CA Paris, 4e ch. B, 17 décembre 1992, n° 12.332/90
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Jean Feez (SARL), Gery (ès qual.), Sulzer (ès qual.)
Défendeur :
Chanel (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avoués :
SCP d'Auriac Guizard
Avocat :
Me Dehors
L’acte introductif d’instance énonçait que la défenderesse utilisait la marque CHANEL dans son catalogue « Collection ETE, avril 1989 » : Gilet CHANEL maille, Spencer CHANEL Maille, Jupe CHANEL maille, pour désigner des articles de qualité très ordinaire ne provenant pas de la Maison CHANEL ;
Le 16 novembre 1989, CHANERL appelait en intervention forcée GERY, administrateur au redressement judiciaire de la société JEAN FEEZ et KATZ SULZER, représentants des créanciers tous deux nommés par jugement du 3 octobre 1989 ;
Les défendeurs qui ne contestaient pas le principe de la concurrence déloyale, soutenaient que CHANEL ne rapportait pas la preuve d’un préjudice et s’opposaient à toute fixation de créance au titre de dommage intérêts, sinon subsidiairement à 1 franc ; concluant au débouté, ils réclamaient 20 000 F en vertu de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Le jugement critiqué :
Par son jugement de mai 1990, le Tribunal de Grande Instance de Paris a entre autres dispositions :
- Dit que la société JEAN FEEZ, en désignant dans son catalogue des vêtements féminins par les termes « CHANEL MAILLE » sans l’autorisation de CHANEL a commis des actes d’usurpation de la marque CHANEL,
- Interdit la poursuite des actes condamnés sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée passé un délai d’un mois à compter de la signification du jugement,
- ordonné la confiscation et la remise à CHANEL pour destruction en présence d’un Huissier de tous catalogues et prospectus comportant la marque CHANEL se trouvant encore entre les mains de la société JEAN FEEZ,
- fixé comme suit le préjudice de CHANEL :
- atteinte à la marque : 100 000 F
- préjudice commercial : 150 000 F
- frais non taxables : 5 000 F
- donné acte à CHANEL de ce qu’elle a produit entre les mains du représentant des créanciers pour les sommes réclamées dans l’assignation ;
L’APPEL :
APPELANTS du jugement par déclaration du 8 juin 1990, la société d, GERY ès qualité et KATZ SULZER ès qualités, concluent à son infirmation en reprenant leur contestation d’un préjudice et en priant la Cour de débouter CHANEL de ses prétentions. Ils demandent 20 000 F en vertu de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
INTIMEE, CHANEL conclut au rejet de l’appel et incidement appelante, prie la Cour d’élever à 2 000 F le montant de l’astreinte assortissant la mesure d’interdiction d’usage à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, de dire que la destruction sous contrôle d’huissier des catalogues et autres documents comportant la dénomination CHANEL sera assortie d’une astreinte définitive de 10 000 F par jour de retard passé un délai de 10 jours après la signification de l’arrêt, de fixer à 250 000 F le préjudice résultant de l’atteinte à la marque et à 200 000 F le préjudice commercial découlant notamment d’une perte partielle de marché, d’ordonner la publication de l’arrêt dans 6 journaux ou revues, français ou étrangers à raison de 25 000 F par insertion et ce, au besoin, à titre de dommages intérêts complémentaires, de fixer à 20 000 F la somme allouée en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et de lui donner acte de sa production pour les sommes sus-énoncées entre les mains du représentants des créanciers.
Les prétentions ci-dessus ont été reprises dans des écritures tenant compte de l’intervention de GERY, ès qualités de commissaire à l’exécution du plan, qui s’est référé aux conclusions des appelants ;
SUR CE, LA COUR,
Considérant que la contrefaçon de la marque CHANEL étant reconnue, il s’impose de constater que contrairement à ce que prétendent les appelants qui s’efforcent de la dépouiller de tout aspect répréhensible, les actes commis par JEAN FEEZ présentent un caractère particulier de gravité car l’atteinte à la marque a été perpétrée dans les circonstances excluant tout élément propre à rendre évident que les articles offerts en vente n’étaient pas d’authentiques vêtements CHANEL ; qu’à cet égard, il convient de souligner que les prix bas pratiqués par le contrefacteur n’apportent pas la certitude qu’une erreur sur la provenance est impossible dans l’esprit du public, certains consommateurs pouvant imaginer que pour pénétrer un marché qui n’est pas traditionnellement le sien, la société CHANEL, mondialement célèbre, a accepté de couvrir son nom des productions plus ou moins éloignées en qualité de celles qui ont fait sa notoriété ; que l’argument classique des contrefacteurs selon lequel la reproduction servile d’une marque de haute réputation ne leur procurerait aucun profit tend à les présenter sans la moindre vraisemblance comme des adptes de l’acte gratuit qui encourraient, sans aucune contrepartie, le risque de poursuites ; qu’au reste, tput en déniant l’existence d’un préjudice, les appelants ne dissimulent pas que les faits incriminés répondent à un dessein parasitaire lorsqu’il expliquent que la marque n’est en l’espèce reproduite que pour faire référence à un style ;
Considérant qu’à admettre même que JEAN FEEZ n’ait pas vendu des vêtements marqués CHANEL à des clients habituels du grand couturier, il n’en reste pas moins que la diffusion sous les signe contrefaisant d’articles de modeste qualité est de nature à avilir les productions de CHANL et détourner une partie de sa clientèle de l’attachement qu’elle voue à une marque notoire.
Considérant en conséquence que l’appel est mal fondé et qu’en confirmant le jugement sur le principe de l’atteinte à la marque et sur les mesures de protection et de réparation accordées à CHANEL, il échet d’y ajouter en autorisant l’intimée à faire publier l’arrêt selon les modalités fixées au dispositif qui précisera le montant de la créance qu’à ce titre CHANEL pourra faire valoir dans le cadre de la procédure collective dont JEAN FEEZ est l’objet, et en outre celui que l’équité commande d’accorder à CHANEL pour les frais non taxables exposés dans l’instance et notamment en appel ;
PAR CES MOTIFS,
DEBOUTANT de leur appel la société JEAN FEEZ, GERY ès qualités et KATZ SULZER ès qualités,
CONFIRME le jugement,
Y AJOUTANT,
AUTORISE la société CHANEL à faire publier l’arrêt par extraits dans 3 journaux ou revues, français ou étrangers de son choix, aux frais de la société JEAN FEEZ dans la limité de 20 000F par insertion et à titre de dommages intérêts complémentaires donnant lieu à une fixation de créance de 60 000 F ;
ELEVE à 20 000 F pour l’ensemble de la procédure, la fixation de créance au titre de l’article 700 du Nouveau code de Procédure Civile ;
CONDAMNE in solidium JEAN FEEZ, GERY ès qualités et KATZ SULZER ès qualités, aux dépens de première instance et d’appel.
ADMET la SCP PARMENTIER HARDOUIN, avoués, au bénéfice de l’article 699 du Nouveau code de Procédure Civile.