Cass. com., 22 septembre 2021, n° 20-12.951
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Marseille Courses (SARL), Rivière, Valmarpen Holding (SARL), Gillibert (ès qual.)
Défendeur :
Quillerier Lesieur, Allô express (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Poillot-Peruzzetto
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Buk Lament-Robillot
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en Provence, 10 octobre 2019), M. Quillerier Lesieur (M. Quillerier), qui a créé la société Marseille courses puis la société Allo express, a cédé à la société Valmarpen et à M. Rivière les actions composant le capital social de la première par un acte comportant, à la charge de la société Allo express, une clause de non-concurrence.
2. Reprochant à M. Quillerier et à la société Allo express des actes de concurrence déloyale et la rupture brutale des relations commerciales entre la société Allo express et Marseille courses, M. Rivière et les sociétés Valmarpen et Marseille courses les ont assignés en réparation de leurs préjudices, notamment sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.
3. Par un jugement du 24 mai 2016, le tribunal de commerce de Marseille, qui a pris acte de l'intervention volontaire de la société civile professionnelle Bouet Gillibert en qualité de mandataire et administrateur judiciaire de la société Marseille courses, a rejeté la demande formée au titre de la violation de la clause de non-concurrence et condamné la société Allo express à réparer le préjudice de la société Marseille courses résultant de la rupture brutale des relations d'affaire, non sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce mais, s'agissant d'un contrat de sous-traitance de transport de marchandises régi par le contrat-type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, sur celui de l'article 12-2 du décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003.
4. Devant la cour d'appel, les appelants, M. Rivière et les sociétés Valmarpen, Marseille courses et Gillibert et associés ont conclu à la réformation du jugement en ce qu'il ne retenait pas la violation de l'obligation de non-concurrence, et à son infirmation sur la reconnaissance du principe de la rupture sur le fondement du décret du 26 décembre 2003. Ils ont également demandé que soit écartée des débats la question de l'applicabilité de l'article L. 442-6 du code de commerce et, subsidiairement, que soit ordonnée la disjonction entre les demandes, au titre de la violation de la clause de non-concurrence et au titre de la rupture brutale. Les intimés ont formé appel incident pour demander à la cour d'appel de réformer la décision entreprise en ce qu'elle condamnait la société Allo express au paiement de la somme de 7 724 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales, en soutenant que cette rupture avait pour cause les fautes graves et répétées du transporteur, ce qui rendrait inapplicable tout délai de préavis.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Les sociétés Marseille courses, Valmarpen et Gillibert et associés et M. Rivière font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'appel interjeté par M. Rivière, la société Valmarpen et la société Marseille courses contre le jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 24 mai 2016, alors :
« 1°) qu'un appel, général dans sa déclaration peut être limité par les conclusions ultérieures de l'appelant ; que les limites apportées à l'appel principal sont cependant sans conséquence sur l'appel incident qui peut être étendu aux chefs du jugement non visés par l'appel principal ; qu'en l'espèce, comme le reconnaît elle-même la cour d'appel, tant les premiers juges que les conclusions des appelants principaux ont fondé la condamnation de la société Allo express sur les dispositions, non de l'article L. 442-6 du code de commerce, mais de l'article 12-2 du décret du 26 décembre 2003 ; qu'en sollicitant des juges d'appel qu'ils "réform[ent] le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille en date du 24 mai 2016 en ce qu'il a dit et jugé que la société Allo express aurait dû octroyer un préavis de trois mois en application de l'article 12.2 du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants", l'appel incident ne réintroduisait pas dans le débat l'article L. 442-6 du code de commerce, critiquant justement une condamnation fondée sur l'article 12-2 du décret du 26 décembre 2003 ; qu'en décidant pourtant que "par conclusions signifiées le 9 novembre 2016 intitulées "conclusions en réplique et en appel incident", M. Quillerier et la société Allo express ont expressément demandé à la cour de réformer la décision entreprise en ce qu'elle avait condamné la société Allo express au paiement de la somme de 7 724 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations d'affaire ; cette demande de réformation a été réitérée dans les ultimes conclusions déposées par voie électronique le 4 octobre 2017" et qu'"il apparaît ainsi que de par l'effet de cet appel incident des intimés, et ce malgré la limitation de l'appel par les appelants, la cour a été saisie de la demande initiale formée en application de l'article L. 442-6 du code de commerce", pour en déduire qu'"il convient dès lors de relever d'office l'irrecevabilité de l'appel interjeté par M. Rivière, la société Valmarpen, la société Marseille courses à l'encontre du jugement du tribunal de commerce en date du 24 mai 2016", la cour d'appel a violé l'article 562 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017, ensemble les articles 4 et 5 du même code ;
2°) que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ; que si un État organise un recours au profit d'une juridiction d'un degré supérieur, il a l'obligation de le soumettre aux règles du procès équitable ; qu'il doit ainsi notamment assurer aux plaideurs un droit effectif d'accès aux juridictions de recours ; qu'en décidant que "par conclusions signifiées le 9 novembre 2016 intitulées "conclusions en réplique et en appel incident", M. Quillerier et la société Allo express ont expressément demandé à la cour de réformer la décision entreprise en ce qu'elle avait condamné la société Allo express au paiement de la somme de 7 724 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations d'affaire ; cette demande de réformation a été réitérée dans les ultimes conclusions déposées par voie électronique le 4 octobre 2017" et qu'"il apparaît ainsi que de par l'effet de cet appel incident des intimés, et ce malgré la limitation de l'appel par les appelants, la cour a été saisie de la demande initiale formée en application de l'article L. 442-6 du code de commerce", pour en déduire qu'"il convient dès lors de relever d'office l'irrecevabilité de l'appel interjeté par M. Rivière, la société Valmarpen, la société Marseille courses à l'encontre du jugement du tribunal de commerce en date du 24 mai 2016", sans rechercher si l'application de l'article D. 442-3 du code de commerce ne venait pas porter atteinte, in casu et de manière excessive, à la protection des droits et libertés de l'individu, soit son droit à un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce dernier texte, ensemble l'article D. 442-3 précité. »
Réponse de la Cour
6. Après avoir constaté que M. Rivière et les sociétés Valmarpen et Marseille courses avaient saisi le tribunal de commerce de Marseille d'une demande fondée sur l'article L. 442-6 du code de commerce, l'arrêt retient que, conformément aux dispositions de l'article D. 442-3, alinéa 2 de ce code, seule la cour d'appel de Paris est investie du pouvoir juridictionnel pour connaître des appels formés contre les décisions rendues par des juridictions spécialisées, saisies sur le fondement de l'article L. 442-6 précité. De ce seul motif, faisant ressortir qu'il n'était pas porté atteinte au droit au recours de M. Rivière et des sociétés Valmarpen, Marseille courses et Gillibert et associés, et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche, la cour d‘appel a exactement déduit que l'appel formé devant elle par M. Rivière, la société Valmarpen et la société Marseille courses était irrecevable.
7. Le moyen, pour partie inopérant, n'est donc pas fondé pour le surplus.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. Les sociétés Marseille courses, Valmarpen et Gillibert et associés et M. Rivière font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande subsidiaire en disjonction des chefs de demande présentée par la partie appelante, alors « que pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridiction commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre ; que la cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris ; que, lorsqu'une cour d'appel, autre que celle de Paris, est saisie d'une demande fondée sur l'article L. 442-6, III, 5°, du code de commerce, il lui est toutefois permis de ne pas déclarer irrecevable l'appel pour le tout en cas de demandes plurales non exclusivement fondées sur l'article L. 442-6, si la demande fondée sur ce texte est nouvellement formée en appel, et lorsque la cour d'appel est saisie d'une demande de disjonction ; qu'en l'espèce, et comme le reconnaissent les juges d'appel eux-mêmes, le fondement de l'article L. 442-6 aurait été réintroduit par les conclusions de M. Quillerier et la société Allo express dans le cadre de leur appel incident, les juges de première instance et sociétés Marseille courses, Valmarpen et Gillibert et associés et M. Rivière ne se fondant plus, à ce stade, que sur l'article 12-2 du 26 décembre 2003, et qu'une demande de disjonction a été formulée ; qu'en se contentant d'affirmer que "l'appel général étant jugé irrecevable, la cour ne peut connaître d'une partie du litige en opérant une disjonction des chefs de demande", pour en déduire que "la demande formée par les appelants sur ce point sera en conséquence rejetée", la cour d'appel a violé les articles L. 442-6, III, 5°, et D. 442-3 du code de commerce, ensemble l'article du contrat type établi par décret du 26 décembre 2003. »
Réponse de la Cour
9. Le moyen, en tant qu'il est dirigé contre la décision de refus de disjonction d'instance, constituant, aux termes de l'article 368 du code de procédure civile, une mesure d'administration judiciaire, laquelle n'est, aux termes de l'article 537 de ce même code, sujette à aucun recours, n'est pas recevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.