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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 14 septembre 2021, n° 18/05730

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

G. Kero (SARL)

Défendeur :

H&M (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohée

Avocat :

Selas Lexington Avocats

TGI, 3e ch. sect. 4, du 25 janv. 2018

25 janvier 2018

Vu le jugement rendu le 25 janvier 2018 par le tribunal de grande instance de Paris,

Vu l'appel interjeté le 16 mars 2018 par la société G. Kero et Mme Marguerite B.,

Vu les dernières conclusions numérotées 4 remises au greffe et notifiées par RPVA le 22 mars 2021 par la société G. Kero et Mme Marguerite B., appelantes et intimées incidentes,

Vu les dernières conclusions numérotées 2 remises au greffe et notifiées par RPVA le 9 février 2021 par la société H&M H. & M. (H&M), intimée et appelante incidente,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 18 mai 2021,

SUR CE, LA COUR :

Mme Marguerite B. se présente comme une artiste créatrice dont le nom d'artiste est G. Kero. Elle a créé avec son frère une société dénommée G. Kero qui commercialise des vêtements sur lesquels sont imprimés ses dessins.

Elle expose avoir créé en 2014 un motif intitulé « Super Surfeur » destiné à être apposé sur des vêtements dont elle a cédé les droits d'exploitation à la société G. Kero qui l'a reproduit sur des tee-shirts et des sweat-shirts pour la collection printemps-été 2015.

La société H&M, filiale française du groupe d'origine suédoise H&M, est une société immatriculée à Paris qui commercialise les produits H&M en France, spécialisée depuis 1947 dans la création et la distribution de vêtements et articles de mode.

En juin 2015, Mme B. a été informée de la prétendue reprise du motif « Super Surfeur » sur des polos vendus dans un magasin H&M en Chine.

Elle a fait réaliser un procès-verbal de constat d'achat en France du polo litigieux référencé « Jersey Fancy L.O.G.G. » n°227610, dans le magasin H&M situé au Forum des Halles à Paris (75001).

Par exploit du 12 novembre 2013, Mme Marguerite B. et la société G. Kero ont assigné la société H&M devant le tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement rendu le 25 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Paris a décidé en termes suivants :

Dit l'action en contrefaçon engagée par la société G. Kero et Mme Marguerite B. irrecevable,

Déboute la société G. Kero de sa demande formée au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,

Condamne la société G. Kero à payer à la société H&M H. & M. SARL la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi au titre du dénigrement,

Déboute la société H&M H. & M. SARL de sa demande reconventionnelle fondée sur la procédure abusive,

Condamne in solidum la société G. Kero et Mme Marguerite B. à payer à la société H&M H. & M. SARL la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Les condamne aux dépens de l'instance,

Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire.

Sur les chefs du jugement non critiqués

Il n'est plus contesté que la société G. Kero et Mme Marguerite B. n'ont pas formé d'appel sur le chef du dispositif du jugement attaqué qui les a déclarées irrecevables en leur demande fondée sur la contrefaçon de droit d'auteur, de sorte que la cour d'appel n'a pas à statuer de ce chef.

Sur la demande d'écarter des débats les pièces n°1 à 46 visées dans les conclusions N°3 de la société G. Kero et Mme Marguerite B.

La société H&M reconnaît avoir bien reçu les pièces n°1 à 113 qui lui ont été communiquées le 14 juin 2018 avec les conclusions n°1 des appelantes, mais oppose des incohérences dans la numérotation des pièces ensuite utilisée par les appelantes dans leurs conclusions n°3.

Mme B. et la société G.Kero opposent que rien n'interdit aux parties de modifier la liste et la numérotation des pièces produites au soutien de leurs écritures successives en cours de procédure, mais pour clore tout débat, reprennent dans leurs dernières conclusions n°4 la numérotation des pièces communiquées le 14 juin 2018.

Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande de la société H&M, devenue sans objet.

Sur la concurrence déloyale

La société G. Kero et Mme Marguerite B. soutiennent que l'intimée connaissait le dessin et les vêtements « Super Surfeurs » commercialisés par G. Kero, qu'elle a repris sciemment les caractéristiques du tee-shirt, à savoir une forme manche courte en coton blanc, la représentation d'une trentaine de surfeurs différents réalisés à la main, au feutre, sans visage apparent, sans contour, en mouvement, de même taille et dans des positions différentes, sortis de tout contexte, représentés sur un fond blanc, sans décor, à l'exception de quelques éclaboussures symbolisées graphiquement, avec des planches de surf représentées de façon stylisée. Elles soutiennent qu'il en ressort une impression visuelle d'ensemble similaire pour le consommateur, qui ne saurait être justifiée par l'appartenance à un thème « surfeur » dont l'existence n'est pas démontrée, de sorte que les consommateurs risquent de confondre ou d'associer les produits en cause.

La société H&M relève qu'en première instance seule la société G. Kero avait formé des demandes subsidiaires en concurrence déloyale et parasitaire de sorte que Mme. B. formant ses demandes sur ce fondement pour la première fois en appel est irrecevable.

La société H & M nie l'existence d'une imitation. Selon elle, les caractéristiques du dessin « Super Surfeur » sont constituées d'une impression générale bariolée, joyeuse et hétérogène, d'un assemblage d'une trentaine de personnes d'une extrême diversité dont la plupart pratiquent des activités plus ou moins loufoques et éloignées du surf, du style graphique propre consistant en coups de pinceaux à la fois fins et irréguliers parfois délibérément grossiers à la manière d'un dessin d'enfant dans un style très pictural et dénoué de réalisme. Or, ces éléments ne se trouvent pas, selon elle, dans son tee-shirt litigieux. Elle ajoute qu'il existe des différences notables entre les motifs utilisés relativement au sujet, à l'aspect général et au style de représentation et que les quelques éléments communs entre deux motifs relèvent d'un fonds commun non appropriable.

Sur la recevabilité

La cour constate que la société G. Kero et Mme B., qui ont le même conseil, avaient formé en première instance des demandes, à titre principal, en contrefaçon de droit d'auteur, et à titre subsidiaire, sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire, de sorte que la demande en appel formée par Mme B. aux côtés de la société G. Kero sur ce dernier fondement tend aux mêmes fins que la demande subsidiaire formée en première instance par la société G. Kero. Elle est dès lors recevable.

Sur le fond

La cour rappelle que le seul fait de commercialiser des produits identiques ou similaires à ceux, qui ne font pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, distribués par un concurrent relève de la liberté du commerce et n'est pas fautif, dès lors que cela n'est pas accompagné de manoeuvres déloyales constitutives d'une faute telle que la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou mois servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée.

En l'espèce, la circonstance que les deux vêtements représentent des surfeurs de petite taille imprimés sur un fond blanc ne suffit pas à leur conférer une impression d'ensemble identique, alors qu'il est démontré, contrairement aux allégations des appelantes, que le motif de surfeurs est connu et utilisé en impression sur des vêtements antérieurement aux créations de Mme B. (chemises hawaïennes répandues depuis les années 40 ; illustration de l'américain Peter S. publiée le 29 mai 2013 ; chemise surfeur de la marque Cocolia présentée à partir du 4 février 2014 ; chemise Duffy de la marque AMSBN commercialisée à partir du 4 décembre 2013 ; motif d'un modèle international de la société italienne Manifatura Tessile Baldini déposé le 22 février 2001).

L'examen comparatif des deux tee-shirts en cause, auquel la cour s'est livrée, fait apparaître une impression d'ensemble très différente pour le consommateur, tenant d'une part au motif, celui des appelants, fruit d'un assemblage surprenant d'une trentaine de personnages pratiquant des activités diverses, le plus souvent sans rapport avec le surf même s'il sont tous positionnés de façon irréaliste sur une planche de surf, étant d'aspect bariolé de multiples couleurs acidulées, alors que le motif du tee shirt incriminé est constitué d'un seul personnage reproduit dans les quatre mêmes couleurs plus ternes, dans des postures de surf réalistes, d'autre part, à la disposition de ces motifs sur les tee-shirts, très rapprochée sur le tee-shirt de la société G. Kero donnant une impression foisonnante et anarchique, et plus espacée de façon régulière sur le tee-shirt incriminé, enfin, à la forme et au tissu du vêtement, le tee-shirt de la société G. Kero étant très fin avec un col rond et des manches très courtes s'arrêtant juste après l'épaule, alors que celui de la société H&M est un polo avec un col et des boutons, une maille épaisse et des manches courtes descendant sur le bras se terminant par un revers. Ces différences flagrantes d'impression d'ensemble excluent tout risque de confusion pour le consommateur visé.

Les demandes de Mme B. et de la société G. Kero formées sur le fondement de la concurrence déloyale seront donc rejetées, et le jugement confirmé de ce chef.

Sur la concurrence parasitaire

Mme B. et la société G. Kero estiment que le tee-shirt 'Super Surfeur' bénéficie d'investissements créatifs qui lui donne une valeur économique, ainsi que d'une réputation dans le domaine de la mode compte tenu des investissements annuels pour la conception et la promotion des produits de la marque. Elles reprochent à l'intimée d'avoir commercialisé le tee-shirt litigieux au cours de la même saison printemps-été 2015 afin de se placer dans son sillage, et soutiennent qu'en imitant son tee-shirt « Super Surfeur », la société H&M s'est épargnée des frais de marketing et de conception.

La société H&M estime qu'aucune reprise parasitaire d'investissements de la société G. Kero n'est caractérisée et que les appelantes échouent à établir la preuve des prétendus investissements réalisés pour le motif « Super Surfeur ».

La cour rappelle que le parasitisme consiste à capter une valeur économique d'autrui individualisée, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements et à se placer ainsi dans son sillage pour tirer indûment parti des investissements consentis ou de la notoriété acquise.

Les appelantes justifient, par une attestation de Mme B., du processus créatif de cette dernière, qui a dessiné directement au feutre, en février 2014, chacun des 30 personnages de surfeurs, isolés de leur contexte, et les a assemblés pour composer l'oeuvre finale « super surfeurs ».

Il est versé au débat les frais de création et de communication de l'ensemble de la collection PE 2015, et non pas seulement de ceux afférents aux produits « super surfeurs », et ce alors qu'il n'est ni prouvé ni allégué aucune opération de promotion spécifique relative au tee shirt litigieux 'super surfeurs'.

De même, les éléments produits relatifs à un certain succès des créations de la société G. Kero auprès de célébrités telles que Kate Moss leur conférant une visibilité sur internet, et à des partenariats conclus avec les sociétés Veja et Benda Lili commercialisant sous la marque Sezane, ne se rapportent pas au tee-shirt « super surfeurs » dont la valeur économique aurait été prétendument captée, de sorte qu'aucune captation fautive n'est démontrée de ce chef, ni du fait que la société H&M a également commercialisé en 2016 une blouse évoquant, selon les appelantes, la blouse « super danseuses » qu'elles commercialisent, ces dernières ne disposant pas de droits privatifs sur la technique du « all over » consistant à reproduire sur tout un vêtement au fond uni des motifs de petit format.

Les demandes des appelantes sur le fondement de la concurrence parasitaire seront donc rejetées, et le jugement entrepris confirmé de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle au titre du dénigrement

La société H&M reproche à la société G. Kero d'avoir publié sur son compte Instagram des propos dénigrants. Elle précise que l'acte de dénigrement est constitué en ce qu'il s'agit d'une atteinte à l'image de marque de la société H&M afin de détourner sa clientèle en usant de propos ou d'arguments répréhensibles ayant ou non une base exacte et diffusés de manière à toucher les clients de l'entreprise visée. Concernant l'imputabilité de ses propos à la société G. Kero, elle soutient que la preuve n'est pas rapportée que ledit compte Instagram appartiendrait à Mme B..

Les appelantes font valoir que la demande de l'intimée est dirigée contre la société G. Kero alors que le compte Instagram « @gKeroparis » n'appartient pas à cette dernière mais à Mme B. qui a pour nom d'artiste G. Kero de sorte que la demande de la société H&M est irrecevable.

Elles ajoutent que cette demande est également irrecevable comme prescrite puisque les propos litigieux, qui visent le comportement moral de H&M, et non pas ses produits, relèvent du régime de la diffamation. Elles prétendent en tout état de cause que le dénigrement n'est pas caractérisé puisque Mme B. n'a pas cherché à détourner la clientèle de la société H&M, mais elle a utilisé sa liberté d'expression dans le cadre d'un débat général autour de la recherche d'une mode plus éthique et responsable permettant la survie de petits créateurs.

Sur la recevabilité

Les propos incriminés ont été postés sur le compte intagram @gkeroparis qui reprend la dénomination sociale de la société G.Kero dont le siège social est à Paris. La société H&M échoue cependant à démontrer qu'ils sont imputables, non pas à Mme Marguerite B. mais à la société G.Kero, seule à l'encontre de laquelle elle dirige sa demande sur le fondement du dénigrement, alors qu'il n'est pas contesté que Mme B. utilise comme nom d'artiste G.Kero, abréviation de « Gisèle Kérozène », et qu'en tête dudit compte instagram incriminé figurent les mentions suivantes : « une artiste, une marque ; artiste et créatrice @margueriteb. », la circonstance que ledit compte renvoie au site www.gkero.com sur lequel Mme B. commercialise ses créations via la société G.Kero ne suffisant à établir l'imputabilité à la société G.Kero des propos postés sur le compte instagram incriminé.

La demande reconventionnelle formée par la société H&M à l'encontre de la société G.Kero est dont irrecevable. Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société G.Kero à payer la somme de 5 000 euros sur le fondement du dénigrement ;

Statuant à nouveau, et y ajoutant ;

Déclare irrecevable la demande de la société H&M H. & M. à l'encontre de la société G. Kero sur le fondement du dénigrement ;

Dit que chaque partie conservera à sa charge ses dépens d'appel, et vu l'article 700 du code de procédure civile, dit n'y avoir lieu à condamnation à ce titre.