Cass. com., 1 décembre 1987, n° 86-11.328
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Baudoin
Rapporteur :
M. Le Tallec
Avocat général :
M. Jéol
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard, M. Barbey, SCP Lemaître et Monod
Attendu que, selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 novembre 1985) et les documents produits, l'appellation d'origine contrôlée Romanée-Conti a été créée par décret du 11 septembre 1936 ; que la société civile du Domaine de la Romanée-Conti (société Romanée-Conti) est titulaire de la marque " Romanée-Conti appellation Romanée-Conti contrôlée " déposée le 29 septembre 1981 sous le n° 1 183 606 pour " vins, spiritueux et alcools à base de vin " en renouvellement d'un dépôt antérieur et de la marque " domaine de la Romanée-Conti " déposée le 29 juin 1977 sous le n° 1 044 668 pour " vins, spiritueux " en renouvellement d'un autre dépôt et qu'elle utilise la dénomination " Romanée-Conti " à titre de nom commercial et d'enseigne ; qu'au motif que la société à responsabilité limitée Y Bernard de X (société X) constituée le 24 novembre 1981 vendait des vins sous cette dénomination et avait déposé la marque " Y Bernard et X " le 22 janvier 1982 sous le n° 15 988, la société Romanée-Conti a demandé que soit prononcée la nullité de cette marque ainsi que la condamnation de la société X et de la société Pieroth frères et fils (société Pieroth) pour contrefaçon ou imitation illicite de ces marques, pour utilisation de son nom commercial et de son enseigne et pour concurrence déloyale et a en outre contesté le droit de la société X à utiliser cette appellation au motif qu'elle résultait d'une fraude ; .
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Romanée-Conti fait grief à la cour d'appel d'avoir déclaré recevable la demande reconventionnelle en nullité de ses marques alors que, selon le pourvoi, d'une part, dans ses conclusions, la société Romanée-Conti soulevait l'irrecevabilité de la demande en annulation de ses marques formée par les sociétés X et Pieroth qui ne pouvaient se prévaloir et ne se prévalaient d'aucun droit privatif existant à leur profit sur le même signe et ne justifiaient d'aucun préjudice ; qu'en ne répondant pas à ce chef déterminant des conclusions de la société civile, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, et alors que, d'autre part, et par voie de conséquence, la cour d'appel a privé de base légale sa décision au regard tant des dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1964 que de celles de l'article 35 de la même loi et de celles de l'article 1er de la loi du 6 mai 1919 en faisant droit à la demande d'annulation des sociétés X et Pieroth sans relever l'existence d'un quelconque droit privatif existant à leur profit sur le même signe auquel il aurait été porté atteinte, ni relever l'existence d'un quelconque préjudice personnel et direct subi par ces sociétés du fait du dépôt par l'unique propriétaire de l'aire de production de la Romanée-Conti des marques litigieuses ou de leur utilisation ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui n'était pas saisie d'une demande principale alléguant une violation de la législation sur les appellations d'origine et qui a statué sur la descriptivité et la déceptivité de marques en liaison avec le caractère d'ordre public de la réglementation des appellations d'origine, a, répondant ainsi aux conclusions, souverainement apprécié l'intérêt qu'avait la société X, poursuivie pour contrefaçon de ces marques, à former la demande reconventionnelle en nullité des marques en cause ; que le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches ;
Sur les deuxième et troisième moyens réunis, pris en leurs diverses branches :
Attendu que la société Romanée-Conti fait également grief à la cour d'appel d'avoir prononcé la nullité de ses marques alors, selon le pourvoi, d'une part, que la validité d'une marque déposée avant la mise en vigueur de la loi du 31 décembre 1964 doit être appréciée par référence aux dispositions de la loi du 23 juin 1857 et non à celles de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1964 qui précise de nouveaux critères d'appréciation de la validité des marques ; qu'en l'espèce, la dénomination Romanée-Conti, outre un usage constant depuis le dix-huitième siècle, a été déposée pour la première fois le 14 janvier 1928 et l'appellation d'origine du même nom créée par décret du 11 septembre 1936 ; qu'en retenant, pour déclarer nulles les marques Domaine de la Romanée-Conti et Romanée-Conti (étiquettes), qu'est prohibé, par application de l'article 3 de la loi de 1964, le dépôt d'une appellation d'origine à titre de marque et sans par ailleurs justifier qu'une telle prohibition ait existé antérieurement, à tout le moins à la date du premier dépôt de la dénomination Romanée-Conti à titre de marque, la cour d'appel a violé l'article 35 de la loi du 31 décembre 1964, alors que, d'autre part, la cour d'appel a privé de base légale sa décision au regard de l'article 35 de la loi du 31 décembre 1964 en ne recherchant pas si les deux marques de la société Romanée-Conti n'avaient pas, à la date de leur appropriation, un caractère distinctif, alors qu'en outre, à supposer que les deux marques n'aient pas eu, à l'époque de leur appropriation, un caractère distinctif, en ne recherchant pas, ainsi que l'y invitait la société Romanée-Conti, si depuis le premier dépôt, en janvier 1928, les marques litigieuses n'avaient pas acquis par l'effet de la durée de leur usage le caractère distinctif qui leur aurait fait défaut, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 6 quinquies de la convention d'union, alors que, de plus, la validité d'une marque s'apprécie à la date de son appropriation, premier usage ou premier dépôt ; qu'en se déterminant par de pures éventualités, non réalisées à la date de sa décision, pour déclarer trompeuses les marques litigieuses, la cour d'appel a violé l'article 35 de la loi du 31 décembre 1964, alors que, de surcroît, les marques déposées étaient d'un côté la dénomination verbale Domaine de la Romanée-Conti et d'un autre côté l'étiquette : Romanée-Conti, qu'en se déterminant par la seule affirmation que les marques déposées sont du reste dès maintenant trompeuses en tant qu'elles le sont pour désigner des vins en général et des spiritueux, sans constater, et tout à la fois, que les vins commercialisés par la société Romanée-Conti sous la marque Domaine de la Romanée-Conti n'avaient pas droit à cette appellation et que ceux commercialisés sous la marque étiquetée Romanée-Conti n'avaient pas droit à cette appellation d'origine contrôlée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 35 de la loi du 31 décembre 1964 et de l'article 1er de la loi du 23 juin 1857, et alors qu'enfin, sur aucune étiquette ne coexistent la dénomination Romanée-Conti en même temps qu'une autre appellation contrôlée telle qu'Echezeaux ou Richebourg, que sur les étiquettes des vins distribués par la société Romanée-Conti sont mentionnés seulement, outre la mention de l'appellation contrôlée, le nom et l'adresse du propriétaire qui, aux termes de l'article 283 du Code du vin, doivent obligatoirement y figurer ; qu'en faisant état de la coexistence sur une même étiquette de la dénomination Romanée-Conti et d'une autre appellation contrôlée au motif que le risque de tromperie est accru par la coexistence sur une étiquette de la dénomination Romanée-Conti et d'une autre appellation contrôlée telle que Richebourg et Echezeaux - vins vendus par la société intimée - qui est de nature à susciter des interprétations erronées dans l'esprit du consommateur, pour retenir un risque de tromperie, la cour d'appel a dénaturé les étiquettes et violé l'article 1134 du Code civil ainsi que l'article 283 du Code du vin ;
Mais attendu que, compte tenu du caractère d'ordre public de la protection dont bénéficient les appellations d'origine contrôlée, la cour d'appel, qui a énoncé que les marques en cause étaient trompeuses en tant qu'elles désignaient les vins en général, a décidé à bon droit que ces marques étaient nulles, quelle qu'ait pu être antérieurement leur validité, et a ainsi justifié légalement sa décision de ce chef, abstraction faite de tout autre motif ; d'où il suit que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;
Et sur le quatrième moyen :
Attendu que la société Romanée-Conti fait enfin grief à la cour d'appel de l'avoir déboutée de sa demande en nullité de la " cession " par le vicomte Bernard de X de Beaune de l'utilisation de son nom amputé de la dernière partie " de Beaune " alors que, selon le pourvoi, d'une part, aux termes de l'article 1er de la loi du 6 fructidor an II, aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance, que l'usage ne saurait prévaloir contre une disposition légale présentant un caractère d'ordre public ; que la cour d'appel qui, tout en reconnaissant elle-même que le texte précité devait être respecté dans tous les actes juridiques, a décidé que n'était pas répréhensible au regard de la loi susvisée la convention par laquelle le vicomte Bernard de X cédait l'utilisation à des fins commerciales de son nom amputé de la dernière partie " de Beaune ", a violé l'article 1er de la loi du 6 fructidor an II, et alors que, d'autre part, en ne s'expliquant pas sur les raisons de commodité susceptibles de justifier que, contrairement à l'usage, le nom du vicomte ait été amputé de sa dernière partie, et en ne recherchant pas, ainsi que l'y invitait la société Romanée-Conti dans ses conclusions, si la convention du 25 mars 1981 n'avait pas d'autre but que la fraude : permettre aux sociétés X et Pieroth de se placer dans le sillage d'une appellation d'origine prestigieuse et d'en tirer profit, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du principe " fraus omnia corrumpit " et de la loi du 6 fructidor an II ;
Mais attendu, d'une part, que la loi du 6 fructidor an II, qui édicte une interdiction concernant le citoyen, ne vise pas l'usage du nom patronymique à titre commercial ou comme dénomination sociale ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel, par une appréciation souveraine, a retenu que le but frauduleux allégué n'était pas établi ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.