Cass. com., 22 septembre 2021, n° 20-13.615
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Selarl Alliance MJ (ès qual.), Sed Exploitation (Sté)
Défendeur :
Orange (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Comte
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Marc Lévis
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 octobre 2019), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 14 novembre 2018, pourvoi n° 17-16.577), la société Sed exploitation (la société Sed), spécialisée dans l'installation et l'équipement d'antennes de télécommunications, et la société Orange France, aux droits de laquelle est venue la société Orange (la société Orange), ont entretenu pendant plus de onze années des relations commerciales. Celles-ci étant devenues conflictuelles, la société Sed reprochant à la société Orange de ne pas respecter les délais de paiement contractuels, les parties ont conclu une transaction le 12 juillet 2004, réglant les sommes dues par la société Orange et les modalités de leur paiement. Entre-temps, elles avaient également conclu, le 15 avril 2004, un contrat n° 312819 concernant des prestations de travaux. Ce contrat a été modifié par un avenant du 26 avril 2006, et, à cette même date, les parties ont conclu un nouveau contrat n° 397366, concernant des prestations de recherche et de négociation de sites. Ce dernier contrat contenait une clause stipulant qu'en cas de litige relatif au contrat, les parties convenaient de se réunir dans les sept jours à compter de la réception d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant le litige, envoyée par la partie la plus diligente à l'autre partie en vue de trouver une solution amiable et que si, au terme d'un délai d'un mois à compter de la date de la première réunion entre les parties, celles-ci ne parvenaient pas à se mettre d'accord sur une solution amiable, le litige pourrait alors être soumis par la partie la plus diligente aux tribunaux compétents de Paris auxquels les parties attribuaient exclusivement compétence.
2. La société Sed a été mise en liquidation judiciaire, M. Dubois et la société Alliance MJ étant désignés successivement liquidateur (le liquidateur).
3. Reprochant à la société Orange de payer avec retard les factures de la société Sed, le liquidateur l'a assignée en paiement de dommages-intérêts et d'une certaine somme au titre de l'exécution de la transaction. La société Orange a soulevé l'irrecevabilité de la demande pour défaut de mise en oeuvre de la tentative préalable de règlement amiable prévue au contrat.
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de dire irrecevable sa demande en paiement de dommages-intérêts au titre du préjudice financier subi par la société Sed en raison des retards de paiement imputables à la société Orange, alors « que le juge ne peut pas méconnaître l'objet du litige ; qu'en cause d'appel, le liquidateur de la société Sed exploitation avait formé des demandes ne portant pas exclusivement sur des factures établies sur le fondement du contrat n° 397366 du 26 avril 2006 relatif aux prestations de recherche et de négociation de sites, mais portant aussi sur des factures antérieures à ce contrat, et sur des factures établies sur le fondement d'un autre contrat, portant le n° 312819 relatif à des prestations de travaux ; qu'en jugeant pourtant que les demandes dont elle était saisie se rapportaient nécessairement aux retards pris dans l'exécution du contrat n° 397366 du 26 avril 2006, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige, violant ainsi les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
6. Aux termes de ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
7. Pour déclarer irrecevable la demande au titre du préjudice financier subi par la société Sed en raison des retards de paiement imputables à la société Orange, formée par le liquidateur sur le fondement des articles L. 441-6 et L. 442-6, I, 7° du code de commerce, dans leur version applicable, l'arrêt relève que les parties ont conclu un protocole transactionnel le 12 juillet 2004, dont l'article 3 se rapporte à l'indemnisation des frais financiers générés par les retards de paiement de factures, ce dont il déduit que les nouvelles demandes se rapportent nécessairement aux retards pris dans l'exécution du contrat qui a été signé le 26 avril 2006 et qui comporte la clause de conciliation.
8. En statuant ainsi, alors que le liquidateur invoquait la responsabilité de la société Orange en raison des retards de paiement des factures, au regard de l'ensemble de la relation commerciale et, notamment, concernant les prestations de recherche et de négociation de site, ceux relatifs à la période postérieure à celle couverte par la transaction du 12 juillet 2004 s'achevant au 26 avril 2006, date du contrat n° 397366, qui seul contient la clause de conciliation préalable, et, concernant les prestations de travaux, ceux portant sur les factures émises en vertu du contrat n° 312819, modifié par avenant du 26 avril 2006, la cour d'appel, qui a méconnu l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de dire irrecevable sa demande pour abus de dépendance économique imputable à la société Orange, alors « que la demande de dommages-intérêts fondée sur l'article L. 442-6, I du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, en raison de l'exploitation abusive d'un état de dépendance économique, est une action en responsabilité délictuelle ; qu'en jugeant qu'une telle action avait un fondement contractuel, la cour d'appel a violé l'article précité. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 442-6, I, 2°, b) du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 :
10. Selon ce texte, le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers d'abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d'achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées engage la responsabilité délictuelle de son auteur.
11. Pour déclarer irrecevable la demande au titre du préjudice financier subi par la société Sed par suite de l'abus de dépendance économique commis par la société Orange, formée par le liquidateur sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2o, b) du code de commerce, l'arrêt retient qu'elle revêt un caractère contractuel et ne peut porter ni sur la période antérieure au protocole du 12 juillet 2004 ni sur les manquements au contrat du 26 avril 2006.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
13. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre du protocole du 12 juillet 2004 conclu avec la société Orange, alors « que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ; que le liquidateur de la société Sed exploitation reprochant à la société Orange de ne pas avoir payé un solde de 28 560 euros HT, soit 34 157,76 euros TTC, sur les sommes mises à sa charge par le protocole d'accord du 12 juillet 2004, il appartenait à la société Orange de justifier du paiement ou du fait ayant produit l'extinction de son obligation ; qu'en reprochant pourtant au liquidateur de n'avoir pas étayé sa demande, la cour d'appel a violé l'article 1315, devenu l'article 1353, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil :
14. Aux termes de ce texte, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
15. Pour rejeter la demande en paiement du solde de la créance de la société Sed sur la société Orange, telle qu'arrêtée par la transaction du 12 juillet 2004, l'arrêt relève que la première n'a pas émis de contestation sur les modalités selon lesquelles la seconde s'est libérée des sommes prévues dans ce protocole, seule une lettre de son conseil datée du 4 mai 2007, soit presque trois années plus tard, mentionnant que les sommes dues n'auraient pas été intégralement acquittées.
16. En statuant ainsi, alors qu'en produisant la transaction du 12 juillet 2004, la société Sed établissait l'existence et le montant de sa créance, ce dont il résultait qu'il incombait à la société Orange de prouver qu'elle s'était acquittée de sa dette, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.
Et sur le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
17. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande pour rupture brutale de relations commerciales établies avec la société Orange, alors « que la décision de recourir à un appel d'offres, qui manifeste l'intention de ne pas poursuivre la relation commerciale aux conditions antérieures, ne dispense pas d'accorder un préavis suffisant au partenaire ; qu'en se bornant à relever que, du fait d'un appel d'offres lancé en décembre 2007, à l'issue duquel la candidature de la société Sed n'avait pas été retenue, la fin des relations contractuelles relatives aux prestations de travaux était justifiée, sans caractériser, ce qui était contesté, qu'un préavis suffisant avait été laissé à la société Sed entre la notification de la décision de recourir à un appel d'offres et la cessation effective des relations commerciales, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :
18. Selon ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
19. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts pour brutalité de la rupture des relations commerciales établies, l'arrêt retient que la société Orange se prévaut d'un appel d'offres portant sur une consultation de travaux auquel la société Sed a participé, sans finalement être retenue, situation rendant légitime la fin des relations contractuelles relatives aux prestations de travaux.
20. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, en notifiant à la société Sed son intention de recourir à une procédure d'appel d'offres pour les prestations de travaux qui lui étaient jusque là confiées, manifestant ainsi son intention de rompre la relation commerciale établie entre les parties, la société Orange lui avait accordé un préavis suffisant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.