CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 16 septembre 2021, n° 18/06804
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Papelia Numerique (SAS)
Défendeur :
Prabiz (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Conseillers :
Mme Berquet, Mme Combrie
EXPOSE DU LITIGE
La société Papelia Numérique a été créée en 2005 par M. Patrick R. et a pour spécialité la commercialisation, l'installation et l'entretien de machines d'impression, de découpe et de gravure destinées à la communication visuelle et à la publicité, ainsi que la commercialisation de pièces détachées.
La société Prabiz a, quant à elle, été fondée le 21 décembre 2012 par M. Alexandre B. alors que celui-ci était salarié de la société Papelia Numérique en qualité de technico-commercial, avant de bénéficier d'une rupture conventionnelle de son contrat de travail le 14 mai 2013.
La création de cette société a été soutenue par M. R., qui indique qu'à l'origine, la société Prabiz avait un objet social différent de celui de la société Papelia Numérique dans la mesure où son activité était limitée à l'utilisation du matériel d'impression et non à l'achat et à la vente de ce matériel, faisant ainsi de la société Prabiz un client et non pas un concurrent.
M. Alexandre B. soutient quant à lui que la société devait être créée à l'origine avec M. Patrick R., expliquant d'ailleurs qu'elle porte leurs initiales dans sa dénomination, et que finalement, M. R. a décidé de ne pas s'associer à cette nouvelle entité.
Plusieurs mois après la constitution de la société Prabiz, la société Papelia Numérique indique qu'elle a constaté l'existence de pratiques déloyales de la part de cette société, notamment une campagne de dénigrement à son égard, une publicité comparative trompeuse, l'enregistrement des termes « Papelia Numérique » comme marque et le détournement de clientèle au moyen du piratage de sa messagerie.
Le 16 septembre 2016 la société Papelia Numérique a obtenu du tribunal de commerce de Marseille une ordonnance sur requête désignant un huissier de justice à l'effet de se rendre au siège social de la société Prabiz, lequel a collecté divers documents dans les ordinateurs de la société Prabiz et dans le téléphone portable de M. Alexandre B., qualifiés de « stratégiques et confidentiels » par la société Papelia Numérique.
Parallèlement la société Papelia Numérique a également sollicité en justice la communication par les opérateurs téléphoniques de l'historique des connexions relatives à son adresse électronique « [email protected] ».
Le 20 juin 2017 la société Papelia Numérique a assigné la société Prabiz et M. Alexandre B. devant le tribunal de commerce de Marseille afin d'obtenir réparation du préjudice subi en raison de leurs agissements en concurrence déloyale.
Par jugement en date du 6 mars 2018 le tribunal de commerce de Marseille a :
- jugé que la société Prabiz et M. Alexandre B. n'avaient commis aucun acte de concurrence déloyale et de parasitisme à l'égard de la société Papelia Numérique,
- débouté la société Papelia Numérique de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamné la société Papelia Numérique à payer à la société Prabiz et à M. Alexandre B. la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les dépens,
- rejeté le surplus des demandes
Par déclaration en date du 19 avril 2018 la société Papelia Numérique a interjeté de la décision.
Par conclusions enregistrées le 22 décembre 2020, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Papelia Numérique fait valoir que :
- la société Prabiz est responsable de faits de concurrence déloyale et de parasitisme à son égard en l'état des éléments suivants : piratage de sa messagerie électronique, collusion entre la société Prabiz et deux anciens salariés de la société Papelia Numérique, détournement d'informations et de documents confidentiels et stratégiques, déloyauté lors de la constitution de la société Prabiz, dénigrement, publicités comparatives illicites, et parasitisme,
- ces agissements sont à l'origine d'un préjudice pour la société Papelia Numérique au titre de la perte de marge et du trouble commercial engendrés
- M. Alexandre B. est responsable en qualité de co-auteur
La société Papelia Numérique demande ainsi à la cour, au visa des articles 1240 et suivants du code civil, L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle et L. 122-1 du code de la consommation, d'infirmer le jugement en date du 6 mars 2018 en ce qu'il a :
- dit et jugé que la société Prabiz et Monsieur B. n'ont commis aucun acte de concurrence déloyale et de parasitisme à l'égard de la société Papelia Numérique ;
- condamné la Papelia Numérique S.A.S. à payer à la Prabiz S.A.S. et à M. B. la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles occasionnés par la présente procédure ;
- laissé à la charge de Papelia Numérique S.A.S. les dépens toutes taxes comprises de ta présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du Code de Procédure Civile;
- débouté la société Papelia Numérique S.A.S. de ses demandes tendant à la condamnation in solidum de la société Prabiz et de Monsieur B. à lui payer les sommes de 565.488 euros en réparation du préjudice financier et de 575.586 euros en réparation du trouble commercial sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil;
- débouté la société Papelia Numérique S.A.S. de sa demande à titre subsidiaire d'ordonner avant dire droit une expertise judiciaire relative à la détermination du préjudice ;
- débouté la société Papelia Numérique S.A.S.de ses demandes tendant à la condamnation in solidum de la société Prabiz et de Monsieur B. à lui payer la somme de 12.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les honoraires de la SCP B., de l'expert informatique et les entiers dépens;
et, statuant à nouveau, de :
- dire et juger que la société Prabiz a commis de nombreux agissements constitutifs de parasitisme et d'une concurrence déloyale outrancière à l'encontre de la société Papelia Numérique et que Monsieur Alexandre B. a été coauteur desdits agissements,
- condamner in solidum la société Prabiz et Monsieur Alexandre B. à payer à la société Papelia Numérique la somme de 891.200 euros en réparation du préjudice financier résultant de la perte de marge constatée par la concluante du fait des agissements de concurrence déloyale des défendeurs en application des dispositions de l'article 1240 du Code civil,
- condamner in solidum la société Prabiz et Monsieur Alexandre B. à payer à la société Papelia Numérique la somme de 300 000 euros en réparation du trouble commercial causé, sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du Code civil,
A titre subsidiaire, si toutefois la Cour de céans estimait ne pas avoir d'éléments suffisants pour définir le préjudice subi par la société Papelia Numérique du fait des agissements de concurrence déloyale décrits dans le cadre de la présente procédure, il conviendrait :
- d'ordonner avant dire droit une expertise judiciaire,
- de désigner à cet effet tel expert qu'il plaira à la Cour de nommer avec pour mission de :
° entendre les parties et leurs conseils,
° se faire remettre par les parties tous éléments utiles à l'accomplissement de sa mission, notamment le grand livre clients de la société Prabiz et les chiffres d'affaires qu'elle a réalisé depuis son immatriculation,
° rechercher la perte de marge bénéficiaire subie par la société Papelia Numérique ainsi que les préjudices résultant de sa désorganisation, de la diminution ou perte d'avantages concurrentiels et de l'atteinte portée à son image, par suite des faits de parasitisme économique et de concurrence déloyale commis par la société Prabiz et Monsieur Alexandre B. à compter de l'immatriculation de la société Prabiz,
° plus généralement fournir à la Cour de céans tous éléments de nature à lui permettre d'apprécier le préjudice subi par la société Papelia Numérique, causés par les faits de parasitisme économique et de concurrence déloyale commis par la société Prabiz et Monsieur Alexandre B. depuis l'immatriculation de la société Prabiz,
- de dire qu'il appartiendra à la société Prabiz et à Monsieur B. de consigner la provision fixée pour la mission de l'expert dans le mois de la présente décision sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard,
- de dire que l'expert devra rendre son rapport dans les quatre mois du jour où il sera avisé du versement de la consignation.
En tout état de cause :
- condamner in solidum tous succombants à payer à la société Papelia Numérique la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamner in solidum tous succombants à payer à la société Papelia Numérique la somme de 2.388,24 euros correspondant aux honoraires de la SCP B. et la somme de 1379,98 euros correspondant aux honoraires de l'expert informatique, relatifs aux opérations du constat du 3 octobre 2016,
- condamner in solidum tous succombants aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Joseph M., Avocat au Barreau d'Aix-en-Provence.
- débouter les intimés de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions
Par conclusions enregistrées le 7 mai 2021, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. Alexandre B. et la société Prabiz font valoir que :
- il n'existe aucun acte de concurrence déloyale ou de parasitisme,
- le préjudice invoqué par la société Papelia Numérique au titre de la perte de marge et du trouble commercial n'est pas démontré,
- la faute de M. Alexandre B. ne peut être retenue dès lors qu'il n'est pas démontré qu'il a commis une faute intentionnelle particulièrement grave, incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions
Ainsi, M. Alexandre B. et la société Prabiz demandent à la cour, au visa de l'article 1240 du code civil, de:
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 6 mars 2018,
- débouter la société Papelia Numérique de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société Papelia Numérique au paiement de la somme de 8000 euros au titre de l'art 700 du code de procédure civile outre aux dépens
A titre subsidiaire,
- ramener le préjudice à de plus justes proportions
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 10 mai 2021et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 07 juin 2021.
L'affaire a été retenue le 07 juin 2021 et mise en délibéré à la date du 16 septembre 2021.
MOTIFS
Sur les faits de concurrence déloyale et de parasitisme :
Aux termes de l'article 1240 du code civil tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Par ailleurs, il résulte de l'article 1241 du code civil que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
A cet égard, la concurrence existante entre deux sociétés, spécialisées dans un secteur de marché similaire, ne constitue pas en soi un acte fautif en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie.
En revanche, est fautive la concurrence qui s'accompagne d'actes ou de manœuvres déloyales employées à dessein dans le but de désorganiser ou déstabiliser une autre entreprise, notamment dans l'objectif de neutraliser son activité.
S'agissant du piratage de la messagerie électronique de la société Papelia Numérique, il apparaît que dans le cadre de deux ordonnances rendues par le tribunal de commerce de Marseille les 24 février et 7 mars 2017, il a été procédé à l'examen des connexions à l'adresse mail « [email protected] » entre le 17 juillet et le 5 août 2016.
Cet examen établit que M. Alexandre B., dirigeant de la société Prabiz, et M. Alexandre B., salarié de la société Prabiz, après une période d'essai chez la société Papelia Numérique, chacun sous une adresse IP différente (IP:77.145.8.103 pour M. Alexandre B. et IP:90.47.9.52 pour M. Alexandre B.) se sont connectés 378 fois sur l'adresse mail de la société Papelia Numérique sur un total de 432 connexions sur la période susvisée.
Par ailleurs, il est également établi, au moins par trois attestations de clients et par le rapprochement des connexions, que le commercial de la société Prabiz est entré en contact avec des clients de la société Papelia Numérique sur cette période (entre le 22 et le 26 juillet 2016), juste après la réception d'une demande de client ou l'envoi d'une offre commerciale émise par la société Papelia Numérique, dans un délai compris entre 10 minutes et une heure, et que ce même commercial avait connaissance de faits (panne du matériel notamment), impliquant nécessairement un accès préalable aux messages adressés par les clients de la société Papelia Numérique.
Il résulte ainsi de ces éléments que M. Alexandre B. et la société Prabiz, de par leurs fonctions précédemment exercées au sein de la société, ont accédé à la messagerie de la société Papelia Numérique et détourné des informations relatives à sa clientèle ou à sa stratégie commerciale, dans le but de détourner ses clients et d'adapter ses propres offres par rapport à celles de son concurrent, et ce, dans des proportions excluant toute coïncidence.
Enfin, M. Alexandre B. ne peut exciper de voyages à l'étranger pour dénier les connexions relevées à partir de son adresse IP dès lors que les documents de voyage produits (ticket électronique et tampons apposés sur le passeport) portent des dates postérieures au 5 août 2016.
De même, le piratage invoqué par M. Alexandre B. de son adresses IP et de celle de M. B., outre qu'il n'est pas démontré au cas particulier, apparaît peu vraisemblable au regard de la nature des activités non stratégiques exercées par la société Papelia Numérique dans le domaine de l'impression, et au regard de la distance géographique des deux adresses, soit Géménos (13) et Maatz (52), supposant un piratage simultané en deux points géographiques éloignés.
S'agissant de la collusion entre la société Prabiz et deux anciens salariés de la société Papelia Numérique, il convient de relever que la cour n'est pas tenue d'apprécier les modalités d'exécution des contrats de travail liant dans un premier temps la société Papelia Numérique à Messieurs P. et B. puis postérieurement la société Prabiz et ces mêmes salariés et notamment l'existence d'une clause de non-concurrence.
Pour autant, le fait pour une société d'user d'informations obtenues par le biais de salariés qui font ou ont fait partie d'une société concurrente, et de surcroît de les embaucher par la suite, puis de détourner ces informations à son profit constitue une pratique déloyale.
En l'espèce, il ressort clairement de la lecture des échanges de messages électroniques entre les sociétés Gravelec et Obs Telecom d'une part, et la société Prabiz d'autre part (mails des 7 juin et 1er juillet 2016) que l'intervention de M. Sylvain P. pour le compte de la société Prabiz était évoquée, et ce, avant même son licenciement de la société Papelia Numérique, intervenu postérieurement, soit le 23 août 2016, peu important que M. P. ait été placé en arrêt-maladie.
En revanche, la collusion entre la société Prabiz et M. B. ne peut être déduite de ses seules déclarations tendant à reconnaître qu'il connaissait la société Prabiz avant son embauche au sein de la société Papelia Numérique (du 1° avril au 3 mai 2016) et de son intention de collaborer avec cette société dès lors que cette reconnaissance n'est pas corrélée par des éléments objectifs traduisant des faits de concurrence, sous réserve de l'examen ci-dessous du moyen relatif au détournement du fichier client.
S'agissant du détournement d'informations et de documents confidentiels et stratégiques, il apparaît que le détournement du fichier clientèle d'un concurrent pour démarcher sa clientèle constitue un procédé déloyal, peu important que le démarchage soit massif ou systématique.
Au cas particulier, M. B. reconnaît dans un mail du 14 novembre 2016 intitulé « attestation » qu'il a remis à M. Alexandre B. le 25 mai 2016 le fichier client de la société Papelia Numérique contenant ses contacts, soit postérieurement à son départ de la société Papelia Numérique le 3 mai 2016.
La circonstance invoquée que le fichier lui aurait été transmis directement par M. R., dirigeant de la société Papelia Numérique, outre qu'elle est contestée et n'est corroborée par aucune pièce sauf les déclarations de M. B. lui-même, ne peut être retenue considérant que le passage de ce dernier au sein de la société Papelia Numérique a été limité à une période d'essai d'un mois et qu'il apparaît pour le moins contradictoire pour un salarié sortant d'être ainsi destinataire d'un fichier client, élaboré par la société employeur durant des années, dont la valeur commerciale est incontestable.
De même, la circonstance que ce fichier soit composé à 99,7 % selon les dires de M. B., et en réalité à 80 % selon le constat établi par Maître D., huissier de justice, de clients existant déjà sur le fichier de la société Prabiz ne permet pas d'écarter l'utilisation du fichier pour les 20 % de clients relevant exclusivement de la société Papelia Numérique, nonobstant le fait qu'il n'est pas contesté que la société Prabiz a pu acquérir par ailleurs des listings de clients.
En outre, le fichier détourné ne comprend pas uniquement les noms de clients de la société Papelia Numérique mais inclut également des informations relatives aux machines d'impression et à l'encre utilisées, outre l'évolution de leur consommation, renseignant parfaitement la société Prabiz sur les habitudes et les besoins de la clientèle.
Enfin, il est également établi, au vu du constat établi par Maître B., que divers autres documents ont été trouvés sur l'ordinateur de la société Prabiz (grilles tarifaires du fournisseur Natis, notes internes sur l'organisation de la société Papelia Numérique, devis établis en 2015 pour des clients, factures d'acquisition de stock notamment) dont l'origine ne fait pas de doute. Si l'usage précis qu'a pu en faire la société Prabiz ne ressort pas des pièces du dossier, il n'en demeure pas moins que l'accumulation d'informations recueillies sur le fonctionnement de la société Papelia Numérique et ses contacts a nécessairement permis à la société Prabiz d'appréhender au mieux la stratégie commerciale de son concurrent et d'adapter sa propre offre au marché afin de détourner une partie de sa clientèle.
S'agissant de la déloyauté lors de la constitution de la société Prabiz, il ressort des statuts de la société, immatriculée le 21 décembre 2012, que celle-ci avait pour objet social la vente d'accessoires « pour haute-technologie et personnalisation de ces accessoires tels que coques de téléphone, tablettes numériques, consoles de jeux, ordinateurs portable », et l'import-export de services tandis que son objet social, tel qu'il ressort du registre du commerce et des sociétés mentionne « commerce de gros et détail dans les arts graphique », ce qui fait de la société Prabiz un concurrent potentiel dans le domaine de l'impression, bien que les objets sociaux des sociétés, par leur libellé, ouvrent le champ à des activités dont le contour est difficilement définissable.
Pour autant, aucune pièce au dossier, en ce compris les termes des échanges de sms en date du 17 avril 2013, dont le sens est elliptique, ne permet ni d'accréditer le fait que Messieurs R. et B. avaient convenu de créer la société Prabiz ensemble, sauf à minima les initiales de la société, ni d'infirmer cette hypothèse. Par suite, le défaut de loyauté de M. Alexandre B. dans la constitution de la société et les manœuvres dolosives qui lui sont reprochées ne peuvent être caractérisées.
S'agissant du dénigrement de la société Papelia Numérique, il est établi notamment par deux témoignages (Messieurs Saint-Martin et Bilde) et par les mails émanant de M. B. que plusieurs propos dénigrants ont été tenus par ce dernier ou M. B. à l'encontre de la société Papelia Numérique, mettant en cause la dangerosité et la qualité des encres vendues par cette dernière sous les marques Roland et Chimigraf auprès de la clientèle, discréditant également la société Papelia Numérique auprès des clients par des déclarations concernant le départ de ses salariés, la qualité de ses services, les actions judiciaire entreprises et la volonté de renflouer ses caisses au moyen de ces actions.
Par ailleurs, il apparaît que ce dénigrement n'a pu être que renforcé et légitimé par le fait qu'il émanait de deux anciens salariés de la société Prabiz.
Les éléments invoqués par la société Prabiz pour démontrer le dénigrement opéré par la société Papelia Numérique à son égard ne permettent pas d'en déduire un tel comportement de sa part dès lors que les mails émanent de la société Prabiz elle-même et ne sont pas corroborés, sauf à constater que certains clients ont pu effectivement émettre des griefs sur les services ou produits proposés par la société Papelia Numérique.
De même le communiqué effectué par la société Papelia Numérique concernant les procédures judiciaires n'apparaît que comme la réponse aux attaques émanant de la société Prabiz.
Il apparaît que ces propos, en ce qu'ils ont vocation à discréditer la société Papelia Numérique, portent atteinte à sa réputation et ne peuvent avoir que pour conséquence d'affaiblir la renommée de la société Papelia Numérique au bénéfice de la société Prabiz.
S'agissant des publicités comparatives illicites, il ressort de l'article L. 122-1 du code de la consommation que toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur, si elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif, et si elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie.
En l'espèce, le mail adressé le 23 juin 2014 par la société Prabiz à sa clientèle sous l'intitulé « Tous les consommables au meilleur prix !!! » procède à la comparaison du prix de trois produits en mettant en exergue la différence de prix entre les sociétés Papelia et Prabiz, à l'avantage de cette dernière.
Néanmoins, la société Papelia Numérique n'apporte aucun élément sur la nature et le prix des produits qu'elle commercialisait elle-même à cette date, et ce, alors qu'elle fait grief à la société Prabiz d'effectuer une comparaison trompeuse aux motifs qu'il ne s'agirait pas des mêmes marques, pas des mêmes produits ni des mêmes conditions de vente.
Dès lors, le caractère trompeur ou erroné de la comparaison effectué par la société Prabiz au titre des trois produits mis en exergue dans le message électronique ne peut être caractérisé.
Pour le surplus, la société Papelia Numérique se prévaut de publicités trompeuses ou racoleuses de la part de la société Prabiz au titre des encres vendues par les deux sociétés. Pour autant, il apparaît que ces publicités ne visent pas directement la société Papelia Numérique mais procèdent à des comparaisons au titre d'encres commercialisées sous des marques différentes, bien que distribuées par la société Papelia Numérique, de sorte que cette dernière ne peut se prévaloir d'un préjudice personnel. De même pour les comparaisons relatives à la machine dénommée « Dartech » qui n'est pas fabriquée par la société Papelia Numérique mais uniquement commercialisée par celle-ci.
S'agissant du parasitisme, il consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
A cet égard, il se déduit des éléments ci-dessus retenus que la société Prabiz a indéniablement usé de procédés déloyaux afin d'affaiblir son concurrent et a en outre profité de sa connaissance interne de la société Papelia Numérique, de par l'activité antérieure de M. Alexandre B. au sein de cette dernière.
Pour autant, les faits de parasitisme ne peuvent être retenus en l'espèce, dès lors que la société Papelia Numérique reconnaît elle-même qu'en 2013 seuls 28,19 % du chiffre d'affaires de la société Prabiz était effectué avec des clients qui étaient préalablement facturés chez elle, soit une part minoritaire, que l'objet social des deux sociétés, malgré des domaines communs, diffère sur certains points et permet à la société Prabiz de se distinguer dans certaines activités, notamment sur la nature des fournitures, et dès lors enfin que certaines factures attestent que les deux sociétés ont été un temps en lien d'affaires, supposant, soit un accord en vue d'une sous-traitance, soit un partenariat.
Par suite, si la société Prabiz a bénéficié des recoupements de fichiers clientèle et des informations obtenues par le biais du piratage de la messagerie de la société Papelia Numérique, notamment pour mener ce que M. Alexandre B. a qualifié lui-même de « politique agressive commerciale de ma société sur une gamme de produits vous faisant concurrence » (mail du 31 mai 2014) il n'en demeure pas moins qu'elle a su également se positionner sur un marché concurrentiel avec une gamme de produits distincts dans un secteur pour lequel la société Papelia Numérique ne détenait aucun monople.
Le moyen tiré de l'enregistrement de la marque « Papelia Numérique », outre qu'il n'a pas été porté devant la juridiction compétente, ne peut être retenu en l'état dès lors que si son enregistrement par M. Alexandre B. n'est pas contesté à la date du 23 février 2017, ce dernier communique une déclaration de renonciation à la marque auprès de l'institut national de la propriété industrielle du 25 juillet 2017, et la société Papelia Numérique ne justifie pas du préjudice qui aurait pu en résulter pour elle.
Ainsi, il ressort de l'ensemble de ces éléments, outre les faits surabondants évoqués de part et d'autre, que la société Prabiz et M. Alexandre B. ont commis des actes de concurrence s'accompagnant de manœuvres et d'agissements déloyaux à l'égard de la société Papelia Numérique.
Sur le préjudice subi par la société Papelia Numérique et le lien de causalité :
Au visa des articles 1240 et 1241 du code civil il a été jugé que les actes de concurrence déloyale sont nécessairement à l'origine d'un préjudice pour la victime.
En outre, le propre de la responsabilité est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le préjudice et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit. Pour autant, cette réparation doit se faire sans perte ni profit pour aucune des parties.
A cet égard, il convient de relever à titre liminaire que la société Papelia Numérique, qui se prévaut d'un détournement de son chiffre d'affaires par la société Prabiz, n'a pas communiqué l'ensemble des documents comptables qui étaient sollicités par sommation (grands-livres des sociétés Papelia et de La Cotonnière des trois dernières années en l'état de l'acquisition par cette dernière d'une partie du capital social de la société Papelia Numérique fin 2016) et produit à l'appui de ses demandes une attestation de son expert-comptable.
Pour autant, il apparaît que les agissements déloyaux de la société Prabiz et de M. Alexandre B. (détournement du fichier clients, piratage de messagerie, dénigrement de la société Papelia Numérique et de ses produits) a nécessairement faussé la concurrence entre les deux sociétés en ce qu'ils ont permis à la société Prabiz de capter une partie de la clientèle de la société Papelia Numérique et ont dégradé son image auprès de sa clientèle, leur conférant un avantage certain.
Au demeurant, il ressort du tableau comparatif établi par l'expert-comptable de la société Papelia Numérique que le chiffre d'affaires de la société Prabiz est passé de 18.354 euros en 2013 à 869.931 euros en 2016 dont 49,63 % proviendrait en 2016 de clients de la société Papelia Numérique.
Dans le même temps, la société Papelia Numérique indique que son chiffre d'affaires, qui était de 3.385.802 euros en 2015, a connu une forte baisse entre 2015 et 2017, soit - 30 %.
Elle invoque ainsi une perte de marge de 180.930 euros toutes taxes comprises jusqu'en 2016, puis une perte de marge cumulée de 891.200 euros hors taxe pour les années 2016, 2017 et 2018.
Ainsi, considérant que partie de ces chiffres n'est étayée par aucune pièce probante mais que la réalité du préjudice subi par la société Papelia Numérique est indéniable et considérant qu'à compter de 2016 le capital social de la société Papelia Numérique a été racheté pour partie (70 %) par la Cotonnière, incluant notamment la cession de la vente des consommables, le préjudice de la société Papelia Numérique sera limité à la somme de 180.200 euros toutes taxes comprises.
Il n'y a pas lieu de distinguer un trouble commercial supplémentaire dès lors que celui-ci se déduit des agissements rappelés ci-dessus et a eu pour conséquence une perte de marge d'ores et déjà indemnisée.
Enfin, il y a lieu de relever que certains agissements de la société Prabiz ne peuvent être dissociés de ceux de M. Alexandre B. dès lors que celui-ci est à l'origine de la création de la société Prabiz et est à l'origine de la grande majorité des messages électroniques évoqués et des actions reprochées à la société dont il est le dirigeant.
Pour autant, ils ont tous deux participé à la réalisation du dommage subi par la société Papelia Numérique, dans des proportions qu'il n'apparaît pas possible de distinguer. Par suite, la condamnation au titre des dommages-intérêts, destinés à compenser le préjudice subi par la société Papelia Numérique, sera mise à la charge de la société Prabiz et de M. Alexandre B. in solidum.
En conséquence, le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions.
Sur les frais et dépens :
La société Prabiz et M. Alexandre B., parties succombantes, conserveront in solidum la charge des dépens de première instance et d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
En outre, la société Prabiz et M. Alexandre B. seront tenus in solidum de payer à la société Papelia Numérique la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, étant rappelé que l'indemnité au titre de cet article a vocation à couvrir l'ensemble des frais engagés hors les dépens, et n'inclut pas les seuls honoraires d'avocat.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement rendu le 6 mars 2018 par le tribunal de commerce de Marseille en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Condamne in solidum la société Prabiz et M. Alexandre B. à payer à la société Papelia Numérique la somme de 180.200 euros toutes taxes comprises en réparation du préjudice subi par cette dernière du fait des actes de concurrence déloyale,
Déboute la société Papelia Numérique du surplus de ses demandes indemnitaires,
Condamne in solidum la société Prabiz et M. Alexandre B. aux entiers dépens de première instance et d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne in solidum la société Prabiz et M. Alexandre B. à payer à la société Papelia Numérique la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Le GREFFIER Le PRÉSIDENT
Décision(s) antérieure(s)
- Tribunal de Commerce MARSEILLE 06 Mars 2018 2017F01583