CA Aix-en-Provence, 1re et 6e ch. réunies, 23 septembre 2021, n° 20/07642
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Energie France Environnement (SARL)
Défendeur :
Cpam du Puy De Dome, Maaf Assurances (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Noel
Conseillers :
Mme Vella, Mme Allard
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme Elodie E. est locataire d'un appartement sis à la Seyne sur Mer, appartenant en copropriété à Mme Christine G., équipé d'un système de climatisation installé par la société Energie France Environnement (EFE) le 12 juillet 2010.
Le 13 juillet 2015, un incendie s'est déclaré sur le balcon de l'appartement au niveau de l'unité extérieure de l'appareil de climatisation. Mme E., qui était sur le balcon au moment de l'incident, a subi des brûlures intéressant 15 % de la surface corporelle en deuxième degré superficiel, localisées au niveau des faces postérieures des deux membres inférieurs, ainsi qu'au niveau de l'avant-bras gauche et de la main gauche.
En 2016, elle a saisi le juge des référés qui, par ordonnance du 19 avril 2016 a désigné d'une part un médecin expert en la personne du docteur P., ensuite remplacé par le docteur B., d'autre part un expert technicien en la personne de M. François N..
Ce dernier a déposé son rapport le 17 octobre 2017. Le docteur B. a déposé son rapport le 28 novembre 2018.
Par acte du 14 mars 2019, Mme E. a fait assigner la société EFE, installateur de l'appareil, sa bailleresse, Mme G., et son assureur multirisques habitation, la société mutuelle assurance des artisans français (MAAF assurances) devant le tribunal de grande instance de Toulon, afin d'obtenir, au contradictoire de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Puy de Dôme intervenant pour le compte du régime social des indépendants, l'indemnisation de son préjudice corporel.
Par jugement du 2 juillet 2020, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Toulon a :
- condamné la société EFE à payer à Mme E. 1a somme de 19 155,25 euros ;
- condamné la société EFE à payer à la CPAM du Puy de Dôme la somme de 4 326,03 euros ;
- dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la présente décision, avec anatocisme ;
- débouté les parties du surplus de ses demandes indemnitaires ;
- condamné la société EFE à payer à Mme E. la somme de 2 000 euros et à la CPAM du Puy de Dôme la somme de 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société EFE aux dépens, comprenant les deux expertises judiciaires, avec distraction au profit de maîtres B., L..
Le tribunal a détaillé ainsi les différents chefs de dommage de la victime directe :
- frais divers : 994 euros
- incidence professionnelle : rejet
- déficit fonctionnel temporaire : 2 661,25 euros
- préjudice esthétique temporaire : 500 euros
- souffrances endurées : 6 000 euros
- déficit fonctionnel permanent : 6 000 euros
- préjudice esthétique permanent : 3 000 euros
Pour statuer ainsi, il a considéré que :
- la preuve de l'imputabilité de l'accident à un dysfonctionnement intrinsèque de l'unité extérieure de la pompe à chaleur est rapportée aux termes des conclusions de l'expertise technique ;
- l'incident n'est pas dû à un maniement défectueux de la chose par le gardien technique de l'élément extrinsèque
- la garde de la structure n'a pas été transférée à Mme G., propriétaire, qui n'avait aucune possibilité de déceler le vice ;
- aucune règle ne limite à cinq ans la garde de la structure par le fabricant, celle-ci dépendant de l'usage auquel est destiné le compresseur ;
- en application de l'article 1242 al 1 du code civil, la société EFE, demeurée gardien de la structure, est responsable des dommages causés à Mme E. par l'incendie de l'appareil.
Par acte du 12 août 2020, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la société EFE a interjeté appel de cette décision en visant expressément chacun des chefs du dispositif.
Mme G., la société Maaf assurances, Mme E. et la CPAM du Puy de Dôme ont relevé appel incident.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 8 juin 2021.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions en date du 7 mai 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société EFE demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
A titre principal,
- débouter les parties de toutes leurs demandes à son encontre ;
- condamner tout succombant à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens distraits au profit de Me M., avocat ;
A titre subsidiaire,
- liquider le préjudice de Mme E. à 12 506, 05 euros ;
- débouter Mme E. de ses autres demandes et les autres parties de toutes leurs demandes dirigées à son encontre ;
En tant que de besoin,
- condamner Mme E. et la CPAM à lui restituer les sommes versées au titre de l'exécution provisoire.
A titre subsidiaire, elle chiffre les postes de préjudice comme suit :
Frais d'assistance à expertise : 400 euros
Tierce personne temporaire : 345 euros
Déficit fonctionnel temporaire : 2 661,05 euros
Souffrances endurées : 3 500 euros
Préjudice esthétique temporaire : 300 euros
Déficit fonctionnel permanent : 3 800 euros
Préjudice esthétique permanent : 1 500 euros
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que :
- l'action en responsabilité du fait des produits défectueux est prescrite puisque le délai d'action commence à courir à compter de la date à laquelle la victime a eu connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur ; en l'espèce, ces éléments ont été connus lors du dépôt du rapport d'expertise le 17 octobre 2017 et Mme E. n'a formulé des demandes à ce titre que dans le cadre de la procédure d'appel soit hors délai ;
- pour pouvoir être mobilisée, la responsabilité du fait des choses suppose que le dommage provienne de la chose, en l'espèce l'appareil de climatisation, ce qui n'est pas le cas puisque si l'expert a localisé un point chaud sur l'appareil, il n'en a pas identifié la cause ; l'incendie peut s'expliquer par des causes extérieures, notamment l'introduction de corps étrangers à l'intérieur de l'unité de climatisation ; l'expert s'est arrêté à l'hypothèse la plus plausible mais qui n'est pas certaine ;
- elle n'a pas la qualité de gardien de la chose puisqu'elle n'est pas le fabricant de l'appareil, qu'elle n'a assuré aucun service après-vente , qu'elle n'est jamais intervenue sur l'appareil après sa vente et que, s'agissant de la garantie pièces et compresseur, elle était expirée à la date de l'accident ;
- il appartenait à Mme E., tout comme à Mme G., d'agir à l'encontre du fournisseur ou du fabricant de la pièce identifiée comme étant à l'origine de l'incident puisque ceux-ci ont été identifiés aux termes des opérations d'expertise ;
- sur les préjudices, Mme E. ne démontre pas que l'arrêt de son activité professionnelle est imputable au fait dommageable.
Dans ses dernières conclusions d'intimée et d'appelante incidente en date du 9 février 2021, auxquelles il convient de renvoyer pour un exposé plus exhaustif des moyens, Mme E. demande à la cour, au visa des articles 1242 alinéa 1 et 1245 du code civil, de :
- débouter la société EFE des fins de son appel ;
A titre principal,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société EFE à réparer son entier préjudice
Subsidiairement,
- réformer le jugement entrepris ;
- au visa des article 1242 et 1719 du code civil, condamner Mme G. à réparer son entier préjudice ;
Très subsidiairement,
- réformer le jugement entrepris ;
- condamner la société MAAF assurances, à l'indemniser de son préjudice ;
En tout état de cause,
- confirmer le jugement en ce qui concerne le montant des sommes allouées au titre des postes frais d'assistance à expertise, aide par tierce personne temporaire, déficit fonctionnel temporaire, souffrances endurées, préjudice esthétique temporaire et incidence professionnelle ;
- réformer le jugement en ce qui concerne le montant des sommes allouées au titre du déficit fonctionnel permanent et du préjudice esthétique permanent
- condamner tout succombant à lui payer à ce titre 11 580 euros ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société EFE à lui payer 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant les deux expertises judiciaires ;
Y ajoutant,
- condamner tout succombant à lui payer 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux termes des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que :
- contrairement à ce que soutient la société EFE les circonstances du sinistre ont été déterminées par l'expert qui a conclu que l'unité extérieure de la pompe à chaleur avait pris feu suite à l'apparition d'un point chaud au niveau de la self assurant le lissage courant de l'appareil, la haute température générée par le feu ayant conduit à l'augmentation de la pression dans le condenseur au-delà de la capacité de résistance mécanique des matériaux et provoqué la rupture d'un coude engendrant elle-même une projection de fluide frigorigène chargé d'huile, chaud et sous pression sur elle alors qu'elle se trouvait sous l'appareil afin de déterminer la provenance de la fumée ;
- l'expert a expressément exclu l'hypothèse d'une introduction de corps étrangers à l'intérieur de l'unité de climatisation pour privilégier comme seule cause possible de l'embrasement celle du point chaud au niveau de la self ;
- la société EFE est le gardien de la structure et comme tel engage sa responsabilité du fait des dommages causés par la chose, étant précisé que la garde de la structure d'un produit peut être attribuée au vendeur qui n'en est pas le fabricant dès lors qu'il assure un service après-vente ou intervient pour effectuer des réparations et, qu'en tout état de cause, la pompe à chaleur disposant d'un dynamisme propre capable de se manifester dangereusement la société qui l'a vendu en a conservé la garde malgré des ventes successives ; subsidiairement, la société EFE engage sa responsabilité du fait de la défectuosité du produit ;
- si la responsabilité de la société EFE n'est pas engagée à son égard, Mme G., propriétaire de l'appartement et du système de climatisation, est responsable sur le fondement de l'article 1242 du code civil en tant que gardien du comportement de la chose ou sur le fondement de l'article 1719 du code civil pour trouble de jouissance, l'expert ayant relevé que l'installation électrique générale de l'appartement n'était pas conforme à la réglementation en vigueur ;
- à titre infiniment subsidiaire, son assureur la société MAAF, auprès de laquelle elle a souscrit un contrat d'assurance habitation, doit l'indemniser de son préjudice corporel en exécution du contrat.
Dans ses dernières conclusions d'intimée et d'appelante incidente, en date du 9 février 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Mme G. demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement en ce qu'il l'a mise hors de cause ;
- débouter toutes parties de leurs demandes, fins et conclusions à son encontre ;
A titre subsidiaire, dans le cas où sa responsabilité serait engagée,
- condamner la société EFE à la garantir de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre ;
- réformer le jugement en ce qu'il a alloué à Mme E. la somme de 19 155,25 euros ;
- limiter le droit à indemnisation de Mme E. à hauteur de 50 % en raison de la faute commise par celle-ci ;
- évaluer le préjudice après application d'un taux de réduction de 50 % à 8 554,63 euros ;
- condamner la société EFE ou tout autre succombant à lui payer la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société EFE ou tout succombant aux dépens distraits au profit de Me Sylvie L..
Elle fait notamment valoir que :
- l'expert a effectué des tests et démontré par le démontage de l'unité extérieure l'existence d'un point chaud qui est à l'origine de l'embrasement de l'appareil ;
- l'appareil était encore sous garantie lors de l'incident ;
- sa qualité de propriétaire de l'appareil ne la désigne pas comme gardienne de celle-ci ; en matière de responsabilité du fait des choses, lorsque la chose a un dynamisme propre et dangereux, la garde de la structure doit être distinguée de la garde du comportement, étant précisé qu'un compresseur constitue une chose dangereuse, de sorte que c'est la société EFE qui était gardienne de la structure ; en tout état de cause, l'appareil de climatisation étant un élément d'équipement du logement, la garde en a été transférée à la locataire ;
- il résulte de l'expertise que les protections anti-court-circuits de l'appartement fonctionnaient alors que le store électrique s'était bloqué, Mme E. a décidé de passer à quatre pattes sous celui-ci pour déterminer d'où provenait la fumée et c'est à ce moment que l'explosion s'est produite de sorte qu'elle a commis une imprudence sans laquelle elle n'aurait pas été blessée.
Dans ses dernières conclusions d'intimée et d'appelante incidente, en date du 8 février 2021, auxquelles il convient de renvoyer pour un exposé plus exhaustif des moyens, la société MAAF assurances demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a omis de statuer sur sa demande de condamnation de Mme E. à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à payer les dépens distraits au profit de Maître Pierre E. ;
Statuant à nouveau,
- condamner Mme E. à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance ;
- condamner Mme E. aux dépens de première instance, distraits au profit de Maître Pierre E. ;
- confirmer le jugement en ses autres dispositions ;
- condamner la société EFE à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel ;
- condamner la société EFE aux dépens d'appel, distraits au profit de Maître Olivier S..
Elle fait valoir que le contrat souscrit est un contrat d'assurance de dommages aux biens de l'assuré, ce qui exclut la réparation du préjudice corporel et qu'en ce qui concerne la responsabilité civile, le contrat garantit seulement les dommages causés aux tiers ; or, Mme E., assurée, ne sollicite que la réparation de son propre dommage corporel.
Dans ses dernières conclusions d'intimée et d'appelante incidente, en date du 30 novembre 2020, auxquelles il convient de se référer pour un exposé des moyens, la CPAM du Puy de Dôme demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé son intervention volontaire recevable et bien fondée, comme venant aux droits et actions de la caisse RSI d'Auvergne elle-même agissant au nom et pour le compte du RSI Côte d'Azur suivant convention de délégation, jugé ses débours strictement imputables aux conséquences dommageables de l'accident du 13 juillet 2015 à hauteur de 4 326,03 euros, condamné la société EFE à lui verser le montant total de ses débours ; avec intérêts au taux légal à compter du jour de la demande, soit depuis les présentes conclusions, qui se capitaliseront par application des dispositions des articles 1231-7 et 1343-2 du code civil, ainsi que 800 ' au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;
- réformer le jugement en ce qu'il a omis de rappeler dans son dispositif la condamnation à son profit à hauteur de 1 091 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L376-1 alinéa 6 du code de la sécurité sociale, revalorisée suivant arrêté du 27/12/2019 ;
- réformer le jugement en ce qu'il a omis de statuer sur sa demande au titre des dépens ;
- condamner tout succombant à lui verser 4 326,03 euros correspondant aux débours exposés avec intérêts au taux légal à compter du jour de la demande, soit depuis les présentes conclusions, qui se capitaliseront par application des dispositions des articles 1231-7 et 1343-2 du code civil,
1 091 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L376-1 alinéa 6 du code de la sécurité sociale ;
- condamner tout succombant à lui verser à la somme de 1 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, outre les entiers dépens distraits au profit de Me C., avocat.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'arrêt sera contradictoire conformément aux dispositions de l'article 467 du code de procédure civile.
Sur le droit à indemnisation
Sur les demandes à l'encontre de la société EFE
Mme E., qui conclut à la confirmation du jugement, dirige sa demande à l'encontre de la société EFE à titre principal sur le fondement des dispositions de l'article 1242 al 2 du code civil (responsabilité du fait des choses) et subsidiairement sur les dispositions des articles 1245 et suivants du code civil (responsabilité du fait des produits défectueux).
Elle sollicite l'indemnisation du préjudice corporel subi le 13 juillet 2015 à la faveur de projections qui se sont produites lors de l'incendie de l'unité extérieure de la pompe à chaleur multi split qui assure le chauffage et le rafraîchissement de l'appartement qu'elle loue à Mme G..
M. N., expert technique désigné par le juge des référés, conclut dans son rapport que l'incendie de l'appareil est dû à un défaut interne de celui-ci. Il expose qu'après avoir procédé au démontage de l'unité extérieure de climatisation, il a découvert l'existence d'un point chaud qui, selon lui, 'est assurément à l'origine de l'embrasement de l'appareil'.
Plus précisément, il explique que :
- la self de l'appareil, qui assure le lissage du courant, a créé un point chaud (soit par surcharge du compresseur, soit par défaut de l'électronique de puissance) qui a embrasé la zone inférieure de l'unité, le feu se propageant ensuite à l'hélice du ventilateur de condenseur qui est en plastique et à la grille de protection de l'hélice qui a fondu ;
- ce double foyer a créé une chaleur intense au niveau de l'échangeur de l'appareil, les flammes léchant le condenseur ayant entrainé une montée en puissance de la température, une évaporation du fluide jusqu'à saturation et bien au-delà du point critique du fluide frigorigène ainsi qu'une forte pression dans le condenseur ;
- le point de rupture se situe au niveau de l'un des coudes de l'échangeur.
Le raisonnement de l'expert se fonde sur le fait qu'au niveau du point chaud, le seul appareil dans la zone est un transformateur ou self enfermé dans une boîte métallique qui présente des traces évidentes de montée en température.
La société EFE a formulé un dire évoquant l'hypothèse d'une introduction de corps étrangers et l'expert y a répondu en faisant valoir que ses constatations techniques, notamment la déformation allant de l'intérieur de l'appareil vers l'extérieur, excluaient que l'origine du foyer soit liée à une éventuelle projection du ventilateur. Selon lui, les marques observées s'expliquent par la projection brutale d'un bout d'ailette aluminium mais il a maintenu que la grille de protection du ventilateur était présente lors de l'incident, qu'elle avait joué son rôle de protection contre l'introduction de corps étrangers mais qu'elle avait intégralement fondu. Ainsi, dès lors que la grille était en place, il est exclu que l'incident ait pour origine la présence de corps étrangers de gros volume dans l'unité.
Enfin, selon lui, l'hypothèse d'un mauvais entretien de l'appareil et de la présence de poussières ayant endommagé les pâles du ventilateur est sans fondement.
L'expert est formel sur le fait que l'appareil n'ayant pas de boîte noire permettant de déterminer a posteriori ce qui s'est passé, les deux seules causes possibles de l'embrasement sont une surcharge du compresseur ou un défaut de l'électronique de puissance, l'un ou l'autre ayant entraîné l'apparition d'un point chaud lié au compresseur et son électronique de puissance. Les autres hypothèses évoquées doivent être éliminées.
Par ailleurs, il a effectué des tests dans l'appartement et conclu que les protections anti-court-circuit de l'appartement fonctionnaient.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le dommage a pour origine un défaut intrinsèque de la pompe à chaleur multi split, laquelle n'offrait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre.
Lorsqu'un produit n'offre pas la sécurité à laquelle on peut s'attendre dans des circonstances prévisibles et qu'il risque de porter atteinte à l'intégrité corporelle d'un individu ou de dégrader des biens, il doit être qualifié de défectueux.
Un appareil de climatisation est un produit.
Or, le Conseil des communautés européennes a adopté le 25 juillet 1985 une directive relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. La France a transposé cette directive en droit interne par une loi n° 98-389 du 19 mai 1998 qui a créé un nouveau titre dans le code civil, comprenant les articles 1386-1 et suivants, applicables, selon l'article 21, aux produits dont la mise en circulation est postérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi.
En l'espèce, l'appareil litigieux est un multisplit Inverter qui aurait été fabriqué par une société MIDEA sise à Rungis, puis floquée de la marque AERIS, propriété de M. D., gérant de la société Action Conseil D., qui l'a elle-même fourni à la société EFE.
Ni la société Action Conseil D., qui a fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire du 16 mai 2012, ni la société MIDEA n'ont été appelées en cause par Mme E.. La société Action Conseil D., représentée par son liquidateur judiciaire, a été assignée en référé aux fins d'extension des opérations d'expertise, mais elle n'a pas été appelée en cause dans la procédure au fond.
La date de mise en circulation de cet appareil n'est établie par aucune des pièces produites aux débats, mais il était neuf lorsque la société EFE l'a commercialisé. Or, sa vente à Mme G. a eu lieu en juillet 2010. Dans ces conditions, il doit être considéré que la mise en circulation du produit a bien eu lieu postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 qui a transposé en droit français la directive européenne du 25 mai 1985.
Le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux exclut l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun dès lors que le dommage est dû à un défaut de sécurité d'un produit, à l'exception de la garantie des vices cachés ou de la responsabilité pour faute, sous réserve que la victime démontre l'existence d'une faute distincte de ce défaut de sécurité.
En effet, la CJUE a jugé que l'article 13 de la directive européenne du 25 mai 1985 ne pouvait être interprétée comme laissant aux Etats membres la possibilité de maintenir un régime général de responsabilité du fait des produits défectueux différent de celui visé par la directive, de sorte que les droits conférés par la législation d'un Etat membre aux victimes d'un dommage causé par le défaut d'un produit au titre d'un régime général de responsabilité ayant le même fondement que celui mis en place par la directive peuvent se trouver limités ou restreints à la suite de la transposition de la directive dans l'ordre juridique interne d'un Etat. Au regard de cette jurisprudence, le tiers victime d'un dommage causé par le défaut d'un produit se voit privé du bénéfice de la jurisprudence de droit commun qui, sur le fondement de l'article 1242 du code civil retenait la responsabilité de plein droit du gardien de la structure d'une chose.
Enfin, le juge doit interpréter les textes de droit interne à la lumière de la directive communautaire du 25 mai 1985.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que si avant la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 la victime d'un dommage causé par un produit défectueux pouvait, en l'absence de lien contractuel, agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, notamment sur la responsabilité du fait des choses en faisant jouer la distinction entre garde de la structure et garde du comportement, tel n'est plus le cas depuis l'entrée en vigueur de cette loi.
La responsabilité du fait des produits défectueux, prévue aux articles 1386-1 du code civil dans leur version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 qui a réformé le droit des contrats, est d'ordre public. Elle s'applique à toutes les victimes de dommages causés par la défectuosité d'un produit sans distinction selon qu'un contrat a été conclu ou non.
Si aux termes de l'article 1386-17, son régime n'est pas exclusif, ne subsistent au profit de la victime que les actions fondées sur le vice caché ou sur la faute à condition que la victime rapporte la preuve d'une faute distincte du défaut de sécurité.
En l'espèce, Mme E. invoque le défaut intrinsèque de l'appareil à savoir le fait que la self de l'appareil, qui a pour vocation d'assurer le lissage du courant, ait créé un point chaud (soit par surcharge du compresseur, soit par défaut de l'électronique de puissance) qui a embrasé la zone inférieure de l'unité.
Elle ne peut donc agir en réparation de son dommage corporel que sur le fondement des articles 1386-1et suivants du code civil.
Le bien fondé de l'action sera donc examiné au regard des dispositions des articles 1386-1 et suivants du code civil, dans leur version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, l'appareil ayant été mis en circulation avant l'entrée en vigueur de cette ordonnance.
La société EFE soutient que l'action est prescrite au motif que les demandes de Mme E. au titre de l'article 1245 (anciennement 1386-1) du code civil ont été formulées pour la première fois dans des écritures notifiées le 9 février 2021, soit plus de trois ans après le dépôt du rapport d'expertise qui a révélé le défaut de l'appareil.
Selon l'article 1386-16 du code civil, l'action en réparation fondée sur la défectuosité d'un produit se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.
La prescription est interrompue par une demande en justice.
En l'espèce, le rapport d'expertise technique a été déposé le 17 octobre 2017 et le rapport d'expertise médicale le 23 novembre 2018.
La cour n'est pas en possession de l'assignation que Mme E. a fait délivrer 14 mars 2019. Le jugement du tribunal judiciaire de Toulon ne contient aucun élément sur le ou les fondements juridiques invoqués par celle-ci à titre principal et éventuellement subsidiaire au soutien de sa demande d'indemnisation mais les motifs de la décision font à tout le moins état des dispositions de l'article 1242 du code civil.
En tout état de cause, l'action judiciaire initiée par Mme E. le 14 mars 2019 tendait à l'indemnisation du préjudice corporel que lui a causé la pompe à chaleur.
Or, l'interruption de prescription résultant de cette assignation s'étend à l'action fondée sur les dispositions des articles 1386-1 et suivants du code civil dès lors que les deux actions, bien qu'ayant des causes différentes, tendent aux mêmes fins.
La fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action doit donc être écartée.
Sur le fond, l'article 1386-1 du code civil fait peser la responsabilité du fait de la défectuosité d'un produit sur le seul producteur, c'est à dire son fabricant.
Le vendeur ou le fournisseur n'engagent leur responsabilité qu'à titre subsidiaire si le fabricant ne peut être identifié. En effet, l'article 1386-7 alinéa 1er du code civil dans sa version issue de la loi 2006-406 du 5 avril 2006, dispose que le fournisseur d'un produit défectueux échappe à sa responsabilité s'il désigne son propre fournisseur ou le producteur dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée.
En l'espèce, la société EFE n'est pas le fabricant ou producteur de l'appareil litigieux. Elle n'en est que le fournisseur et installateur.
Mme E. ne justifie pas avoir notifié à la société EFE une demande de désignation de son propre fournisseur ou du producteur, mais par dire adressé à M. N., expert technique, le 14 novembre 2016, le conseil de la société EFE a fait connaître l'identité de son fournisseur, à savoir la société Action Conseil D.. Dans un courrier postérieur du 2 janvier 2017, ce même conseil a adressé à l'expert une copie de l'assignation délivrée à cette société devant le juge des référés aux fins d'extension des opérations d'expertise et visant, au titre des pièces jointes, un Kbis de la société.
Ce courrier a été circularisé à l'ensemble des parties, dont le conseil de Mme E..
L'intéressée a donc eu connaissance de l'identité du fabricant de l'appareil défectueux.
Compte tenu de ces éléments, elle ne peut prétendre obtenir la condamnation de la société EFE sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du code civil.
Le fait que la victime ne puisse invoquer ce texte à l'encontre du vendeur de l'appareil ne l'autorise pas, sauf à vider de leur sens les dispositions précitées, à agir à l'encontre de ce dernier sur le fondement de l'article 1242 du code civil. Elle ne peut agir à son encontre au visa de dispositions de droit commun que sur un autre fondement que la défectuosité de l'appareil, ce qu'elle ne fait pas, puisqu'elle n'allègue ni à fortiori ne démontre aucune faute distincte du défaut de sécurité du produit.
Dès lors que Mme E. connaissait l'identité du fabricant ou fournisseur initial de l'appareil défectueux, il lui appartenait de diriger son action à l'encontre de celui-ci et de son assureur.
Le jugement sera donc infirmé sur ce point.
Sur les demandes à l'encontre de Mme G.
A titre subsidiaire, Mme E. agit à l'encontre de Mme G., propriétaire de l'appartement et donc de la pompe à chaleur, sur le fondement de l'article 1242 du code civil.
Cependant, Mme G. et Mme E. sont liées par un contrat, de sorte que la responsabilité encourue par la première à raison de dommages causés par la chose louée ne peut être recherchée que sur le fondement contractuel, en application des articles 1719 et suivants du code civil au titre d'un trouble de jouissance (article 1719 du code civil), de la garantie contre les vices cachés (article 1721 du code civil) ou d'un manquement du bailleur à son obligation de sécurité.
Mme E. se prévaut uniquement des dispositions de l'article 1719 du code civil pour soutenir que Mme G. a manqué à son devoir de lui assurer une jouissance paisible des locaux en ne veillant pas à la conformité de l'installation électrique de l'appartement aux normes en vigueur.
L'article 1719 du code civil impose au bailleur d'assurer à son locataire une jouissance paisible des lieux loués. Cette obligation signifie que le bailleur doit s'abstenir de toute action qui pourrait causer un trouble de jouissance au preneur.
En l'espèce, s'il est exact que l'expert judiciaire a relevé l'existence de non-conformités de l'installation électrique générale de l'appartement, il souligne également que lors de l'incendie les systèmes de sécurité électrique ont bien fonctionné puisque les volets roulants automatiques se sont actionnés. Il résulte également de ses constatations et conclusions que l'incendie du bloc extérieur de la pompe à chaleur n'est pas dû à l'installation électrique de l'appartement mais à un défaut intrinsèque de l'appareil de climatisation.
Dans ces conditions, il n'existe aucun lien de causalité entre ces non-conformités et le dommage subi par Mme E..
Cette dernière, qui fonde ses demandes exclsuivement sur l'article 1242 du code civil et subsidiairement sur les dispositions de l'article 1719 du code civil, n'allègue ni ne démontre aucun défaut d'entretien de la pompe à chaleur litigieuse. Elle n'articule enfin aucun moyen tiré d'un vice caché de la pompe à chaleur ou d'un manquement du bailleur à son obligation de sécurité.
En conséquence, les demandes à l'encontre de Mme G. au titre des dommages causés à Mme E. par l'incendie de la pompe à chaleur ne peuvent prospérer.
Sur les demandes à l'encontre de la société MAAF
Mme E. sollicite la condamnation de son assureur en exécution du contrat multirisques habitation souscrit le 2 juillet 2013.
Les conditions générales du contrat multirisques habitation conclu par Mme E. auprès de la société MAAF stipulent que le contrat a pour objet de garantir le locataire et les personnes vivant avec lui 'pour les dommages accidentels et responsabilités définis dans les chapitres suivants'.
Cependant, l'article 13 de ces mêmes conditions générales limite l'objet de la garantie 'habitation' aux dommages causés à l'habitation et aux biens mobiliers appartenant à l'assuré lorsqu'ils se trouvent à l'intérieur de l'habitation. Les dommages corporels subis par l'assuré ne font donc pas partie des dommages garantis par ce contrat. Or, Mme E. sollicite uniquement l'indemnisation de son préjudice corporel.
Quant à la garantie 'responsabilité civile' incluse au contrat, elle concerne exclusivement les 'conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que l'assuré peut encourir dans le cadre de sa vie privée', soit les dommages causés aux tiers par l'assuré.
Dans ces conditions, la société MAAF, assureur de Mme E., ne peut être condamnée à réparer les dommages corporels causés à cette dernière par l'incendie de la pompe à chaleur litigieuse.
*****
La demande d'indemnisation de Mme E. est rejetée, ce qui ne permet pas de faire droit à la réclamation du tiers payeur, subrogé dans les droits de cette dernière.
Le jugement est infirmé sans qu'il y ait lieu de statuer sur la demande de remboursement des sommes versées à titre provisionnel ou en exécution de la décision de première instance. En effet, le présent arrêt infirmatif emporte de plein droit obligation de restitution des sommes versées à titre provisionnel ou dans le cadre de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré et constitue le titre exécutoire ouvrant droit à cette restitution, les sommes ainsi restituées portant intérêt au taux légal à compter de la signification, valant mise en demeure, dudit l'arrêt.
Sur les demandes annexes
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles alloués à la victime sont infirmées.
Mme E. qui succombe dans ses prétentions aura la charge des entiers dépens de première instance et d'appel. L'équité ne commande pas de lui allouer une somme au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais non compris dans les dépens engagés en première instance et en appel.
L'équité ne justifie pas davantage d'allouer à la société EFE, Mme G. et la société MAAF une indemnité au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et devant la cour.
Par ces motifs
La Cour,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Ecarte la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action ;
Déboute Mme E. et la CPAM du Puy de Dôme de l'ensemble de leurs demandes ;
Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées à titre provisionnel ou en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré ;
Déboute Mme E. et la CPAM du Puy de Dôme de leur demande au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel ;
Déboute la société EFE, Mme G. et la société MAAF de leur demande d'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en appel ;
Condamne Mme E. aux entiers dépens de première instance et d'appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier Le président
Décision(s) antérieure(s)
- TJ TOULON 02 Juillet 2020 19/01395