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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 22 septembre 2021, n° 19/19891

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Mindid (Sté)

Défendeur :

Sonova France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

Avocats :

Me Lallement, Me Vuillermoz, Me Ortolland, Me Mollon, Me Heraud

T. com. Lyon, du 17 oct. 2019

17 octobre 2019

Vu le jugement rendu le 17 octobre 2019 par le tribunal de commerce de Lyon qui a :

- dit que les relations contractuelles nouées entre les sociétés Sonova et Mindid ne constituaient pas des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I 5° du code de commerce,

- débouté la société Mindid de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société Mindid aux dépens et à payer la somme de 1 000 à la société Sonova au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Vu l'appel relevé par la société Mindid et ses dernières conclusions notifiées le 4 mai 2021 par lesquelles elle demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6, I 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, de réformer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- dire que les sociétés Sonova France et Mindid (anciennement XL Marketing) entretenaient une relation commerciale établie depuis plus de 9 ans au moment de la résiliation,

- dire que la société Sonova France a rompu de manière brutale cette relation, sans préavis,

- dire que la société Sonova France aurait dû respecter un préavis de 9 mois eu égard à l'ancienneté des relations commerciales,

- en conséquence, condamner la société Sonova France à lui payer la somme de 77 751 €, à titre de dommages intérêts,

- débouter la société Sonova France de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société Sonova France aux entiers dépens et à lui payer la somme de 15 000 par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 17 mai 2021 par la société Sonova France qui demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6 du code de commerce, des articles 1134 et 1315 anciens du code civil, des articles 1104 et 1353 du code civil ainsi que de l'article 9 du code de procédure civile :

1) à titre principal, de :

- dire que les relations contractuelles nouées avec la société Mindid ne constituent pas des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 du code de commerce, que la société Mindid a conditionné la poursuite des prestations du studio PAO à une forte hausse de leur prix, que la rupture des relations était prévisible et ne lui est pas imputable, que leur fin n'est affectée d'aucune brutalité fautive au sens de l'article pré cité,

- en conséquence, confirmer le jugement et débouter la société Mindid de l'ensemble de ses demandes,

2) à titre subsidiaire, si la relation commerciale était qualifiée d'établie et qu'elle l'aurait rompue brutalement, de :

- dire que la société Mindid n'apporte aucune preuve de son préjudice et ne justifie pas du calcul de sa marge brute,

- en conséquence, la débouter de l'ensemble de ses demandes,

3) à titre infiniment subsidiaire, de :

- dire qu'un préavis de 2 mois au plus aurait dû être accordé, que le préjudice de la société Mindid s'élève à la marge brute moyenne de 56,13 % dont elle a été privée pendant cette période, que ne pourront être prises en compte que les sommes facturées directement par la société Mindid, à l'exclusion de celles qu'elle a facturées aux audioprothésistes indépendants, que la base de calcul doit se faire sur les sommes facturées depuis le début de la relation, les années 2014 et 2015 n'étant pas représentatives du volume courant normal d'affaires et, susbsidiairement sur les années 2014, 2015 et 2016,

- ramener les sommes réclamées par la société Mindid à de plus justes proportions,

4) à titre encore plus subsidiaire, de :

- dire que le préavis qui aurait du l’être accordé ne peut être supérieur à 6 mois, conformément aux stipulations du contrat type entre annonceurs et agents de publicité publié au journal officiel du 19 septembre 1961,

- évaluer le préjudice en fonction de ce délai et sur les bases ci-dessus,

- ramener les sommes réclamées par la société Mindid à de plus justes proportions,

5) condamner la société Mindid aux entiers dépens de l'instance et à lui payer la somme de 20 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

SUR CE LA COUR

La société Sonova France se présente comme spécialisée dans la fabrication de solutions auditives innovantes ; elle exerce une partie de son activité sous l'enseigne Phonak, pour commercialiser une gamme d'aides auditives numériques ainsi que des systèmes de communication sans fil complémentaires.

La société Mindid, anciennement dénommée XL Marketing, exerce l'activité de conseil en marketing et en communication ; elle a réalisé différentes prestations pour le compte de la société Sonova France, notamment :

- l'ensemble des supports de communication à destination de cette société et/ou de ses clients audioprothésistes,

- « la box Phonak » permettant la mise à disposition et la personnalisation de maquettes déjà existantes graphiquement afin de permettre aux audioprothésistes de réaliser de manière autonome des campagnes marketing aux couleurs de la marque Phonak,

- l'impression à la demande de ces documents de communication conçus par le studio dit PAO suivant les instructions de Phonak,

- la conception et le développement d'un programme de stimulation des ventes à destination des audioprothésistes avec mise en place d'une boutique cadeau, sous-traitée à un prestataire.

Par courriel du 1er décembre 2016, la société Mindid a informé la société Sonova France qu'il n'était pas envisageable pour elle de continuer les prestations sur les mêmes bases que les années précédentes et lui a demandé sa proposition commerciale pour 2017 ; le 19 janvier 2017 elle lui a demandé rendez-vous pour évoquer les modalités du contrat 2017.

La société Sonova France lui a répondu, par courriel du 20 janvier 2017, qu'il ne lui était pas possible, à ce stade et compte tenu de leurs discussions actuelles, de se positionner sur leur collaboration future.

Puis, le 14 mars 2017, la société Sonova France a envoyé à la société Mindid le courriel suivant :

« Après discussions en interne, nous vous confirmons l'arrêt des opérations « box Phonak » et « Plateforme Parrainage » qui ne correspondent plus aujourd'hui aux directions données par notre groupe, ni aux besoins de nos clients.

Depuis décembre 2016, vous avez dû remarquer l'arrêt de toute activité Phonak/XL Marketing tant au niveau du rôle de conseil Agence que du travail au studio graphique.

Nous vous confirmons que nous ne prévoyons pas de collaboration avec votre société pour l'année 2017 ».

Par lettre de son conseil du 12 avril 2017, la société Mindid s'est plainte d'une rupture brutale des relations commerciales établies depuis 9 ans et a demandé à la société Sonova France une proposition amiable de réparation de son préjudice.

Dans la réponse de son conseil du 28 avril 2017, la société Sonova France a fait état de la diminution progressive du volume des prestations réalisées par la société Mindid depuis 2015 laissant indubitablement présager la fin des relations commerciales et a soutenu que, dès lors, la rupture ne présentait aucun caractère de brutalité.

C'est en cet état que le 20 mars 2018 la société Mindid a assigné la société Sonova devant le tribunal de commerce de Lyon pour lui demander paiement de la somme de 77 751 en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie.

Par le jugement déféré, le tribunal a débouté la société Mindid de sa demande aux motifs :

- que les quelques contrats ponctuels de communication, étalés sur une période de plusieurs années, sans accord cadre ni garantie de chiffre d'affaires ou engagement d'exclusivité, ne constituaient pas des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 du code de commerce,

- qu'en remettant en cause, dans des proportions non conformes à l'économie du contrat (hausse de 50 % du prix), les conditions économiques de celui-ci, la société Mindid a souhaité qu'il soit mis fin aux relations commerciales,

- qu'en négociant les conditions tarifaires depuis 2013, la société Mindid ne peut prétendre que la relation commerciale était stable, du fait qu'elle était soumise à son acceptation.

Sur la rupture des relations

Pour s'opposer à la demande de la société Mindid, la société Sonova France soutient d'abord que les relations ne peuvent être qualifiées de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 du code de commerce ; elle invoque leur précarité en exposant :

- que l'essentiel des prestations confiées à la société Mindid faisait suite à un appel d'offres remporté en 2010, que la participation à un appel d'offres matérialise en soi le caractère aléatoire et non pérenne de leurs relations commerciales et que, dans le domaine de la communication les prestations sont systématiquement empruntes de précarité,

- qu'en dehors des prestations de studio PAO, elle n'a confié à la société Mindid que des missions exceptionnelles, à savoir :

De manière ponctuelle, la conception et l'impression de supports de communication pour des montants variables selon les exercices 2012/2013, 2013/2014 et 2014/2015, le développement d'outils de communication destinés à des audio praticiens, eux-mêmes clients de la société Mindid, le volume de ces prestations dépendant uniquement de l'intérêt de ces clients qui ont fait preuve de désintérêt, ce pourquoi elle a été obligée de mettre fin à la box Phonak et à l'offre Parrainage.

Mais la société Mindid fait justement valoir que le caractère établi d'une relation commerciale ne suppose pas l'existence d'un contrat cadre ni même d'un contrat, qu'une succession de contrats même ponctuels est suffisante s'il est démontré la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation et qu'une renégociation du prix ne peut faire obstacle au caractère établi de la relation ;

En l'espèce, la prestation PAO, qui avait été confiée à la société Mindid suite à un appel d'offres en 2010, a ensuite été reconduite pendant plusieurs années sans aucune mise en concurrence ; les chiffres d'affaires réalisés par la société Mindid avec la société Sonova France se sont élevés, notamment, à 206 099 en 2014 et 176 704,19 en 2015; même si certaines prestations étaient ponctuelles, il demeure que la relation commerciale avait un caractère stable et établi.

La société Sonova France fait valoir, en deuxième lieu, que la diminution progessive et sur plusieurs années des commandes ne peut constituer une rupture brutale des relations, qu'une partie ne peut se voir imputer la responsabilité d'une rupture lorsque celle ci correspond à une diminution de son chiffre d'affaires résultant d'éléments extérieurs et, qu'en l'espèce, elle s'est trouvée contrainte de mettre fin aux prestations concernant la box Phonak et les opérations de Parainnage en raison du désintérêt des audioprothésistes.

Mais la société Mindid réplique justement que la société Sonova France ne verse aucun élément probant au soutien de ses affirmations sur les circonsantces extérieures qu'elle invoque; dans son courriel du 14 mars 20117, elle écrivait que les produits ne correspondaient plus aux besoins de ses clients mais aussi aux directions de son groupe, ce qui traduit un changement de stratégie et ne peut priver sa cocontractante d'un préavis avant rupture.

La société Sonova France prétend, en troisième lieu, qu'elle n'est pas à l'origine de la résiliation des prestations du studio PAO, que c'est la société Mindid qui a décidé de conditionner la poursuite de leurs relations à une hausse très importante du prix des prestations : environ 50 % (page 15 de ses conclusions) ou 91 % (page 16 de ses conclusions) et que, dans ce contexte, la rupture des relations ne présente aucun caractère brutal; elle se réfère aux courriels échangés en novembre et décembre 2016 et en particulier à celui du 1er décembre 2016 dans lequel la société Mindid a indiqué :

- qu'elle ne comprenait pas la décision qui avait été prise à l'époque de maintenir le forfait annuel initial pour l'exercice 2016,

- qu'elle ne souhaitait pas maintenir ce forfait pour la période du 1er décembre 2016 au 31 mars 2017,

- qu'elle ne souhaitait pas aborder la question du prix des prestations pour l'année 2017 tant que la société Sonova France n'aurait pas accepté de verser un complément au titre des années 2015 et 2016, tout en précisant qu'elle n'envisageait pas autre chose qu'une facturation au temps passé, payable par provision.

Mais la société Sonova, par courriel du 20 janvier 2017 a fait savoir à la société Mindid qu'il ne lui était pas possible à ce stade et compte tenu de leurs discussions actuelles, de se positionner sur leur collaboration future ; la cour observe que dans ce courriel le représentant de la société Sonova France écrivait, pour l'année 2016 : « je serais prêt à faire un effort pour ces 40 H, soit 2 400 HT, en retour des fichiers natifs 2016 demandés ».

Il résulte de ces éléments que les parties étaient en négociation sur le prix des prestations de la société Mindid, cette dernière déclarant sans être contredite que sa demande de renégociation ne portait que sur 15 % du chiffre d'affaires total réalisé.

En raison des négociations en cours et même si les commandes étaient en baisse en 2016, la société Sonova France ne peut valablement prétendre que la rupture des relations était prévisible.

Dans ces circonstances, en mettant fin aux relations par courriel du 14 mars 2017 sans le moindre préavis écrit, la société Sonova France a rompu brutalement la relation commerciale établie.

Sur le préjudice

La société Mindid demande la somme de 77 757 en réparation de son préjudice en soutenant :

- qu'un préavis de 9 mois aurait dû lui être accordé, compte tenu de la durée des relations, soit 9 ans,

- que le préavis de 6 mois fixé par contrat-type entre annonceur et agence de publicité n'est pas applicable en l'espèce.

- que la perte de marge brute subie doit être calculée sur la base des chiffres d'affaires réalisés en 2014 et 2015, l'année 2016 ayant déjà été impactée par la décision de la société Sonova France de rompre les relations commerciales d'abord partiellement, puis totalement à compter de décembre,

- que le chiffre d'affaires annuel moyen pour ces deux années se monte à 191 401,

- que la marge brute moyenne sur ces deux exercices est de 103 667, soit 8 639 par mois,

- qu'il n'y a pas lieu de tenir compte des circonstances postérieures à la rupture, l'éventuelle capacité de la victime à rebondir après la rupture ne permettant pas à l'auteur de s'en prévaloir pour atténuer sa responsabilité

La société Sonova France conteste cette prétention et conclut à son débouté en alléguant :

- que la société Mindid n'a pas subi de préjudice, son chiffre d'affaires global ayant augmenté en 2016,

- que la moyenne des chiffres d'affaires doit être calculée sur la base des sommes qu'elle a facturées entre 2010 et 2017, soit 53 170 €,

- que le taux de marge de 50 % n'est pas démontré,

- qu'il convient d'exclure les sommes facturées par la société Mindid aux audioprothésistes, avec lesquels cette société entretenait des relations directes et auxquels elle pouvait proposer des solutions de communication nonobstant l'arrêt de leurs relations,

Subsidiairement, la société Sonova France soutient :

- que les relations ont duré 6 ans, entre le 1er novembre 2010 et le 30 novembre 2016, date à laquelle la société Mindid a souhaité revoir substantiellement à la hausse ses tarifs,

- que les prestations confiées à la société Mindid représentaient moins de 5 % de son chiffre d'affaires total et en moyenne 2 % pour les années 2013 à 2016,

- que le préavis devrait être fixé à 2 mois ou, très subsidiairement à 6 mois,

- qu'il convient d'intégrer le chiffre d'affaires réalisé en 2016, les chiffres réalisés en 2014 et 2015 n'étant pas représentatifs en raison des prestations exceptionnelles de cette période, à savoir la mise en place de la box Phonak et du Parrainage.

Il n'est justifié que de relations entretenues depuis novembre 2010 et jusque fin 2016, soit pendant 6 ans et un mois; ces relations ne s'inscrivant pas dans le cadre de celles entretenues entre annonceur et agence de publicité, la référence par la société Sonova France au contrat-type est dépourvue de pertinence; il apparaît que le chiffre d'affaires réalisé par la société Mindid avec la société Sonova France ne représentait que 1,37 % de son chiffre d'affaires total en 2013, 2,29 % en 2014 et 2,93 % en 2015.

En conséquence, le préavis que la société Sonova France aurait dû accorder doit être fixé à 3 mois, délai suffisant pour permettre à la société Mindid de se réorganiser suite à la rupture.

Le préjudice devrait en principe être basé sur la perte de marge sur coûts variables pendant cette période, mais les parties ne discutent que sur le taux de marge brute; il sera tenu compte des chiffres d'affaires des trois dernières années complétes, soit 2014, 2015 et 2016 même si cette dernière a été affectée par une diminution des commandes passées par la société Sonova France; contrairement à ce que prétend cette dernière, il n'y a pas lieu d'exclure du chiffre d'affaires de la société Mindid les prestations facturées directement aux audioprothésistes, lesquels étaient les clients de la société Sonova France pour lesquels la société Mindid n'intervenait que comme prestataire de la société Sonova France.

Le taux de marge brute de la société Mindid est justifié par attestation de son expert-comptable ; en moyenne, la marge annuelle perdue au cours des trois années 2014 à 2016 s'élève à 85 244, soit 7 103,67 par mois.

En conséquence, la société Sonova France devra payer à la société Mindit la somme de 21.311 ' en réparation de son préjudice résultant de la brutalité de la rupture.

La société Sonova France, qui succombe, doit supporter les dépens de première instance ;

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme de 8 000 à la société Mindid, pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, et de rejeter la demande de ce chef de la société Sonova France.

PAR CES MOTIFS :

Infirme le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :

Condamne la société Sonova France à payer à la société Mindid :

- la somme de 21 311, à titre de dommages intérêts, en réparation de son préjudice résultant de la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie,

- la somme de 8 000 par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne la société Sonova France aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile