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Décisions

CA Rennes, 1re ch., 14 septembre 2021, n° 20/02083

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Broceliande Alh (Sté)

Défendeur :

Association Red Pill

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Delière

Conseillers :

Mme André, Mme Brissiaud

CA Rennes n° 20/02083

14 septembre 2021

FAITS ET PROCÉDURE

La société Brocéliande ALH, propriétaire de la marque Brocéliande, exerce une activité de fabrication et de commerce de produits de salaison. Elle travaille avec des éleveurs de l'ouest de la France et ses produits sont commercialisés en France et dans plusieurs autres pays.

Le 19 février 2020, elle a fait constater par Maître G., huissier de justice à Lamballe, que l'association Red pill (anciennement dénommée Direction action everywhere France) a mis en ligne sur son site Internet https://associationredpill.fr/ et sur les réseaux sociaux ou plate-formes YouTube, Facebook et Instagram des contenus mentionnant la marque Brocéliande, et notamment une vidéo de 4 minutes 19 secondes intitulée «Brocéliande et le cochon «bien élevé» ou «Les cochons -bien élevés-», montrant un élevage porcin, avec le commentaire suivant dit par M. William B. :

« Aujourd'hui je veux vous présenter un nouveau jambon qui vient de sortir, qui est sorti il y a quelques temps. C'est le jambon de la marque Brocéliande. Le jambon « bien élevé », mais bien élevé comment. Je vais vous montrer comment ils se foutent bien de votre gueule. »

« Ben voilà comment ils se foutent de votre gueule. Be voilà les cochons biens élevés. Ils sont enfermés dans des box. Ils sont à 10 dans un box, donc ça fait qu'ils ont en moyenne pas plus d'un mètre carré chacun, euhh Ils chient sur place hein, ils sortent jamais des bâtiments, c'est des bâtiments fermés avec des toutes petites fenêtres mais qui restent fermées donc ils sont dans l'obscurité. Voilà ...

Alors là, c'est quand ils sont bébés. Quand ils sont bébés, leur mère est enfermée dans une cage où elle peut pas bouger. Elle peut tout juste se coucher se lever c'est tout. Voilà sur des grilles en métal. Et du coup ben des fois, elles écrasent leur porcelet parce que les porcelets vont passer en dessous ou alors ils vont choper une maladie puisqu’ils vivent dans leur merde hein. Et voilà y en a plein qui crèvent.

Voilà, voilà des fois y en a un qui est tout seul.

Ah lui, il a carrément un air triste, lui il est carrément malade, c'est triste à voir. Si ça c'est un cochon bien élevé alors '..j'y connais plus rien.

Donc voilà. Là ils ont mis des petites balles, parce que c'est évidemment les règles de bien-être animal de l'union européenne. Il faut qu'ils aient des jouets. Bah voilà le jouet c'est une petite balle attachée avec un chaîne.

Juste à côté on peut voir des mangeoires, c'est là où leur bouffe tombe. C'est rempli de merde. Là dans celle-là on sait pas si c'est des produits chimiques ou de la pisse.

Bon là en temps normal, je vous dirais que c'est grave d'avoir des cafards qui se baladent dans l'élevage mais bon ça fait des petits copains aux cochons, ça leur fait des trucs à regarder pour se distraire plutôt que de fixer les murs toute la journée. Bon normalement ça apporte des maladies mais bon, on va fermer les yeux.

Bon alors ce cochon-là, il a eu les pattes arrière écrasées par sa mère qui s'est couchée sur lui puisque elles ont pas la place de se coucher autre part, donc des fois ça arrive qu'elles écrasent un porcelet. Ici elle en a écrasé un deuxième et là, la seule solution possible c'est de les tuer, donc ils vont se faire claquer par terre par l'éleveur qui va les achever.»

« OK, bon, c'était un peu choquant mais maintenant la question qui se pose c'est : qu'est-ce qui prouve que ces cochons-là, c'est bien des cochons Brocéliande « bien élevés ». Bon déjà on peut voir dans la vidéo que les cochons, ils ont toujours leurs testicules. Ça veut dire qu'ils ont pas été castrés à la naissance et c'est bien pour ça qu'ils ont choisi de les appeler bien élevés parce qu'il ont choisi de pas les castrer. Et ensuite on a les articles de presse qui prouvent que cet élevage là, le propriétaire de cet élevage là, fournit bien à Brocéliande. Donc, si vous êtes journalistes et que vous voulez les preuves, vous voulez les articles de presse, vous voulez les adresses, etc..., on peut vous envoyer ça. Nous on choisit de ne pas le publier parce que ce serait stigmatiser l'éleveur. C'est pas du tout ce qu'on veut. On ne veut pas que les gens pensent que c'est à cause de l'éleveur que les animaux sont comme ça puisque c'est à cause des marques, c'est à cause des coopératives qui demandent aux éleveurs d'élever les cochons dans des bâtiments fermés et qui ensuite choisissent de vous mentir avec un marketing en vous faisant penser que les animaux sont bien traités alors que c'est faux. Et ensuite, si vous ne nous croyez toujours pas, il suffit d'écouter et de suivre le vieil adage de la marque Fleury Michon qui dit, voilà, que si vous avez toujours des doutes, venez vérifier. Donc, n'hésitez pas à appeler le service consommateur de votre marque de jambon préféré. Demandez-leur comment les cochons sont élevés. Ils vont confirmer que les cochons, ils sont bien élevés dans des bâtiments fermés toute leur vie. Et ensuite, demandez leur, par exemple, de pouvoir visiter les élevages pour voir comment les animaux sont élevés. Évidemment, vous pouvez être sûrs qu'ils vont vous refuser. Ils vont vu refuser que vous alliez voir. Ils veulent surtout pas que les gens voient et encore moins que les gens aillent prendre des photos, qu'ils aillent filmer dans les élevages et que les gens soient au courant de comment les animaux sont élevés puisque ce serait révéler la supercherie. Donc, voilà, si vous ne nous croyez pas menez votre propre enquête. »

Le 20 février 2020, la société Brocéliande ALH a signifié à l'association Red pill et à M. B., son président, auteur de la vidéo, une sommation interpellative leur demandant de supprimer et retirer les contenus mettant en cause la marque Brocéliande, de procéder à la diffusion d'un démenti de leurs allégations et d'indiquer les éléments dont ils disposent pour étayer leurs allégations selon lesquelles les animaux de l'élevage filmé seraient transformés pour les besoins de la production de la gamme de charcuterie Brocéliande « bien élevés ».

L'association Red pill a répondu qu'elle n'avait aucune obligation d'accéder à ces demandes.

Le 3 mars 2020, la société Brocéliande ALH a assigné l'association Red pill et M. B. devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Saint Brieuc statuant d'heure à heure, à l'audience du 5 mars 2020, aux fins d'obtenir l'arrêt de la diffusion des contenus mettant en cause les produits commercialisés sous la marque Brocéliande, au visa de l'article 1240 du code civil.

Par ordonnance du 9 avril 2020, le juge des référés a :

- annulé l'assignation du 3 mars 2020,

- débouté la société Brocéliande ALH de toutes ses demandes,

- condamné la société Brocéliande ALH à verser à l'association Red pill et à M. B. la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Brocéliande ALH aux dépens.

Celle-ci a fait appel le 17 avril 2020 de l'ensemble des chefs de l'ordonnance.

Elle expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 17 mars 2021 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Elle demande à la cour de :

- réformer l'ordonnance déférée en ce qu'elle annule l'assignation délivrée le 3 mars 2020, la déboute de l'intégralité de ses demandes et la condamne au paiement des dépens et d'une indemnité de procédure de 800 euros,

- rejeter l'exception de nullité de l'assignation,

- ordonner à l'association Red pill et à M. B. de procéder ou faire procéder à l'arrêt de toutes diffusions, sur quelques sites, réseaux ou supports que ce soit, des contenus mettant en cause la marque Brocéliande et les produits commercialisés sous cette marque, et en particulier procéder ou faire procéder au retrait des contenus suivants :

*les mentions « Les cochons "Bien-Élevés" La marque Brocéliande est prise en flagrant délit de publicité mensongère en prétendant que leurs animaux sont « bien élevés » et les contenus associés mis en ligne sur le site internet,

*le dossier de photographies nommé « Brocéliande » téléchargeable sur le site internet https://associationredpill.fr/,

*la vidéo intitulé « Brocéliande et le cochon "bien élevé" » mis en ligne sur le site internet https://associationredpill.fr/ et les réseaux sociaux Facebook, Instagram et Youtube,

- condamner l'association Red pill et M. B. à publier le dispositif de l'arrêt à intervenir en haut de la première page du site internet https://associationredpill.fr/ et sur les réseaux sociaux Facebook, Instagram et Youtube, en police Arial de taille 12, ainsi que dans trois quotidiens nationaux laissés au choix de l'appelant et aux frais des intimés dans la limite de 12 000 euros au total, dès la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1000 euros par heure de retard et manquement constaté,

- se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte passé 10 jours après la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner in solidum l'association Red pill et M. B. à lui verser la somme symbolique de 1 euro à titre de dommages et intérêts provisionnels,

- lui donner acte qu'elle se réserve la possibilité de saisir la juridiction du fond afin d'obtenir l'indemnisation complète par l'association Red pill et M. B. des préjudices occasionnés par la diffusion des contenus litigieux,

- débouter l'association Red pill et M. B. de toutes leurs demandes,

- les condamner in solidum aux entiers dépens qui comprendront le coût des procès-verbaux de constat des 19, 27 et 28 février 2020 par Maître G., huissier de justice à Lamballe, et le coût de la sommation interpellative et de faire délivrée le 20 février 2020, et à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'association Red pill et M. B. exposent leurs moyens et leurs demandes dans leurs dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 16 avril 2021 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Ils demandent à la cour de :

- confirmer l'ordonnance de référé du 9 avril 2020 en toutes ses dispositions,

- en conséquence, débouter la société Brocéliande ALH de toutes ses demandes.

A titre subsidiaire, ils demandent à la cour de débouter la société Brocéliande ALH de toutes ses demandes.

Ils demandent à la cour de la condamner aux entiers dépens et à leur payer la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1) Sur la demande de nullité de l'assignation du 3 mars 2020

Pour annuler l'assignation, le juge des référés a retenu que la procédure relève de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en ce que les faits dénoncés constituent une diffamation et que l'assignation ne répond pas aux dispositions de cette loi.

Les intimés soutiennent que leur action est fondée sur le dénigrement de marque et de produits identifiés et que les dispositions générales de l'article 1240 du code civil s'appliquent.

Il ressort de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 que toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé constitue une diffamation, même si elle vise une personne ou un corps non expressément nommé, si l'identification de cette personne ou de ce corps est possible par les termes incriminés.

Le dénigrement, qui est un acte de concurrence déloyale, est la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent. Il est cependant admis que le dénigrement est constitué même s'il n'existe pas de situation de concurrence entre la personne dénigrante et la personne ou l'objet dénigré, ce qui est le cas en l'espèce.

Le dénigrement relève des dispositions de l'article 1240 du code civil.

La diffamation et le dénigrement se distinguent en ce que la diffamation vise une personne physique ou morale identifiée ou identifiable aux fins de porter atteinte à son honneur et à sa considération alors que le dénigrement porte sur la marque, le produit ou le service créés, fabriqués, ou commercialisés par la personne.

En l'espèce, le premier juge a retenu que la vidéo litigieuse critique clairement la publicité trompeuse pour la marque Brocéliande en général et non pour un ou plusieurs de ses produits en particulier, ce qui ne permet pas de caractériser les éléments constitutifs d'une éventuelle infraction de dénigrement d'un ou plusieurs produits, et qu'il a été saisi pour diffamation.

La vidéo litigieuse n'évoque que « Le jambon bien élevé » commercialisé sous la marque Brocéliande et ne vise pas la société Brocéliande ALH elle-même ou ses dirigeants. Les seules personnes évoquées sont « les éleveurs » et « les coopératives ».

Ce n'est pas la société Brocéliande ALH qui est directement visée par la vidéo mais sa marque, accompagnée du slogan « bien élevé » et le jambon qu'elle produit, les propos et les images tendant à démontrer que les porcs qui servent à fabriquer le jambon sont élevés dans de mauvaises conditions, qui leur sont préjudiciables, et ne sont pas « bien élevés ».

S'agissant de la mention du délit de publicité mensongère pour présenter la vidéo (capture n° 21 du constat du 19 février 2020), il n'est pas rattaché directement à la société Brocéliande ALH elle-même mais à sa marque et à son jambon et n'est pas repris dans la vidéo litigieuse. Cette expression, utilisée une seule fois, est destinée à exprimer de façon synthétique que les porcs destinés à la fabrication du jambon ne sont pas « bien élevé s» comme il est indiqué sur les emballages.

La demande de retrait de cette mention, dans le contexte de la critique de la marque et non de la société détentrice de celle-ci, ne suffit pas à établir que l'action de la société Brocéliande ALH relève de l'article 20 de la loi du 29 juillet 1881.

C'est bien la marque et le produit qui sont visés dans la vidéo et non la société Brocéliande ALH directement. Il est porté atteinte, par la vidéo et les contenus associés qui mentionne la marque, à la marque et au produit mais non à l'honneur ou à la considération de la société Brocéliande ALH.

La critique généralisée d'une marque relève du dénigrement et non de la diffamation, dès lors qu'aucune personne physique ou morale n'est expressément désignée, peu important que, nécessairement, la marque visée soit la propriété d'une ou plusieurs sociétés.

En conséquence, les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne s'appliquent pas et l'assignation ne relève pas des dispositions de l'article 53 de cette loi.

L'ordonnance de référé sera donc infirmée en ce qu'elle a annulé l'assignation du 3 mars 2020.

2) Sur le dénigrement

La liberté d'expression intègre la liberté de critiquer les marques et produits mis sur le marché.

Mais la diffusion d'informations discréditantes sur la marque ou le produit est fautive dès lors qu'elle n'est pas fondée sur une base factuelle suffisante pour s'exprimer, quand elle se fonde sur des faits erronés ou quand elle est formulée en des termes excessifs.

La société Brocéliande ALH reproche aux intimés d'avoir, sur la base de la vidéo litigieuse, dénigré fautivement sa marque et les produits commercialisés sous sa marque en laissant entendre que ceux-ci sont issus d'élevages dans lesquels les porcs ne sont pas correctement traités, voire sont maltraités. Elle soutient que l'élevage filmé ne fournit pas la marque Brocéliande.

Elle précise que sa marque identifie des produits issus d'élevage qui mettent en œuvre un cahier des charges particulier intégrant des préoccupations de bien-être animal, que le cahier des charges associé à la marque Brocéliande comporte des exigences qui ne figurent pas dans les cahiers des charges « standards », et que les propos de l'association Red pill ont pour but de dénoncer le contraire.

Dans la vidéo M. B. affirme que l'exploitation filmée fournit bien la marque Brocéliande, parce qu'il s'y trouve des porcs non castrés et ajoute qu'il dispose d'articles de presse qui prouvent que le propriétaire de cet élevage-là fournit bien Brocéliande.

L'association Red pill et M. B. ne versent cependant pas à la procédure ces articles de presse, ce qui aurait été opportun dans le cadre de la présente procédure.

La société Brocéliande ALH répond d'abord, sans être démentie, que la non-castration des porcs est une pratique de plus en plus répandue et que le seul fait que les porcs filmés ne sont pas castrés ne démontre pas qu'il s'agit d'un élevage destiné aux produits de sa marque.

Puis elle verse à la procédure une attestation de M. A., exploitant agricole à Plénée-Jugon, qui expose que la vidéo litigieuse a été tournée dans son élevage en juillet 2019. Il précise que cette même vidéo a été exploitée dans un reportage diffusé sur la chaîne BFM TV en juillet 2019, et a également été exploitée pour mettre en cause les produits Carrefour. Il affirme qu'il n'est pas adhérent de la charte de qualité Brocéliande et qu'il ne fournit pas cette marque, ni directement, ni indirectement.

Aucun élément ne justifie que cette attestation, régulière en la forme, soit écartée parce que les déclarations de l'éleveur seraient fausses. Par ailleurs l'association Red pill et M. B. ne démontrent pas que M. A. a des intérêts communs avec la société Brocéliande ALH pour laquelle il ne travaille pas et le seul fait qu'il soit adhérent de la COOPERL, qui est présidente de la société Brocéliande ALH, ne suffit pas à caractériser un lien d'intérêt commun.

L'association Red pill et M. B. soutiennent également que la vidéo, qui pourtant ne mentionne qu'un seul élevage, montre deux élevages différents, dont celui de M. A., ce qui est exact, et celui de la SCEA Rouxel, situé à Plénée-Jugon.

Mais il ressort du procès-verbal de constat dressé le 28 février 2020 sur cette exploitation par Maître G., huissier de justice à Lamballe, que les installations montrées par la vidéo litigieuse ne correspondent pas aux installations de la SCEA Rouxel.

L'examen des images de la vidéo litigieuse montre également qu'il s'agit d'un seul et même élevage qui a été filmé, du reste reconnu formellement par M. A..

Les intimés ne produisent aucune pièce contredisant l'attestation de M. A., établissant que ce n'est pas son exploitation qui est filmée.

Enfin, l'association Red pill et M. B. soutiennent que l'objectif de la vidéo est de rétablir la vérité sur des conditions d'élevage intensif que les intéressés veulent cacher aux consommateurs ou à tout le moins enjoliver.

Dès lors qu'il est établi que la vidéo litigieuse n'a pas été tournée dans un élevage qui fournit la société Brocéliande ALH, que cette vidéo est le seul élément montré au public pour démontrer que la marque Brocéliande met en œuvre des pratiques commerciales trompeuses destinées à faire croire que les porcs servant à fabriquer le jambon, ou d'autres produits de la marque, ne sont pas élevés comme dans n'importe quel élevage intensif, le dénigrement fautif est bien établi et l'objectif poursuivi par les intimés ne les exonère pas de leur responsabilité.

En conséquence la cour retiendra que l'association Red pill a agi fautivement en dénigrant la marque Brocéliande et le jambon « bien élevé » de cette marque en donnant de fausses informations, images à l'appui, sur les conditions dans lesquelles les porcs servant à la société Brocéliande ALH sont élevés.

Le défaut de base factuelle non mensongère est suffisant pour établir le dénigrement fautif, le principe de la liberté d'expression n'autorisant pas le mensonge, et il n'y a pas lieu d'apprécier si la condition tenant à une expression mesurée de la critique est établie.

En tout état de cause, la cour estime que les commentaires, à partir des images montrant des porcs qui ne sont pas élevés dans de bonnes conditions, et le ton employé par M. B. ne sont ni outranciers, ni grossiers et restent modérés. Reste que M. B. a, par ce biais, critiqué expressément la marque Brocéliande sans vérifier si l'élevage filmé fournissait la société Brocéliande ALH et a ainsi agi fautivement.

3) Sur les mesures sollicitées

L'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile dispose : «'Le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. »

En l'espèce, les contenus diffusés par Monsieur B. et l'association Red pill portent préjudice à la marque Brocéliande et aux produits commercialisés sous cette marque, en laissant entendre que les produits de la marque Brocéliande seraient issus d'élevages dans lesquels les animaux ne seraient pas correctement traités voire subiraient des maltraitances.

Le dénigrement fautif de la marque Brocéliande et du jambon constitue un trouble manifestement illicite dont la société Brocéliande ALH est en droit de demander qu'il cesse.

En conséquence, il sera fait droit à ses demandes de retrait et de publication dans les conditions fixées dans le dispositif du présent arrêt.

Il n'y a pas lieu de dire que la cour se réservera le pouvoir de liquider l'astreinte.

4) Sur la demande de dommages et intérêts de la société Brocéliande ALH

Aux termes de l'article 835, alinéa 2 du code de procédure civile : « Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »

Le dénigrement d'une marque, dès lors qu'il est établi, cause un préjudice certain, au moins moral, à la société propriétaire de cette marque.

En conséquence, il sera fait droit à la demande de provision, à hauteur de un euro.

Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de « décerner acte » , qui n'est pas une demande et qui ne peut avoir d'effets juridiques.

5) Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

La décision du premier juge sera infirmée sur ces deux points.

Parties perdantes, l'association Red pill et M. B. seront condamnés, in solidum, aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Brocéliande ALH la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ce montant comprenant le coût des constats d'huissier et de la sommation interpellative, qui ne sont pas des dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme l'ordonnance de référé du 9 avril 2020,

Statuant à nouveau,

Déboute l'association Red pill et M. William B. de leur demande de nullité de l'assignation,

Ordonne, à compter de la signification du présent arrêt et dans les meilleurs délais, à l'association Red pill et à M. William B. de procéder ou faire procéder à l'arrêt de toutes diffusions dont ils sont à l'origine, sur le site internet de l'association, sur les réseaux sociaux et sur les plateformes de vidéo en ligne, sur lesquels ils détiennent des comptes, des contenus mettant en cause la marque Brocéliande et les produits commercialisés sous cette marque,

Ordonne le retrait des contenus suivants, à compter de l'expiration d'un délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt :

*les mentions : « Les cochons "bien-élevés" - La marque Brocéliande est prise en flagrant délit de publicité mensongère en prétendant que leurs animaux sont « bien élevés » et les contenus renvoyant à la page du site internet de l'association comprenant ces mentions,

*la vidéo intitulée « Brocéliande et le cochon « bien élevé » ou « Les cochons -bien élevés-», mise en ligne sur le site internet https://associationredpill.fr/ , ainsi que les photographies tirées de la vidéo et mentionnant la marque Brocéliande, et la même vidéo mise en ligne sur les réseaux sociaux Facebook, Instagram et YouTube,

Dit qu'à défaut de retrait dans le délai fixé, l'association Red pill et M. William B., tenus in solidum, seront passibles d'une astreinte provisoire de 150 euros par jour de retard pendant un délai de trois mois passé lequel le juge de l'exécution pourra être saisi d'une nouvelle demande d'astreinte,

Condamne l'association Red pill et M. William B. à publier le dispositif du présent arrêt en haut de la première page du site internet de l'association en police Arial de taille 12, en caractères gras, ainsi que dans deux quotidiens nationaux laissés à leur choix, dans un délai d'un mois courant à compter de la signification du présent arrêt, et ce pour un coût de 1 500 euros maximum par publication,

Condamne l'association Red pill et M. William B. in solidum à payer à la société Brocéliande ALH la somme d'un euro de dommages et intérêts à titre provisionnel,

Déboute l'association Red pill et M. William B. de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Les condamne, in solidum, aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Brocéliande ALH la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE