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Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 15 septembre 2021, n° 20/02800

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Naturhouse (SAS)

Défendeur :

Balma Diet (SAS), Osarmonis (SAS), Laural (SARL), Natural (SARL), Natur'L'diet (SARL), MPdiet (SAS), Cejo (SARL), Wellness Sisters (SARL), Diet 34 (SAS), Loisirs et Santé (SARL), Diet Plaisir (EURL), Centre Diététique de Roussillon (Sasu), NH Ancenis (SARL), Bayeux Diététique (SARL), Cherbourg Diététique (SARL), Gem (Sasu), Verodiet (SARL), JB Diet (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

C. Beneix-Bacher

Conseillers :

P. Poirel, V. Blanque-Jean

Avocats :

Me Cabaré, Me Bonnaud-Chabirand, Me Saint Geniest, Me Bellet, Me Saint Geniest

T. com. Albi, du 29 sept. 2020

29 septembre 2020

FAITS

La SAS Naturhouse a développé un réseau de franchises sur l'ensemble du territoire national et européen. Chaque franchisé du réseau bénéficie d'une exclusivité sur le territoire concédé. En contrepartie, il est astreint à une exclusivité d'approvisionnement et de distribution.

A partir du premier semestre 2019, la SAS Naturhouse a procédé à l'ouverture d'un site internet. Cette mise en œuvre devait être réalisée dans le respect des zones d'exclusivité dont bénéficie chaque franchisé.

Néanmoins, ceux-ci reprochent au franchiseur de sacrifier leurs intérêts en ne prenant aucune mesure leur permettant de faire face au durcissement de la concurrence et à la baisse de la rentabilité générale des centres.

PROCÉDURE

Par acte en date du 28 juillet 2020, la Sarl Loisirs et Santé, la Sarl Nh Ancenis, la Sarl Bayeux Diététique, la Sarl Cherbourg Diététique, la société X, la SAS Gem, la Sarl Verodiet, la SAS Jb Diet, la SAS Balma Diet, la SAS Osarmonis, la Sarl Laural, la Sarl Natural, la Sarl Natur'L'Diet, la SAS MPDIET, la Sarl Cejo, la Sarl Natur&Dlet, la Sarl Leidy Diet, la Sarl Wellness Sisters, la Sarl M.A.Diététique, et la SAS Diet 34, préalablement autorisées suivant ordonnance du 23 juillet 2020, ont fait assigner d'heure à heure la SAS Naturhouse devant le juge des référés du tribunal de commerce d'Albi pour obtenir la cessation de la commercialisation de ses produits sur son site internet et/ou sur tout autre site sous astreinte de 3 000 euros par jour de retard.

Par acte en date du 30/07/2020, les l'EURL Diet Plaisir et la SASU Centre Dietetique De Roussilon ont fait également assigner à comparaître devant le juge des référés du tribunal de commerce d'Albi, la SAS Naturhouse aux mêmes fins.

Par ordonnance réputée contradictoire en date du 29 septembre 2020, le juge a :

- pris acte du désistement des Sarl Natur&Diet et Leidy Diet,

- dit que l'assignation en référé d'heure à heure est valable, l'erreur n'ayant pas causé de grief au défendeur,

- s'est déclaré compétent pour statuer sur la présente affaire,

- ordonné à la SAS Naturhouse de cesser, dans les 15 jours suivant la signification de la présente ordonnance, la commercialisation de l'intégralité de ses produits sur son site internet et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard,

- condamné la SAS Naturhouse au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du CPC, « attendu que ces sommes sont globales et ne doivent pas être entendues par demanderesses » (sic),

- condamné la SAS Naturhouse aux entiers dépens de l'instance, liquidés et taxés à la somme de 268,44 euros, outre les dépens de l'affaire jointe et enrôlée sous le numéro 2020001878 liquidés et taxés à la somme de 130,58 euros, et outre le coût de la signification de la présente décision,

- rejeté le surplus de la demande.

Par déclaration en date du 16 octobre 2020, la SAS Naturhouse a interjeté appel de l'ordonnance en ce qu'elle a :

- considéré que, le fait pour le franchiseur d'avoir eu recours à la création d'un site internet de vente des produits en ligne, causait un trouble manifestement illicite aux franchisés,

- considéré que les termes de la clause d'interdiction des ventes en ligne étaient explicites se déclarant ainsi compétent,

- ordonné à la SAS Naturhouse de cesser, dans les 15 jours suivant la signification de l'ordonnance, la commercialisation de l'intégralité de ses produits sur son site internet, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

Par ordonnance du 27 janvier 2021, le premier président de la cour d'appel a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire, débouté 18 franchisés comparants de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, déclaré recevable la demande de radiation présentée par ces 18 franchisés comparants, rejeté leur demande de radiation et a condamné la SAS Naturhouse à verser à l'ensemble des franchisés la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La SAS Naturhouse, dans ses dernières conclusions en date du 12 mai 2021, demande à la cour au visa des articles 56, 114, 485, 858 et 873 du Code de procédure civile, de :

- débouter les intimés de leur appel incident,

- réformer l'ordonnance en date du 29 septembre 2020 rendue par le juge des référés en ce qu'elle a :

- considéré que, le fait pour le franchiseur d'avoir eu recours à la création d'un site internet de vente des produits en ligne, causait un trouble manifestement illicite aux franchisés,

- considéré que les termes de la clause d'interdiction des ventes en ligne étaient explicites se déclarant ainsi compétent,

- ordonné à la SAS Naturhouse de cesser, dans les 15 jours suivant la signification de l'ordonnance, la commercialisation de l'intégralité de ses produits sur son site internet, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

En conséquence, statuant à nouveau :

- dire et juger que la SAS Naturhouse n'a pas violé les dispositions des contrats de franchise,

- dire et juger que les intimés n'apportent pas la preuve de la réalité du préjudice qu'elles allèguent,

- dire et juger que la SAS Naturhouse n'a causé aucun trouble manifestement illicite aux intimés,

- dire et juger que les demandes faites par les intimés en première instance nécessitaient une interprétation au fond des contrats de franchise, de la compétence exclusive du juge du fond,

- dire et juger que la SAS Naturhouse n'a causé aucun trouble manifestement illicite aux intimés en procédant à des ventes internet envers des clients situés sur les zones blanches,

- dire et juger n'y avoir lieu à référé en l'état de la contestation sérieuse existante,

- débouter l'ensemble des intimés de leurs demandes, fins et prétentions,

- autoriser la SAS Naturhouse à poursuivre la commercialisation de l'intégralité de ses produits sur son site internet,

En toutes hypothèses,

- condamner solidairement les intimées au paiement de la somme de 3 000 au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- condamner les intimées aux entiers dépens de l'instance.

La Sarl Loisirs et Santé, la Sarl Nh Ancenis, la Sarl Bayeux Dietetique, la Sarl Cherbourg Dietetique, X, la Sasu Gem, la Sarl Verodiet, la Sas Jb Diet, la Sas Balma Diet, la Sas Osarmonis, la Sarl Laural, la Sarl Naturel, la Sarl Natur'l'diet, la Sas Mpdiet, la Sarl Cejo, la Sarl Wellness Sisters, la Sarl Ma Dietetique, la SasDiet 34, l'Eurl DietPlaisir, la Sasu Centre Diététique de Roussillon, demandent à la cour, dans leurs dernières conclusions en date du 12 mai 2021, au visa des articles 873 du Code de procédure civile, 564 du Code de procédure civile, 1134 du Code civil, de :

- confirmer en toutes leurs dispositions les deux ordonnances rendues le 29 septembre 2020 par le Président du Tribunal de commerce d'Albi, sauf en ce qui concerne le montant de l'astreinte,

- dire et juger irrecevable la nouvelle demande formulée par la SAS Naturhouse en cause d'appel visant à être « autorisée à poursuivre la commercialisation de l'intégralité de ses produits sur son site internet »,

Statuant de nouveau,

- ordonner à la SAS Naturhouse de cesser immédiatement, dès le jour du prononcé de l'ordonnance à intervenir, et ce sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, la commercialisation de l'intégralité de ses produits sur son site internet et/ou sur tout autre site,

- condamner la SAS Naturhouse à verser à chaque société franchisée une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la SAS Naturhouse aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 mai 2021.

MOTIVATION

La SAS Naturhouse soutient que la preuve des conditions de l'article 873 du code de procédure civile invoqué par les demandeurs à l'action ne sont pas rapportées en l'absence de trouble manifestement illicite puisque le franchiseur n'est pas contractuellement interdit de vente en ligne et que ces ventes n'ont été réalisées que sur des zones blanches soit des zones non concernées par l'exclusivité territoriale. L'article 2 « Objet du contrat » n'a pour but que d'encadrer les conditions d'exploitation d'un centre Naturhouse par les franchisés. La vente en ligne par le franchiseur permet de faire évoluer son concept aux nouvelles attentes de la clientèle et de s'adapter aux circonstances telles celles de la pandémie et du confinement qui s'en est suivi. Elle fait valoir en outre qu'elle a avisé ses contractants suivant courrier du 1er mai 2020 que la commercialisation en ligne ne concernait que les zones blanches non affectées d'une exclusivité territoriale sauf avenant que 181 franchiseurs ont accepté. Donc, il n'est justifié d'aucune violation contractuelle ni d'aucun trouble manifestement illicite ni d'aucun préjudice tel que la perte de chiffre d'affaire. Seule une erreur a été commise par le démarchage d'un client situé en zone d'exclusivité. L'interdiction faite par le juge des référés ne repose que sur une interprétation des clauses du contrat qui pourtant relève de la compétence exclusive du juge du fond. L'appelante demande donc à être autorisée à poursuivre la commercialisation de l'intégralité de ses produits sur son site internet ce qui ne constitue pas une demande nouvelle mais seulement la reformulation de ses demandes initiales présentées devant le premier juge.

Les intimées concluent au contraire qu'il ressort clairement des articles 2 et 5 que les ventes par internet sont interdites « compte tenu de la spécificité du concept » et des produits qui nécessitent un suivi personnalisé du client par une diététicienne de formation. Le franchiseur doit lui-même respecter son propre concept et respecter l'exclusivité du franchisé en lui évitant toute concurrence déloyale. L'exclusion est générale et s'applique tant au franchiseur qu'au franchisé. Ce dernier s'engage à une exclusivité d'approvisionnement et de distribution en contrepartie d'une exclusivité territoriale. Dans un courrier d'avril 2019, le franchiseur avait rassuré les franchisés en affirmant s'interdire la vente par internet dans le marché français en ce qu'il serait incompatible avec les contrats de franchise. Les avenants proposés un an après que 309 franchisés sur 438 ont refusé de signer, ne sont que des tentatives de régularisation d'une situation illicite, de même que la proposition de vente exclusivement dans les zones blanches, le contrat excluant toute vente en ligne, d'autant qu'il est démontré que le franchiseur prospecte également dans les zones pourtant protégées. La preuve d'une violation évidente d'une clause contractuelle constitue un trouble manifestement illicite que le juge des référés doit faire cesser.

La demande d'autorisation à poursuivre la commercialisation de l'intégralité de ses produits sur son site internet est une demande nouvelle en cause d'appel et donc irrecevable.

En vertu de l'article 873 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent se définit comme celui qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer.

Et le trouble manifestement illicite se définit comme toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit à laquelle le juge des référés peut mettre un terme à titre provisoire ; dans ce cas, le dommage est réalisé et il importe d'y mettre un terme. Mais si la condition de l'absence de contestation sérieuse n'est pas requise par l'article 873, pour autant, une contestation réellement sérieuse sur l'existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite interdit de prescrire la mesure sollicitée.

En l'espèce, considérant que le site internet a déjà été créé, alors le dommage est réalisé et la deuxième branche de l'alternative de l'article 873 doit être retenue soit le trouble manifestement illicite.

L'article 2 du contrat type de franchise dispose : « la vente des produits par internet est également interdite seule la vente directe en magasin est autorisée compte tenu des circonstances exceptionnelles relatives à la spécificité du concept et des produits ». Cet article ne distingue pas entre le franchiseur et le franchisé, et l'article 6E relatif aux obligations du franchisé qui précise et réitère cette interdiction à l'encontre de ce dernier, n'a pas pour effet d'exonérer le franchiseur de cette interdiction à visée générale dans l'article 2.

Le fait que la création d'un site internet n'est pas assimilable à l'implantation d'un point de vente dans le secteur protégé est sans incidence en l'espèce puisque le contrat de franchise interdit sans distinction entre les parties ni distinction de zones, la vente par internet.

Et la SAS Naturhouse le reconnaît elle-même aux termes de l'avenant au contrat de franchise, admettant ainsi l'insuffisance du contrat initial sur ce point puisqu'il est ajouté clairement que «... le franchiseur peut vendre les produits Naturhouse dans le cadre de son activité normale et sans restriction aucune, à partir de son site internet : www.naturhouse.fr.» à tous clients Naturhouse indépendamment de leur localisation, y compris s'ils résident dans la zone d'exclusivité contractuelle du franchisé », en contrepartie de quoi ce dernier perçoit une rétrocession sur les ventes à des clients résidant dans sa zone d'exclusivité sous forme de compensation avec toute facture d'achat de produits Naturhouse.

Par ailleurs, elle reconnaît avoir recours à des ventes en ligne auprès de clients situés en dehors des zones d'exclusivité et elle ne conteste pas les constatations de l'huissier qui dans son procès-verbal du 11 juin 2020 a pu déterminer qu'une cliente de la SARL MA Dietétique à Clermont l'Hérault, domiciliée dans la zone d'exclusivité du franchisé a pu procéder à un achat en ligne sur le site internet du franchiseur.

Ainsi en l'état des contrats de franchise, les ventes en ligne à l'initiative du franchiseur justifiées par huissier, est sans contestation possible illicite et est de nature à causer une concurrence déloyale à l'égard des franchisés qu'elles soient réalisées auprès de clients situés ou non en zone d'exclusivité.

La preuve d'un trouble manifestement illicite est donc rapportée et la décision sera en conséquence confirmée, en ce qu'elle a ordonné à la SAS Naturhouse de cesser, dans les 15 jours suivant la signification de la décision, la commercialisation de l'intégralité de ses produits sur son site internet et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard, sans qu'il y ait lieu de procéder à une interdiction « sur tout autre site », une telle demande n'étant pas argumentée.

Considérant que la résistance de la SAS Naturhouse dans l'exécution de la décision de première instance, l'astreinte doit être également confirmée dans son montant, suffisamment dissuasif.

PAR CES MOTIFS

La cour

- Confirme l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce d'Albi en date du 29 septembre 2020 en toutes ses dispositions.

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SAS Naturhouse à verser à chacune des intimées la somme de 250.

- Condamne la SAS Naturhouse aux dépens.