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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 12 février 2021, n° 19/22595

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

August Storck KG (Sté)

Défendeur :

BDL Avocats (Selarl), Directeur General de l'institut National de la Propriété Industrielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chokron

Conseillers :

Mme Lehmann, Mme Marcade

Avocat :

Me Lallement

Cour de cassation, ch. com., du 18 sept.…

18 septembre 2019

Vu la décision rendue le 3 décembre 2015 par le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) qui, statuant sur l'opposition de la société August Storck KG, titulaire de la marque communautaire verbale 'Merci' déposée le 27 mai 2004, régulièrement renouvelée sous le n° 003858231, pour désigner les « sucreries, chocolat et produits à base de chocolat, pâtisserie », à l'encontre de la demande d'enregistrement n° 15 4 163 735 déposée par M. Jean-Christophe V le 11 mars 2015 portant sur le signe verbal « Merci Quercy » destiné à distinguer notamment des produits et services des classes 29, 30, 31, 32, 33 et 35, l'a rejetée.

Vu le recours aux fins d'annulation de cette décision formée le 2 mars 2016 par la société August Storck KG (de droit allemand) et le mémoire déposé au soutien de ce recours le 4 avril 2016.Vu l'arrêt de rejet de ce recours, rendu par la cour d'appel de Paris (chambre 5-1) le 25 avril 2017.

Vu l'arrêt de cassation partielle rendu le 18 septembre 2019 par la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique). Document issu des collections du centre de documentation de l’INPI

Vu la déclaration de saisine de la cour de renvoi, remise au greffe le 31 octobre 2019 par la société August Stock KG. Vu les dernières écritures de la société August Storck KG déposées le 3 décembre 2020, demandant à la cour, au visa des articles 8 et 9 du Règlement (CE) n° 40/94 du 20 décembre 1993, les articles L. 711-4, L. 712-7 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, de :

la dire et juger recevable en son recours, annuler la décision d'opposition n° 15-2579 du 3 décembre 2015 en ce qu'elle a :

considéré que « le public ne percevra pas le signe contesté comme une référence à la marque antérieure mais comme une expression formant un tout »,

considéré qu'il appartenait à la société opposante de démontrer que sa marque « Merci » était connue d'une partie non négligeable du public français,

Statuant par substitution de motifs :

dire et juger qu'il existe un risque de confusion entre les signes « Merci » et « Merci Quercy » visant des produits identiques et similaires,

dire et juger que ce risque de confusion est aggravé par la renommée de la marque « Merci » sur le territoire de l'Union,

En conséquence,

dire et juger que la demande d'enregistrement « Merci Quercy » n° 15 4 163 735 ne peut être adoptée comme marque pour désigner les produits suivants : « gelées, confitures, compotes, cacao, sucre, pâtisseries et confiseries, glaces alimentaires ; miel ; sirop de mélasse ; crêpes (alimentation) ; biscuits; gâteaux ; biscottes ; sucreries ; chocolat ; boissons à base de cacao, de chocolat ».

Vu les observations du directeur général de l'INPI, remises pour l'audience du 17 décembre 2020, concluant au rejet du recours.

Le ministère public ayant été entendu en ses réquisitions orales.

SUR CE :

M. Jean-Christophe V, convoqué à se présenter à l'audience du 17 décembre 2020 par une lettre recommandée dont il a accusé réception le 7 juillet 2019, n'a pas comparu.

Document issu des collections du centre de documentation de l’INPI Il est expressément renvoyé à la décision ainsi qu'aux écritures et observations susvisées, lesquelles ont été reprises oralement à l'audience permettant un débat contradictoire.

Selon les dispositions de l'article 625 du code de procédure civile, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement cassé, sur les seuls points atteints par la cassation.

Aux termes de l'arrêt de cassation partielle du 18 septembre 2019, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 avril 2017 a été cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il rejette le recours formé par la société August Storck KG contre la décision rendue le 3 décembre 2015 par le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle ayant rejeté l'opposition qu'elle avait formée contre la demande d'enregistrement de la marque verbale « Merci Quercy » en ce qui concerne les gelées, confitures, compotes, cacao, sucre, pâtisseries et confiseries, glaces alimentaires, miel, sirop de mélasse, crêpes (alimentation), biscuits, gâteaux, biscottes, sucreries, chocolat et boissons à base de cacao, de chocolat des classes 29 et 30, et, sur ce point, la cause et les parties ont été remises dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt. Il en découle que la juridiction de renvoi, dont la saisine ne saurait excéder les limites de la cassation, est appelée à connaître du recours de la société August Storck KG en annulation de la décision du directeur général de l'INPI en ce qu'elle a rejeté l'opposition à la demande d'enregistrement du signe verbal « Merci Quercy » pour désigner les « gelées, confitures, compotes, cacao, sucre, pâtisseries et confiseries, glaces alimentaires, miel, sirop de mélasse, crêpes (alimentation), biscuits, gâteaux, biscottes, sucreries, chocolat et boissons à base de cacao, de chocolat » . Concernant les autres produits ou services de la demande d'enregistrement contestée, les chefs de l'arrêt du 25 avril 2017 ne sont pas atteints par la cassation et sont en conséquence irrévocables en ce qu'ils rejettent l'opposition à la demande d'enregistrement du signe verbal « Merci Quercy » pour les distinguer.

Ceci posé, il importe de rappeler que l'opposition de la société August Storck KG à la demande d'enregistrement du signe verbal « Merci Quercy » pour les « gelées, confitures, compotes, cacao, sucre, pâtisseries et confiseries, glaces alimentaires, miel, sirop de mélasse, crêpes (alimentation), biscuits, gâteaux, biscottes, sucreries, chocolat et boissons à base de cacao, de chocolat » est fondée sur la marque communautaire verbale « Merci » dont elle est titulaire pour les « sucreries, chocolat et produits à base de chocolat, pâtisserie ».

La société August Storck KG fait valoir que la marque « Merci » est renommée dans l'Union européenne où ses chocolats sont commercialisés depuis plus de 50 ans en Allemagne et en Autriche et Document issu des collections du centre de documentation de l’INPI depuis plus de 17 ans dans les autres pays. Elle précise que cette renommée découle d'une exploitation ancienne et intensive de la marque, de volumes de ventes importants et d'investissements promotionnels et publicitaires conséquents, qu'elle est avérée au vu des résultats des sondages effectués dans de nombreux pays de l'Union qui créditent la marque d'un haut degré de reconnaissance pour les produits de la classe 30. Elle soutient que la similitude des signes « Merci » et « Merci Quercy » pour désigner des produits identiques ou similaires crée un risque de confusion aggravé par la renommée de la marque antérieure qui confère à cette marque un caractère distinctif renforcé.

Selon les motifs de l'arrêt de cassation partielle du 18 septembre 2019, la Cour de cassation, au visa des L. 711-4, L.712-4 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, ensemble les articles 4,§ 1, b) de la directive 2008 /95/CE du 22 octobre 2008 et 9,§1, b) du règlement (CE) n° 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque communautaire, fait grief à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 avril 2017 d'avoir retenu, « pour rejeter le recours formé par la société August Storck contre la décision du directeur général de l'INPI pour les produits et services identiques ou similaires aux produits désignés à la marque communautaire « Merci », (...) qu'il ressort des pièces fournies qu'il n'est pas démontré que cette marque serait connue d'une partie significative du public pertinent de l'Etat membre, en l'occurrence la France, dans lequel l'enregistrement de la marque nationale postérieure a été demandé ».

« Qu'en statuant ainsi, alors que, selon la Cour de justice de l'Union européenne (arrêts du 6 octobre 2009, Pago, C-125/07, points 27 et 29, et du 3 septembre 2015, Iron & Smith, C-125/14, points 19 et 20), dès lors que la renommée d'une marque communautaire antérieure est établie sur une partie substantielle du territoire de l'Union, pouvant, le cas échéant, coïncider avec le territoire d'une seul État membre, il y a lieu de considérer que cette marque jouit d'une renommée dans l'Union et il ne saurait être exigé du titulaire de cette marque qu'il apporte la preuve de cette renommée sur le territoire de l'État membre où la demande d'enregistrement de la marque nationale postérieure, faisant l'objet d'une opposition, a été déposée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».

Il est admis par le directeur général de l'INPI que la société August Storck « dispose d'une marque de l'Union européenne renommée répondant aux critères fixés par la jurisprudence communautaire », les documents versés au cours de la procédure d'opposition permettant d'établir que la marque est « connue notamment en Allemagne, en Belgique, en Espagne, en Autriche, aux Pays-Bas ou en Slovénie ».

Le directeur général de l'INPI considère toutefois que « dans le cadre d'une procédure d'opposition à l'encontre d'une demande d'enregistrement de marque nationale, il n'est pas opportun de retenir de manière systématique la connaissance de la marque de l'Union européenne comme facteur aggravant du risque de confusion », faisant valoir que, si ladite marque n'est pas connue du public français, prendre en compte cette connaissance comme un facteur aggravant revient à s'affranchir du principe fondamental selon lequel le risque de confusion s'apprécie au regard du public de référence. En conséquence, il parait selon lui logique de ne prendre en considération la notoriété de la marque antérieure que si elle est établie auprès « d'une partie commercialement non négligeable du public » pertinent, car la connaissance de la marque antérieure dans d'autres Etats que la France n'est pas susceptible d'influencer la perception du consommateur français et ne peut donc automatiquement être regardée comme un facteur aggravant du risque de confusion auprès de ce public. Il ne conteste pas, ceci posé, que les « gelées, confitures, compotes, cacao, sucre, pâtisseries et confiseries, glaces alimentaires, miel, sirop de mélasse, crêpes (alimentation), biscuits, gâteaux, biscottes, sucreries, chocolat et boissons à base de cacao, de chocolat » cités dans le libellé de la demande d'enregistrement sont identiques ou similaires aux « sucreries, chocolat et produits à base de chocolat, Pâtisserie » couverts par la marque communautaire verbale « Merci » opposée par la société August Storck.

Sont en conséquence applicables les dispositions des articles L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, 4,§ 1, b) de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 et 9,§1, b) du règlement (CE) n° 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque communautaire, au visa desquels la Cour de cassation s'est prononcée. Il résulte des dispositions précitées que le risque de confusion, qui comprend le risque d'association, doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, cette appréciation globale devant être fondée, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle des signes en présence, sur l'impression d'ensemble produites par ceux-ci en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants. La renommée de la marque antérieure doit être prise en considération à titre de facteur pertinent susceptible d'influer sur l'appréciation du risque de confusion et il résulte des arrêts Pago et Iron & Smith de la Cour de justice de l'Union européenne, auxquels la Cour de cassation s'est référée dans les motifs de son arrêt précité, que, dès lors que la renommée d'une marque communautaire antérieure est établie sur une partie substantielle du territoire de l'Union, pouvant, le cas échéant, coïncider avec le territoire d'une seul État membre, il y a lieu de considérer que cette marque jouit d'une renommée dans l'Union et il ne saurait être exigé du titulaire de cette marque qu'il apporte la preuve de cette renommée sur le territoire de l'État membre où la demande d'enregistrement de la marque nationale postérieure, faisant l'objet d'une opposition, a été déposée.

En conséquence de quoi, et contrairement à ce qu'il est avancé par le directeur général de l'INPI, dans l'appréciation du risque de confusion entre un signe second, objet d'une demande d'enregistrement de marque nationale, et une marque antérieure de l'Union européenne, il convient de tenir compte, en raison de la protection uniforme dont la marque bénéficie sur tout le territoire de l'Union, du point de vue du public dans l'ensemble de l'Union qui est, en ce cas, le public de référence.

Ceci posé, s'il n'est pas contestable que, sur le plan visuel, les signes « Merci » et « Merci Quercy » se distinguent par leur structure et leur longueur, la marque antérieure consistant en une dénomination unique de cinq lettres alors que le signe contesté se compose de deux termes totalisant onze lettres, force est d'observer que la dénomination « Merci », constitutive de la marque antérieure, bénéficie dans le signe contesté d'une position d'attaque qui la met en exergue au regard du terme « Quercy » dont la première lettre Q est, certes, rare, mais qui, positionné en second, ne présente pas un caractère dominant. Phonétiquement, si les deux signes diffèrent par le rythme, le mot « Quercy » émet les mêmes sonorités (ER-CI) que le mot « Merci », à l'exception de la première consonne, et produit un effet de répétition qui accentue le caractère dominant et immédiatement perceptible du mot « Merci » en attaque du signe contesté.

Conceptuellement, la marque communautaire antérieure « Merci », qui est arbitraire pour désigner les « sucreries, chocolat et produits à base de chocolat, pâtisserie » jouit d'un caractère distinctif renforcé par sa renommée sur le territoire de l'Union. Sa présence dans le signe second au côté du terme « Quercy » qui lui est adjoint, ne confère pas à l'ensemble ainsi formé, un tout, dans lequel elle ne serait plus perceptible et perdrait son caractère attractif. En effet, compte tenu de sa position en attaque du signe, qui lui confère un caractère dominant, et du caractère faiblement distinctif du terme « Quercy » qui la suit immédiatement et apparaît comme une simple indication de la provenance géographique et / ou du lieu de commercialisation des produits désignés, la dénomination « Merci », constitutive de la marque première, conserve pleinement ses caractères distinctif et dominant. Il s'ensuit que, loin d'écarter tout risque de confusion avec la marque « Merci », le signe « Merci Quercy » est de nature à laisser croire au consommateur normalement attentif et raisonnablement avisé que le signe contesté constitue la déclinaison de cette marque pour des produits provenant de la région du Quercy et / ou commercialisés dans la région du Quercy.

C'est dès lors à tort que le directeur général de l'INPI a rejeté l'opposition formée par la société August Storck KG à l'encontre de la demande d'enregistrement du signe verbal « Merci Quercy » pour les « gelées, confitures, compotes, cacao, sucre, pâtisseries et confiseries, glaces alimentaires, miel, sirop de mélasse, crêpes (alimentation), biscuits, gâteaux, biscottes, sucreries, chocolat et boissons à base de cacao, de chocolat », produits identiques ou similaires aux « sucreries, chocolat et produits à base de chocolat, pâtisserie » couverts par la marque de l'Union européenne 'Merci' dont elle est titulaire.

PAR CES MOTIFS :

Statuant dans les limites de la cassation,

Annule la décision du directeur général de l'INPI en ce qu'elle rejette l'opposition de la société August Storck KG, titulaire de la marque communautaire verbale « Merci », déposée le 27 mai 2004, régulièrement renouvelée sous le n° 003858231, à l'encontre de la demande d'enregistrement du signe verbal « Merci Quercy » n° 15 4 163 735 déposée par M. Jean-Christophe V le 11 mars 2015 pour distinguer les « gelées, confitures, compotes, cacao, sucre, pâtisseries et confiseries, glaces alimentaires, miel, sirop de mélasse, crêpes (alimentation), biscuits, gâteaux, biscottes, sucreries, chocolat et boissons à base de cacao, de chocolat » ,

Dit que le présent arrêt sera notifié par les soins du greffe et par lettre recommandée avec accusé de réception à la société August Storck KG, à M. Jean-Christophe V et au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle.