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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 10, 16 septembre 2021, n° 18/02927

PARIS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Laboratoires Grünenthal (SAS), Sanofi-Aventis France (SA), Caisse Primaire D'assurance Maladie Du Val De Marne (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cesaro-Pautrot

Conseillers :

Mme Lefevre, Mme Chaintron

TGI Paris, du 7 nov. 2016

7 novembre 2016

Le médicament Agréal a été mis sur le marché par la société Sanofi-aventis (aux droits de laquelle vient la société Sanofi-aventis France) en 1979 et il a été exploité par la SAS Laboratoires Grunenthal. Selon le Résumé des caractéristiques du produit, son indication thérapeutique est, depuis 1983, limitée au traitement des bouffées vasomotrices invalidantes, associées aux manifestations psychofonctionnelles de la ménopause confirmée. Cette spécialité a été retirée du marché, le 24 octobre 2007.

Ce médicament aurait été prescrit à Mme Lysiane M. épouse B., selon ses dires, d'octobre 1995 à novembre 2007.

Imputant à l'Agréal, les divers symptômes qu'elle a présentés (asthénie, troubles anxio-dépressifs, troubles du sommeil, algie, tendinite, gastrite rebelle, candisoses, perte d'autonomie) Mme B. a, par acte extra-judiciaire du 21 octobre 2010, fait assigner en référé expertise, la société Sanofi-aventis France et la SAS Laboratoires Grunenthal. Par ordonnance du 11 mars 2011, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a ordonné la mesure sollicitée et a commis les professeurs B. et G.. Ceux-ci ont déposé leur rapport, le 27 octobre 2012, ils concluent à une information concernant le médicament délivrée aux médecins et aux pharmaciens par le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) et au patient par la notice contenue dans la boîte du médicament, conforme aux données de la science et de la connaissance du produit en 1985 et en 1995. Ils relèvent la mention de l'appartenance du véralipride-Agréal à la classe des neuroleptiques dans le RCP et mise en exergue dans la notice patient en 2006 ainsi que l'indication des symptômes anxio-dépressifs et de sevrage à l'arrêt du traitement ou entre deux cures. Ils précisent que l'Afssaps a adressé aux professionnels de santé une lettre expliquant les raisons et les modalités du retrait du marché de l'Agréal le 23 juillet 2007 et édité à l'intention des patientes un document questions/réponses le 1er juillet 2007.

Les experts retiennent que Mme B. aurait été traitée par Agréal, à compter d'une date difficile à préciser (1985, 1989 ou 1995) et qu'elle a pris, durant cette période, plusieurs autres médicaments. Ils écartent tout lien de causalité entre plusieurs des pathologies variées dont elle souffre et dont certaines ont perduré après l'arrêt du traitement, ce qui démontre l'absence de lien avec celui-ci. Ils concluent, que seule la symptomatologie anxio-dépressive a pu être quelque peu exacerbée par le traitement, sans qu'il soit avéré qu'il y ait une relation de cause à effet. Ils retiennent une posologie non conforme, de longue durée et sans interruption et un arrêt brutal également sans respect de la recommandation d'une diminution progressive de la posologie.

Par actes extra-judiciaires en date du 21, 24 juin et 3 juillet 2013, Mme B. a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris, la société Sanofi-aventis France, la SAS Laboratoires Grunenthal et la Caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne aux fins de voir condamner les sociétés assignées, au visa des articles 1382 et 1386-1 anciens du code civil, à l'indemniser de son préjudice corporel.

Par jugement du 7 novembre 2016, le tribunal a déclaré l'action de Mme B. recevable et a rejeté les demandes de Mme B. et de la Caisse primaire d'assurance maladie, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et a laissé les dépens à la charge de la demanderesse et ce, faute de preuve d'un lien de causalité avéré entre les dommages allégués et le traitement prescrit.

Mme B. a relevé appel de cette décision, le 1er février 2018 et aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 19 novembre 2019, elle demande à la cour, au visa des articles 1147, 1382 et 1386-1 (anciens) et suivants du code civil, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré son action recevable et de l'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau, déclarer son action recevable et sous divers dire et juger reprenant ses moyens, de condamner in solidum les sociétés Sanofi-aventis France et Laboratoires Grunenthal à lui payer les sommes suivantes ;

- la somme de 71,51 euros en réparation de son déficit fonctionnel temporaire total,

- la somme de 2 746,02 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel,

- la somme de 3 000 euros au titre des souffrances endurées,

- la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice d'agrément,

- la somme de 68 000 euros en réparation de son préjudice professionnel,

- la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice sexuel,

- la somme de 1 961,44 euros à titre de dommages et intérêts pour les aides humaines,

Le tout majoré des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, outre une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens comprenant les frais d'expertise, dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 29 novembre 2019, la société Sanofi-aventis France soutient, au visa des articles 1240 et 1245 et suivants du code civil, la confirmation du jugement déféré et en conséquence, le rejet des demandes de Mme B. faute de preuve d'un lien de causalité. A titre subsidiaire, elle demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a écarté la prescription et statuant à nouveau, de déclarer que l'action de Mme B. est prescrite et de débouter celle-ci de ses demandes. A titre plus subsidiaire, si la cour retenait l'existence d'un lien de causalité et écartait la prescription, elle soutient le débouté des demandes de Mme B., en l'absence de manquement à l'obligation d'information et en l'absence de défectuosité du produit. Encore plus subsidiairement, sur les préjudices, elle demande à la cour de débouter Mme B. de ses demandes au titre des préjudices extra-patrimoniaux temporaires, du préjudice professionnel et des préjudices patrimoniaux temporaires, de fixer à la somme de 1360 euros la réparation des souffrances endurées et de ramener à de plus justes proportions, l'indemnisation des préjudices allégués. En tout état de cause, elle demande à la cour d'écarter l'application de l'article 1240 du code civil, de débouter Mme B. de ses demandes sur ce fondement et de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner sur ce fondement, au paiement de la somme de 5 000 euros.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 3 décembre 2019, la SAS Laboratoires Grunenthal soutient la confirmation du jugement entrepris, dont elle rappelle les dispositions. A titre subsidiaire, elle soutient l'infirmation du jugement en ce qu'il a écarté la prescription, qu'elle demande à la cour de retenir au visa de l'article 1245-16 du code civil et de débouter Mme B. et la Caisse primaire d'assurance maladie de leurs demandes et plus généralement de rejeter toutes demandes faites à son encontre. Très subsidiairement, elle demande à la cour de débouter Mme B. et la Caisse primaire d'assurance maladie de leurs demandes, en l'absence de manquement à l'obligation d'information et à l'absence de défectuosité du produit et, à titre infiniment subsidiaire, de débouter Mme B. de ses demandes de dommages et intérêts et plus particulièrement de sa demande au titre du préjudice professionnel et l'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. En tout état de cause, elle sollicite que Mme B. soit déboutée de ses demandes sur le fondement de l'article 1240 du code civil, que la Caisse primaire d'assurance maladie soit déboutée de ses demandes et de condamner Mme B. au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

La déclaration et les conclusions d'appel ont été signifiées à la caisse primaire d'assurance maladie défaillante par un acte remis à personne habilitée, le 9 mai 2018 et les intimées lui ont fait signifier leurs conclusions les 2 août 2018 (Laboratoires Grunenthal) et 30 août 2019 (Sanofi-aventis France).

La clôture est intervenue le 14 avril 2021

SUR CE, LA COUR,

Mme B. soutient sur le fondement des dispositions relatives aux produits défectueux, le défaut de sécurité du produit consécutif à une information insuffisante à la date de sa prescription en 1995, dès lors que jusqu'en avril 2006, le résumé caractéristique du produit ne faisait pas état des effets indésirables propres à sa classe de produit, les neuroleptiques. Elle dit avoir présenté une exacerbation d'une symptomatologie dépressive, effet indésirable décrit désormais et qui a conduit au retrait du produit. Elle en déduit, à tout le moins, des présomptions sérieuses de l'imputabilité de sa pathologie à la prise d'Agréal que les experts disent ne pas pouvoir formellement écarter.

Elle conteste le caractère exclusif de ce régime de responsabilité, disant que celui-ci laisse subsister, ainsi qu'il est énoncé à l'article 1386-18 alinéa 1 du code civil, la possibilité d'agir sur le fondement contractuel ou extra contractuel. Elle retient comme fautive, la présentation et l'information donnée au sujet du médicament, le manquement des sociétés intimées à leurs obligations dans le cadre de la pharmacovigilance, alors que le médicament avait fait l'objet d'un retrait du marché en Espagne dès 2005 et leur inertie après ce retrait puisque le RCP n'a été modifié qu'une année après suite à une enquête des centres de pharmacovigilance de Bordeaux et d'Amiens.

Au fond, les sociétés intimées retiennent les conclusions du rapport d'expertise pour écarter un défaut de sécurité lié à une information insuffisante ainsi que l'absence de lien de causalité certain entre les troubles et l'administration du produit. Elles contestent que Mme B. puisse les poursuivent sur des obligations d'information ou de pharmacovigilance qui viennent, selon l'appelante caractériser le défaut de sécurité, sur le fondement de droit commun.

Au préalable, il convient de relever que la fin de non-recevoir tirée de la prescription n'est soutenue par les sociétés intimées qu'à titre subsidiaire.

L'action de Mme B. est fondée sur les dispositions des articles 1386-1 du code civil et suivants qui organisent la responsabilité du fait des produits défectueux. Elle fait grief aux sociétés Sanofi-Aventis France et Laboratoires Grunenthal de manquements dans l'exécution de leurs obligations d'information et de délivrance d'un produit exempt de tout vice ou de tout défaut de nature à créer un danger pour la santé des personnes. Elle excipe également des dispositions de l'article 1382 du code civil et leur reproche un défaut de surveillance de l'efficacité du produit et un manquement à leur obligation de vigilance.

L'article 1386-4 précise qu'un produit est défectueux (...) lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et que dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

La responsabilité du fabricant ou du producteur ne peut être engagée qu'en démontrant la défectuosité du produit qui résulte de l'absence de sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans le domaine des produits de santé, la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre s'apprécie au niveau de l'information délivrée par le producteur en tenant compte de la notice du produit et du Résumé des caractéristiques du produit. En d'autres termes, le défaut d'information lorsque ces documents ne contiennent pas les effets secondaires susceptibles de survenir, est assimilé à un défaut du produit.

Le manque allégué de diligence face aux remontées des signalements de matériovigilance et le défaut d'information qui en serait résulté relèvent également de l'obligation de sécurité à laquelle sont tenus les fabricants et producteurs et ces fautes ne peuvent engager leur responsabilité que sur le fondement du régime de responsabilité des produits défectueux.

En effet, si en application de l'article 1386-18 du code civil, la victime peut se prévaloir du droit de la responsabilité contractuelle ou extra contractuelle, et notamment des dispositions de l'article 1382 (désormais 1240) du code civil, elle doit démontrer l'existence d'une faute distincte du manquement à l'obligation de sécurité.

Par conséquent, Mme B. ne peut rechercher la responsabilité des sociétés Sanofi-aventis France et Laboratoires Grunenthal, au regard des manquements dont elle excipe, que sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du code civil.

L'Agréal a été prescrit à Mme B. selon ses dires devant les experts en 1989 et aux termes des attestations des médecins qu'elle produit, en 1985 ou en 1995, et ce de façon continue sans pause de 10 jours par mois. Ce traitement s'est poursuivi jusqu'à l'été 2007 sans que les experts aient pu déterminer la date exacte de l'arrêt de ce traitement.

A la date de la première prescription, comme d'ailleurs dès sa mise sur le marché en 1979 par la société Sanofi-aventis ce médicament avait, selon le Résumé des caractéristiques du produit destiné aux praticiens et pharmaciens, pour indication thérapeutique le traitement des bouffées vasomotrices invalidantes, associées aux manifestations psychofonctionnelles de la ménopause confirmée. Il était précisé que l'Agréal était un neuroleptique et n'était pas un traitement substitutif oestrogénique et au titre des effets indésirables, il était retenu la dyskinésie neuromusculaire et le syndrome extra-pyramidal (à compter de 1984). Les experts précisent que ces derniers effets indésirables sont liés aux propriétés neuroleptiques de la molécule.

Par ailleurs, la notice destinée au patient a mentionné dès l'origine, une posologie limitée à deux ou trois cures de 20 jours par mois, et en 1989, la possibilité de mouvements involontaires localisés. Elle précise depuis 1997 au titre de la classe des médicaments : Benzamides (n:sytème nerveux), au titre des mises en garde spéciales, qu'il ne s'agissait pas d'un traitement hormonal, qu'en cas de mouvements anormaux, il fallait consulter son médecin traitant et que le traitement devait être de courte durée limité à quelques cures de 20 jours.

Les effets indésirables étaient listés et les termes de dyskinésie (mouvements involontaires) et syndrome extrapyramidal (tremblements ou contractures musculaires) étaient expliqués.

Le résumé des caractéristiques du produit et la notice ont été une dernière fois complétés, en 2006 (la pièce 6 des intimées) pour intégrer aux effets de classe que, comme avec les autres neuroleptiques, pouvaient survenir un syndrome malin (hyperthermie, troubles neurovégétatifs, altération de la conscience), de très rares dyskinésies tardives (durant les cures prolongées) et de très rares syndromes de sevrage avec ou sans anxiété, syndromes dépressifs avec ou sans anxiété voire une anxiété isolée entre deux cures ou à l'arrêt du traitement.

La notice révisée en juin 2006 précise qu'il s'agit d'un antipsychotique neuroleptique Benzamide et elle reprend, au titre des effets indésirables les tremblements, rigidité et/ou mouvements anormaux, la sensation de vertige lors du passage de la position allongée ou assise à la position debout, le syndrome de sevrage, la dépression et/ou l'anxiété.

Ainsi que le relèvent la société Sanofi-aventis France et la SAS Laboratoires Grunenthal, l'obligation d'information du producteur s'apprécie au regard de ce qui est connu au moment de la mise sur le marché du produit et des risques qui sont identifiés et considérés scientifiquement établis au moment de la prescription du médicament.

En l'espèce, Mme B. se contente d'insister sur l'appartenance de l'Agréal à la classe des neuroleptiques et sur l'attentisme des deux sociétés, après le retrait du médicament en Espagne en 2005. Elle ne fait aucun développement sur les effets connus de la molécule active de cette spécialité pharmaceutique - le véralipride, neuroleptique de la famille des benzamides. Elle ne se réfère à aucun article ou élément de littérature médicale décrivant les effets de la molécule, la date de leur découverte alors que dès la décision modifiant l'autorisation de mise sur le marché du 8 février 1982, il est précisé au titre de l'information du corps médical, que les effets secondaires de l'Agréal sont ceux d'un neuroleptique.

Le débat devant les experts s'est limité à l'examen de documents d'information - RPC et notice - et de leur modification à la suite de signalements d'effets secondaires dans le cadre de la pharmacovigilance. Mme B. ne critique pas ce rapport et n'apporte aux débats aucun élément permettant de conclure à l'existence avant les dates retenues par les experts d'effets secondaires répertoriés de la molécule active ou la classe de produits à laquelle elle appartient.

Dans leur courrier adressé aux professionnels de santé en date du 18 avril 2006, les Laboratoires Grunenthal évoquent une enquête de pharmacovigilance de 2005 qui a confirmé des effets indésirables classiquement observés avec les neuroleptiques mais il apparaît que cette information n'a été diffusée que près de deux mois après le 24 février 2006, date de la notification de la décision modifiant l'autorisation de mise sur le marché suite à une demande des laboratoires du 31 mai 2005 portant sur le RCP et la notice. La notice (deux dernières pages de la pièce 6 de Sanofi) n'a été révisée qu'en juin 2006.

Or ce n'est que dans ce document qu'apparaissent l'appartenance de la molécule à la classe des antipsychotiques neuroleptiques, ce qui constituait une information claire et immédiatement accessible aux patientes contrairement à celle qui y figurait depuis la révision de la notice en mai 1997 (l'appartenance de la spécialité à la classe pharmaco-thérapeutique des benzamides [N : système nerveux]).

Au titre des mises en garde, il était ajouté la nécessité de consulter en cas de survenue de troubles de l'humeur ou d'anxiété, notamment entre deux cures ou à l'arrêt du traitement. En l'état du dossier, il ne peut pas être affirmé que ce syndrome constituait un effet indésirable répertorié avant 2005 et dès lors le manque de diligence des sociétés intimées dans la mise à jour de la notice n'est de nature à caractériser un défaut du produit que sur une courte période, postérieure à la prescription du médicament à Mme B..

En toute hypothèse, il appartient à Mme B. de prouver que le défaut du produit serait à l'origine des pathologies dont elle souffre. Celle-ci prétend à l'existence d'indices graves, précis et concordants ressortant notamment de la chronologie des faits ayant conduit au retrait du marché de l'Agréal et que le rapport d'expertise permet de retenir une forte probabilité que la prise de ce produit soit à l'origine des effets secondaires, ce que les intimées réfutent, citant les termes du rapport des docteurs G. et B. qui permettent d'écarter cette imputabilité.

L'action en responsabilité du fait d'un produit défectueux exige la preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage, et ainsi que le relève l'appelante, une telle preuve peut résulter de présomptions, pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes.

L'article 1349 (ancien) du code civil définit les présomptions comme les conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu ; que l'article 1353 (ancien) du code civil énonce que les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales (...).

Il s'ensuit que la présomption découle du fait que le fait présumé est provisoirement tenu pour vrai en raison du rapport de nécessité logique (fondée sur la vraisemblance et la plausibilité) entre le fait connu et celui dont on cherche la preuve. Elle n'est admissible comme mode de preuve, que lorsqu'elle présente un degré suffisant de vraisemblance, puisque découlant, d'indices graves, précis et concordants.

En l'espèce, devant les experts, Mme B. a évoqué de multiples troubles (fatigue intense, sensation de brûlures, tremblements incontrôlés en fin de journée, tremblements accompagnés de tétanie suite à une émotion, trouble qui persiste, douleurs violentes et intenses dans le dos, perte de libido, mycoses, tendinites, démangeaisons, hypertension depuis 2008, idées noires avec tentative de suicide en novembre 2006) et la prise, concomitamment au traitement par Agréal, selon les moments de Lipanthyl, Lanzor,

Lexomil, Efferalgan, Orocal, Trophygil, Cholstat. Son médecin traitant a, dans les courriers communiqués aux experts, signalé la survenue en septembre 2001, d'une néoplasie mammaire qui a nécessité mammectomie élargie, une radiothérapie et une chimiothérapie ainsi que des douleurs s'étendant désormais à tout le thorax qui ont fait l'objet de multiples tentatives thérapeutiques qui ont toutes échouées : intolérance gastriques aux AINS (...) et la prise de neuroleptiques prescrits lors de consultations spécialisées de la douleur, très mal tolérés.

Les experts relèvent l'apparition au cours de la période de traitement par Agréal, d'un certain nombre de troubles dont la nature apparaît tout à fait polymorphe et variée, que certaines pathologies (sans plus de précision) n'ont à l'évidence aucun lien de causalité avec le traitement par Agréal. Ils écartent également cette imputabilité s'agissant du tremblement qui n'est pas permanent et dont rien n'est dit de ses caractéristiques.

Ils relèvent également que la plupart des symptômes allégués par Mme B. ont persisté après l'arrêt du médicament, ce qui atteste indirectement de l'absence de lien avec le traitement.

Ils concluent que seule la symptomatologie anxio-dépressive a pu être quelque peu exacerbée par le traitement par Agréal mais notent que comme la plupart des symptômes, qu'elle persiste après l'arrêt du traitement. Ils évoquent certes cette possible exacerbation passagère des troubles dépressifs (notamment dans les années 2006 et 2007), mais ajoutent qu'il n'est cependant pas avéré qu'il y ait une relation de cause à effet directe avec le traitement. On pourrait soutenir en effet que si le médicament avait provoqué des troubles majeurs sur le plan anxio-dépressif chez Mme B. rien n`aurait été fait pendant au moins 15 ans pour essayer de pallier ce désagrément, ce qui parait quelque peu surprenant. Il n'y a eu aucun suivi spécialisé sur le plan psychiatrique. Seuls des médicaments psychotropes à posologie modérée auraient été prescrits par le médecin traitant.

En réponse aux dires des parties, les experts ont ajouté : au sein de la multitude de symptômes présentés par Mme B. pendant la période de traitement par Agréal et à son arrêt, seuls ceux qui peuvent être réunis sous le 'chapeau' de symptômes en relation avec une symptomatologie anxio-dépressive , pourraient être possiblement imputés mais en partie seulement sous forme d'exacerbation transitoire, cette exacerbation s'arrêtant obligatoirement dans les quelques mois qui ont suivi l'arrêt du traitement. Si l'on ne devait pas réunir de symptomatologie anxio depressive, les symptômes somatoformes ressentis par Mme B. ne recevraient pas d'explication intelligible et leur lien potentiel au traitement par Agréal ne saurait être retenu. Ainsi, si l'on retient cette seule exacerbation d'une symptomatologie anxio-dépressive à expression somatique, son imputabilité au traitement par Agréal pour la part d'exacerbation qu'aurait pu induire ce traitement, ne peut être qualifiée que de possible. Le fait que de nombreux troubles persistent longtemps après l'arrêt du traitement, prouve a contrario que le principal de ces troubles n'est pas en relation avec ce traitement.

De telles conclusions et notamment l'incapacité des experts à la lecture du dossier médical de Mme B. de mettre en exergue des éléments permettant d'établir une concordance entre les manifestations du syndrome dépressif et la prise du produit ou son arrêt, excluent que puisse être retenue l'existence d'indices graves précis et concordants de leur imputabilité à la prise d'Agréal.

Mme B. sera en conséquence, faute de rapporter la preuve qui lui incombe, déboutée de ses demandes à l'encontre des sociétés Sanofi-aventis France et Laboratoires Grunenthal et la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle rejette ses demandes à l'encontre de ces deux sociétés.

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles seront confirmées. Mme B. sera condamnée aux dépens d'appel et en équité, il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à son encontre.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe

Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 7 novembre 2016 ;

Y ajoutant

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme B. aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.