Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 septembre 2021, n° 19/18251

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Taglab (SAS)

Défendeur :

TAG (SARL), MAT (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

T. com. Rennes, du 17 sept. 2019

17 septembre 2019

La SARL Taglab fabrique les glaces « Le Sanchez » depuis 2007.

La SARL TAG exploite le magasin de vente à emporter de glaces « Le Sanchez » à Saint Malo. Elle est détenue par la SARL MAT qui est la société holding du groupe de M. X.

Cette marque de glaces a été créé par M. Sanchez, dans un fonds de commerce installé <adresse>, qui comprenait le point de vente et une usine de fabrication. Le 1er février 2006 M. X a repris les activités de production et de commercialisation de la marque, au travers de différentes sociétés, toutes dirigées par M. X :

- la société MAT, holding du groupe et propriétaire de la marque « Sanchez »

- la société Tag, exploitante du point de vente lieu historique et de l'ancienne usine,

- la société Taglab, fabricant de la glace Sanchez au sein d'une usine nouvelle, située <adresse>. Cette seconde usine, plus grande, visait à augmenter la capacité de production du groupe de M. X.

- la SCI Tagloc, propriétaire de l'immeuble dans lequel la société Taglab était implantée.

Le 8 février 2013, M. X a cédé à M. Y l'intégralité des parts de la société Taglab. Dans le même temps, deux conventions sont signées :

- un contrat de licence de marque, entre la société MAT et la société Taglab, pour une durée de 10 années, avec réserve d'usage de la marque pour les consorts X et la société Tag ;

- un contrat d'approvisionnement et de fourniture exclusifs entre la société TAG et la société Taglab, pour une durée de 2 années, tacitement renouvelable.

En février 2015 et à l'issue de la période de deux années prévues au contrat, la société TAG a mis fin au contrat d'approvisionnement et de fourniture exclusifs, par courrier recommandé du 30 juillet 2014, avec un préavis de 6 mois courant jusqu'au 8 février 2015. La société TAG a choisi de continuer à s'approvisionner auprès de la société Taglab. En avril 2016, M. Y a cédé la société Taglab à la société AX.LR détenue par Mme Z. La société TAG a poursuivi sa relation commerciale avec la société Taglab en continuant à s'approvisionner principalement auprès de cette dernière. En 2017, la société Taglab a donné congé à son bailleur, la société Tagloc.

Par lettre du 27 mars 2018, la société TAG a notifié à la société Taglab sa volonté de mettre fin à leur relation commerciale avec un préavis d'une année complète courant jusqu'au 31 mars 2019. La société TAG a voulu reprendre la production des glaces pour les besoins de son activité, ce à quoi s'est opposée la société Taglab.

Par acte extrajudiciaire du 11 décembre 2018 la société Taglab a saisi le tribunal de commerce de Rennes, pour voir condamner la société TAG à lui payer des dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies et pour voir interdire aux sociétés TAG et MAT de produire des glaces destinées à être commercialisées sous la marque Sanchez.

C'est dans ces conditions que par un jugement du 17 septembre 2019, le Tribunal de commerce de Rennes a :

- Débouté la société Taglab de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions concernant la rupture brutale des relations commerciales établies,

- Débouté les sociétés TAG et MAT de leur demande de rejet de la pièce n°16 et de leur demande de production sous astreinte,

- Débouté la société Taglab de sa demande d'interdiction de produire des glaces et crèmes glacées a marque Sanchez, sous réserve qu'elle ne les commercialise qu'a emporter, sur le ressort de 35400 St-Malo.

- Condamné la société Taglab a verser aux sociétés Tag et Mat chacune la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, - Condamné la société Taglab aux entiers dépens,

- Prononcé l'exécution provisoire.

Par déclaration au greffe de la Cour du 26 septembre 2016, la société Taglab a interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions de lasciété Taglab, signifiées et déposées le 15 avril 2021, demandant à la Cour de :

- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- Vu l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, sanctionnant la rupture brutale et sans préavis écrit des relations commerciales établies,

- Dire que la société TAG a rompu brutalement et sans prévis suffisant les relations commerciales établies avec la société Taglab depuis novembre 2017

- Dire que la société TAG aurait dû respecter un préavis d'une année,

- Condamner la société TAG à régler à la société Taglab la somme de 49 265 euros, correspondant à la marge brute sur coûts variables perdue au cours d'une année par la société Taglab, les intérêts au taux légal courant à compter de la délivrance de l'assignation,

- Vu les articles 1103, 1217 et 1240 du Code civil,

- Interdire à la société TAG et à la société MAT de produire des glaces destinées à être commercialisées sous la marque « Sanchez », dans un délai de 48 h à compter du jugement à intervenir et d'en justifier auprès de la société Taglab par tous moyens à leur convenance, dans un délai de 8 jours à compter du jugement à intervenir,

- Dire qu'en cas de non-respect de l'interdiction, la société TAG et la société MAT seront condamnées solidairement à régler à la société Taglab, à titre d'astreinte, la somme de 150 000 euros par incident constaté,

- Dire qu'à défaut pour les sociétés Tag et Mat de justifier de l'arrêt de la production dans le délai de huit jours indiqué, elles seront solidairement condamnées à régler à la société Taglab, à titre d'astreinte, la somme de 1 500 euros par jour de retard,

- Condamner solidairement les sociétés Mat et Tag à verser à la société Taglab la somme de 4 105 euros par mois au titre de l'indemnisation du préjudice causé par l'inexécution du contrat, depuis le 31 mars 2019 et jusqu'à l'arrêt de toute production, arrêt dûment justifié par les mêmes sociétés Tag et Mat dans les conditions déjà indiquées,

- Dans l'hypothèse où la cour ne reconnaitrait pas à la société Taglab le bénéfice d'un préavis d'une année dans les conditions de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce et n'aurait pas condamné à ce titre la société TAG à indemniser la société Taglab,

- Condamner les sociétés Mat et Tag à régler la somme de 4 105 euros par mois au titre de l'indemnisation du préjudice causé par l'inexécution du contrat, depuis le 31 mars 2018, date de démarrage de la production et jusqu'à l'arrêt de toute production, arrêt dûment justifié par les mêmes sociétés Tag et Mat dans les conditions déjà indiquées,

- Condamner solidairement la société TAG et la société MAT à payer à la société Taglab la somme totale de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Rejeter les demandes, fins et conclusions adverses,

- Condamner les sociétés Tag et Mat aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Vu les dernières conclusions des sociétés TAG et MAT signifiées et déposées le 14 février 2020, demandant à la Cour de :

- Vu l'article L 442-6 I 5° du code de commerce dans rédaction applicable à la cause,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Taglab de ses demandes au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie,

- Vu l'article 1134 alinéa 1er du code civil dans sa rédaction applicable à la cause,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Taglab de ses demandes au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie,

- Débouter la société Taglab de toutes ses demandes,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Taglab à leur payer la somme de 5 000 euros à chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance,

- Condamner la société Taglab à leur payer la somme de 10 000 euros à chacune au titre des frais irrépétibles d'appel et aux entiers dépens d'appel.

SUR CE

LA COUR

Les moyens soutenus par la société Taglab au soutien de son appel, ne font que réitérer sous une forme nouvelle, mais sans justification complémentaire utile, ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs exacts que la c!our adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.

A ces justes motifs, il sera seulement ajouté ce qui suit.

- Sur l'interdiction de production des glaces Le Sanchez par la société TAG demandée par la société Taglab

La société Taglab soutient à l'appui de son appel que :

- par l'effet, d'une part, de l'article 2 du contrat de licence de marque du 8 février 2013 qu'elle a signé avec la société MAT et, d'autre part, de l'article 11 du contrat d'approvisionnement exclusif qu'elle a signé simultanément avec la société TAG, elle seule dispose du droit d'exploitation de la marque "Le Sanchez" pour l'activité de production des glaces ;

- la reprise de la fabrication par la société TAG est donc intervenue en contravention avec le contrat de licence de marque ;

- elle est bien fondée à obtenir l'interdiction de toute production de glaces destinées à la commercialisation sous la marque litigieuse, ce à peine d'astreinte comminatoire d'un montant dissuasif compte tenu de l'attitude dissimulatrice de M. X ;

- en poursuivant l'approvisionnement exclusif auprès d'elle après le 8 février 2015, date de l'effet de la résiliation de ce contrat notifiée par lettre du 30 juillet 2014 et en dépit de cette résiliation, la société TAG aurait reconnu le bien fondé de sa thèse.

Dans le prolongement du préavis dont elle demande indemnisation par ailleurs sur le fondement du délit civil de rupture brutale des relations commerciales établie, elle réclame encore une indemnité mensuelle à titre de dommages-intérêts, pour compensation de la marge brute sur couts variables perdue, pour la période suivant le préavis qui aurait dû être respecté selon elle et tant que n'aura pas cessé la violation alléguée du contrat de licence de marque.

Toutefois, le jugement entrepris a exactement cité et analysé sans les dénaturer les clauses du contrat du 8 février 2013. En réservant expressément au bénéfice de la société TAG, dans ce contrat de licence de marque (article2.2), le droit exceptionnel d'exploiter la marque « Le Sanchez », à titre exclusif, dans le cadre de l'activité de vente à emporter à Saint Malo, la société MAT a ménagé à la société TAG le droit de production de la glace pour les besoins de cette exploitation.

L'article 11 du contrat d'approvisionnement résilié ne comporte pas, en particulier au titre de l'article 11 relatif à la cessation du contrat, de clause par laquelle la société TAG aurait renoncé à son droit exclusif de produire la glace pour les besoins de l'exploitation exclusive de la marque sur le territoire de la commune de Saint Malo.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Taglab de ses demandes au titre de l'interdiction sollicitée.

- Sur la rupture brutale des relations commerciales établies invoquée par la société Taglab

Alors que la société Taglab soutient qu'elle subit une rupture des relations commerciales établies de la part de la société TAG depuis la fin de novembre 2017, date de la cessation de toute commande, le courrier échangé entre les parties établit ce qui suit.

Il résulte en particulier de la lettre du 23 février 2018 de la société TAG adressée à la société Taglab ainsi que de la réponse de celle-ci par lettre du 27 mars 2018, qu'entre le mois de septembre 2017 qui avait vu le jour du départ de M. W et le 5 janvier 2018, date de l'entrée en fonction d'un professionnel qualifié, la société Taglab s'est trouvée démunie de collaborateur qui disposât des qualifications suffisantes pour permettre la production des glaces artisanales et que, déjà, les produits vendus à la société TAG en octobre 2017 ont comporté des produits invendables pour la société TAG, compte tenu des exigences de haute qualité de la marque qui n'étaient plus remplies.

La cour observe, au titre de l'appréciation de la relation commerciale concrète, que la société Taglab n'a pas pris l'initiative de prévenir la société TAG de la difficulté rencontrée mais que ce fut celle-ci qui s'en est préoccupé et que celle-là s'est trouvée en situation de devoir proposer le remplacement gratuit des produits invendables.

Cependant, la société Taglab reconnaît elle-même qu'elle n'était pas en mesure de fournir la société TAG avant le courant du mois de janvier 2018, ce que celle-ci avait appris par ses propres moyens et qu'elle a vérifié auprès d'elle sans retard.

En outre, il est établi par le même échange de courrier que la société TAG n'a appris qu'au 27 mars 2018 que la société Taglab était en nouveau en situation de produire dans des conditions permettant l'approvisionnement de la société TAG.

La livraison à la société TAG de glace qui ne pouvait pas être commercialisée par celle-ci pour les raisons déjà indiquées, ainsi que le délai pris par la société Taglab pour remédier à cette situation objective, rien ne prouvant que ces circonstances aient été causées par la société TAG, caractérisent un défaut de maintien des conditions commerciales antérieures au moment de la rupture brutale prétendue des relations commerciales, fin novembre 2017 et ce jusqu'à fin mars 2018.

La société Taglab est donc mal venue de se plaindre d'une rupture brutale des relations commerciales établies à la date du mois de novembre 2017, puisqu'elle n'était pas en mesure de maintenir son offre de produits aux exigences voulues par la relation commerciale antérieure.

Au reste, la société TAG explique sans être valablement contredite que, compte tenu de ses stocks, elle n'a pas eu besoin de glace avant avril 2018. Et la société Taglab explique elle-même que le niveau des commandes d'octobre et novembre 2017 lui avait paru anormalement élevé, ce qui corrobore que le client n'a pas eu besoin de s'approvisionner plus tôt.

Par ailleurs, la décision de la société TAG de rompre la relation commerciale avec un délai d'un an, notifiée par lettre du 27 mars 2018, n'était nullement critiquable par la société Taglab qui a cependant immédiatement fait suivre cette décision d'une hausse tarifaire de plus de 30 % par rapport à ce qui s'était pratiqué jusqu'alors, sans justification valable et hors de toute proportion.

Après que la société TAG a rappelé à son partenaire le principe du maintien des conditions commerciales antérieures dans le cadre du préavis et après qu'elle a offert une augmentation de 4%, la société Taglab a réduit cette demande d'augmentation, mais sa dernière proposition de tarif s'est établi malgré tout à une augmentation de 18,88 % par rapport à l'année précédente.

La société Taglab a contesté tout abus dans la proposition de ce dernier tarif ; elle rappelle le principe que le juge ne contrôle pas les prix et fait valoir à l'appui du bien-fondé de sa thèse :

- le défaut d'augmentation du tarif au titre des deux années précédentes, et la marge réalisée bien plus faible avec la société TAG comparativement à la moyenne (selon attestation d'expert-comptable), à cause de la position historiquement privilégiée de ce fournisseur,

- le retard à commander de la société TAG, à qui elle reproche de ne pas avoir commandé dès janvier 2018, ce qui aurait eu pour effet d'augmenter ses coûts de production par le recours aux heures supplémentaires (au taux de majoration de 25 %),

- le changement du mode de livraison (passage du prix départ au prix livré).

Toutefois, les explications fournies dans le cours de la négociation à l'appui de la justification de cette hausse tarifaire très importante, sont en elle-même entachées d'abus.

En effet, le "revirement de situation tardif" imputé à la société TAG, dans le courriel de Mme Z du 5 avril 2018 - qui est la dernière pièce essentielle de cette négociation - , consiste dans le fait de s'être abstenu de passer commande entre novembre 2017 et fin mars 2018. Or, la société Taglab impute abusivement cette situation au client puisque, comme déjà indiqué, celui-ci n'avait pas été au courant avant la fin mars 2018 que la production pouvait reprendre de manière conforme aux exigences de qualité de la marque.

A la lumière de cet élément, la société TAG n'était tenue ni d'accepter les termes de cette négociation, ni de la poursuivre.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a dit que la rupture des relations commerciales établies n'avait pas été brutale.

- Sur les autres demandes et les frais

Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

En équité, la société Taglab qui succombe versera à chacune des sociétés MAT et TAG une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt.

La société Taglab sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Déboute la société Taglab de toutes ses demandes,

Condamne la société Taglab à payer à chacune des sociétés MAT et TAG une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

Rejette toute autre demande.