CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 16 septembre 2021, n° 18/13113
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Miroit' Alu Azureenne (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Conseillers :
Mme Berquet, Mme Combrie
EXPOSE DU LITIGE
M. Michel P. a été salarié de la société Miroit'Alu Azuréenne, anciennement Verrexpert, société niçoise spécialisée dans la fabrication de menuiseries, du 13 octobre 2008 au 20 avril 2016 en qualité de technico-commercial.
Le 25 avril 2016 M. Michel P., après avoir démissionné le 15 avril, est entré au service de la société Maccario Vitrage, située à La Ciotat, et exerçant dans le même domaine d'activité.
Dans l'intervalle, soit les 20, 21 et 22 avril 2016, M. Michel P. a procédé à un envoi de mails et de sms à environ 375 clients, les informant qu'il n'était plus au service de la société Verrexpert mais qu'il était « plus que jamais dans les produits verriers, chez MACCARIO VITRAGE », et communiquait ses coordonnées actualisées, avec une carte de visite au nom de Maccario Vitrage. Les messages adressés par texto, sans être tous identiques, étaient néanmoins similaires sur le fond.
La société Miroit'Alu Azuréenne, en redressement judiciaire, prenait connaissance de ces agissements et mettait M. Michel P. en demeure de cesser le démarchage de ses anciens clients et en informait son nouvel employeur.
Par acte en date du 4 janvier 2017 la société Miroit'Alu Azuréenne ainsi que la SCP P., mandataire judiciaire, ont assigné M. Michel P. devant le Tribunal de Grande Instance de NICE en vue d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice invoqué au titre des actes de concurrence déloyale.
Par jugement en date du 17 avril 2018 le Tribunal de Grande Instance de NICE a :
- déclaré M. Michel P. responsable des faits de concurrence déloyale à l'encontre de la société Miroit'Alu Azuréenne,
- condamné M. Michel P. à payer à la société Miroit'Alu Azuréenne la somme de 9.000 euros au titre du préjudice moral,
- condamné M. Michel P. aux entiers dépens,
- condamné M. Michel P. au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté toutes demandes, fins ou prétentions plus amples ou contraires.
Par déclaration en date du 2 août 2018 M. Michel P. a interjeté appel de la décision.
Par conclusions enregistrées le 24 octobre 2018, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. Michel P. fait valoir que :
- il n'existe aucun acte de concurrence déloyale dès lors qu'aucun trouble commercial n'est démontré à l'égard de la société Miroit'Alu Azuréenne, située à 200 kilomètres de son nouvel employeur, qui a été créée postérieurement et qui dispose d'un panel de clients moins important que Maccario Vitrage,
- aucun fichier client n'a été détourné dès lors qu'il possédait son propre carnet d'adresse avec 5879 clients, et les messages envoyés ne l'ont été que par courtoisie à l'égard de ses clients afin d'éviter qu'ils ne le contactent et ne contiennent aucun dénigrement ni allégation mensongère, et pas davantage d'intention de développer une activité indépendante ou de participer au développement de l'activité du nouvel employeur,
- il n'a jamais été à l'origine du débauchage de salariés de la société Miroit'Alu Azuréenne,
- aucun acte de parasitisme ne peut être retenu à son égard dès lors qu'il ne s'est pas approprié le travail ou les recherches d'autrui et n'usurpe aucune valeur économique, en rappelant qu'il était auto-entrepreneur depuis 2014 et avait ainsi constitué par lui-même son propre fichier,
- la société Miroit'Alu Azuréenne agit dans un esprit de vindicte à l'égard de son concurrent la société Maccario et cherche à tirer bénéfice de la procédure alors qu'elle ne justifie d'aucun préjudice puisqu'elle était en cessation de paiement dès le 13 avril 2016 et en redressement judiciaire depuis le 21 avril 2016, de sorte qu'aucun lien de causalité ne peut être établi,
- en revanche, il a lui-même subi un préjudice dès lors qu'il a été l'objet d'un harcèlement moral professionnel ayant entraîné une dégradation de son état de santé.
Ainsi, M. Michel P. demande à la Cour d'infirmer le jugement et de condamner la société Miroit'Alu Azuréenne ainsi que la SCP P., ès qualité, à lui payer les sommes suivantes :
- 50.000 euros au titre de son préjudice moral,
- 5.000 euros sur le fondement de l'art 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.
Par conclusions enregistrées le 23 janvier 2019, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SCP P., en qualité de liquidateur de la société Miroit'Alu Azuréenne, fait valoir que :
- M. Michel P. n'était pas tenu par une clause de non-concurrence mais devait néanmoins s'abstenir de tout agissement déloyal,
- M. Michel P. a détourné le fichier client de la société Miroit'Alu Azuréenne et en a profité pour adresser divers mails et sms aux clients de la société Miroit'Alu Azuréenne et n'a pas hésité à démarcher par téléphone ses clients afin d'en faire profiter son nouvel employeur,
- M. Michel P. est à l'origine de parasitisme puisqu'en utilisant le fichier client que la société Miroit'Alu Azuréenne a mis des années à se constituer il espérait en tirer profit,
- M. Michel P. a également adressé à des concurrents le mail contenant l'ensemble de la base de données clients et causé un préjudice à la société Miroit'Alu Azuréenne en détournant une partie de sa clientèle alors que la clientèle est l'élément le plus précieux d'un fonds de commerce,
- aucun lien ne peut être établi entre les certificats médicaux produits par M. Michel P. au soutien de sa demande de dommages et intérêts et la relation contractuelle ayant existé avec la société Miroit'Alu Azuréenne.
La SCP P., ès qualité, demande ainsi à la Cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de débouter M. Michel P. de toutes ses demandes, fins et conclusions et de la condamner au paiement de la somme de 5.000 en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 10 mai 2021 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 10 juin 2021.
L'affaire a été retenue à l'audience du 10 juin 2021 et mise en délibéré au 16 septembre 2021.
MOTIFS
Sur les actes de concurrence déloyale et de parasitisme :
Aux termes de l'article 1382 du code civil, devenu 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, le démarchage de la clientèle d'autrui, fût-ce par un ancien salarié de celui-ci, est libre, dès lors que ce démarchage ne s'accompagne pas d'un acte déloyal. (Cass. 24 juin 2014 n° 11-27.450).
A cet égard, le détournement du fichier clientèle d'un concurrent pour démarcher sa clientèle constitue un procédé déloyal. (Cass. com 12 mai 2021 19-17.714 sur pourvoi contre arrêt Cour d'Appel d'AIX-EN-PROVENCE du 21 mars 2019).
En l'espèce, M. Michel P. ne démontre pas que la liste des adresses électroniques et des numéros de téléphone vers lesquels ont été envoyés les messages informant ses interlocuteurs de son départ de la société Miroit'Alu Azuréenne est issue d'une base de données qu'il se serait constitué lui-même, sauf à utiliser celle créée précédemment par la société Miroit'Alu Azuréenne.
Au demeurant, les sms adressés par M. Michel P. ont été émis par le biais du téléphone portable mis à sa disposition par la société Miroit'Alu Azuréenne, tel que cela ressort du procès-verbal de constat établi le 28 septembre 2016 par Maître M., huissier de justice, attestant que les « contacts » utilisés pour la diffusion des messages sont bien ceux de la société dans laquelle M. Michel P. a été employé jusqu'au 20 avril 2016.
Par ailleurs, M. Michel P. ne peut dénier avoir eu la volonté, par l'envoi de ces multiples mails et sms, de procéder à un démarchage de la clientèle de la société Miroit'Alu Azuréenne dans le seul but de la détourner au profit de son nouvel employeur la société Maccario Vitrage, et partant, à son bénéfice, même de manière indirecte.
En effet, la courtoisie invoquée par M. Michel P. à l'égard de ses clients qui n'étaient pas informés de son départ de la société Miroit'Alu Azuréenne, ne nécessitait pas de leur communiquer à la fois son nouveau numéro de téléphone portable professionnel, sa nouvelle adresse électronique ainsi qu'une copie de sa nouvelle carte de visite.
Le procédé utilisé par M. Michel P. traduit sans ambiguïté une volonté de détournement et de captation de la clientèle de son ancien employeur, la société Miroit'Alu Azuréenne, et une volonté de s'approprier le travail effectué par cette société dans l'élaboration d'un fichier de clients.
En revanche, le non-respect des clauses de confidentialité contenues dans le contrat de travail conclu entre la société Miroit'Alu Azuréenne (anciennement Verrexpert) et M. Michel P. relève de l'appréciation de la juridiction prud'homale, sauf à observer que celui-ci n'était pas tenu d'une clause de non-concurrence stricto sensu.
Enfin, les actes de concurrence déloyale et de parasitisme dénoncés sont nécessairement constitutifs a minima d'un préjudice moral pour la société victime au regard de la perte d'un de ses éléments constitutifs essentiels, à savoir sa clientèle, et la perte de chance de bénéficier du fruit de son travail et de ses recherches afin de se constituer un portefeuille de clients.
A ce titre, au regard des critères énoncés par les premiers juges, le préjudice de la société Miroit'Alu Azuréenne a été justement apprécié, peu important à cet égard qu'elle n'ait pas démontré de préjudice économique eu égard à ses difficultés d'ores et déjà existantes et ayant justifié l'ouverture, dès le 4 février 2019, d'une procédure de sauvegarde, transformée en liquidation judiciaire par jugement du 22 novembre 2018.
En conséquence, le jugement à la motivation duquel il convient de se référer pour le surplus est confirmé en toutes ses dispositions.
Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral formée par M. Michel P. :
M. Michel P. fait valoir le harcèlement moral dont il aurait été victime pendant des années de la part de la société Miroit'Alu Azuréenne ainsi que le préjudice résultant du procès engagé par cette dernière et invoque les conséquences induites sur son état de santé.
A cet égard, M. Michel P. ne démontre pas la réalité du harcèlement dont il se prévaut de la part du gérant de la société Miroit'Alu Azuréenne, sauf ses propres allégations, même s'il ressort manifestement des échanges communiqués que son nouvel employeur s'est désolidarisé de ses pratiques, et que M. Michel P. a été victime de ses propres agissements.
Par ailleurs, et à titre surabondant, les troubles invoqués par M. Michel P. sur son état de santé ne peuvent être mis en relation avec les faits de harcèlement dénoncés au regard du certificat du docteur Clair V. mentionnant un « syndrome cochléo vestibulaire aigu droit » ressortant manifestement de la sphère ORL. La seule prise d'antidépresseurs « suite à une allégation d'harcèlement moral professionnel » (certificat du docteur thierry Castanet) est par ailleurs insuffisante à établir un lien de causalité entre les faits dénoncés et l'état de santé de M. Michel P..
En conséquence, il y a lieu de débouter M. Michel P. de sa demande de dommages-intérêts.
Sur les frais et dépens :
M. Michel P., partie succombante, conservera la charge des dépens de l'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
En outre, M. Michel P. sera tenu de payer à la SCP P., en qualité de liquidateur de la société Miroit'Alu Azuréenne, la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement rendu le 17 avril 2018 par le Tribunal de Grande Instance de NICE en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute M. Michel P. de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral,
Condamne M. Michel P. aux entiers dépens de l'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne M. Michel P. à payer à la SCP P., en qualité de liquidateur de la société Miroit'Alu Azuréenne, la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'appel.
Le GREFFIER Le PRÉSIDENT
Décision(s) antérieure(s)
- Tribunal de Grande Instance NICE 17 Avril 2018 17/00502
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