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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 14 septembre 2021, n° 19/20970

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Zelij Atelier De Creation (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohée

Avocat :

Aarpi Lext

TGI Paris, du 3 oct. 2019

3 octobre 2019

EXPOSÉ DU LITIGE

La société ZELIJ ATELIER DE CREATION (ci-après, la société ZELIJ), ayant son siège social à Toulouse, est une société spécialisée dans la décoration d'intérieur, en particulier dans la commercialisation de carreaux de ciment et de zelliges (mosaïque traditionnelle du Maroc en carreaux de terre cuite émaillée) pour sols et murs.

La société GC, exerçant son activité sous le nom commercial GINA CREATION et ayant son siège social à Aix-en-Provence, a pour objet social l'import et le négoce en gros ou au détail de revêtement de murs et de sols tels que la faïence, les carrelages, les carreaux de ciment, les zelliges et accessoirement la pose ou la fabrication de tels revêtements.

La société ZELIJ fait valoir qu'elle a déposé les modèles suivants'auprès de l'INPI et de l'EUIPO :

- un modèle français enregistré le 7 septembre 2015

N° 20154244 - 003

Ref commerciale ZELLIGE CREATIVE TRC7

- un modèle communautaire enregistré le 4 mai 2017

N° 20154244 - 0001

Ref commerciale ZELLIGE CREATIVE TRC9

- un modèle communautaire enregistré le 4 mai 2017

N° 20154244 - 0002

Ref commerciale ZELLIGE CREATIVE TRC9

- un modèle communautaire enregistré le 4 mai 2017

N° 20154244 - 0006

Ref commerciale ZELLIGE CREATIVE TRC9-3

- un modèle communautaire enregistré le 4 mai 2017

N° 20154244 - 0008

Ref commerciale ZELLIGE CREATIVE TRC9-3

M. Samir M., gérant de la société ZELIJ, revendique des droits d'auteur, dont il indique avoir confié l'exploitation à la société ZELIJ, outre sur les motifs de zelliges des modèles précités TRC7, TRC9 et TRC9-2 (en fait TRC9-3), sur les 4 motifs suivants :

ZELLIGES CREATIVE TRC5 ZELLIGES CISELES C1

ZELLIGES CISELES C2 ZELLIGES CISELES C4b

La société ZELIJ et M. M. indiquent avoir constaté que la société GC proposait sur son site internet www.ginacreations.com des zelliges constituant, selon eux, des copies serviles des modèles déposés par la société ZELIJ et des motifs créés par M. M., protégés par le droit d'auteur. Un constat d'huissier a été effectué le 24 juillet 2017.

Certains des modèles et motifs litigieux ayant été retirés du site internet de la société GC à la suite d'une réclamation de la société ZELIJ en juillet 2017, cette dernière a fait réaliser un nouveau constat d'huissier en date du 23 octobre 2017 qui établirait que neuf modèles et motifs contrefaisants demeurent reproduits sur ledit site.

À la suite d'une mise en demeure en date du 7 novembre 2017, restée infructueuse, la société ZELIJ et M. M. ont, par exploit d'huissier du 18 juin 2018, fait assigner la société GC devant le tribunal de grande instance de Paris, en contrefaçon de modèles, de droits d'auteur et en concurrence déloyale.

Par jugement rendu le 3 octobre 2019, le tribunal de grande instance de Paris a :

- dit qu'en reproduisant et commercialisant sans autorisation le modèle français n°20154244-003 et les modèles communautaires n° 003933944-0001, 003933944-0002, 0039933944-0006 et 003933944-0008, dont est titulaire la société ZELIJ, la société GC a commis des actes de contrefaçon de modèles,

- ordonné à la société GC de cesser tout acte contrefaisant sous astreinte de 500 par jour de retard à exécuter la présente décision, courant à l'expiration d'un délai de 15 jours suivant la signification du jugement et pendant six mois,

- condamné la société GC à payer à la société ZELIJ la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de modèles,

- débouté la société ZELIJ et M. M. de leurs demandes au titre de la contrefaçon de droits d'auteur,

- dit qu'en commercialisant 17 motifs de carrelages copiant servilement ceux de la collection ZELIJ et en s'appropriant des photographies des réalisations de la société ZELIJ, la société GC a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme,

- condamné la société GC à payer à la société ZELIJ la somme de 20 000 euros au titre des actes de concurrence déloyale et de parasitisme,

- débouté la société ZELIJ de sa demande de publication judiciaire,

- condamné la société GC aux dépens et à verser à la société ZELIJ la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. M. de sa demande sur le fondement des frais irrépétibles,

- ordonné l'exécution provisoire.

Le 13 novembre 2019, la société GC a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 8 décembre 2020, la conseillère de la mise en état a rejeté l'incident formé par la société ZELIG tendant à la radiation de l'affaire sur le fondement de l'article 526 du code de procédure civile (dans sa version alors en vigueur), retenant que l'exécution provisoire ordonnée par le jugement déféré aurait pour la société GC des conséquences manifestement excessives, condamnant celle-ci aux dépens de l'incident et disant n'y voir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions transmises le 29 mars 2021, la société GC, appelante et intimée à titre incident, demande à la cour :

- de confirmer le jugement en ce que la société ZELIJ et M. M. ont été déboutés :

- de leurs demandes au titre de la contrefaçon de droits d'auteur,

- de la demande de publication judiciaire,

- de la demande sur le fondement des frais irrépétibles,

- de débouter la société ZELIJ et M. M. de leurs appels incidents ainsi que de toutes leurs demandes,

- de réformer partiellement le jugement,

- de juger que les modèles et les œuvres revendiquées par la société ZELIJ et M. M. ne sont pas protégeables au titre du livre V du CPI, ni en vertu du règlement européen du 12 décembre 2001, et encore moins en vertu du droit d'auteur,

- de juger que la société ZELIJ et M. M. ne démontrent aucunement le préjudice financier qu'ils allèguent,

- de juger que la concurrence déloyale et parasitaire n'est pas caractérisée,

- de dire qu'il n'y pas lieu de prononcer une condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens,

- en conséquence,

- à titre principal :

- de rejeter toutes demandes formées au titre de la contrefaçon,

- de rejeter toutes demandes fondées sur la concurrence déloyale,

- de prononcer l'annulation du modèle français n°20154244-003 et communautaire n°003933944- 0001, -0002, -0006 et -0008,

- de débouter la société ZELIJ et M. M. du surplus,

- de débouter la société ZELIJ et M. M. de toutes leurs demandes,

- de condamner solidairement la société ZELIJ et M. M. à 20 000 euros de dommages et intérêts pour abus de droit ayant causé un préjudice indéniable à la société GC,

- à titre subsidiaire,

- d'ordonner une expertise judiciaire en précisant que l'expert devra notamment se prononcer sur la nouveauté et le caractère propre des modèles prétendument créés par M. M. et sa société,

- en tout état de cause,

- de débouter la société ZELIJ et M. M. de toutes leurs demandes, dont leurs appels incidents,

- de condamner solidairement la société ZELIJ et M. M. à payer à la société GC, ensemble, la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions numérotées 3 transmises le 2 avril 2021, la société ZELIJ et M. M., intimés et appelants à titre incident, demandent à la cour :

- de déclarer la société GC irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes et de l'en débouter,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit qu'en reproduisant et commercialisant sans autorisation le modèle français n°20154244-003 et les modèles communautaires n°003933944-0001, 003933944-0002, 003933944-0006 et 003933944-0008, dont est titulaire la société ZELIJ, la société GC a commis des actes de contrefaçon de modèles,

- dit qu'en commercialisant 17 motifs de carrelages copiant servilement ceux de la collection ZELIJ et en s'appropriant des photographies des réalisations de la société ZELIJ, la société GC a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme,

- condamné la société GC à verser à la société ZELIJ la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société GC aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire,

- de déclarer la société ZELIJ et M. M. recevables et bien fondés en leur appel incident, d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

- ordonné à la société GC de cesser tout acte contrefaisant sous astreinte de 500 euros par jour de retard à exécuter la présente décision, courant à l'expiration d'un délai de 15 jours suivant la signification du jugement et pendant six mois,

- condamné la société GC à payer à la société ZELIJ la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi des actes de contrefaçon de modèles,

- débouté la société ZELIJ et M. M. de leurs demandes au titre de la contrefaçon de droits d'auteur,

- condamné la société GC à verser à la société ZELIJ la somme de 20 000 euros au titre des actes de concurrence déloyale et de parasitisme,

- débouté la société ZELIJ de sa demande de publication judiciaire,

- débouté M. M. de sa demande sur le fondement des frais irrépétibles,

- et par conséquent statuant à nouveau :

- sur la contrefaçon de dessins et modèles

- de juger que les modèles français n° 20154244-003 et communautaires n° 003933944-0001, -0002, -0006 et -0008 dont est titulaire la société ZELIJ sont nouveaux, présentent un caractère propre et sont protégeables par le droit des dessins et modèles,

- de juger que la société ZELIJ est recevable à agir en tant que titulaire du droit sur les modèles invoqués,

- de juger que la société GC, en commercialisant des motifs reprenant les caractéristiques nouvelles et propres des modèles de la société ZELIJ, a commis des actes de contrefaçon à son encontre,

- sur la contrefaçon de droit d'auteur

- de juger que les créations « ZELLIGE CREATIVE TRC5 », « ZELLIGE CREATIVE TRC7 », « ZELLIGE CREATIVE TRC9 », « ZELLIGE CREATIVE TRC9-3 », « ZELLIGES CISELES C1 », « ZELLIGE CISELES C2 » et « ZELLIGE CISELES C4b » de la société ZELIJ sont originales et protégeables par le droit d'auteur,

- de juger que la société ZELIJ et M. M. sont recevables à agir en tant que titulaire respectivement des droits patrimoniaux et moraux sur les créations originales invoquées,

- de juger que la société GC, en commercialisant des zelliges reprenant à l'identique les créations originales de la société ZELIJ, a commis des actes de contrefaçon,

- en conséquence :

- de condamner la société GC à verser à la société ZELIJ la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon des modèles de la société ZELIJ et des œuvres dont la société ZELIJ est titulaire des droits patrimoniaux d'auteur,

- de condamner la société GC à verser à M. M. la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice subi du fait de l'atteinte à son droit moral d'auteur,

- d'interdire à la société GC, ainsi qu'à l'ensemble de son réseau commercial, de poursuivre les actes contrefaisant à l'encontre de la société ZELIJ, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et/ou par infraction constatée dès signification de l'arrêt à intervenir,

- sur les actes de concurrence déloyale

- de juger que GC, en profitant d'un effet de gamme et en s'appropriant les photographies des créations et des réalisations de la société ZELIJ, s'est immiscée dans son sillage afin de tirer indûment profit de ses efforts et de son savoir-faire,

- de juger que GC a commis des actes de dénigrement à l'encontre de la société ZELIJ,

- en conséquence :

- de condamner GC à verser à ZELIJ la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice d'image et du préjudice commercial qu'elle lui a occasionné,

- en tout état de cause :

- de débouter GC de l'ensemble de ses demandes,

- d'ordonner la publication de la décision à intervenir sur le site Internet de la société GC (www.ginacreation.com), par extraits au choix de la société ZELIJ, pendant une durée d'un mois à compter de sa première mise en ligne et ce, dans un délai de 48 heures à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard,

- de condamner la société GC à' verser :

- à la société ZELIJ et à M. M. la somme de 10 000 pour procédure abusive,

- à la société ZELIJ la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procé'dure civile,

- à' M. M. la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société GC aux entiers depens, en ce compris les frais d'huissier de justice engagés pour la réalisation et l'établissement des procès-verbaux de constat, dont distraction au profit de la SCP G. B. en application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est du 6 avril 2021.

MOTIFS

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur les demandes en contrefaçon de la société ZELIJ

Sur les demandes en contrefaçon des modèles enregistrés

Sur le caractère protégeable des modèles

La société GC expose que les zelliges, caractéristiques de l'architecture mauresque et largement utilisés au Maroc, incluent pour une très grande partie des motifs géométriques qui font partie du domaine public, et conteste le caractère protégeable des modèles revendiqués par le droit des dessins et modèles, soutenant qu'ils sont dépourvus de nouveauté et de caractère propre.

La société ZELIJ et M. M. demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a reconnu la validité des cinq modèles, contestant la pertinence des antériorités invoquées par l'appelante et la valeur probante des témoignages qu'elle verse aux débats.

Sur la validité du modèle français n°20154244-003

L'article L. 511-2 du code de la propriété intellectuelle dispose : « Seul peut être protégé le dessin ou modèle qui est nouveau et présente un caractère propre ».

Selon l'article L. 511-3 du même code : « Un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si, à la date dépôt de la demande d'enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée, aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué. Des dessins au modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne différent que par des détails insignifiants ».

L'article L. 511- 4 du même code dispose : « Un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l'impression visuelle d'ensemble qu'il suscite chez l'observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée. Pour l'appréciation du caractère propre, il est tenu compte de la liberté laissée au créateur dans la réalisation du dessin ou modèle ».

Enfin, selon l'article L.511- 6 du même code : « Un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué s'il a été rendu accessible au public par une publication, un usage ou tout autre moyen. Il n'y a pas divulgation lorsque le dessin ou modèle n'a pu être raisonnablement connu, selon la pratique courante des affaires dans le secteur intéressé, par des professionnels agissant dans la Communauté européenne, avant la date du dépôt de la demande d'enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée ».

La société GC fait valoir que le modèle français n'a pas été renouvelé à son terme et est particulièrement connu dans la profession. Pour combattre sa nouveauté et son caractère propre, elle produit :

- des extraits de l'ouvrage « Tilings and patterns » de 1987 de MM. G. et S., présentés comme professeurs et mathématiciens américains : un des dessins de l'ouvrage (reproduit page 8 des conclusions de l'appelante) se rapproche du modèle français, étant également composé de losanges et de triangles, mais s'en différencie toutefois nettement en ce qu'il ne comporte pas des triangles rectangles et isocèles comme le modèle revendiqué mais seulement des triangles isocèles, ni d'assemblages de pièces formant des carrés comme dans le modèle revendiqué, et qu'il comporte davantage de lignes en diagonale faisant apparaître le dessin français revendiqué plus dépouillé, ce qui ne constitue pas des détails insignifiants, le modèle TRC7 produisant ainsi une impression visuelle différente chez l'observateur averti, doté d'une vigilance particulière dans le secteur considéré ;

- les témoignages de cinq dirigeants de sociétés spécialisées dans la vente de carrelages et céramiques qui, en complétant un tableau préparé par l'appelante, indiquent que le modèle TRC7 est connu depuis 20 ans ou « depuis la nuit des temps au Maroc, en Ouzbekistan, en Turquie etc... »: ces témoignages rédigés en termes généraux, laconiques et au demeurant non concordants ne peuvent emporter la conviction ;

- celui de M. T., membre de la chambre d'artisanat de la région de Fès-Meknès au Maroc, maître artisan dans le domaine des zelliges, qui indique que tous les modèles revendiqués - présentés dans un tableau préparé par l'appelante - sont des formats traditionnels très classiques, présentant des formes basiques, leur découpage étant reproduit par les zelligeurs maâlmines depuis des siècles et qu'ils sont commercialisés « au Maroc et dans le monde » : comme les témoignages précédents, cette attestation rédigée en des termes vagues, non circonstanciés, ne peut suffire à démontrer que le modèle français de la société ZELIJ est dépourvu de nouveauté ou de caractère propre.

Les intimés justifient par ailleurs avoir fait procéder au renouvellement du modèle le 3 mai 2021.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a reconnu la validité du modèle français n°20154244-003.

Sur la validité des quatre modèles communautaires

L'article 4 du Règlement n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires prévoit que 'La protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel ».

L'article 5 du même règlement prévoit : »1. Un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public : (') b) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité. 2. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants ».

L'article 6 du règlement dispose : « 1. Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public : (...) b) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.

2. Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle ».

Pour combattre la nouveauté et le caractère propre des modèles communautaires invoqués, la société appelante GC soutient qu'ils sont connus dans la profession et oppose, outre les attestations précitées, plusieurs antériorités. Elle fait valoir en outre que le modèle n° 20154244-0001 a été annulé par le tribunal judiciaire de Paris postérieurement au jugement entrepris.

Elle oppose ainsi au modèle communautaire n° 20154244-0001, un modèle présenté dans l'ouvrage précité « Tilings and patterns » de 1987 et reproduit page 10 de ses conclusions :

Le modèle figurant dans l'ouvrage de 1987 montre, comme le modèle revendiqué, un assemblage de quadrilatères traversés par une ligne oblique et disposés en chevrons, mais ces quadrilatères sont disposés en oblique, et selon une alternance de carrés et de rectangles, alors que le modèle de la société ZELIJ est constitué d'un assemblage de quadrilatères tous rectangulaires agencés en L. Ces différences ne sont pas de détail pour l'observateur averti, doté d'une vigilance particulière, et l'impression visuelle générale produite par les deux modèles de zelliges est nettement distincte. Les attestations produites par la société GC, desquelles il ressort que le modèle revendiqué par la société ZELIJ est connu depuis au moins 20 ans, sont trop générales pour être probantes. Enfin, le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 15 octobre 2020 (pièce 7 de l'appelante) a été rendu sur la base d'éléments qui ne sont pas produits au présent débat par la société GC et ce jugement, qui n'est pas définitif puisque la société ZELIJ en a interjeté appel, ne fait pas obstacle au pouvoir souverain de la cour pour apprécier la validité des modèles. La validité du modèle n° 20154244 - 0001 n'étant pas valablement combattue, il sera déclaré valide.

La société oppose au modèle n° 20154244-0002 le fait qu'il est identique au précédent, ce qui le prive de nouveauté et de caractère propre, et que sa nullité a été prononcée par le tribunal judiciaire de Paris postérieurement au jugement entrepris.

Le modèle n° 20154244-0002 a été déposé le même jour que le modèle n° 20154244-0001. Le modèle est en effet identique au précédent mais dans une autre couleur. Comme l'a retenu le tribunal, le dépôt de modèles dans des couleurs différentes n'est pas interdit et le modèle n° 20154244-0001 est valable. Le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 15 octobre 2020 ne fait pas obstacle au pouvoir souverain de la cour pour apprécier la validité des modèles. La validité du modèle n° 20154244-0002 n'étant pas valablement combattue, il sera déclaré valide.

La société oppose au modèle n° 20154244-0006 un modèle extrait de l'ouvrage précité « Tilings and patterns » de 1987 et reproduit page 11 de ses conclusions :

Le modèle figurant dans l'ouvrage de 1987 présente, comme le modèle revendiqué, un assemblage de quadrilatères non rectangles juxtaposés deux par deux pour former des formes rectangulaires, mais alors que dans le modèle ZELIJ ces quadrilatères sont tous de même dimension, le modèle opposé par la société appelante présente en alternance des quadrilatères de deux dimensions différentes. Cette différence n'est pas de détail pour l'observateur averti, doté d'une vigilance particulière, et l'impression visuelle générale produite par les deux modèles de zelliges est nettement distincte. Les attestations produites par la société GC, desquelles il ressort que le modèle revendiqué par la société ZELIJ est connu, selon les attestants, depuis 10, 20, 30 ans ou depuis « la nuit des temps », sont trop générales pour être probantes. La validité du modèle n° 20154244 - 0006 n'étant pas valablement combattue, il sera déclaré valide.

La société oppose au modèle n° 20154244 - 0008 le fait qu'il est identique au précédent, ce qui le priverait de nouveauté et de caractère propre. Le modèle n° 20154244-0008 a été déposé le même jour que le modèle n° 20154244-0006. Il est identique au précédent mais dans une autre couleur. Comme l'a retenu le tribunal, le dépôt de modèles dans des couleurs différentes n'est pas interdit et le modèle n° 20154244-0006 est valable. La validité du modèle n° 20154244-0008 n'étant pas valablement combattue, il sera déclaré valide.

Pour l'ensemble de ces raisons, et sans qu'il y ait lieu de désigner un expert afin de se prononcer sur la nouveauté et le caractère propre des modèles de la société ZELIG, ce qui relève du pouvoir d'appréciation des juridictions lesquelles n'ont pas à suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve, le jugement sera confirmé en ce qu'il a reconnu la validité de l'ensemble des modèles revendiqués.

Sur la matérialité de la contrefaçon

La société appelante GC fait valoir que dès lors que les modèles de la société ZELIJ ne sont pas protégeables, la demande au titre de la contrefaçon est nécessairement sans objet et doit être rejetée.

Les intimés soutiennent que la société GC a exploité des motifs incorporant et reproduisant servilement les modèles de la société ZELIJ, comme l'a constaté le jugement dont ils demandent la confirmation sur ce point.

En l'absence d'éléments nouveaux produits en appel, c'est par de justes motifs, que la cour adopte, que le tribunal a dit qu'en reproduisant et commercialisant sans autorisation le modèle français n°20154244-003 et les modèles communautaires n° 003933944-0001, 003933944-0002, 0039933944-0006 et 003933944-0008, dont est titulaire la société ZELIJ, la société GC a commis des actes de contrefaçon de modèles.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les demandes en contrefaçon de droits d'auteur

Sur la protection des motifs de zelliges par le droit d'auteur : l'originalité

Les intimés, appelants à titre incident, soutiennent que les motifs de zelliges objets des modèles français et communautaires enregistrés examinés ci-dessus, d'une part, et les quatre motifs ZELLIGE CREATIVE TRC5, ZELLIGES CISELES C1, ZELLIGES CISELES C2 et ZELLIGES CISELES C1C4b, divulgués en 2015, d'autre part, tous créés par M. M. et dont la société ZELIJ détient les droits patrimoniaux, sont originaux et à ce titre éligible à la protection par le droit d'auteur. Ils font valoir que M. M., designer reconnu, recherche à créer des effets d'agencements des zelliges novateurs, s'éloignant de l'effet 'mosaïque' traditionnel, afin d'habiller des projets d'architectures d'intérieur contemporains et qu'il fait le choix créatif de concevoir des assemblages modernes et novateurs de zelliges qui, par la reproduction d'une même base géométrique arbitraire et un assemblage particulier, donne un effet cinétique et figuratif original à ses modèles, ce qui est très caractéristique de son travail. Ils définissent ainsi qu'il suit les caractéristiques originales des sept motifs de zelliges revendiqués :

- ZELLIGE CREATIVE TRC7 (également protégé par le modèle français enregistré examiné supra) : 'composition de six triangles, rectangles ou isocèles, qui en raison de l'alternance subjectivement choisie forment un carré, juxtaposé d'une façon précise et voulue à l'infini, faisant apparaître deux catégories de losanges. La première est constituée d'un losange sur découpés de triangles au centre desquels on retrouve alors un nouveau losange, traversé par une ligne horizontale et verticale. La seconde est composée de losanges coupés simplement en quatre par une ligne horizontale et verticale. Ces losanges sont alternés de façon régulière en raison de l'assemblage initial et donne une impression de relief arbitraire caractéristique, rehaussée par la matière des zelliges, effet recherché par le créateur M. Samir M.. L'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments propres au modèle démontre l'effort créatif et le parti pris esthétique de son auteur lui conférant son originalité' ;

- ZELLIGES CREATIVE TRC9 (également protégé par deux modèles communautaires enregistrés n° 20154244 - 0001 et n° 20154244 - 0002 examinés supra) : « composition caractérisée par son enchaînement en chevron de quadrilatères non rectangles, juxtaposés deux par deux, qui résultent d'un découpage singulier et recherché d'un rectangle et qui par cet agencement spécifique enchevêtré par une alternance horizontale/verticale, donne au motif un agrément unique visuel qui témoigne de la personnalité de son auteur. C'est la proportion arbitraire des trapèzes juxtaposés deux à deux en alternance horizontale et verticale qui rend possible cette combinaison caractéristique : la longueur d'un carreau debout, constitué par deux trapèzes, représente toujours en proportion la largeur de deux carreaux couchés. L'enchaînement des formes et le tracé subtil suggéré par le jointement des formes créé une vibration sensible accentué par les nuances des zelliges, effet recherché par le créateur M. Samir M.. Cette composition originale apporte un caractère moderne et géométrique novateur qui lui donne une impression visuelle d'ensemble distincte qui lui permet de se démarquer des autres compositions de zelliges présentent sur le marché. L'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments propres au modèle démontre l'effort créatif et le parti pris esthétique de son auteur lui conférant son originalité » ;

- ZELLIGES CREATIVE TRC9-3 (également protégé par deux modèles communautaires enregistrés n° 20154244 - 0006 et n° 20154244 - 0008 examinés supra) : « Le Zellige Creative TRC9-3 reprend la forme de quadrilatère non rectangle imaginée par M. Samir M. que nous avons pu apprécier dans le cadre du Zellige Créative TRC9, mais est caractérisé par son agencement propre constitué par un enchaînement linéaire qui permet un effet d'ondulations géométriques distinctives travaillées avec le contraste des nuances propres aux carreaux de zellige, pouvant au surplus être agrémentées par des couleurs afin de donner encore plus de reliefs au motif créé, lui conférant ainsi une physionomie singulière découlant du parti pris esthétique de son auteur. L'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments propres au modèle démontre l'effort créatif et le parti pris esthétique de son auteur lui conférant son originalité » ;

- ZELLIGE CREATIVE TRC5 : « composition associant deux formes distinctes, constituées par des quadrilatères dont pour chacun un angle est droit et les autres plus ou moins obtus ou aigus, leur donnant ainsi une forme singulière. Ces formes sont ensuite agencées de façon particulières et alternées spécifiquement, conférant une physionomie purement arbitraire au carreau Zellige Créative TRC5 : Dans un carreau, les quadrilatères spécifiques se font respectivement face. Le motif qui découle de ce positionnement spécifique est ensuite reproduit à l'infini sur l'ensemble des carreaux afin d'obtenir un motif moderne et résolument arbitraire qui laisse apparaître des ondulations géométriques distinctives travaillées avec le contraste des nuances propres aux carreaux de zellige, pouvant au surplus être agrémenté par des couleurs afin de donner encore plus de reliefs au motif créé. L'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments propres au modèle démontre l'effort créatif et le parti pris esthétique de son auteur lui conférant son originalité' ;

- ZELLIGES CISELES C1 : « assemblage de dodécagones s'assimilant à des croix dont les branches sont de mêmes tailles. Leur alignement laisse apparaître au centre de quatre de ces formes, un carré émaillé ainsi qu'une croix en terre arrachée. Cette formation superpose un graphisme et une texture par l'utilisation délibéré de la technique de ciselage qui consiste à arracher l'émail avec une marteline. La personnalité de son auteur est ainsi retranscrite dans le choix délibéré d'une association alliant graphisme et texture particulière et une alternance mate / brillant. La volonté de l'auteur lors de la création de ce modèle est d'évoquer l'effet des claustra et moucharabiehs traditionnels orientaux que l'on retrouve sur support bois mais en le déclinant sur une céramique dont l'émail a été ciselé, apportant à ce motif une empreinte de modernité et d'originalité. L'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments propres au modèle démontre l'effort créatif et le parti pris esthétique de son auteur lui conférant son originalité » ;

- ZELLIGES CISELES C2 : « Le Zellige Ciselés C2 est constitué d'un calepinage tout aussi particulier ; un quadrilatère aux côtés concaves est inséré dans un cercle. Cette forme est reproduite à l'infini et superposée ce qui accentue l'effet de matière crée par la technique du ciselage qui procure un effet mat (le fond en terre arrachée) / brillant (l'émail) pensée par son auteur. Là encore, ce motif est issu de la démarche de réappropriation, en évoquant l'univers des claustra et moucharabiehs traditionnels orientaux sur bois, par une déclinaison sur une céramique ciselée d'un motif moderne pensé par son auteur qui apporte à ce motif toute son originalité. L'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments propres au modèle démontre l'effort créatif et le parti pris esthétique de son auteur lui conférant son originalité » ;

- ZELLIGES CISELES C4b : « Le Zellige Ciselé C4b propose également de sublimer la technique de ciselage dévoilant une forme figurative s'assimilant à une succession de pétales rehaussées par de fines lignes de ciselure. Ce motif de la collection ciselés de la société ZELIJ, donne un effet de plein et de vide et une alternance de mat/brillant, évoquant l'univers des claustra et moucharabiehs traditionnels orientaux revisité et modernisé par le créateur M. Samir M.. Cet effet d'entrelacs est accentué par le ciselage superficiel blanc entre les pétales qui lie l'ensemble des formes du motif. L'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments propres au modèle démontre l'effort créatif et le parti pris esthétique de son auteur lui conférant son originalité et une nouvelle fois sa volonté de transcender le savoir-faire du zellige ».

La société GC, qui demande la confirmation du jugement qui a dit que les motifs revendiqués ne pouvaient être considérés comme originaux, oppose que ces motifs ne sont pas des créations originales et personnelles de M. M. qui s'est approprié des motifs communs faisant partie du domaine public. Elle fait ainsi valoir que :

- le motif ZELLIGES CISELES C2 reprend un motif de fleur particulièrement répandu que l'on retrouve aisément sur des sites internet spécialisés ;

- les motifs ZELLIGES CISELES C4b et ZELLIGES CISELES C1 reprennent des motifs géométriques très communs de grillages moucharabieh ;

- le motif ZELLIGE CREATIVE TRC5 apparaît dans le livre précité « Tilings and patterns » de 1987.

Ceci étant exposé, il sera rappelé qu'en vertu de l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. L'article L.112-1 du même code protège par le droit d'auteur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, pourvu qu'elles soient des créations originales. Il se déduit de ces dispositions, le principe de la protection d'une oeuvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale. Selon l'article L. 112-2-10°, les oeuvres des arts appliqués sont considérés comme oeuvres de l'esprit.

La notion d'antériorité est indifférente en droit d'auteur, celui qui se prévaut de cette protection devant plutôt justifier de ce que l'oeuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur. Toutefois, l'originalité doit être appréciée au regard d'oeuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s'en dégage d'une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d'un effort de création, marquant l'oeuvre revendiquée de l'empreinte de la personnalité de son auteur.

La cour constate que M. M. définit de façon circonstanciée les contours de l'originalité qu'il allègue en explicitant clairement les choix auxquels il a procédé dans sa démarche de création.

Par ailleurs, il a été vu que la société GC ne parvient pas à combattre valablement la nouveauté des cinq modèles enregistrés et elle ne développe pas d'autre argumentation quant à l'originalité des motifs de ces modèles que celle présentée précédemment au titre de la nouveauté et du caractère propre des modèles. Pour ce qui concerne les quatre motifs de zelliges revendiqués seulement au titre du droit d'auteur (ZELLIGE CREATIVE TRC5, ZELLIGES CISELES C1, ZELLIGES CISELES C2 et ZELLIGES CISELES C1C4b), la société GC échoue à établir qu'ils relèveraient d'un fonds commun ou auraient déjà été divulgués. En effet, le motif de fleur tiré de sites internet opposé au motif du zellige C2 est très différent, ne faisant pas apparaître les cercles entrelacés apparaissant sur le motif revendiqué ; le motif de type moucharabieh opposé au motif du zellige C4b est également différent de celui constituant le motif revendiqué, présentant des pétales plus rapprochés et pas de ciselage blanc reliant les pétales entre eux ; la reproduction de moucharabieh présentée en page 35 des conclusions de la société GC ne permet pas de vérifier que le motif est repris, comme il est soutenu, dans le motif de zellige C1 ; enfin, le motif de la page 137 du livre « Tilings and patterns », présenté en dessin en noir et blanc, est différent du ZELLIGE CREATIVE TRC5 en ce que la forme et la disposition des quadrilatères composant les carrés ne font pas apparaître de diagonales (« ondulations géométriques ») qui sont en outre soulignées, dans le motif revendiqué, par l'utilisation de couleurs contrastées « venant donner plus de reliefs au motif créé ».

Pour ces motifs, il sera retenu que le choix des motifs des zelliges revendiqués, traduit, dans leur composition et leur agencement, une recherche esthétique personnelle et créatrice, révélatrice de l'empreinte de la personnalité de leur auteur, qui leur confère une originalité les rendant accessibles à la protection par le droit d'auteur.

Sur la matérialité de la contrefaçon

Les intimés soutiennent que la société GC a reproduit, sans autorisation, dans leur intégralité et de manière servile les créations de M. M. dans l'ensemble de leurs caractéristiques et éléments originaux et a en outre représenté ces créations sur son site internet.

La société GC ne présente pas d'argumentation pour contester la matérialité de la contrefaçon de droits d'auteur.

L'article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».

En l'espèce, il ressort du procès-verbal de constat d'huissier de justice du 24 juillet 2017 que les sept motifs de zelliges revendiqués étaient proposés sur le site internet www.ginacreation.com, à ses clients, par la société GC, qui les a ainsi reproduits servilement sans autorisation. La contrefaçon de droits d'auteur est caractérisée.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a débouté la société ZELIJ et M. M. de leurs demandes au titre de la contrefaçon de droits d'auteur.

Sur les demandes en concurrence déloyale et parasitisme de la société ZELIJ

La société appelante GC soutient que les photographies publiées sur son site et prétendument issues du site de la société ZELIJ ne sont pas en réalité la propriété de M. M. mais appartiennent à la société américaine MOORISH ARCHITECTURAL DESIGN qui les a publiées sur son propre site et que la société intimée échoue à rapporter la preuve qu'il s'agit de ses propres photographies.

En réponse, la société ZELIJ répond notamment que la société MOORISH ARCHITECTURAL DESIGN a repris, elle aussi, indûment ses photographies, que certaines photographies reprises par la société GC ne sont d'ailleurs pas visibles sur le site de la société américaine. Elle affirme, attestations à l'appui, que les photographies reprises par la société GC ont été réalisées à sa demande par plusieurs photographes ou par M. M. lui-même et que certaines ont fait l'objet de publications dans des magazines de décoration, ce qui démontre leur caractère original. Elle dénonce en outre des faits de dénigrement commis par la société GC qui se serait déplacée chez de nombreux concurrents et partenaires (architectes...) pour faire état du contentieux l'opposant à la société ZELIJ et dont elle aurait dressé un 'tableau biaisé'.

C'est à juste raison que le tribunal, au vu des constats d'huissier des 24 juillet et 23 octobre 2017, a retenu que 17 motifs de la collection de la société ZELIJ étaient repris de manière quasi-identique sur le site de la société GC et qu'en outre, 5 photographies de travaux de carrelage chez des clients étaient repris à partir du site internet de la société ZELIJ sur celui de la société GC, l'une de ces photographies présentant, de manière incontestée, la propre cuisine des fondateurs de la société ZELIJ.

Pour démontrer que les photographies en cause sont les siennes, la société ZELIJ, qui a adressé une lettre de mise en demeure à la société MOORISH ARCHITECTURAL DESIGN le 28 avril 2020 lui demandant notamment de cesser toute reproduction et représentation de ses modèles et motifs, produit les attestations :

- de M. F., photographe professionnel, qui indique avoir photographié, le 5 février 2017, pour les Ateliers ZELIJ 19 modèles de carrelages joints à son attestation, lesquels correspondent notamment aux zelliges référencées TRC-9-3, TRC7 et à un modèle HERITAGE TR8, qui figurent sur le site de la société américaine : la valeur probante de ce témoignage n'est pas entamée par le seul fait que la mention 'est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait d'établir une attestation ou un certificat faisant état de fait matériellement inexacts' est dactylographiée et non rédigée de la main de l'attestant ; est fournie la facture correspondant aux travaux de photographie de M. F. ;

- de Mme J., ancienne stagiaire de la société ZELIJ, qui indique avoir réalisé en 2014/2015 les photographies de divers motifs de zelliges dont certains correspondent aux zelliges référencées TRC7, C4b, C1, qui se retrouvent sur le site américain, et TRC5 ;

- de Mme R., ancienne stagiaire de la société ZELIJ, qui indique avoir réalisé en 2015/2016 13 photographies de zelliges dont deux correspondent aux modèles litigieux.

Ces témoignages sont de nature à établir que les photographies sont bien celles de la société ZELIJ. La société intimée observe en outre pertinemment que des photographies de travaux réalisés chez ses clients qui se retrouvent sur le site de la société GC ne sont pas visibles sur le site de la société américaine. Il est encore justifié de ce qu'un zellige dit « écaille de poisson » qui a pour particularité de présenter 3 écailles de couleur bleue au milieu d'autres écailles grises ou noires, et qui se trouve sur le site de la société américaine, a fait l'objet d'une publication dans le magazine Elle Décoration de décembre 2015 en étant attribué à la société ZELIJ, ce qui constitue un indice robuste de l'appartenance de ce zellige à ladite société. Enfin, aucune circonstance, autre qu'une reprise indue à partir du site de la société ZELIJ, ne permet d'expliquer la présence d'une photographie de la cuisine du domicile de M. M. sur le site de la société GC.

Comme l'ont retenu les premiers juges, par des motifs que la cour adopte, sont ainsi caractérisés des actes distincts de concurrence déloyale par effet de gamme - étant souligné que la reprise d'un nombre très significatif de modèles de zelliges de la société ZELIJ témoigne de la volonté de la société GC de créer un risque de confusion dans l'esprit du public avec son concurrent - et de parasitisme, les actes de dénigrement invoqués n'étant, eux, pas établis par les pièces produites au dossier.

Le jugement sera confirmé de ces chefs.

Sur les mesures réparatrices

Sur les demandes financières

Les intimées font valoir que la société GC a porté atteinte au droit moral de M. M. en ne respectant pas son droit à la paternité sur ses oeuvres et demande une majoration des dommages et intérêts alloués à la société ZELIJ.

La société GC fait valoir que les demandes pécuniaires sont injustifiées dans leur quantum, aucun élément probant n'étant produit démontrant un quelconque préjudice financier.

Le tribunal, par de justes motifs adoptés, a fait une exacte appréciation du préjudice subi par la société ZELIJ du fait des actes de contrefaçon des modèles dont elle est titulaire en lui octroyant la somme de 10 000 ».

Les actes de contrefaçon de droits d'auteur ont entraîné pour la société ZELIJ, laquelle sans conteste exploite les droits patrimoniaux d'auteur de M. M. sur ses oeuvres, un préjudice résultant de la banalisation des motifs protégés. Cette atteinte sera réparée par le paiement de la somme de 5 000 en l'absence d'éléments précis quant à la masse contrefaisante.

Les actes de contrefaçon de droits d'auteur ont par ailleurs entraîné pour M. M. une atteinte à son droit moral d'auteur à la paternité sur ses oeuvres, qui sera indemnisée par l'allocation d'une somme de 5 000 à titre de dommages et intérêts.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Le tribunal a fait une exacte appréciation du préjudice subi par la société ZELIJ du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire en lui allouant la somme de 20 000 à titre de dommages et intérêts.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les autres mesures

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a ordonné à la société GC de cesser tout acte contrefaisant, sous astreinte, cette disposition devant être étendue aux actes de contrefaçon de droits d'auteur reconnus par le présent arrêt.

La mesure de publication n'apparaît pas nécessaire à la réparation du préjudice de la société ZELIJ et de M. M.. Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a rejetée et les intimés seront déboutés de leur demande formée en appel.

Sur les demandes pour procédure abusive

Le sens du présent arrêt conduit nécessairement à rejeter la demande de la société GC pour procédure abusive.

La demande de la société ZELIJ et de M. M. sera également rejetée dès lors que, l'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'exercer une voie de recours en justice légalement ouverte est susceptible de constituer un abus, et qu'aucun abus de la société GC n'est en l'espèce caractérisé.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société GC, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de la société GC au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société ZELIJ et M. M. peut-être équitablement fixée à 5 000 (2x 2 500), cette somme complétant celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Infirme le jugement en ce qu'il a débouté la société ZELIJ et M. M. de leurs demandes au titre de la contrefaçon de droits d'auteur,

Statuant à nouveau de ce chef,

Dit qu'en reproduisant et commercialisant sans autorisation des zelliges reprenant à l'identique les créations originales de M. M. exploitées par la société ZELIJ : ZELLIGE CREATIVE TRC7, ZELLIGE CREATIVE TRC9, ZELLIGE CREATIVE TRC9-3, ZELLIGE CREATIVE TRC5, ZELLIGES CISELES C1, ZELLIGES CISELES C2 et ZELLIGES CISELES C1C4b, la société GC a commis à leur préjudice des actes de contrefaçon de droits d'auteur,

Condamne la société GC à payer à titre de dommages et intérêts :

- à M. M. la somme de 5 000 en réparation de l'atteinte portée à son droit moral d'auteur,

- à la société ZELIJ la somme de 5 000 en réparation de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux,

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

Ordonne à la société GC de cesser tout acte de contrefaçon des droits d'auteur sur les motifs de zelliges ZELLIGE CREATIVE TRC7, ZELLIGE CREATIVE TRC9, ZELLIGE CREATIVE TRC9-3, ZELLIGE CREATIVE TRC5, ZELLIGES CISELES C1, ZELLIGES CISELES C2 et ZELLIGES CISELES C1C4b sous astreinte de 500 par jour de retard à exécuter la présente décision, courant à l'expiration d'un délai de 15 jours suivant la signification de cet arrêt et pendant six mois,

Déboute la société GC de sa demande subsidiaire de désignation d'un expert,

Déboute la société ZELIJ et M. M. de leur demande de publication,

Déboute les parties de leurs demandes pour procédure abusive,

Condamne la société GC aux dépens d'appel et au paiement à la société ZELIJ et à M. M. de la somme de 2 500 chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile.