CA Paris, Pôle 4 ch. 10, 16 septembre 2021, n° 18/02936
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Sanofi-Aventis France (SA), Laboratoires Grünenthal (SAS), Caisse Primaire D'assurance Maladie Du Maine Et Loire
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cesaro-Pautrot
Conseillers :
Mme Lefevre, Mme Chaintron
Le médicament Agréal a été mis sur le marché par la société Sanofi-aventis (aux droits de laquelle vient la société Sanofi-aventis France) en 1979 et il a été exploité par la SAS Laboratoires Grunenthal. Selon le Résumé des caractéristiques du produit, son indication thérapeutique est, depuis 1983, limitée au traitement des bouffées vasomotrices invalidantes, associées aux manifestations psychofonctionnelles de la ménopause confirmée.
Mme Eliane B. a présenté, à l'âge de 43 ans, les premiers symptômes de la ménopause et après la prise, durant cinq années, d'un traitement hormonal substitutif, son médecin traitant, le docteur A., lui a prescrit de l'Agréal du 9 décembre 2004 jusqu'au mois d'octobre 2007, date à laquelle cette spécialité pharmaceutique a été retirée du marché.
Imputant à l'Agréal, les divers symptômes qu'elle a présentés (vertiges, dépression) Mme B. a, par acte extra-judiciaire du 15 avril 2011, fait assigner en référé expertise, la société Sanofi-aventis France et la SAS Laboratoires Grunenthal. Par ordonnance du 15 avril 2011, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a ordonné la mesure sollicitée et a commis les professeurs B. et G.. Ceux-ci ont déposé leur rapport, le 12 janvier 2013, ils concluent à une information concernant le médicament, délivrée aux médecins et aux pharmaciens par le Résumé des caractéristiques du produit (RCP) et au patient par la notice contenue dans la boîte du médicament en 2004, conformes aux données de la science et de la connaissance du produit en 2004. Il relève que la mention de l'appartenance du véralipride-Agréal à la classe des neuroleptiques a été mise en exergue dans le RCP et ajoutée à la notice patient en 2006 ainsi que les symptômes anxio-dépressifs, les syndromes de sevrage à l'arrêt du traitement ou entre deux cures. Ils précisent que l'Afssaps a adressé aux professionnels de santé une lettre expliquant les raisons et les modalités du retrait du marché de l'Agréal le 23 juillet 2007 et aux patientes un document questions/réponses le 1er juillet 2007.
Les experts retiennent que Mme B. a présenté, le 23 juillet 2007, c'est-à-dire plus de deux ans et demi après le début de la prise de traitement, des phénomènes vertigineux avec nausées et perte d'équilibre à l'origine d'une fracture du poignet. S'agissant de la symptomatologie psychique à type de symptomatologie anxio-dépressive qu'elle présente, ils concluent que sa genèse apparaît mixte avec une forte composante liée à la situation professionnelle (...) sur cette longue période allant du mois de décembre 2004 jusqu'à octobre 2007 époque du sevrage de l'Agréal, il est difficile d'établir un lien direct entre l'Agréal et la symptomatologie anxio-dépressive qui semble donc avoir débuté surtout vers l'année 2006 et être en relation avec une problématique au travail (...). Après l'arrêt de l'Agréal, la situation anxio-dépressive apparaît importante. Là aussi, il est difficile d'établir un lien direct et certain entre l'arrêt de l'Agréal et une éventuelle exacerbation de la symptomatologie anxio-dépressive qui ne peut cependant être non plus formellement écartée. Cependant, on note bien que Madame B. précise que la symptomatologie anxio-dépressive a surtout été marquée, à partir du mois d'octobre 2008, c'est-à-dire un an après l'arrêt du traitement.
Par actes extra-judiciaires en date du 2,3 et 5 juillet 2013, Mme B. a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris, la société Sanofi-aventis France, la SAS Laboratoires Grunenthal et le docteur A. aux fins de les voir condamner, au visa des articles 1147, 1382 et 1386-1 anciens du code civil, à l'indemniser de son préjudice corporel.
Par jugement du 7 novembre 2016, le tribunal a rejeté l'intégralité des demandes de Mme B., a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et a laissé les dépens à la charge de la demanderesse. Pour ce faire, le tribunal a retenu dans sa motivation, que l'action de Mme B. à l'encontre des sociétés sanofi-aventis France était prescrite en application de l'article 1386-17 du code civil et a écarté toute condamnation à la charge de son médecin traitant, qui certes ne lui avait pas procuré des soins conformes aux données acquises de la science médicale, tant sa prescription en continue et non par cure que lors de son sevrage ne respectait pas les recommandations de l'AFSSAPS, au motif qu'aucun lien de causalité entre ces manquements et les préjudices dont elle excipe n'avait été mis en évidence.
Mme B. a relevé appel de cette décision, le 1er février 2018 et aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 19 novembre 2019, elle demande à la cour, au visa des articles 1147, 1382 et 1386-1 (anciens) et suivants du code civil, de déclarer son action recevable et sous divers dire et juger reprenant ses moyens, de condamner in solidum les sociétés Sanofi-aventis France et Laboratoires Grunenthal et le docteur A. à lui payer la somme de 452,67 euros en réparation de son déficit fonctionnel temporaire et celle de 10 000 euros au titre des souffrances endurées, le tout majoré des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, outre une somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens comprenant les frais d'expertise, dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 29 novembre 2019, la société Sanofi-aventis France soutient, au visa des articles 1240 et 1245 et suivants du code civil, la confirmation du jugement déféré et en conséquence, demande que l'action de Mme B. soit déclarée prescrite et qu'elle ne peut être fondée sur les dispositions de l'article 1240 du code civil. A titre subsidiaire, si la cour écartait la prescription, sous diverses déclarations reprenant ses moyens, elle demande à la cour de débouter Mme B. de ses demandes et plus subsidiairement, sur les préjudices, de la débouter de ses demandes et de ramener à de plus justes proportions, l'indemnisation des préjudices allégués. En tout état de cause, elle demande à la cour de débouter Mme B. et le docteur A. de leurs demandes, Mme B. de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner sur ce fondement, au paiement de la somme de 5 000 euros.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 3 décembre 2019, la SAS Laboratoires Grunenthal soutient la confirmation du jugement entrepris, dont elle rappelle les dispositions et demande à la cour de débouter Mme B. et le docteur A. de leurs demandes et plus généralement de rejeter toutes demandes faites à son encontre et subsidiairement, sur les préjudices, elle demande à la cour de débouter Mme B. de ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 20 juillet 2018, le docteur A. demande à la cour, au visa de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, de confirmer le jugement déféré et de débouter Mme B. de ses demandes et à titre subsidiaire, si la cour retenait que sa responsabilité est engagée, il sollicite la garantie de la société Sanofi-aventis France et de la SAS Laboratoires Grunenthal à concurrence de 95 % du montant des condamnations au principal, intérêts et frais, qui pourrait être prononcées. Il réclame également la condamnation de Mme B. à lui payer la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La déclaration et les conclusions d'appel ont été signifiées à la caisse primaire d'assurance maladie intimée, le 12 mai 2018 et les intimés lui ont fait signifier leurs conclusions les 27 juillet 2018 (docteur A.), 13 août 2018 (Laboratoires Grunenthal) et 28 août 2019 (Sanofi-aventis France). Ces actes ont été remis à personne habilitée.
La clôture est intervenue le 14 avril 2021.
SUR CE, LA COUR,
sur la prescription :
Mme B. conteste que son action en responsabilité engagée à l'encontre de la société Sanofi-aventis France et de la SAS Laboratoires Grunenthal fondée sur le défaut de sécurité du produit soit prescrite. Elle fait valoir que ce n'est qu'à la date où son médecin traitant a fait un signalement d'effets indésirables - soit le 15 octobre 2010 - qu'elle a disposé des éléments lui permettant d'agir, ce qu'elle a fait le 15 avril 2011, soit dans le délai de trois années de l'article 1386-17 du code civil.
Les sociétés Sanofi-aventis France et Laboratoires Grunenthal lui opposent la décision de retrait de l'Afssaps et une information auprès des professionnels de santé et des médecins sur les effets indésirables du produit dès juillet 2007 ou au plus tard à la date du retrait du produit et en conséquence, l'écoulement du délai de prescription avant l'assignation en référé du 15 avril 2011.
En application de l'article 1386-17 du code civil (devenu 1245-16 du code civil) l'action en responsabilité du fait des produits défectueux 'se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.
Cette connaissance s'entend de celle de la partie qui engage l'action et dès lors, la société Sanofi-aventis France et la SAS Laboratoires Grunenthal ne peuvent exciper de la lettre qu'elles ont adressée aux professionnels de santé, le 19 juillet 2007 (leur pièce 8) afin de les informer du retrait du produit du marché au 30 septembre 2007 et de leur recommander d'informer leurs patientes de ce retrait. Elles ne peuvent pas prétendre que Mme B. a ou aurait dû avoir connaissance du défaut du produit au motif que l'Afssaps a édité en juillet 2007, une information au patient sur le traitement par Agréal (leur pièce 10), qui sous forme de questions réponses vient préciser, la nature du produit, ses indications, son efficacité et ses effets indésirables et les motifs de son retrait (une balance bénéfice/risque jugée défavorable en raison des risques neuro-psychiques) et dont il ressort du communiqué de presse évoqué ci-dessous que cette information était simplement disponible sur le site internet de l'autorité de santé.
Dès lors, ces éléments ne permettent pas d'établir la connaissance par Mme B. du défaut du produit.
Enfin, les sociétés intimées produisent la notification de la décision de retrait du 23 septembre 2007 qui fixe au 27 octobre 2007, la date du rappel des lots et précise que les professionnels de santé et les patients seront informés de cette date de retrait, par l'intermédiaire d'un communiqué de presse diffusé au cours de la première quinzaine d'octobre. Il n'est pas justifié que ce document, destiné aux journalistes, a été relayé par la presse, tel qu'il est rédigé notamment sur les effets indésirables du produit et à quelle date. Il est impropre à caractériser une information sur le défaut du produit dont l'appelante a ou aurait dû avoir connaissance.
Dès lors, la connaissance par celle-ci du défaut du produit doit être fixée au 15 octobre 2010, date du signalement par son médecin d'effets indésirables. Il est inopérant que Mme B. ait à cette occasion fixé la date d'apparition des effets indésirables au 23 juillet 2007 puisqu'elle vient ainsi préciser la date du dommage et non celle de sa connaissance du défaut du produit.
L'action de Mme B. fondée sur les dispositions relatives aux produits défectueux est par conséquent, recevable.
Au fond,
Mme B. soutient sur le fondement des dispositions relatives aux produits défectueux, le défaut de sécurité du produit consécutif à une information insuffisante à la date de sa prescription en 2004, dès lors que jusqu'en avril 2006, le résumé des caractéristiques du produit ne faisait pas état qu'il s'agissait d'un neuroleptique ni des effets indésirables. Elle dit avoir présenté les effets indésirables décrits désormais, symptomatiques qui ont conduit au retrait du produit et en déduit des présomptions sérieuses, que les experts disent ne pas pouvoir formellement écarter.
Elle conteste le caractère exclusif de ce régime de responsabilité, disant que celui-ci laisse subsister, ainsi qu'il est énoncé à l'article 1386-18 alinéa 1 du code civil une action au titre de son droit à se prévaloir du droit de la responsabilité contractuelle ou extra contractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité. Elle retient comme fautive, la présentation et l'information donnée au sujet du médicament et le manquement des sociétés intimées à leurs obligations dans le cadre de la pharmacovigilance, alors que le médicament avait fait l'objet d'un retrait du marché en Espagne dès 2005. Elle incrimine également leur inertie après ce retrait, la modification de la RCP n'intervenant qu'une année après et après une enquête des centres de pharmacovigilances de Bordeaux et d'Amiens.
Elle retient la responsabilité du médecin, qui lui a prescrit ce produit, sans discontinuer alors qu'il doit être administré par cures et qui ne l'a pas informé des risques liés à l'usage d'un neuroleptique et des effets du sevrage.
Elle réclame l'indemnisation de son incapacité temporaire partielle durant la période de sevrage, soit de l'arrêt le 15 octobre 2007 à la date de consolidation et les souffrances endurées, préjudice qu'elle qualifie d'immense et conteste l'évaluation des experts (1,5/7).
La société Sanofi-aventis France et la SAS Laboratoires Grunenthal retiennent les conclusions du rapport d'expertise qui écartent un défaut de sécurité lié à une information insuffisante, la SAS Laboratoires Grunenthal excipe avec le docteur A., de l'absence de lien de causalité certain entre les troubles et l'administration du produit.
Le docteur A. ajoute, ainsi qu'il ressort de l'ordonnancier, qu'il n'a pas été le seul prescripteur et qui plus est, que la quasi-totalité de ses propres prescriptions l'ont été dans le cadre hospitalier où il exerce comme praticien hospitalier. Il s'en remet à la décision de la cour sur sa faute. Sur le lien de causalité, il relève l'absence de certitude eu égard aux conclusions des experts. Très subsidiairement, il réclame la garantie des autres intimés, sans pour autant fonder juridiquement cette demande, sauf à dire qu'il les recherche comme fabricant.
L'action de Mme B. est fondée sur les dispositions des articles 1386-1 du code civil et suivants qui organisent la responsabilité du fait des produits défectueux. Elle fait grief aux sociétés Sanofi-Aventis France et Laboratoires Grunenthal de manquements dans l'exécution de leurs obligations d'information et de délivrance d'un produit exempt de tout vice ou de tout défaut de nature à créer un danger pour la santé des personnes. Elle excipe également des dispositions de l'article 1382 du code civil et leur reproche un défaut de surveillance de l'efficacité du produit et un manquement à leur obligation de vigilance.
L'article 1386-4 précise qu'un produit est défectueux (...) lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et que pour apprécier la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
La responsabilité du fabricant ou du producteur ne peut être engagée qu'en démontrant la défectuosité du produit qui résulte de l'absence de sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans le domaine des produits de santé, la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre s'apprécie au niveau de l'information délivrée par le producteur en tenant compte de la notice du produit et du Résumé des caractéristiques du produit. En d'autres termes, le défaut d'information lorsque ces documents ne contiennent pas les effets secondaires susceptibles de survenir, est assimilé à un défaut du produit.
Le manque allégué de diligence face aux remontées des signalements de matériovigilance et le défaut d'information qui en serait résulté relèvent également de l'obligation de sécurité à laquelle sont tenus les fabricants et producteurs et ces fautes ne peuvent engager leur responsabilité que sur le fondement du régime de responsabilité des produits défectueux.
En effet, si en application de l'article 1386-18 du code civil, la victime peut se prévaloir du droit de la responsabilité contractuelle ou extra contractuelle, et notamment des dispositions de l'article 1382 (désormais 1240) du code civil, elle doit démontrer l'existence d'une faute distincte du manquement à l'obligation de sécurité.
Par conséquent, Mme B. ne peut rechercher la responsabilité des sociétés Sanofi-aventis France et Laboratoires Grunenthal, au regard des manquements dont elle excipe, que sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du code civil.
L'Agréal a été prescrit à Mme B. du 9 décembre 2004 au 15 octobre 2007, ainsi qu'il ressort de l'ordonnancier produit et ce, en continu, par cures de 20 jours par mois.
A la date de la première prescription, comme d'ailleurs dès sa mise sur le marché en 1979 par la société Sanofi-aventis ce médicament avait, selon le Résumé des caractéristiques du produit destiné aux praticiens et pharmaciens, pour indication thérapeutique le traitement des bouffées vasomotrices invalidantes, associées aux manifestations psychofonctionnelles de la ménopause confirmée. Il était précisé que l'Agréal était un neuroleptique et n'était pas un traitement substitutif oestrogénique et au titre des effets indésirables, il était retenu la dyskinésie neuromusculaire et le syndrome extra-pyramidal (à compter de 1984).
Par ailleurs, la notice précise depuis 1997 au titre de la classe des médicaments Benzamides (n:sytème nerveux), au titre des mises en garde spéciales, qu'il ne s'agissait pas d'un traitement hormonal, qu'en cas de mouvements anormaux, il fallait consulter son médecin traitant et que le traitement devait être de courte durée limité à quelques cures de 20 jours.
Les effets indésirables étaient listés et les termes de dyskinésie (mouvements involontaires) et de syndrome extrapyramidal (tremblements ou contractures musculaires) étaient expliqués.
Le résumé des caractéristiques du produit et la notice ont été une dernière fois complétés, en 2006 (la pièce 6 des intimées) pour intégrer aux effets de classe que, comme avec les autres neuroleptiques, pouvaient survenir un syndrome malin (hyperthermie, troubles neurovégétatifs, altération de la conscience), de très rares dyskinésies tardives (durant les cures prolongées) et de très rares syndromes de sevrage avec ou sans anxiété, syndromes dépressifs avec ou sans anxiété voire une anxiété isolée entre deux cures ou à l'arrêt du traitement.
La notice révisée en juin 2006 précise qu'il s'agit d'un antipsychotique neuroleptique Benzamide et elle reprend, au titre des effets indésirables les tremblements, rigidité et/ou mouvements anormaux, la sensation de vertige lors du passage de la position allongée ou assise à la position debout, le syndrome de sevrage, la dépression et/ou l'anxiété.
Ainsi que le relèvent la société Sanofi-aventis France et la SAS Laboratoires Grunenthal, l'obligation d'information du producteur s'apprécie au regard de ce qui est connu au moment de la mise sur le marché du produit et des risques qui sont identifiés et considérés scientifiquement établis au moment de la prescription du médicament.
En l'espèce, Mme B. se contente d'insister sur l'appartenance de l'Agréal à la classe des neuroleptiques et sur l'attentisme des deux sociétés, après le retrait du médicament en Espagne en 2005. Elle ne fait aucun développement sur les effets connus de la molécule active de cette spécialité pharmaceutique - le véralipride, neuroleptique de la famille des benzamides. Elle ne se réfère à aucun article ou élément de littérature médicale décrivant les effets de la molécule, la date de leur découverte alors que dès la décision modifiant l'autorisation de mise sur le marché du 8 février 1982, il est précisé au titre de l'information du corps médical, que les effets secondaires de l'Agréal sont ceux d'un neuroleptique.
Le débat devant les experts s'est limité à l'examen des documents d'information - RPC et notice - et de leur modification à la suite de signalements d'effets secondaires dans le cadre de la pharmacovigilance. Mme B. ne critique pas ce rapport et n'apporte aux débats aucun élément permettant de conclure à l'existence avant les dates retenues par les experts d'effets secondaires répertoriés de la molécule active ou la classe de produit à laquelle elle appartient.
Dans leur courrier adressé aux professionnels de santé en date du 18 avril 2006, les Laboratoires Grunenthal évoquent une enquête de pharmacovigilance de 2005 qui a confirmé des effets indésirables classiquement observés avec les neuroleptiques mais il apparaît que cette information n'a été diffusée que près de deux mois après la date de la notification de la décision modifiant l'autorisation de mise sur le marché le 24 février 2006 suite à une demande des laboratoires du 31 mai 2005 portant sur le RCP et que la notice (deux dernières pages de la pièce 6 de Sanofi) n'a été révisée qu'en juin 2006.
Or ce n'est que dans ce document qu'apparaissent l'appartenance de la molécule à la classe des antipsychotiques neuroleptiques, ce qui constituait une information claire et immédiatement accessible aux patientes contrairement à celle qui y figurait depuis la révision de la notice en mai 1997 (l'appartenance de la spécialité à la classe pharmaco-thérapeutique des benzamides [N : système nerveux]).
Au titre des mises en garde, il était ajouté la nécessité de consulter en cas de survenue de troubles de l'humeur ou d'anxiété, notamment entre deux cures ou à l'arrêt du traitement. En l'état du dossier, il ne peut pas être affirmé que ce syndrome constituait un effet indésirable répertorié avant 2005 et dès lors le manque de diligence des sociétés intimées dans la mise à jour de la notice n'est de nature à caractériser un défaut du produit que sur une courte période qui était expirée à la date de l'arrêt par Mme B. de son traitement et de l'apparition des premiers effets secondaires, à les supposer imputables à la prise du produit.
En toute hypothèse, il appartient à Mme B. de prouver que le défaut du produit serait à l'origine des multiples pathologies dont elle souffre. Celle-ci prétend à l'existence d'indices graves, précis et concordants ressortant notamment de la chronologie des faits ayant conduit au retrait du marché de l'Agréal et que le rapport d'expertise permet de retenir une forte probabilité que la prise de ce produit soit à l'origine des effets secondaires, ce que les intimées réfutent, citant les termes du rapport des docteurs G. et B. qui permettent d'écarter cette imputabilité.
L'action en responsabilité du fait d'un produit défectueux exige la preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage, et ainsi que le relève l'appelante, une telle preuve peut résulter de présomptions, pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes.
L'article 1349 (ancien) du code civil définit les présomptions comme les conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu et l'article 1353 (ancien) du code civil énonce que les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales (...) ;
Il s'ensuit que la présomption découle du fait que le fait présumé est provisoirement tenu pour vrai en raison du rapport de nécessité logique (fondée sur la vraisemblance et la plausibilité) entre le fait connu et celui dont on cherche la preuve. Elle n'est admissible comme mode de preuve, que lorsqu'elle présente un degré suffisant de vraisemblance, puisque découlant, d'indices graves, précis et concordants.
En l'espèce, devant les experts, Mme B. a précisé qu'elle avait été victime à compter du 23 juillet 2007 de vertiges, nausées, perte d'équilibre et d'une chute au cours de laquelle elle s'est brisé le poignet. Elle évoque l'apparition ensuite d'un syndrome pied main et de dépressions successives surtout depuis octobre 2008. Les experts concluent que les phénomènes vertigineux avec nausées et perte d'équilibre sont apparus plus de deux ans et demi après la prise du traitement, qu'elle a présenté à compter d'octobre 2008, une symptomatologie psychique anxio-dépressive et qu'il semble qu'il existait une telle symptomatologie depuis le début de l'année 2006, au regard du dossier médical, semble-t-il principalement en rapport avec des conflits au travail. Ils relèvent que les documents produits ne permettent pas d'établir une chronologie exacte entre l'intensité de la symptomatologie anxio-dépressive et la prise du produit. Ils concluent que l'exacerbation plus intense de la symptomatologie anxio-dépressive, un an après l'arrêt du traitement ne peut être rapportée à son arrêt et qu'au total, on ne peut totalement écarter qu'il puisse y avoir une imputabilité partielle qui ne peut donc être qualifiée de « possible », de la symptomatologie anxio-dépressive sur un terrain anxio-dépressif déjà existant en relation avec le sevrage par traitement par l'Agréal. Invités à préciser la portée de cette imputabilité partielle possible, les experts ont précisé que cela n'était pas différent de 'il n'est pas certain que la symptomatologie soit directement liée à l'Agréal, c’est dire autrement la même chose.
De telles conclusions et notamment l'incapacité des experts à la lecture du dossier médical de Mme B. de caractériser une concordance entre les manifestations du syndrome dépressif et la prise du produit ou son arrêt, excluent qu'il puisse être retenue l'existence d'indices graves précis et concordants de leur imputabilité à la prise d'Agréal.
Mme B. sera en conséquence, faute de rapporter la preuve qui lui incombe, déboutée de ses demandes à l'encontre des sociétés Sanofi-aventis France et Laboratoires Grunenthal et la décision déférée sera pour ces motifs, confirmée en ce qu'elle rejette ses demandes à l'encontre de ces deux sociétés.
Cette absence de preuve d'un lien entre les troubles présentés par Mme B. et le produit administré et par conséquent, son mode d'administration ou son arrêt brutal tous deux en contradiction avec les recommandations du fabricant excluent également que la responsabilité du docteur A. soit retenue au titre de dommages dont il n'est pas prouvé qu'ils soient en lien de causalité directe et certaine avec le non-respect des restrictions de prescription de l'Agréal ou des conditions de son arrêt.
Mme B. sera déboutée de ses demandes et la décision déférée confirmée en ce qu'elle rejette ses demandes à l'encontre de son médecin traitant.
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles seront confirmées. Mme B. sera condamnée aux dépens d'appel et en équité, il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à son encontre.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire mis à disposition de la décision au greffe de la cour,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 7 novembre 2016 ;
Y ajoutant
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme B. aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.