DĂ©cisions

Cass. com., 22 septembre 2021, n° 18-14.894

COUR DE CASSATION

ArrĂȘt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

G7 (SA)

DĂ©fendeur :

Viacab (Sarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

PrĂ©sident :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Michel-Amsellem

Avocat gĂ©nĂ©ral :

M. Debacq

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Marlange et de La Burgade

Faits et procédure

1. Selon l'arrĂȘt attaquĂ© (Paris, 6 fĂ©vrier 2018), la sociĂ©tĂ© Viacab exploite en rĂ©gion parisienne une activitĂ© de services de rĂ©servation de taxis. Elle a poursuivi la sociĂ©tĂ© G7, qui exerce une activitĂ© de centrale radio de rĂ©servations et de courses de taxis, en rĂ©paration, en lui reprochant d'avoir mis en Ɠuvre diverses pratiques constitutives de concurrence dĂ©loyale, notamment, en proposant des contrats d'abonnement dans lesquels Ă©tait prĂ©vue la fixation de pourboires systĂ©matiques et Ă  l'avance. Selon la sociĂ©tĂ© Viacab, cette pratique constituait une infraction Ă  la rĂ©glementation sur les prix des taxis, qui impose une tarification horokilomĂ©trique dĂ©terminĂ©e par le seul compteur du taxi.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa premiÚre branche, ci-aprÚs annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraßner la cassation. Sur le moyen, pris en ses deuxiÚme, troisiÚme, quatriÚme et cinquiÚme Branches

3. La sociĂ©tĂ© G7 fait grief Ă  l'arrĂȘt de dire que les contrats d'abonnement proposĂ©s par elle, comprenant, en cas de facturation diffĂ©rĂ©e par relevĂ©, un pourboire de 15 Ă  20 % du prix de la course, sont contraires Ă  la rĂ©glementation sur les prix des taxis, qu'ils constituent un acte de concurrence dĂ©loyale et, en consĂ©quence, de lui ordonner, sous astreinte, de retirer de ses abonnements toute mention de pourboire Ă  taux fixe, ainsi que de la condamner Ă  payer Ă  la sociĂ©tĂ© Viacab la somme de 25 000 euros Ă  titre de dommages-intĂ©rĂȘts, alors : « 2°) que constitue un pourboire la gratification versĂ©e volontairement, en o sus du prix du service, par un client Ă  la personne qui effectue ledit service ; que la qualification de pourboire n'est pas subordonnĂ©e au caractĂšre modique du montant de la somme versĂ©e ; qu'en affirmant, pour retenir l'existence d'une mĂ©connaissance de la rĂ©glementation applicable au prix des taxis parisiens, constitutive de concurrence dĂ©loyale, que le pourboire prĂ©vu aux contrats "est, en l'espĂšce, d'un montant tel qu'il constitue en rĂ©alitĂ© un Ă©lĂ©ment du prix de la prestation, de sorte que le prix effectivement payĂ© par le client est significativement supĂ©rieur au prix affichĂ© au compteur du taxi", quand le montant du pourboire est indiffĂ©rent Ă  sa qualification, la cour d'appel a violĂ© l'article 1103 du code civil, ensemble et par fausse application, les articles 1 et 2 du dĂ©cret n° 87-238 du 6 avril 1987 ainsi que les arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux n° 2012-00026 du 9 janvier 2012, n° 2013-00066 du 18 janvier 2013, n° 2014-00016 du 7 janvier 2014 et n° 201500041 du 19 janvier 2015, rĂ©glementant les tarifs des taxis parisiens Ă  l'Ă©poque des faits litigieux et l'article 1382, devenu 1240, du code civil ; 3°) que le caractĂšre modique d'une gratification ne peut s'apprĂ©cier qu'au o regard des habitudes et du mode de vie du client ; qu'en se bornant, pour retenir l'existence d'une mĂ©connaissance de la rĂ©glementation applicable au prix des taxis parisiens, constitutive de concurrence dĂ©loyale, Ă  affirmer que le pourboire prĂ©vu aux contrats "est, en l'espĂšce, d'un montant tel qu'il constitue en rĂ©alitĂ© un Ă©lĂ©ment du prix de la prestation, de sorte que le prix effectivement payĂ© par le client est significativement supĂ©rieur au prix affichĂ© au compteur du taxi", sans rechercher si, pour les sociĂ©tĂ©s et personnes ayant souscrit des contrats d'abonnements pour la rĂ©servation de taxis, d'une qualitĂ© "service plus" ou "affaires", le montant de 15 Ă  20 % du prix de la course, versĂ© au chauffeur de taxi Ă  titre de pourboire, n'Ă©tait pas, au regard de leurs habitudes, un montant usuel, la cour d'appel a encore privĂ© sa dĂ©cision de base lĂ©gale au regard de l'article 1103 du code civil, des articles 1 et 2 du dĂ©cret n° 87-238 du 6 avril 1987 ainsi que des arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux n° 2012-00026 du 9 janvier 2012, n° 2013-00066 du 18 janvier 2013, n° 2014-00016 du 7 janvier 2014 et n° 201500041 du 19 janvier 2015 rĂ©glementant les tarifs des taxis parisiens Ă  l'Ă©poque des faits litigieux et de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ; 4°) que constitue un pourboire la gratification versĂ©e volontairement, en sus o du prix du service, par un client Ă  la personne qui effectue ledit service ; que la circonstance que la dĂ©cision de verser un pourboire, d'un montant dĂ©fini, aux chauffeurs de taxi, ait Ă©tĂ© prise par le client, prĂ©alablement Ă  l'exĂ©cution des services, n'est pas de nature Ă  Ă©carter la qualification de pourboire ; qu'en ce qu'elle s'est fondĂ©e, pour dire que le pourboire prĂ©vu aux contrats Ă©tait, en rĂ©alitĂ©, un Ă©lĂ©ment du prix, partant retenir l'existence d'une mĂ©connaissance de la rĂ©glementation applicable au prix des taxis parisiens, constitutive de concurrence dĂ©loyale, sur le constat que le montant du versement Ă©tait "prĂ©dĂ©terminĂ©" et qu'il n'Ă©tait ni "spontanĂ©", ni "variable", quand ces Ă©lĂ©ments Ă©taient indiffĂ©rents Ă  la qualification de pourboire, la cour d'appel a violĂ© l'article 1103 du code civil, ensemble et par fausse application, les articles 1 et 2 du dĂ©cret n° 87-238 du 6 avril 1987 ainsi que les arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux n° 2012-00026 du 9 janvier 2012, n° 2013-00066 du 18 janvier 2013, n° 2014-00016 du 7 janvier 2014 et n° 201500041 du 19 janvier 2015 rĂ©glementant les tarifs des taxis parisiens Ă  l'Ă©poque des faits litigieux et l'article 1382, devenu article 1240, du code civil ; 5°) que constitue un pourboire la gratification versĂ©e volontairement, en sus o du prix du service, par un client Ă  la personne qui effectue ledit service ; que la cour d'appel a constatĂ© que la sociĂ©tĂ© G7 proposait Ă  ses clients plusieurs types de contrats d'abonnement parmi lesquels seuls les contrats d'abonnement "Service Plus" et "Club Affaires", incluant la facturation diffĂ©rĂ©e, prĂ©voyaient le versement d'un pourboire "qui s'ajoute au montant des courses facturĂ©es" ; que l'arrĂȘt a relevĂ© que le souscripteur de ces contrats d'abonnement avait toute facultĂ©, aprĂšs chacune des courses, de modifier ou de supprimer le versement du pourboire initialement prĂ©vu ; qu'il ressort de ces constatations que les clients de la sociĂ©tĂ© G7 avaient toute libertĂ© de souscrire des abonnements ne prĂ©voyant pas le versement d'un pourboire et que, mĂȘme dans l'hypothĂšse oĂč celui-ci Ă©tait contractuellement prĂ©vu, le client pouvait toujours le supprimer ou le modifier, de sorte que le pourboire Ă©tait bien volontaire et facultatif ; qu'en affirmant cependant, pour dire que le pourboire prĂ©vu constituait un Ă©lĂ©ment du prix, partant que la sociĂ©tĂ© G7 avait mĂ©connu la rĂ©glementation applicable au prix des taxis parisiens et commis un acte de concurrence dĂ©loyale, que la centrale de rĂ©servation avait eu "une pratique gĂ©nĂ©rale de pourboire imposĂ© Ă  ses clients" et que le pourboire prĂ©vu ne prĂ©sentait pas le caractĂšre "d'une gratification facultative", la cour d'appel n'a pas tirĂ© les consĂ©quences lĂ©gales de ses constatations en violation de l'article 1103 du code civil, ensemble et par fausse application des articles 1 et 2 du dĂ©cret n 87-238 du 6 avril 1987 ainsi que des arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux n° 2012-00026 du 9 janvier 2012, n° 2013-00066 du 18 janvier 2013, n° 2014-00016 du 7 janvier 2014 et n° 201500041 du 19 janvier 2015 rĂ©glementant les tarifs des taxis parisiens Ă  l'Ă©poque des faits litigieux et de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

RĂ©ponse de la Cour

4. Ayant relevé qu'il résulte des piÚces produites que la société G7 a eu une pratique de pourboire imposé à certains de ses clients, puis retenu que le pourboire prédéterminé, de 15 à 20 % du prix de la course selon les contrats produits, ne présentait pas les caractÚres d'une gratification modique et variable, versée spontanément par le client en plus du prix de la course, la cour d'appel, sans avoir à procéder à la recherche inopérante qu'il lui est reproché d'avoir négligée, en a exactement déduit que le pourboire à taux fixe, ainsi contractuellement prévu, constituait en réalité un élément du prix de la prestation.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le moyen, pris en ses sixiĂšme et septiĂšme branches

Enoncé du moyen

6. La sociĂ©tĂ© G7 fait le mĂȘme grief Ă  l'arrĂȘt, alors : « 6°) que la qualification d'acte de concurrence dĂ©loyale suppose l'usage de o pratiques commerciales qui altĂšrent le jeu normal de la concurrence ; que la mĂ©connaissance d'une rĂ©glementation professionnelle n'est pas, en soi, nĂ©cessairement constitutive de concurrence dĂ©loyale ; qu'en se bornant, pour dire que la prĂ©vision, dans certains des contrats d'abonnement proposĂ©s par la sociĂ©tĂ© SNGT, (aujourd'hui G7), d'un pourboire de 15 Ă  20 % du prix de la course, constituait un acte de concurrence dĂ©loyale, Ă  affirmer "qu'en garantissant Ă  ses taxis affiliĂ©s un pourboire systĂ©matique substantiel, la sociĂ©tĂ© G7 s'attire potentiellement une partie de la flotte des taxis parisiens et s'assure ainsi indĂ»ment un avantage concurrentiel au dĂ©triment d'autres entreprises de taxi respectant la rĂ©glementation applicable", sans procĂ©der Ă  aucune analyse, mĂȘme sommaire, du "marchĂ©" des chauffeurs de taxis parisiens et des conditions d'affiliation des chauffeurs auprĂšs des centrales de rĂ©servation, ni rechercher, au regard, notamment, du montant habituel des pourboires versĂ©s par la clientĂšle d'affaires, utilisant des services de taxi "premium", si la prĂ©vision de ce pourboire, dans le cadre des seules courses effectuĂ©es pour des clients ayant souscrit des contrats d'abonnement "Service Plus" ou "Club Affaires", Ă©tait effectivement de nature Ă  favoriser l'affiliation de chauffeurs de taxi auprĂšs de la sociĂ©tĂ© G7 au dĂ©triment d'autres centrales de rĂ©servation, la cour d'appel a privĂ© sa dĂ©cision de toute base lĂ©gale au regard de l'article 1240 du code civil, anciennement article 1382 du mĂȘme code ; 7°) que la responsabilitĂ© fondĂ©e sur l'article 1240 du code civil suppose l'existence d'un prĂ©judice certain ; que si la perte de chance, entendue de la disparition d'une Ă©ventualitĂ© favorable, peut constituer un prĂ©judice indemnisable, encore faut-il que la chance, dont la perte est invoquĂ©e, ait Ă©tĂ© rĂ©elle et sĂ©rieuse ; que la cour d'appel a constatĂ© que la sociĂ©tĂ© G7 faisait valoir, sans ĂȘtre dĂ©mentie, que sur le marchĂ© du transport de personnes, la part de la sociĂ©tĂ© Viacab reprĂ©sentait 0,02 % en 2012 et 0,12 % en 2013, alors mĂȘme que ce marchĂ© Ă©tait en forte croissance ; qu'en se bornant cependant, pour dire que la sociĂ©tĂ© Viacab avait subi un prĂ©judice Ă©conomique, Ă©valuĂ© Ă  la somme de 25 000 euros, Ă  affirmer que la prĂ©vision de pourboire litigieuse avait fait perdre Ă  la sociĂ©tĂ© Viacab "une chance d'Ă©toffer son Ă©quipe de chauffeurs, et partant de dĂ©velopper son activitĂ©", sans rechercher, concrĂštement, si la sociĂ©tĂ© Viacab avait effectivement une chance rĂ©elle et sĂ©rieuse de dĂ©velopper son activitĂ© que la seule prĂ©vision de pourboire, dans les contrats d'abonnement "Service Plus" et "Club Affaires", commercialisĂ©s par la sociĂ©tĂ© G7, aurait fait disparaĂźtre, la cour d'appel a privĂ© sa dĂ©cision de toute base lĂ©gale au regard de l'article 1240 du code civil, anciennement article 1382 du mĂȘme code. »

RĂ©ponse de la Cour

7. AprĂšs avoir retenu que la pratique tarifaire mise en place par la sociĂ©tĂ© G7 contrevenait Ă  la rĂ©glementation applicable aux taxis parisiens, rĂ©sultant, notamment, des arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux n° 2012-00026 du 9 janvier 2012, n° 2013-00066 du 18 janvier 2013, n° 2014-00016 du 7 janvier 2014 et n° 2015-00041 du 19 janvier 2015, applicables aux faits de l'espĂšce, en vertu o de laquelle le prix doit ĂȘtre calculĂ© en temps rĂ©el par un appareil horokilomĂ©trique, en fonction des modalitĂ©s de prise en charge, de la distance et de la durĂ©e de la course, toute tarification forfaitaire Ă©tant interdite, l'arrĂȘt en dĂ©duit que cette pratique, qui avait permis Ă  la sociĂ©tĂ© G7 de s'attirer potentiellement une partie de la flotte des taxis parisiens et s'assurer ainsi indĂ»ment un avantage concurrentiel au dĂ©triment d'autres entreprises de taxis respectant la rĂ©glementation applicable, a nĂ©cessairement causĂ© un prĂ©judice Ă  la sociĂ©tĂ© Viacab, qui exerce une activitĂ© concurrente de rĂ©servation de taxis en rĂ©gion parisienne.

8. L'arrĂȘt relĂšve encore qu'il n'est pas contestĂ© que la sociĂ©tĂ© Viacab, qui a enregistrĂ© une baisse rĂ©guliĂšre de son chiffre d'affaires depuis 2012 tandis que le marchĂ© du transport de personnes progressait de mĂȘme que sa part sur ce marchĂ©, passant de 0,02 % en 2012 Ă  0,12 % en 2013, a Ă©tĂ© privĂ©e d'une chance rĂ©elle et sĂ©rieuse de dĂ©velopper son activitĂ©.

9. En l'Ă©tat de ces constatations et apprĂ©ciations, dont elle a exactement dĂ©duit que la pratique de tarification de la sociĂ©tĂ© G7 constituait des actes de concurrence dĂ©loyale, la cour d’appel qui a souverainement Ă©valuĂ© le montant du prĂ©judice qui s'en Ă©tait infĂ©rĂ© pour la sociĂ©tĂ© Viacab, a lĂ©galement justifiĂ© sa dĂ©cision.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société G7 aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société G7 et la condamne à payer à la société Viacab la somme de 3 000 euros.