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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 16 septembre 2021, n° 18/03348

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Moulures du Nord (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Soudry, Mme Lignières

T. com. Lyon, du 15 déc. 2017

15 décembre 2017

Faits et procédure :

La société LES MOULURES DU NORD a pour activité essentielle la fabrication et la commercialisation de parquets massifs, moulures et accessoires en chêne massif.

A compter de mai 2014, la société X est intervenue comme transporteur pour la société Les Moulures du Nord.

En mars 2016, la société Les Moulures du Nord a cessé de confier le transport de ses marchandises à la société X.

Le 10 mars 2016, la société X a mis en demeure la société Les Moulures du Nord de régler deux factures de 2 381,04 euros et de 926,92 euros restées impayées.

Le 28 avril 2016, suite à des livraisons effectuées par la société X, la société Les Moulures du Nord a facturé à la société X des retours pour 2 149,60 euros.

Le 3 mai 2016, la société X a refusé de régler cette facture au motif de l'absence de réserves non confirmées dans les trois jours, conformément à l'article L 133-3 du code de commerce, ainsi qu'en raison de la prescription concernant certaines livraisons, et a demandé à la société Les Moulures du Nord un avoir sur facture du même montant.

Aucun accord n'ayant été trouvé entre les parties, la société X a assigné par acte d'huissier de justice du 20 octobre 2016 la société Les Moulures du Nord devant le tribunal de commerce de Lyon, pour obtenir le paiement de factures impayées et en indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales.

Par jugement du 15 décembre 2017, le tribunal de commerce de Lyon a :

- Condamné la société Les Moulures du Nord SAS à payer la somme de 3 284,26 euros à la société X SA au titre des factures impayées ;

- Condamné la société Les Moulures du Nord SAS à verser à la société X SA la somme de 3 601,44 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

- Rejeté la demande en dommages et intérêts de la société X SA ;

- Condamné la société Les Moulures du Nord SAS à verser à la société X SA la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté cette dernière du surplus de sa demande ;

- Rejeté la demande d'exécution provisoire ;

- Condamné la société Les Moulures du Nord SAS à l'ensemble des dépens.

Par déclaration du 9 février 2018, la société Les Moulures du Nord a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 4 mars 2020, la société Les Moulures du Nord demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles L. 442-6 I 5° et D. 442-3 du code de commerce ;

Vu le décret n° 99-269 du 6 avril 1999 portant approbation du contrat-type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n'existe pas de contrat-type spécifique ;

- Infirmer le jugement entrepris en ses dispositions portant condamnations ;

- Débouter la société X de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société X à régler à la société Les Moulures du Nord la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société X aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 18 juillet 2018, la société X demande à la cour de :

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

- Condamner la société Les Moulures du Nord à verser à la société X la somme de 5 000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la même en tous les dépens d'instance.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 avril 2021.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la rupture brutale de la relation établie

La société Les Moulures du Nord soutient que :

- La société X n'est pas intervenue en qualité de commissionnaire de transport mais en qualité de messager, dès lors, le décret n° 2013-293 du 5 avril 2013 portant approbation du contrat-type de commission de transport en son article 15-1 n'est pas applicable ;

- Contrairement à ce que soutient la société X, le préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies est évalué non pas en référence à la marge brute mais à la marge sur coûts variables ; dès lors, pour un mois de préavis, le montant de l'indemnisation s'élève à 598,83 euros.

La société X réplique que :

- Dans la mesure où les relations commerciales entre la société X et la société Les Moulures du Nord ont débuté en avril 2014 pour s'achever en avril 2016, l'article 15-1 du contrat-type, qui prévoit un délai de préavis de trois mois lorsque l'ancienneté des relations est supérieure à un an, a vocation à s'appliquer ;

- La société X est bien un commissionnaire de transport ;

- Quand bien même la société X n'aurait pas le statut de commissionnaire de transport, le délai de préavis applicable serait celui prévu par le contrat-type sous-traitance et le contrat-type location de véhicules avec chauffeur, qui est également de trois mois en cas de relations supérieures à un an ;

- Contrairement à ce que soutient la société Les Moulures du Nord, l'indemnisation est déterminée en tenant compte de la marge brute réalisée et non de la marge bénéficiaire (résultat/chiffre d'affaires) ;

SUR CE

Sur la rupture brutale de la relation établie

Le contrat-type invoqué par la société X n'est applicable qu'aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque les relations entre les cocontractants consistent en des prestations de transport confiés par la SAS Moulures du Nord à la SA X, celui-ci n'agissant pas en qualité de sous-traitant à l'égard de la SAS Moulures du Nord.

En conséquence, seules les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce s'appliquent.

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Les parties ne discutent pas le caractère établi des relations qui ont duré deux ans. Elles ont cessé sans qu'un préavis ne soit accordé par la SAS Moulures du Nord à la SA X.

Les relations ayant duré deux ans, et un courant d'affaires régulier existant entre les parties à hauteur de 23 577,33 euros pour l'année 2015, un préavis de trois mois devait être accordé à la SA X pour lui permettre de réorganiser son activité.

La SAS Moulures du Nord verse aux débats une attestation de son expert-comptable en date du 14/09/2016 non contredite par des pièces pertinentes justifiant d'un chiffre d'affaires non contesté de 23 577,33 euros pour l'année 2015 soit une moyenne mensuelle de 1 964,78 euros entre les deux sociétés et d'une marge brute de 61,1 %.

Le taux de marge sur coût variable de la SA X que la SAS Moulures du Nord calcule elle-même ne repose sur aucune attestation comptable et l'intimée en conteste l'application. Les coûts exposés par la SA X consistant essentiellement en frais de personnels et de véhicules, ceux-ci n'ont pu être supprimés immédiatement à compter de la rupture qui a été brutale.

En conséquence, compte tenu de la nature de l'activité exercée, il y a lieu de retenir que le gain manqué subi par la SA X doit être évalué au montant de la marge brute.

Le gain manqué est le suivant :

1 964,78 X 61,1 % = 1 200,48 euros X 3 mois = 3 601,44 euros

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SAS Moulures du Nord à verser à la SA X la somme de 3 601,44 euros en réparation du préjudice subi résultant de l'insuffisance de préavis.

Sur la demande au titre des factures

La société Les Moulures du Nord soutient que :

- la somme de 3 826,16 euros demandée par la société X au titre de factures impayées n'est pas détaillée,

- il n'a pas été répondu à son argumentation s'agissant de la facture de 2 149, 60 euros établie le 28 avril 2016 en raison d'inexécutions lors de livraison, alors même que cette facture devait se compenser avec celles émises par la société X,

- l'indemnité forfait de frais de recouvrement de 40 euros par facture demandée par la société X n'est pas justifiée.

La société X fait valoir que :

- le paiement de la facture émise par la société Les Moulures du Nord le 28 avril 2015 au titre de quatre prétendus sinistres transports ne lui est pas imputable,

- dans un souci de simplification, elle n'entend pas remettre en cause le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il n'a alloué ni intérêts, ni le forfait de recouvrement de 40 euros prévu par l'article L. 441-6 du code de commerce et le décret n° 2012-1115,

En application de l'article 1315 ancien du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. Par ailleurs selon les articles 6 et 9 du code de procédure civile, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à fonder leurs prétentions et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires à leur succès. L'article L. 110-3 du code de commerce consacre le principe de la liberté de la preuve des actes de commerce à l'égard des commerçants.

Il résulte du jugement que la SA X a sollicité le paiement de la somme de 3 284,26 euros au titre des factures demeurées impayées outre intérêts. Le tribunal a condamné la SAS Moulures du Nord à payer à la SA X la somme de 3 284,26 euros en indiquant « ni le montant de 2 169,60 euros de factures impayées, ni le mode de calcul des majorations ou de l'indemnité forfaitaire, ni le total dû de 3 284,26 euros n'est contesté. »

La SA X maintient sa demande en paiement de la somme de 3 284,26 euros au titre des factures demeurées impayées et produit deux factures l'une en date du 29/02/2016 d'un montant de 2 381,04 euros et la seconde en date du 31/03/2016 d'un montant de 926,92 euros reprenant la date, le n° de bon de livraison, le nom et l'adresse du destinataire, le poids, et le prix pour chaque poste permettant à la SAS Moulures du Nord de vérifier les livraisons effectuées. A été déduit un avoir d'un montant de 23,70 euros. Les factures dont le paiement est réclamé portent en intégralité sur des livraisons et non sur le calcul de majorations de retard ou d'indemnité forfaitaire contrairement à ce qui a été retenu par le tribunal.

Il est également versé une mise en demeure en date du 10 mars 2016 correspondant au montant des factures dont le paiement est réclamé.

Enfin, dans un courriel aux termes duquel, la SA X sollicitait le paiement de la facture en date du 29/02/2016, la SAS Moulures du Nord répondait « votre chèque partira au courrier ce jour ». Or, la SAS Moulures du Nord indiquait ne pas avoir reçu le chèque et la SA X ne justifiait pas du règlement.

Les pièces produites établissent les sommes dues en principal pour un montant de 3 284,26 euros.

Il est versé aux débats une facture en date du 28/04/2016 d'un montant de 2149,60 euros établi par la SAS Moulures du Nord. La SA X communique à ce titre quatre ordres de reprise de palettes chez des clients en date des 27/03/2015, 08/04/2015, 20/04/2015 et 25/11/2015 sans aucune mention de sinistre concernant ces reprises ; la facture est intitulée « retour magasin ».

Par courriel du 03/05/2016, la SA X répondait à la SAS Moulures du Nord qu'elle refusait de prendre en charge ces retours en l'absence de réserve dans le délai de trois jours conformément aux dispositions de l'article L133-3 du code de commerce et de la prescription.

Si la SAS Moulures du Nord a émis une facture d'un montant de 2 149,60 euros pour des retraits de palettes chez des clients, il n'est justifié d'aucune réclamation relative à des livraisons défectueuses, aucune réserve n'étant mentionnée sur les ordres de reprise permettant d'en imputer la responsabilité à la SA X.

Cette somme ne pourra donc être déduite de celle réclamée par la société X.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Les Moulures du Nord à payer à la société X la somme de 3 284,26 euros au titre des factures impayées.

Sur les frais accessoires

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

La SAS Moulures du Nord sera condamnée aux dépens et à payer à la SA X la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Condamne la SAS Moulures du Nord aux dépens de l'instance d'appel,

Condamne la SAS Moulures du Nord à verser à la SA X la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.