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure reçue le 22 mars 2017 :

« 85 800,51 » HT au titre des commissions perdues en vertu de l'arrêt des demandes spontanées ;

« 10 000 » nets au titre de la réparation du préjudice causé par la prise de contact en direct avec la société M&S ;

« 129.195,68 » HT au titre des remises unilatéralement accordées à la société M&S ;

« 59 924 » HT au titre de commissions perdues en vertu des refus de clients ;

« 858.005,10 » HT au titre de la réduction unilatérale du taux de commission ;

« 1.934.188,82 » HT au titre de l'indemnité de rupture.

-  de dire la rupture des contrats d'agent commercial pour les marques Chauret, Freminet et Hennerick imputable à la société Champagne de Castellane ;

A ce titre,

-  de condamner la société Champagne de Castellane à verser à la société Y les sommes suivantes avec intérêts de droit à compter l'acte introductif d'instance :

« 18.554,58 » HT au titre de l'indemnité de préavis ;

-  d'ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 ancien du code civil,

-  de débouter la société Champagne de Castellane de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

-  de condamner la société Champagne de Castellane au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures de première instance et d'appel ;

-  de condamner la société Champagne de Castellane aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions notifiées le 2 juin 2021, la société Champagne de Castellane, formant appel incident, demande à la cour :

Vu les articles L. 134-1 à L. 134-16 du code de commerce,

Vu l'article D. 442-3 du code de commerce,

-  de déclarer la société Champagne de Castellane recevable et bien fondée en ses demandes,

-  d'infirmer partiellement le jugement du tribunal de commerce de Reims du 25 février 2020 en ce qu'il a :

* condamné la société Champagne de Castellane à verser à la société Y la somme de 599 725 euros au titre de l'indemnité visée par l'article L. 134-12 du code de commerce,

* jugé n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau sur ces chefs :

-  de juger que la société Champagne de Castellane devait verser à la société Y la somme de 591 535 euros au titre de l'indemnité visée par l'article L. 134-12 du code de commerce,

-  de condamner la société Y à verser à la société Champagne de Castellane la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance,

-  de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Reims du 25 février 2020 pour le surplus,

Y ajoutant :

-  de condamner la société Y à verser à la société Champagne de Castellane la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

-  de condamner la société Y aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DECISION :

1° Les manquements contractuels de la société Champagne de Castellane invoqués par la société Poot Agenturen BV :

Aux termes de l'article 1998 du code civil, le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné. Il n'est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu'autant qu'il l'a ratifié expressément ou tacitement.

L'examen de la contestation formée par la société Y sur les manquements de la société Champagne de Castellane à ses obligations contractuelles a été pour l'essentiel éludé par le tribunal qui n'a répondu que sur le seul point de la violation de l'obligation d'exclusivité territoriale et qui a concentré sa motivation sur le montant de l'indemnité compensatrice à allouer à la société Y par application de l'article L. 134-12 du code de commerce qui est une question distincte de la première.

L'appelante reproche à la société Champagne de Castellane des manquements aux obligations issues du mandat :

A. Par une volonté d'éviction de son mandataire s'étant manifestée par des décisions ayant réduit le volume du chiffre d'affaire de la société Y et par voie de conséquence son taux de commission et plus précisément :

* par une violation de l'obligation d'exclusivité territoriale démontrée par un arrêt total à partir de 2007 des demandes spontanées des clients étrangers pour se fournir, la transmission par le mandant des demandes à son mandataire ayant subitement pris fin sans explication, ce qui manifeste la volonté de la société Champagne de Castellane de traiter en direct avec les nouveaux clients en vue d'économiser la commission due à l'agent,

* par une prise de contact en direct avec le client "Mark & Spencer « : elle lui reproche d'avoir, au cours des années 2007 à 2016, pris directement contact avec ce client de la société Y sans l'en informer au préalable, et ce dans le but de l'évincer progressivement, alors qu'il s'agissait de l'un de ses clients les plus importants, en violation totale de ses obligations d'exécution loyale et de bonne foi du contrat,

* par des remises unilatéralement accordées au client Mark & Spencer sans l'en informer au préalable et surtout sans son accord, réduisant son mandataire à un simple faire valoir sans aucun pouvoir de négociation alors qu'il s'agit de son cœur d'activité ;

* par des refus injustifiés et arbitraires de nombreux clients présentés par la société Y : ainsi, le rejet d'une vente en Finlande pour 40 000 bouteilles de brut, le rejet d'une vente au client Winecorp pour 33 000 bouteilles, le rejet d'une vente en Indonésie pour 3 000 bouteilles, le rejet d'une vente en Belgique pour 50 000 bouteilles, le rejet d'une vente aux Pays-Bas pour 20 000 bouteilles ;

S'agissant du premier grief, contrairement à ce que soutient l'appelante qui entend inverser la charge de la preuve, il lui appartient, par application de l'article 1353 du code civil, de démontrer au soutien de ses allégations que la société Champagne de Castellane a traité en direct des demandes spontanées reçues de clients étrangers sur le territoire de prospection de son agent commercial sans les lui répercuter, et ce en violation de l'exclusivité territoriale qui lui était conférée par les contrats d'agent commercial signés les 1er juin et 13 décembre 1982 qui ont été repris par la société Champagne de Castellane.

Les accusations portées reposent exclusivement sur les pièces n° 20, 42 et 43 dont la cour relève que la première n'est pas traduite en français et que les autres, constituées par des captures d'écran, sont illisibles.

Il ressort en tout état de cause des éléments produits par l'intimée, bien que la charge de la preuve ne lui incombe pas, que les demandes spontanées dont fait état l'appelante (sans les identifier dans l'hypothèse où elles existeraient) ont probablement été envoyées aux adresses email "contact" de la société Château Malakoff ; qu'à compter de la reprise partielle de cette société par la société Champagne de Castellane, ces adresses n'ont plus été utilisées ; que les clients visitant le site internet du Château Malakoff ont alors été directement renvoyés vers la boîte mail du site [email protected] qui n'assure la promotion que du champagne de Castellane.

Ces éléments sont confortés par deux attestations rédigées par des employées qui précisent ne pas avoir reçu de demandes spontanées de clients pour les marques Jeanmaire, Oudinot et Beaumet.

La société Y échoue donc à rapporter la preuve d'un manquement à l'obligation d'exclusivité territoriale contenue dans les contrats.

S'agissant du second grief, il ressort de l'examen du contenu des deux contrats d'origine d'agent commercial rédigés en des termes identiques qui étaient toujours en vigueur au moment de leur résiliation pour les éléments hors commissions (ceux-ci ont été modifiés par la suite sous forme d'un avenant), que si M. X exerçait son activité professionnelle de manière indépendante, il avait pour mandat de faire tous les efforts requis par la diligence professionnelle pour promouvoir le développement des ventes et pour défendre les intérêts du mandant, pour assurer la solvabilité des acheteurs, veiller à la régularité des règlements, tenir informé le mandant de l'état du marché, du comportement de la clientèle et des initiatives de la concurrence, et de manière générale de prospecter la clientèle.

Il n'est spécifié nulle part dans les contrats qui font la loi des parties que M. X détenait le pouvoir de négocier lui-même le prix des bouteilles, son mandat ne lui conférant pas expressément cette possibilité, ni celle d'une manière générale de remettre en cause la politique commerciale de son mandant.

Les conditions d'exercice du mandat sont délimitées par la volonté des parties et dans le cas d'espèce, M. X, s'il détenait le pouvoir de signer les contrats de vente, ne détenait pas celui de négocier le prix des bouteilles de champagne.

Au regard de la jurisprudence la plus récente sur cette question (CJUE 4 juin 2020 affaire C-828/18 et cass com, 2 décembre 2020 n° 18-20.231), "les tâches principales d'un agent commercial consistent à apporter de nouveaux clients au commettant (mandant) et à développer les opérations avec les clients existants et l'accomplissement de ces tâches peut être assuré par l'agent commercial au moyen d'actions d'information et de conseil ainsi que de discussions, qui sont de nature à favoriser la conclusion de l'opération de vente des marchandises pour le compte du commettant (mandant), sans que l'agent commercial dispose de la faculté de modifier les prix desdites marchandises".

Il en ressort que la société Y ne peut imputer à faute le comportement de son mandant qui aurait selon elle repris en main l'intégralité de la négociation avec le client en direct, la rabaissant à un simple rôle d'assistant et de conseil, et ce alors qu'elle ne détenait aucunement par les mandats qui lui avaient été confiés, le pouvoir de négocier librement les prix des bouteilles, et ce même s'il apparaît qu'elle a pu prendre des initiatives dépassant le cadre de son mandat et s'affranchir avec l'accord tacite de son mandant de ses obligations contractuelles avant l'arrivée d'un nouveau directeur commercial au sein de la société Château Malakoff en 2007-2008, époque à partir de laquelle les relations contractuelles se sont détériorées entre les parties.

C'est enfin à juste titre que la société Champagne de Castellane relève que son agent commercial a le plus souvent été mis en copie de tous les mails adressés à M&S, qu'il n'a jamais émis la moindre protestation sur le fait qu'il ait pu se sentir évincé des discussions, les nombreux échanges de mail entre les parties démontrant au contraire qu'il a été associé à toutes les négociations avec cet important client.

La société Y échoue donc à rapporter la preuve d'une volonté de l'évincer et d'appliquer les contrats de manière déloyale et de mauvaise foi comme elle le soutient.

Elle sera par conséquent déboutée de sa demande indemnitaire à ce titre.

S'agissant du troisième grief, la société Y soutient que la société Champagne de Castellane a accordé des remises à la société M&S de manière unilatérale et sans l'en informer au préalable, pour un montant total de 129 195,68 euros ht pour les années 2013, 2014 et 2015, ces remises ayant été répercutées sur le montant de ses commissions, violant ainsi les obligations de loyauté et d'information auxquelles elle était tenue.

La société Champagne de Castellane démontre par les pièces qu'elle verse aux débats que son mandataire a toujours eu connaissance des prix et des remises accordées à ce client (pièces 27 et 28), qu'il recevait tous les mois un état des ventes réalisées qui comportait expressément le montant des remises accordées à M&S et le taux de commission (pièces 30 et 31), éléments qui lui ont été transmis, qu'il n'a jamais contestés et qu'il a donc acceptés.

Dès lors, la société Y ne peut raisonnablement soutenir que son mandant aurait agi de manière déloyale à son encontre.

S'agissant du quatrième et dernier grief, la société Champagne de Castellane rapporte la preuve que ces opérations ont été refusées pour des raisons légitimes, soit qu'elle avait modifié sa politique marketing en n'acceptant plus la vente de champagne avec une étiquette personnalisée pour les acheteurs qui n'étaient pas des clients habituels, soit que les volumes commandés étaient trop modestes pour une expédition à l'étranger ou soit que la vente n'était pas conforme aux conditions commerciales fixées par la société Champagne de Castellane.

Il en ressort que la société Y est là encore défaillante à démontrer que les griefs qu'elle reproche à son mandant sont constitués, de sorte qu'en l'absence de faute, les demandes indemnitaires doivent être rejetées.

B. Par une diminution unilatérale et systématique du taux de commission :

La société Y soutient que son mandant aurait systématiquement appliqué sur les ventes réalisées une commission de 2 % certes prévue dans l'avenant du 11 février 2004 mais systématiquement réduite à 2 % pour quasi tous les clients ; elle sollicite une indemnisation correspondant au rappel de commissions sur les années 2014 à 2016 (4 % au lieu de 2 %), soit 858 005,10 euros HT ;

Elle soutient que tous ces manquements n'avaient d'autre but que de réduire progressivement l'assiette de calcul de l'indemnité de rupture légalement due à l'agent.

Il ressort de la pièce n° 6 produite par la société Champagne de Castellane qu'un avenant au contrat d'agent commercial export a été signé entre Château Malakoff et la société Y le 11 février 2004 portant sur la modification des taux de commission.

Aux termes de cet avenant, deux taux de commission sont prévus :

-  l'un de 4 % lorsqu'il est fait application du tarif normal,

-  l'autre de 2 % dans les autres cas ;

Il est précisé qu'y est joint en annexe le récapitulatif des clients commissionnés à ce jour, annexe qui fait donc corps avec l'avenant.

C'est à bon droit que la société Champagne de Castellane soutient que ces taux de commission sont figés en ce qu'ils s'appliquent à tous les clients existant à la date de signature de l'avenant.

S'agissant plus précisément du client principal M&S qui bénéficie de tarifs négociés, il y est spécifié qu'il ouvre droit à une commission de 2 % au profit de l'agent pour toute commande souscrite.

Ainsi que le relève à juste titre l'intimée, les pièces produites par l'appelante qui sont censées étayer ses allégations, viennent contredire celles-ci ; les pièces 26 et 27 concernent des livraisons sur la plate-forme de M&S et des factures y correspondant qui comportent bien un taux de commission de 2 % ; les pièces 44 et 51 sont antérieures à l'avenant et donc sans objet ; les pièces 96 et 97 n'apportent aucune contradiction au fait qu'un taux de commission de 4 % a été appliqué à certains clients et de 2 % au client M&S, démontrant au contraire que la société Champagne de Castellane a bien appliqué les termes de l'avenant.

La société Y échoue ainsi à rapporter la preuve qu'un rappel de commissions pourrait lui être dû.

Elle sera en définitive déboutée de l'intégralité de ses demandes indemnitaires sur ce premier volet du litige.

2° La cessation des contrats d'agent commercial :

A. La cessation des contrats relatifs aux sous-marques Freminet, Hennerick et Chaurey:

La société Y soutient que la société Champagne de Castellane a rompu brutalement ces contrats qu'elle qualifie de "verbaux", que le délai de préavis de trois mois n'a pas été respecté et qu'elle est par conséquent en droit de solliciter une indemnité de 18 554,58 euros correspondant à trois mois de commissions, outre 10 000 euros au titre du préjudice subi.

Il ressort du courrier de résiliation adressé le 10 avril 2015 à la société Y dont il convient de lire les termes sans s'arrêter à son objet intitulé "dénonciation de nos contrats d'agent commercial concernant les marques Oudinot, Jeanmaire et Beaumet", qu'il y est indiqué qu'il est mis fin aux contrats signés en 1982 ainsi qu'à leurs avenants des 3 septembre 1987, 11 février 2004 et 19 décembre 2008.

Or, l'avenant du 11 février 2004 rappelle expressément qu'il porte sur la commercialisation des marques Beaumet, Oudinot et Jeanmaire mais également sur celle des sous-marques qui en dépendent, Freminet, Chaurey et Hennerick.

La fin des relations contractuelles entre les parties porte donc bien sur l'ensemble des contrats d'agent commercial qui concerne les marques mais également les sous-marques.

La société Y ne peut donc prétendre que ce contrat, qui serait verbal, aurait été rompu de manière abusive et qu'il ouvrirait droit à une indemnisation.

Elle sera déboutée de sa demande indemnitaire à ce titre.

B. L'indemnité compensatrice de rupture des contrats :

Aux termes de l'article L. 134-12 du code de commerce dont les dispositions sont d'ordre public, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

La cessation du mandat prive l'agent commercial de la part de marché des produits du mandant qu'il a conquise ou maintenue par ses efforts communs avec le mandant.

Si le mandant conserve cette part de marché, l'agent perd le bénéfice qu'il pouvait en espérer ; cette perte s'apprécie au jour de la fin du contrat.

L'indemnité allouée par application de l'article susvisé est destinée à réparer ce préjudice et à compenser la perte de commissions liées à l'exploitation de la clientèle de son mandant.

Il est d'usage d'évaluer à deux années de commissions le montant de cette indemnité et de la calculer sur les trois dernières années (par une moyenne multipliée par deux des commissions de ces années).

Néanmoins, cet usage ne s'impose pas aux juges du fond qui disposent d'un pouvoir souverain d'appréciation pour évaluer le montant de l'indemnisation en fonction des circonstances d'espèce, et ce dans la mesure où cette indemnisation doit correspondre au préjudice effectif subi par celui qui s'est vu notifier la fin de son contrat.

Les premiers juges ont alloué à la société Y une indemnité de rupture d'un montant de 599 725 euros, considérant qu'il convenait de retenir un calcul de commissions "coefficienté" afin de tenir compte de la baisse programmée des commissions suite à la rupture du contrat.

La société Y sollicite le versement d'une indemnité correspondant à trois années de commissions qu'elle justifie par le fait que cette rupture a entraîné la perte de 46 % de son chiffre d'affaire, et fait valoir qu'il convient également de prendre en considération la durée des relations entre les parties, l'impossibilité de compenser la perte de la carte champagne, la particularité du produit et du marché, l'importance du groupe Laurent Perrier qui possède de Castellane dans le domaine du champagne et l'existence d'une clause de non-concurrence prévue dans les contrats ;

Elle estime par ailleurs que son préjudice doit nécessairement intégrer les conséquences préjudiciables des différents manquements commis par son mandant ; elle demande 1.934.188,82 euros HT.

La société Champagne de Castellane ne conteste pas le principe d'une indemnisation mais entend la limiter à deux années de commissions comme il est d'usage.

Elle considère que l'indemnité de fin de contrat de deux années de commissions est adaptée à la réparation du préjudice réellement subi par la société Y.

Elle ajoute :

-  que la perte de 40 % du chiffre d'affaire réalisé en tant qu'agent commercial du fait de la rupture contractuelle n'a rien d'exceptionnel, que la société Y dispose de la compétence, de l'expérience et d'un réseau qui lui permettent de trouver d'autres mandats, en particulier dans le domaine du champagne,

-  qu'elle a bénéficié d'un préavis long de 20 mois et demi, largement supérieur à la durée légale du préavis qui est fixée à trois mois,

-  que contrairement à ce que soutient l'appelante, la clause de non-concurrence post-contractuelle dont elle se prévaut n'existe pas.

C'est à juste titre que la société Champagne de Castellane fait valoir que la clause de non-concurrence insérée dans les contrats dont se prévaut la société Y pour considérer qu'il lui était interdit de prospecter les anciens clients pendant un an à compter de la date de rupture, ne s'applique qu'à la situation dans laquelle l'agent commercial cède son contrat et non dans celle où c'est le mandant qui y met fin.

C'est également à bon droit que l'intimée relève que le préavis figurant dans le courrier de résiliation est un préavis long (20 mois et demi au lieu des trois mois légaux).

Il doit cependant être tenu compte des éléments suivants :

-  les parties étaient en relations contractuelles depuis 1982, soit depuis plus de 34 ans à la date de fin des contrats (31 décembre 2016), ce qui constitue une durée exceptionnelle longue ;

-  la société Y justifie à tout le moins avoir vu une chute de son chiffre d'affaire de 40 % (ce pourcentage n'est pas contesté par son adversaire) en perdant le marché des ventes des champagnes avec la société de Castellane (sa pièce 39) ;

-  si la société Y, société de droit néerlandais, a une activité diversifiée d'agent pour les producteurs de vins français et pratique également l'import-export de vins de toute provenance, elle n'a pas retrouvé de contrat dans le milieu du champagne, qui, contrairement à ce que soutient la société Champagne de Castellane, est un marché plutôt fermé dans lequel il va lui être très difficile de récupérer un client ayant un volume de ventes comparable, de sorte qu'il est permis de considérer qu'elle a perdu pour de nombreuses années voire définitivement, la carte "champagne" ;

Compte tenu de ces éléments, la décision sera infirmée et l'indemnité compensatrice sera calculée sur trente mois selon la méthode suivante :

-  commissions versées pour l'année 2014 : 261 275,51 euros

-  commissions versées pour l'année 2015 : 389 321,68 euros

-  commissions versées pour l'année 2016 : 236 705,16 euros

qu'il n'y a pas lieu de majorer (aucune faute n'a été retenue sur le premier volet du litige) ni de "coefficienter" comme l'a fait le tribunal, soit une moyenne annuelle de 295 767,45 euros,

de sorte qu'il sera alloué à la société Y au titre de l'indemnité prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce la somme de 591 535 euros (pour deux années) + 147 883 euros (au prorata pour la troisième année) soit au total la somme de 739 418 euros ;

Cette somme produira intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure adressée le 16 mars 2017 au conseil de la société Champagne de Castellane dont il a accusé réception le 22 mars 2017;

La capitalisation des intérêts, qui est de droit, sera ordonnée.

3° L'article 700 du code de procédure civile :

En équité, chacune des parties gardera à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a engagés pour l'ensemble de la procédure de première instance et d'appel.

Elles seront par conséquent déboutées de leur demande à ce titre.

4° Les dépens :

Les dépens de première instance et d'appel seront partagés par moitié entre les parties.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;

Infirme le jugement rendu le 25 février 2020 par le tribunal de commerce de Reims.

Statuant à nouveau ;

Dit que la société Champagne de Castellane n'a pas commis de manquements dans l'exécution des contrats d'agent commercial et déboute en conséquence la société Y de l'intégralité de ses demandes indemnitaires à ce titre.

Déboute la société Y de sa demande indemnitaire au titre du contrat concernant les sous-marques Freminet, Hennerick et Chaurey.

Condamne la société Champagne de Castellane à payer à la société Agenturen BV au titre de l'indemnité de rupture prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce la somme de 739 418 euros ;

Dit que cette somme doit produire intérêt au taux légal à compter du 22 mars 2017 ;

Ordonne la capitalisation des intérêts ;

Déboute les parties de leur demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dit que les dépens de première instance et d'appel doivent être partagés par moitié entre les parties.