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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 6 juin 1991, n° 23.234/89

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Tally's Shop (Sté)

Défendeur :

Chanel (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poullain

Conseillers :

M. Bonnefont, M. Gouge

Avoués :

SCP Bollet Baskal, SCP Parmentier Hardouin

Avocats :

Me Hayot, Me Le Tarnec

TGI Paris, du 16 nov. 1989

16 novembre 1989

FAITS ET PROCEDURE DE PREMIERE INSTANCE –

Titulaire des marques figuratives 133490, 125081 et 1123953 constituées de deux C majuscules entrecroisés en sens contraire et de la marque dénominative n°5, toutes quatre désignant notamment les articles de bijouteries (classe 14), la société CHANEL faisait pratiquer le 21 juillet 1989, une saisie contrefaçon dans les locaux de la société TALLY’S SHOP que le 28 juillet suivant elle assignait en contrefaçon à tout le moins imitation illicite des marques susvisées. Des mesures de protection et de réparation étaient sollicitées ainsi que la somme de 20 000 F au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Touchée par l’assignation, la défenderesse ne constituait pas avocat ;

LE JUGEMENT CRITIQUE –

Par son jugement du 16 novembre 1989, le Tribunal de Grande Instance de PARIS a notamment :

- dit que la société TALLY’S SHOP, en détenant, offrant à la vente et vendant sans l’autorisation de la société CHANEL des bijoux fantaisie reproduisant deux C majuscules entrecroisés et le chiffre 5, a commis des actes de contrefaçon des marques 771648/1334490/516115/12910 renouvelée 125081, 545228/1123953 et 725148/1293767,

- interdit à TALLY’S SHOP de faire usage de ces marques sous quelque forme et à quelque titre que ce soit sous astreinte définitive de 200 F par infraction constatée passé le délai d’un moins à compter de la signification du jugement,

- condamné TALLY’S SHOP à payer à CHANEL :

- 260 000 F de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon des quatre marques en cause,

- 5000 F en vertu de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- autorisé CHANEL à faire publier le dispositif du jugement par extraits ou en entier dans trois journaux ou revues de son choix aux frais de TALLY’S SHOP sans que le coût global des insertions excède 36 000 F HT,

- ordonné l’exécution provisoire pour l’interdiction seulement ;

L’APPEL –

Appelante du jugement par déclaration du 18 décembre 1989, TALLY’S SHOP, qui conclut à son infirmation, prie la Cour de dire nulle la saisie contrefaçon au motif qu’il n’est pas justifié de la signification de l’ordonnance l’ayant autorisée, subsidiairement, de débouter CHANEL de ses prétentions, très subsidiairement de réduire à 1 francs le montant des dommages intérêts, et en tout état de cause, de condamner CHANEL au paiement de 12 000 F en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Intimée et incidemment appelante, CHANEL conclut à la confirmation en son principe de la décision attaquée mais prie la Cour d’élever à 2000 F le montant de l’astreinte définitive par l’infraction commise à compter de son arrêt, de fixer à 150 000 F les dommages intérêts réparant l’atteinte à chacune des 4 marques invoquées, de porter à six le nombre des publications et à 25 000 F par insertion le cout mis à la charge de l’appelante. Elle demande 20 000 F au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

SUR CE LA COUR,

Qui pour un plus ample exposé des faits de la procédure et des prétentions des parties se réfère au jugement critiqué et aux écritures d’appel,

Considérant que l’huissier saisissant, qui a opéré le 21 juillet 1989, a non seulement signifié à TALLY’S SHOP l’ordonnance rendue le 11 juillet autorisant la saisie contrefaçon, mais lui a de plus adressé la lettre prévue à l’article 658 du Nouveau Code de Procédure Civile ; que la contestation par l’appelante de la validité de la saisie est dénuée de tout fondement ;

Considérant que le caractère pour le moins quasi-servile de la reproduction sur les articles incriminés des marques CHANEL invoqués a été à juste titre retenu par le jugement ;

Considérant que pour faire néanmoins échec à l’action en contrefaçon, l’appelante conteste que CHANEL ait notamment pour les bijoux effectivement exploité les marques litigieuses dans les 5 années précédant sa demande, prétendant au surplus qu’elles ne lui sont pas opposables, les marques 726148 constituée de l’ensemble N° 5 ne pouvant être revendiquée lors de l’emploi seul du chiffre 5 d’ailleurs non protégeable et les 2 C entrecroisés dont l’usage ne démontre aucun effort créateur, étant tombées dans le domaine public :

Considérant que le nombre et l’ampleur des atteintes subies par les marques en cause sont à la mesure de leur exceptionnelle notoriété que CHANEL maintient par une exploitation très soutenue, qu’en fait l’appelante ne conteste pas bien sérieusement puisque, selon la judicieuse remarque de l’intimée, aucune demande en déchéance ne figure dans le dispositif de ses conclusions du 18 avril 1990, date à partir de laquelle aurait dû être pris en compte le délai de 5 ans si la Cour avait été saisie, ce qui n’est pas le cas, d’une telle demande, alors que l’appelante lui donne l’assignation pour point de départ au mépris des dispositions de la Loi du 31 décembre 1994 ;

Considérant que ladite Loi range les chiffres au nombre des signes distinctifs pouvant être déposés à titre de marques ; que dans l’ensemble N°5, qui est protégeable, le chiffre 5 est l’élément attractif ; que sa reproduction servile, même non accompagnée de celle de « N° » est une contrefaçon de marque ;

Considérant que le signe choisi pour marque n’a pas témoigner d’un effort créateur ; qu’il nait de l’occupation qu’en fait le titulaire ; que par ailleurs, la fréquence des contrefaçons portant sur les deux C entrecroisés est d’autant moins susceptible de les faire tomber dans le domaine public ; que CHANEL a sans défaillance poursuivi les contrefacteurs ; que leur protégeabilité n’est donc discutée par l’appelante qu’au moyen d’arguments dénués de toute pertinence ;

Considérant qu’il appert des énonciations du procès-verbal de saisie contrefaçon que la reproduction des 2 C entrecroisés à été offerte en vente par TALLY’S SHOP sur une large gamme d’articles, l’huissier ayant saisi 9 paires de boucles d’oreilles dont aucune n’est exactement semblable à un autre, la même observation s’appliquant à 4 broches à quoi il faut ajouter 1 bracelet, 1 collier et 1 boutonnière ; que cette énumération donne la mesure de l’envergure conféré à une contrefaçon dont l’aveu a été recueilli par l’huissier en des termes donnant à penser que plus elle s’intensifie plus elle apparait naturelle à ceux qui la pratiquent ;

Considérant qu’eu égard à la gravité des atteintes portées aux marques CHANEL et au préjudice commercial souffert par celle-ci en raison de la reproduction de signes d’une très haute réputation sur des articles de faible valeur répandus sur le marché, il apparait équitable d’élever aux montant indiqués au dispositif l’indemnité et le coût de chaque insertion mis à la charge de TALLY’S SHOP ainsi que l’astreinte qui toutefois ne sera que provisoire ;

Considérant que compte tenu de l’appel et de l’insuffisance de la somme allouée par le jugement au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, l’appelante sera condamnée à payer à CHANEL le montant justifié fixé ci-dessous ;

PAR CES MOTIFS,

Et non ceux contraires des premiers juges ,

DEBOUTANT la société TALLY’S SHOP de son appel mal fondé ;

CONFIRME le jugement sur le principe de la contrefaçon et de l’interdiction sous astreinte ;

REFORMANT pour le surplus,

DIT que l’astreinte dont le montant est élevé à 2000 F sera provisoire ;

CONDAMNE TALLY’S SHOP à payer à la société CHANEL /

- une indemnité de 400 000 F (quatre cent mille francs) en réparation des atteintes à ses marques et de son préjudice commercial,

- la somme de 15 000 F (quinze mille francs) en vertu de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

DIT que les publications s’appliqueront à l’arrêt par extraits et que le coût maximal de chacune des trois insertions mis à la charge de TALLY’S SHOP ne pourra excéder 20 000 F HT ;

DIT que TALLY’S SHOP supportera les dépens de première instance et d’appel ;

ADMET la SCP PARMENTIER HARDOUIN, avoués, au bénéfice de l’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.