Cass. com., 22 septembre 2021, n° 18-26.690
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Torbay
Défendeur :
France assistance conseils et services (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Michel-Amsellem
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Delamarre et Jehannin, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 16 octobre 2018), la société France assistance conseil et services (la société FACS), qui exerce une activité de conseil et gestion financière à destination des collectivités locales et organismes publics auxquels elle propose une étude de leur endettement ainsi que des possibilités de renégocier leurs emprunts, a conclu avec Mme Torbay, le 20 mai 2009, un contrat d'apporteur d'affaires pour « des prestations d'économies sur contrats de prêts en cours, économies sur contrats de prêts qui ont été renégociés, recherche de nouveaux financements ». Il était précisé que les primes dues à Mme Torbay lui seraient versées dans un délai de quinze jours après encaissement des facturations du client. Ce contrat, que les parties ont qualifié d'agence commerciale, a été résilié le 3 mars 2011 par la société FACS.
2. Soutenant qu'à la suite de son intervention en Guadeloupe, trois conventions, deux avec la commune de Baillif et une avec celle de Pointe-à-Pitre, avaient été conclues par elle, sans qu'aucune commission ne lui ait été versée et invoquant divers préjudices, Mme Torbay a, le 12 juin 2015, assigné la société FACS en réparation et en paiement de commission.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui, nouveau et mélangé de fait et de droit, est irrecevable.
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisièmes branches
Enoncé du moyen
4. Mme Torbay fait grief à l'arrêt de prononcer la déchéance de ses demandes tendant au paiement du manque à gagner et de « l'exploitation des données », alors :
« 1°) que toute demande par laquelle l'agent commercial entend faire valoir ses droits, notifiée au mandant dans l'année de la rupture du contrat, interrompt le délai de déchéance ; qu'en l'espèce, pour juger que l'assignation en référé délivrée par Mme Torbay à la société FACS le 29 avril 2011, dans l'année de la résiliation du contrat par le mandant le 3 mars 2011 n'aurait pas interrompu le délai, la cour d'appel a retenu que "l'action exercée devant le tribunal de commerce de Créteil avait pour unique but le paiement d'une prestation précise sur la commune de Baillif, de sorte qu'elle ne constitue pas une demande en paiement d'une indemnité compensatrice au sens de l'article L. 314-12 du code de commerce" ; qu'en statuant ainsi, quand toute demande de l'agent commercial tendant à faire valoir ses droits, n'aurait-elle pas pour objet le paiement d'une indemnité de rupture, interrompt le délai de déchéance, la cour d'appel a violé l'article L. 134-12 du code de commerce ;
3°) que seule la demande en paiement d'une indemnité compensatrice en réparation du préjudice résultant de la rupture du contrat d'agent commercial est soumise au délai de déchéance d'un an ; que l'indemnité de rupture a pour objet de réparer le préjudice qui résulte pour l'agent commercial de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune ; qu'en l'espèce, Mme Torbay sollicitait notamment réparation d'un préjudice causé par la déloyauté de la société FACS en ses termes : "la volonté unique de M. Rispoli [dirigeant de cette société] a été de "spolier le travail" réalisé par la concluante sans bourse délier. Ce comportement malhonnête ne pourra être que sanctionné par l'octroi d'une indemnisation conséquente au profit de Mme Torbay" ; qu'en retenant que cette demande serait soumise au délai de déchéance d'un an, quand elle ne compensait pas la perte de revenus pour l'avenir tirés de l'exploitation de la clientèle commune, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 134-12 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
5. D'une part, l'article L. 134-12 du code de commerce, selon lequel l'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans le délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits, n'institue pas une prescription extinctive de l'action de l'agent commercial mais une déchéance de son droit à réparation, de sorte que les règles de la prescription de l'action ne sont pas applicables et que le premier grief, qui invoque l'interruption de ce délai, n'est pas fondé.
6. D'autre part, l'arrêt ayant relevé que la demande en paiement au titre de l'exploitation des données recueillies par Mme Torbay correspondait au travail de prospection réalisé au cours du contrat consistant à recueillir l'état d'endettement des communes, puis retenu que cette demande en paiement constituait une demande de réparation du préjudice subi du fait de la rupture, la cour d'appel en a exactement déduit, sans qu'importe que Mme Torbay ait mentionné, dans ses conclusions, le caractère déloyal du comportement de la société FACS, que cette demande ayant été formée en 2015, plus d'une année après la cessation du contrat, Mme Torbay était déchue de son droit à indemnisation à ce titre.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
8. Mme Torbay fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à la condamnation de la société FACS au paiement des sommes de 38 280 euros au titre du solde de la prestation d'expertise des prêts renégociés et de 23 004 euros correspondant à la prestation d'expertise des prêts non renégociés de la commune de Baillif, et de 7 200 euros correspondant à la prestation d'expertise de tous les prêts de la commune de Pointe-à-Pitre, alors :
« 1°) que le mandant est tenu d'une obligation d'information envers l'agent commercial ; qu'il doit lui remettre un relevé des commissions dues mentionnant tous les éléments sur la base desquels le montant des commissions a été calculé ; que l'agent commercial est en droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues ; que ne saurait donc être rejetée, faute de preuve, la demande en paiement de commissions formée par l'agent commercial quand le mandant n'a pas communiqué les éléments comptables nécessaires à la détermination du montant du droit à commissions ; qu'en l'espèce, Mme Torbay soutenait expressément dans ses conclusions que sa demande en paiement de commissions dues au titre du contrat conclu entre la commune de Baillif et la société FACS ne pouvait être rejetée "en l'état de l'absence de toute communication de la part de l'appelante" ; qu'en la déboutant pourtant de ses demandes sur ce point "faute pour Mme Torbay de démontrer la réalité des gains de la société FACS sur ce contrat", la cour d'appel a violé les articles L. 134-4 et R. 134-3 du code de commerce ;
2°) que le mandant est tenu d'une obligation d'information envers l'agent commercial ; qu'il doit lui remettre un relevé des commissions dues mentionnant tous les éléments sur la base desquels le montant des commissions a été calculé ; que l'agent commercial est en droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues ; que ne saurait donc être rejetée, faute de preuve, la demande en paiement de commissions formée par l'agent commercial quand le mandant n'a pas communiqué les éléments comptables nécessaires à la détermination du montant du droit à commissions ; qu'en l'espèce, Mme Torbay soutenait expressément dans ses conclusions que sa demande en paiement de commissions dues au titre des prestations réalisées sur la commune de Pointe à Pitre ne pouvait être rejetée "en l'état de l'absence de toute communication de la part de l'appelante" ; qu'en déboutant pourtant Mme Torbay de ses demandes sur ce point au prétexte qu' "il n'est justifié d'aucune convention signée avec la commune de Pointe à Pitre, qui aurait permis à la société FACS de facturer un intéressement, de sorte qu'aucune demande ne peut aboutir à ce titre", la cour d'appel a violé les articles L. 134-4 et R. 134-3 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 134-4 et R. 134-3 du code de commerce :
9. Selon le premier de ces textes, les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties et les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.
10. Selon le second, l'agent commercial a le droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations, en particulier un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues.
11. Pour rejeter les demandes en paiement des sommes de 38 280 euros et de 23 004 euros correspondant à la prestation d'expertise des prêts renégociés et non renégociés de la commune de Baillif, l'arrêt, après avoir relevé que Mme Torbay ne produisait aucun élément démontrant que la société FACS aurait facturé à la commune de Baillif d'autres prestations que celles déjà connues, notamment, pour une somme de 269 900 euros et que la convention signée avec cette commune ne permettait pas d'établir l'existence d'une économie de plus de 2,7 millions d'euros générant un revenu de près de 270 000 euros pour la société FACS, retient que Mme Torbay ne démontre pas la réalité des gains de la société FACS sur ce contrat.
12. Pour rejeter également la demande en paiement de la somme de 7 200 euros au titre de la prestation d'expertise de tous les prêts de la commune de Pointe-à-Pitre, l'arrêt retient qu'il n'est justifié d'aucune convention signée avec cette commune qui aurait permis à la société FACS de facturer un intéressement.
13. En statuant ainsi, alors qu'il appartenait à la société FACS de fournir à Mme Torbay toutes les informations, en particulier un extrait des documents comptables propres à lui permettre de vérifier le montant des commissions qui lui étaient éventuellement dues, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
14. Mme Torbay fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce que la société FACS soit condamnée au paiement d'une somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral, alors que « le mandant est tenu d'une obligation d'information envers l'agent commercial ; qu'il doit lui remettre un relevé des commissions dues mentionnant tous les éléments sur la base desquels le montant des commissions a été calculé ; que l'agent commercial est en droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues ; que l'agent commercial a droit à la commission lorsque l'opération est principalement due à son activité au cours du contrat d'agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat ; qu'il incombe donc au mandant d'informer l'agent commercial des opérations conclues postérieurement à la rupture du contrat d'agence commerciale ; que Mme Torbay soutenait en l'espèce que la société FACS avait manqué à son devoir de loyauté et lui avait causé un préjudice moral en s'abstenant de la tenir informée des contrats conclus entre son mandant et les collectivités territoriales postérieurement à la rupture du contrat d'agence commerciale ; que pour la débouter de sa demande à ce titre, la cour d'appel a retenu que "Mme Torbay ne peut sérieusement reprocher à la société FACS de ne pas l'avoir tenue informée de la signature de contrats passés postérieurement à la rupture – mais dont elle aurait été l'initiatrice – alors même qu'elle ne démontre pas l'existence de tels contrats" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 134-4 et R. 134-3 du code de commerce, ensemble l'article L. 143-7 de ce code. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
15. La société FACS conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que si Mme Torbay sollicitait la confirmation du jugement ayant accueilli sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, elle n'avait pas fait la moindre référence à un quelconque droit à commission né de contrats conclus par la société FACS après la résiliation du mandat les liant, mais invoquait seulement un préjudice moral consécutif à une situation de surendettement et à son expulsion de son logement.
16. Cependant, outre que le jugement a retenu que la société FACS avait commis une faute résultant de ce qu'elle avait mis fin à l'accord sans tenir Mme Torbay informée ultérieurement du sort des contrats passés avec certaines communes à la suite de contacts initiés par elle, ce dont il se déduit que la question était dans le débat, Mme Torbay a, dans ses écritures devant la cour d'appel, à nouveau invoqué ce comportement qui l'avait privée du droit de recevoir la rémunération des prestations effectuées en exécution du contrat d'agence.
17. Le moyen qui n'est pas nouveau est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 134-4, L. 134-7 et R. 134-3 du code de commerce :
18. Selon le deuxième de ces textes, pour toute opération commerciale conclue après la cessation du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission lorsque l'opération est principalement due à son activité au cours du contrat d'agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat.
19. Pour rejeter la demande de Mme Torbay tendant à la réparation de son préjudice moral, résultant de ce que la société FACS ne l'avait pas tenue informée ultérieurement de la suite des contrats initiés par elle, la cour d'appel retient qu'elle ne démontre pas l'existence de tels contrats.
20. En statuant ainsi, alors qu'il appartenait à la société FACS de fournir à Mme Torbay toutes les informations, en particulier un extrait des documents comptables propres à lui permettre de vérifier le montant des commissions qui lui étaient éventuellement dues après la cessation du contrat d'agence, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de Mme Torbay en paiement des sommes de 38 280 euros correspondant au solde de la prestation due sur la commune de Baillif pour l'expertise des prêts renégociés et de 23 004 euros correspondant à la prestation due pour l'expertise des prêts non renégociés, ainsi que de la somme de 7 200 euros correspondant à la prestation d'expertise de tous les prêts réalisée pour la commune de Pointe-à-Pitre et en ce qu'il rejette sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, l'arrêt rendu le 16 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.