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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 22 septembre 2021, n° 18/23849

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

CSF (SAS)

Défendeur :

Carrefour Proximité France (SAS), Le Merre Distri (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thaunat

Conseillers :

Mme Gil, Mme Goury

Avocats :

Me de Maria, Me Leblond, Me Hardouin, Me de Campos

T. com. Paris, du 24 sept. 2013

24 septembre 2013

FAITS ET PROCÉDURE

La société Comptoirs Modernes Union Commerciale a signé le 18 mai 1998 avec la société LE MERRE DISTRI un contrat de franchise pour l'exploitation d'un magasin d'alimentation situé 9 avenue de Général de Gaulle, à Soisy-sous-Montmorency (95230), connu sous l'enseigne Marché Plus pour une durée de sept ans renouvelables par périodes de cinq ans. Ce contrat contenait une clause d'approvisionnement.

Dans le cadre d'une restructuration, l'activité de franchiseur a été transférée à la société PRODIM, devenue CARREFOUR PROXIMITE FRANCE. L'activité d'approvisionnement a été transférée à la société CSF.

Par un avenant en date du 22 octobre 2004, conclu entre la société PRODIM et la société LE MERRE DISTRI, la durée du contrat de franchise a été portée de 7 à 12 ans.

La société LE MERRE DISTRI a résilié ses deux contrats de franchise et d'approvisionnement par courriers du 14 novembre 2009 à effet au 18 mai 2010, adressés respectivement à la société PRODIM et à la société CSF.

Aux termes d'un acte en date du 14 mars 2010, la société LE MERRE DISTRI a cédé, sous condition suspensive, son fonds à la société Distribution Casino France, concurrente de la société Prodim.

Le contrat de franchise initial contenait en son article 28 un droit de première offre et un droit de préférence au profit du franchiseur.

La société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE n'a pas donné suite au droit de première offre mais, par lettre recommandée avec avis de réception du 28 juillet 2010, a notifié à la société LE MERRE DISTRI et à son conseil, l'exercice de son droit de préférence avec faculté de substitution, aux conditions usuelles et moyennant le prix de 800 000 euros.

L'exercice de ce droit de préférence était également notifié à la société Distribution Casino France.

Sur la procédure opposant la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE à la société LE MERRE DISTRI

Par acte d'huissier de justice du 17 avril 2010, la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE a assigné à bref délai la société LE MERRE DISTRI devant le tribunal de commerce de Paris, lui demandant notamment de faire interdiction à la société LE MERRE DISTRI de régulariser la vente de son fonds de commerce à la société Distribution Casino France, d'ordonner la régularisation sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir de l'acte de cession du fonds de commerce au profit de la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, de juger que dans l'hypothèse où l'acte de cession serait néanmoins régularisé au profit de la société Distribution Casino France, avant la décision à intervenir, cette cession lui soit déclarée inopposable et privée de tout effet. Elle sollicitait également la substitution dans les droits du concessionnaire.

Par jugement du 26 octobre 2010, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a :

- dit recevable l'action de la société CARREFOUR PROXIMITE France ;

- débouté la société LE MERRE DISTRI de ses demandes ;

- fait interdiction à la société LE MERRE DISTRI de régulariser la vente de son fonds de commerce à la société Distribution Casino France ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- condamné la société LE MERRE DISTRI à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

L'acte de cession au profit de la société Distribution Casino France a été régularisé le 3 septembre 2010 et adressé, par lettre recommandée du 5 octobre 2010, au tribunal de commerce durant son délibéré.

Par déclaration du 30 décembre 2010, la société LE MERRE DISTRI a interjeté appel du jugement.

Par un arrêt en date du 13 juin 2012, la cour d'appel de Paris (chambre 5-3) a :

- confirmé le jugement, sauf en ce qu'il a fait interdiction à la société LE MERRE DISTRI de régulariser la vente de son fonds de commerce à la société Distribution Casino France ;

Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant :

- dit que la cession du fonds de commerce intervenue entre la société LE MERRE DISTRI et la société Distribution Casino France est inopposable à la société CARREFOUR PROXIMITE France ;

- ordonné la substitution de la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE dans les droits de la société Distribution Casino France dans la cession du fonds de commerce et dit que le présent arrêt vaut acte de cession au profit de la société CARREFOUR PROXIMITE France ;

- dit que la régularisation de l'acte de cession devra intervenir dans le mois de la signification du présent arrêt ;

- débouté la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et la société LE MERRE DISTRI du surplus de leurs demandes ;

- dit n'y avoir lieu à paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société LE MERRE DISTRI aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La cour d'appel était alors notamment saisie des conclusions notifiées le 25 juillet 2011, de la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE par lesquelles, celle-ci demandait :

- la condamnation de la société LE MERRE DISTRI à payer la somme de 34 158 hors taxe à titre de dommages et intérêts pour les pertes de redevances de franchise et de la somme de 20 000 pour comportement abusif.

La société LE MERRE DISTRI a formé un pourvoi contre cet arrêt.

Par arrêt du 4 novembre 2014, la chambre commerciale de la Cour de cassation au visa des articles L. 420-1 et L. 420-3 du code de commerce a :

- cassé et annulé l'arrêt rendu le 13 juin 2012 par la cour d'appel de Paris, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il a dit que la cession du fonds de commerce intervenue entre la société LE MERRE DISTRI et la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE est inopposable à la société Carrefour proximité France, ordonné la substitution de la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE dans les droits de la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE dans la cession du fonds de commerce et en ce qu'il a dit que l'arrêt vaut acte de cession au profit de la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, et dit que la régularisation de l'acte de cession devra intervenir dans le mois de sa signification ;

- remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

- condamné la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE aux dépens ainsi qu'à payer à la société LE MERRE DISTRI la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux motifs que :

« Qu’est prohibée, et partant nulle, toute clause contractuelle ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu'elle tend à limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

Que selon l'arrêt attaqué, par contrat du 18 mai 1998, renouvelé le 22 octobre 2004, la société LE MERRE DISTRI a conclu avec la société Comptoirs modernes union commerciale, aux droits de laquelle sont venues la société Prodim, puis la société Carrefour , un contrat de franchise pour l'exploitation d'un magasin d'alimentation ; qu'il était stipulé un droit de première offre et de préférence au profit du franchiseur, à égalité de prix et de conditions, en cas, notamment, de cession ou transfert des droits de propriété ou de jouissance sur le local, ou de cession ou transfert des droits de propriété ou de jouissance ou mise en location-gérance sur le fonds de commerce ; qu'après avoir notifié à la société Carrefour la résiliation du contrat de franchise pour le 18 mai 2010, la société Le Merre l'a informée, le 14 mai 2010, du prix et des conditions de la cession de son fonds de commerce qu'elle avait consentie à la société Casino, sous la condition suspensive, notamment, de la conclusion d'un contrat de gérance-mandataire au profit de M. F... ; que la société Carrefour a fait assigner la société Le Merre afin qu'il lui soit interdit de vendre son fonds de commerce à la société Casino et ordonné de régulariser la vente à son profit et, dans l'hypothèse où la vente serait néanmoins intervenue au profit de la société Casino, que soit ordonnée sa substitution de plein droit à cette société ; que le 3 septembre 2010, la société Le Merre a régularisé la cession du fonds de commerce à la société Casino ;

que pour rejeter la demande de la société Le Merre tendant à voir prononcer la nullité, en raison de son effet anticoncurrentiel, du pacte de préférence assortissant le contrat de franchise et ordonner la substitution de la société Casino dans les droits de la société Carrefour dans la cession du fonds de commerce, l'arrêt se borne à retenir que si, conformément à l'avis n° 10-A-26 du 7 décembre 2010 de l'Autorité de la concurrence, l'expression d'une préférence dans le droit des contrats commerciaux doit être strictement limitée au regard des dispositions relatives à la libre concurrence et à la sanction des pratiques anticoncurrentielles, le pacte de préférence ne peut être considéré comme une pratique anticoncurrentielle, dans la mesure où seule la liberté de choisir son cocontractant est affectée par le pacte et où il n'oblige pas les parties à conclure le contrat pour lequel la préférence est donnée, le cédant n'étant pas obligé de céder son bien et le bénéficiaire n'étant pas obligé de l'acquérir ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la stipulation, dans les contrats de franchise consentis par la société Carrefour, d'un droit de préférence à son profit, valable pendant toute la durée du contrat et un an après son échéance, n'avait pas pour effet, en limitant la possibilité de rachat de magasins indépendants par des groupes de distribution concurrents, de restreindre artificiellement le jeu de la concurrence sur le marché du détail de la distribution à dominante alimentaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

[...]

Par un arrêt en date du 7 octobre 2016, rendu sur renvoi après l'arrêt du 4 novembre 2014 emportant cassation partielle de l'arrêt d'appel du 7 juin 2012, la cour d'appel de Paris (chambre 5-3) a :

- CONFIRMÉ le jugement déféré sauf en ce qu'il a fait interdiction à la SARL LE MERRE DISTRI de céder son fonds à la société Distribution Casino France ;

Statuant de nouveau de ce chef réformé et ajoutant,

- CONSTATÉ que la demande visant à interdire à la SARL LE MERRE DISTRI de céder son fonds à la société Distribution Casino France n'a plus d'objet ;

- DÉCLARÉ la cession du fonds de commerce sis 99 avenue du Général de Gaulle à 95230 Soisy-sous-Montmorency intervenue entre les sociétés LE MERRE DISTRI et Distribution Casino France inopposable à la société CARREFOUR PROXIMITE France ;

- ORDONNÉ la substitution de la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE dans les droits de la société Distribution Casino France dans la cession du fonds de commerce de la société LE MERRE DISTRI ;

- DIT que l'arrêt vaudra acte de cession au profit de la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE sans autre formalité, dès son prononcé ;

- DÉBOUTÉ la SARL LE MERRE DISTRI de l'intégralité de ses demandes,

- L'A CONDAMNÉE à payer à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- L'A CONDAMNÉE aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par un arrêt en date du 3 mai 2018, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, a rejeté le pourvoi formé par la société LE MERRE DISTRI à l'encontre de l'arrêt du 7 octobre 2016 rendu par la cour d'appel de Paris.

Aux motifs :

« d'une part, qu'ayant retenu, par des motifs non critiqués, d'un côté, que M. F... avait pu bénéficier d'un partenariat commercial solide, justifiant que, par la clause, le franchiseur puisse sécuriser ses investissements pendant plusieurs années, en empêchant l'appropriation des effets commerciaux favorables de ce partenariat par un concurrent et, de l'autre, que la société Le Merre n'apportait aucun élément de nature à mesurer in concreto, à partir d'une analyse de marché et de données économiques, si la clause de préférence avait pour effet de restreindre artificiellement la concurrence, ce dont elle a déduit que le droit de préférence était compatible avec les règles de droit de la concurrence, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Et, d'autre part, que, la cour d'appel ayant elle-même, par motifs propres et adoptés, retenu que la clause de « gérant mandataire », incluse dans le contrat de cession du fonds de commerce, n'entrait pas dans le périmètre visé par le pacte de préférence, ce dont elle a déduit que cette clause ne pouvait empêcher la société Le Merre de contracter à des conditions équivalentes avec la société Carrefour, le moyen, en sa seconde branche, critique un motif surabondant ;

D'où il suit que le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus ; »

Sur la procédure opposant la société CSF FRANCE et la société CARREFOUR PROXIMITE à la Société LE MERRE DISTRI

La société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, et cette fois-ci conjointement avec la société CSF France, chargée de l'approvisionnement, a introduit une seconde procédure par acte du 3 décembre 2010 afin de voir déclarer nulle et de nul effet et à tout le moins inopposable à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE la cession intervenue en fraude de ses droits et d'ordonner la substitution de la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE dans les droits de la société CASINO France, cessionnaire du fonds. Il était, en outre, demandé la condamnation de la société LE MERRE DISTRI à indemniser le préjudice subi par les sociétés CSF France et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE entre le 3 septembre 2010, date de la cession, et la date de restitution du fonds à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, soit 2 846,50 euros HT par mois, au titre de la perte de cotisations de franchise au profit de la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et de 25 793 euros HT par mois au titre des pertes de bénéfices bruts au profit de CSF FRANCE.

Dans le cadre de cette procédure, le tribunal de commerce saisi d'une exception de litispendance par la société LE MERRE DISTRI a rendu un jugement le 22 février 2011 par lequel il a :

CONSTATÉ l'exception de litispendance et s'est dessaisi au profit de la cour d'appel de Paris sur les demandes présentées par la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE (nouvelle dénomination de la société PRODIM) ;

SURSIS à statuer sur les demandes présentées par la société CSF FRANCE dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel de Paris.

La procédure pendante devant la Cour de cassation saisie du pourvoi à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 juin 2012, a été radiée. La cause du sursis à statuer ayant disparu, il a été demandé au tribunal de commerce de statuer tant sur les demandes présentées par la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE que sur celles présentées par la société CSF FRANCE.

Par un jugement rendu le 24 septembre 2013, le tribunal de commerce de Paris a :

- DÉBOUTÉ la SARL LE MERRE DISTRI de sa demande de nullité de ce droit de préférence ;

- DIT recevable l'action de la SAS CSF France ;

- CONDAMNÉ la SARL LE MERRE DISTRI à payer à la SAS CARREFOUR PROXIMITE FRANCE la somme de 80 920, montant arrêté au 03/07/2013 auquel devra s'ajouter pour la période à courir jusqu'à la restitution matérielle du fonds de commerce à la SAS CARREFOUR PROXIMITE, et prorata temporis un montant HT calculé sur la base mensuelle de 2 380 ;

- DÉBOUTÉ la SAS CSF FRANCE de sa demande de dommages et intérêts pour perte de marge brute ;

- CONDAMNÉ la SARL LE MERRE DISTRI à payer à la SAS CARREFOUR PROXIMITÉ la somme de 15 000 au titre de dommages et intérêt pour comportement abusif, déboutant pour le surplus ;

- DÉBOUTÉ la SAS CSF FRANCE de sa demande de dommages-intérêts pour comportement abusif ;

- CONDAMNÉ la SARL F... DISTRl à payer à la SARL CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE et la SAS CSF FRANCE la somme globale de 10 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à se répartir entre elles ;

- ORDONNÉ l'exécution provisoire ;

- CONDAMNÉ la SARL LE MERRE DISTRI aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés a la somme de 105,49 dont 17,07 de TVA.

Les sociétés CSF et LE MERRE DISTRI ont respectivement interjeté appel de ce jugement le 2 octobre 2013 et le 5 novembre 2013.

Par une ordonnance d'incident en date du 19 janvier 2016, le conseiller de la mise en état a :

- ORDONNÉ le sursis à statuer sur les appels des sociétés CSF et LE MERRE DISTRI respectivement formés le 2 octobre 2013 et le 5 novembre 2013 à l'encontre du jugement rendu le 24 septembre 2013 par le tribunal de commerce de Paris, dans l'attente de l'arrêt à intervenir de la cour de céans sur l'appel du jugement rendu le 26 octobre 2010 par le tribunal de commerce de Paris, dont la cour de céans se trouve saisie en vertu d'une déclaration de saisine remise au greffe de la cour le 28 novembre 2014, par suite de la cassation de l'arrêt précédemment rendu par la cour d'appel de Paris le 13 juin 2012, prononcée le 4 novembre 2014 par la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique) ;

- ORDONNÉ la radiation de la procédure du rôle de la cour ;

- DIT que, sauf péremption, la procédure sera rétablie au vu de l'arrêt à intervenir de la cour de céans sur l'appel du jugement rendu le 26 octobre 2010 par le tribunal de commerce de Paris et des conclusions signifiées par la partie la plus diligente ;

- RÉSERVÉ les dépens.

Par une ordonnance d'incident en date du 20 mars 2018, le conseiller de la mise en état a :

- SURSIS à statuer sur les demandes en l'attente de l'arrêt à intervenir de la Cour de cassation sur le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 7 octobre 2016 ;

- ORDONNÉ la radiation de la procédure du rôle de la cour ;

- RÉSERVÉ les dépens.

La cause du sursis à statuer ayant disparu, l'affaire a été rétablie au rôle de la chambre 5-3.

Les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et CSF ont notifiées leurs conclusions par le RPVA le 17 décembre 2019 et la société LE MERRE DISTRI a notifié les siennes par le RPVA le 28 novembre 2019.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 janvier 2020.

Par un arrêt mixte rendu le 28 octobre 2020, la Cour d'appel de Paris, Pôle 5 Chambre 3, a :

INFIRMÉ le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'action de la société CSF et rejeté la demande d'annulation du pacte de préférence ;

DIT que le non-respect par la société LE MERRE DISTRI du pacte de préférence contenu dans le contrat de franchise la liant à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE constitue un manquement contractuel de nature à engager la responsabilité contractuelle de la société LE MERRE DISTRI envers la société CARREFOUR PROXIMITE France ;

DIT que le non-respect par la société LE MERRE DISTRI du pacte de préférence contenu dans le contrat de franchise la liant à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE est de nature à engager la responsabilité délictuelle de la société LE MERRE DISTRI envers la société CSF, tiers au contrat ;

AVANT DIRE DROIT sur les demandes indemnitaires de la société CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE et de la société CSF, les droits et moyens des parties étant réservés,

ORDONNÉ la réouverture des débats et le rabat de l'ordonnance de clôture ;

RENVOYÉ l'affaire à l'audience de la mise en état du jeudi 10 décembre 2020 à 13 heures aux fins pour les parties de conclure spécifiquement sur la perte de chance en les divers aspects relevés dans les motifs du présent arrêt ;

SURSIS à statuer sur le surplus des demandes ;

RÉSERVÉ les dépens.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 29 mars 2021, la SAS C.S.F.et la SAS CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE, demandent à la Cour de :

Vu l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de Paris le 28 octobre 2020,

Concernant la société C.S.F. (venant aux droits de la société CSF FRANCE),

Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de PARIS le 24 septembre 2013 en ses dispositions ;

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamner la société LE MERRE DISTRI à payer à la société C.S.F (venant aux droits de la société CSF FRANCE) les sommes de :

- 2 382 534 TTC, préjudice arrêté à la date de restitution du fonds, soit le 31 janvier 2017 ;

- 20 000 à titre de dommages-intérêts ;

- 30 000 sur le fondement de l'article 700 du CPC ;

Concernant la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE,

Confirmer dans son principe la décision déférée ;

Y ajoutant et actualisant le montant du préjudice,

Condamner la société LE MERRE DISTRI à payer à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE une somme de 219 912 TTC, préjudice arrêté à la date du 31 janvier 2017, date de restitution du fonds ;

Condamner en outre la société LE MERRE DISTRI à payer à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE une somme de 20 000 à titre de dommages-intérêts outre 30 000 sur le fondement de l'article 700 du CPC ;

Condamner la société LE MERRE DISTRI aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SELARL PELLERIN DE MARIA GUERRE, Avocat, dans les termes de l'article 699 du CPC.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 17 mars 2021, la société LE MERRE DISTRI, demande à la Cour de :

Vu l'arrêt rendu par la Cour d'appel de PARIS le 28 octobre 2020,

Vu le contrat de franchise conclu avec CARREFOUR PROXIMITE France et le contrat d'approvisionnement conclu avec CSF dûment résiliés par la société LE MERRE DISTRI en respectant les stipulations contractuelles,

Vu l'abstention de la société CARREFOUR PROXIMITE France d'agir contre la société DISTRIBUTION CASINO France pour lui rendre opposables les décisions obtenues contre LE MERRE DISTRI et récupérer son fonds avant janvier 2017,

Vu que la société CARREFOUR PROXIMITE France n'a rien entrepris pour se faire titrer à la suite de l'arrêt rendu le 13 juin 2012 par la Cour d'appel de PARIS,

Vu l'absence de paiement du prix par la société CARREFOUR PROXIMITE France à la suite de l'arrêt de la Cour d'appel de PARIS du 7 octobre 2016,

Vu que la société LE MERRE DISTRI n'était pas obligée de céder son fonds à la suite de l'exercice du droit de préférence par CARREFOUR PROXIMITE France et pouvait l'exploiter sans contrat de franchise et sans contrat d'approvisionnement,

Vu les choix procéduraux de CARREFOUR PROXIMITE France à l'origine de la reprise du fonds en janvier 2017 et par voie de conséquence du préjudice allégué,

Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a cru devoir accueillir les demandes formulées par CARREFOUR PROXIMITE FRANCE à l'encontre de la société LE MERRE DISTRI ;

Débouter CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et CSF de leurs demandes comme mal fondées compte tenu de ce que les chances de succès des sociétés CARREFOUR PROXIMITE France et CSF de poursuivre les contrats dûment résiliés étaient nulles ;

Condamner in solidum les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et CSF à payer une indemnité de 15 000 au titre de l'article 700 du CPC ;

Les condamner in solidum en tous les dépens d'instance et d'appel, dont distraction, pour ceux-là concernant au profit de Me Hardouin de la SELARL 2H AVOCATS et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 avril 2021.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la responsabilité de la société LE MERRE DISTRI

S'agissant du contrat de franchise, la SARL LE MERRE DISTRI rappelle que par courrier du 14 novembre 2009, elle l'a dénoncé à effet du 18 mai 2010, de manière régulière. Certes le fonds a été cédé à la société CASINO, mais elle soutient qu'elle aurait pu choisir de continuer à l'exploiter, sans contrat de franchise ; que dès lors, la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE n'a pas de droit acquis à percevoir des redevances pour les années 2010 à 2017. Elle considère que le contrat étant résilié au 18 mai 2010, le préjudice de la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE est incertain et donc non indemnisable, que le fonds aurait pu être exploité par elle sans franchise d'aucune sorte. Elle indique que l'arrêt de la Cour de cassation du 18 février 2014 (12-23752) visé par les sociétés du groupe CARREFOUR est radicalement différent car, dans cette espèce, le contrat résilié de manière fautive en juin 2010 devait être exécuté jusqu'à son échéance du 25 août 2013. Elle prétend que la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE ne démontre pas que la société LE MERRE DISTRI n'aurait pas pu exploiter sans conclure d'autre contrat de franchise et la résiliation en elle-même n'est pas blâmable. Ainsi, selon elle, la violation du droit de préférence serait-elle établie, qu'elle ne pourrait avoir pour conséquence de faire revivre un contrat dûment résilié avant cession ; qu'en toute hypothèse le contrat étant résilié il aurait fallu en conclure un autre et que rien n'indique que les conditions financières auraient été les mêmes.

La société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE relève que le fonds, dont la cession a été déclarée inopposable, aurait dû lui être restitué dès le 3 septembre 2010 « comme elle en avait manifesté l'intention » et qu'il ne l'a été qu'en janvier 2017. Elle en conclut que son préjudice est direct, certain et actuel entre le 3 septembre 2010 et le 31 janvier 2017 ; qu'il s'agit d'un gain manqué et non d'une perte de chance. Selon elle, le fait que la société LE MERRE DISTRI ait « régulièrement mis fin au contrat de franchise en respectant le délai contractuel de préavis » est indifférent à l'analyse du préjudice subi par la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE qui aurait nécessairement exploité ce fonds, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un nouveau franchisé dès le 3 septembre 2010.

S'agissant du contrat d'approvisionnement la société LE MERRE DISTRI affirme qu'il a pris fin selon les dispositions contractuelles, en respect du préavis. Elle considère que la société CSF ne peut être victime par ricochet d'une résiliation de contrat de franchise et d'approvisionnement en tout point valable. Elle relève ainsi que la cause de la résiliation n'est pas la cession du fonds à CASINO Distribution FRANCE, mais une dénonciation six mois avant son terme d'un contrat à durée déterminée qui était renouvelable par tacite reconduction et dont la société LE MERRE DISTRI souhaitait se défaire. Concernant la perte de chance, la société LE MERRE DISTRI note que la jurisprudence a posé les contours de cette notion en précisant que la perte de chance ne peut dépendre que d'un événement futur et incertain dont la réalisation ne peut résulter de l'attitude de la victime. Or, elle considère qu'en l'espèce, l'attitude des prétendues victimes est à l'origine du préjudice qu'elles allèguent. En effet, les sociétés du groupe Carrefour n'ont jamais engagé de procédure à l'encontre de l'occupant réel mais ont toujours sollicité au titre de la libération des locaux LE MERRE DISTRI. Ces sociétés ne justifient ainsi d'aucune diligence pour exécuter l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 juin 2012 qui énonçait « Dit que la régularisation de l'acte de cession devra intervenir dans le mois de la signification du présent arrêt ». Elle rappelle les termes de l'arrêt infirmatif de la cour d'appel de Versailles en date du 23 octobre 2013, qui a débouté CARREFOUR PROXIMITE FRANCE de sa demande d'expulsion de la concluante du local d'exploitation du fonds de commerce aux motifs notamment qu'elle ne pouvait 'porter atteinte aux droits personnels de tiers parfaitement identifiés sans appeler ceux-ci en cause afin qu'ils puissent assurer la défense de leurs intérêts et que les décisions à intervenir puissent leur être juridiquement opposables. Elle soutient que l'abstention fautive de Carrefour ne saurait être aujourd'hui pour elle l'occasion de venir prétendre à de lourds dommages et intérêts. Elle prétend que le fait qu'il ait pu être jugé que la société LE MERRE DISTRI n'a pas respecté le droit de préférence concernant le seul contrat de franchise, ne concerne que CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et n'entache pas d'irrégularité la dénonciation du contrat intervenue en temps et heure et en respectant les délais contractuels, opposable à la société CSF. Elle soutient que sa responsabilité délictuelle ne peut pas non plus être engagée puisque le droit de préférence était institué au profit de CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et non pas de CSF FRANCE. Or, à la date de cession du fonds à DISTRIBUTION CASINO FRANCE, les relations entre CSF FRANCE et la société LE MERRE DISTRI avaient cessé. Quand bien même CARREFOUR PROXIMITE FRANCE aurait racheté le fonds, l'approvisionnement auprès de CSF n'aurait pas été transmis, car la résiliation avait d'ores et déjà opéré. La société LE MERRE DISTRI relève qu'elle avait la possibilité, après avoir mis en oeuvre le droit de première offre et le droit de préférence, de ne pas céder son fonds. Ainsi, selon elle, le préjudice certain et actuel que tentent de démontrer les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE que CSF n'existe pas : il n'est que très hypothétique. Selon la société LE MERRE DISTRI, au cas d'espèce, la réalisation de l'événement favorable, à savoir la cession du fonds par la société LE MERRE DISTRI à CARREFOUR PROXIMITE FRANCE était sujette à un accord exprès de cession qui n'est pas intervenu et ne serait pas intervenu car le statut offert au gérant n'existait pas chez CARREFOUR. De plus, la société LE MERRE DISTRI relève que les sommes demandées par la société CSF ont été arrêtées de manière tout à fait arbitraire puisque reposant sur un simple tableau, qui n'est étayé d'absolument aucune pièce comptable, alors que nul ne peut se faire de preuve à soi-même. Elle considère ainsi que la cour ne saurait allouer plus de deux millions d'euros à titre de dommages et intérêts sur la base d'une feuille revêtue de la simple mention : « Ces données sont sincères et véritables ». S'agissant du quantum, elle fait observer d'une part, que la société CSF ne fait aucune distinction dans la nature des marchandises pouvant être commandées, alors que seules les marques propres faisaient l'objet d'une obligation d'approvisionnement ; d'autre part, que la société CSF considère comme acquis le fait qu'elle aurait été bénéficiaire, alors qu'un aléa existe pour tout approvisionnement et que le quantum ne tient pas compte des coûts qu'elle aurait eu à supporter, au premier titre desquels les coûts de logistique et les coûts de siège.

Les sociétés du groupe Carrefour relèvent que les mêmes observations que précédemment peuvent être opérées quant au contrat d'approvisionnement, puisque la société CSF est victime par ricochet de la fraude avérée et jugée de la société LE MERRE DISTRI. Ces sociétés relèvent par ailleurs que l'arrêt de la cour d'appel de Versailles de 2013 cité par la société LE MERRE DISTRI dans ses écritures, a été purement et simplement cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 21 octobre 2014, et n'a donc plus aucune existence et que la cour de renvoi n'ayant pas été saisie, la décision d'expulsion prononcée par le tribunal de Pontoise est aujourd'hui définitive. Ces sociétés rappellent qu'elles n'avaient de lien de droit qu'avec la société la société LE MERRE DISTRI via les contrats de franchise et d'approvisionnement qui les liaient et qu'elles n'avaient aucun lien avec la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE. C'est la raison pour laquelle cette dernière a seulement fait l'objet de poursuites ultérieures en tierce complicité.

La cour relève que par le précédent arrêt mixte, il a déjà été statué sur l'existence d'un manquement contractuel de nature à engager la responsabilité contractuelle de la société LE MERRE DISTRI envers la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et celui de l'existence d'un manquement délictuel de nature à engager la responsabilité délictuelle de la société LE MERRE DISTRI envers la société CSF ouvrant droit à réparation. En conséquence, les développements de la société LE MERRE DISTRI sur son absence de faute sont sans objet tant en ce qui concerne le contrat de franchise que le contrat d'approvisionnement.

La cour rappelle que l'élément de préjudice constitué par la perte d'une chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition, par l'effet du délit, de la probabilité d'un événement favorable, encore que, par définition, la réalisation d'une chance ne soit jamais certaine.

En l'espèce, ainsi que l'arrêt mixte l'a relevé et que le fait valoir la société LE MERRE DISTRI, elle avait régulièrement mis fin au contrat de franchise en respectant le délai contractuel de préavis.

Dès lors, le préjudice subi par la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, en raison du non-respect de son droit de préférence, ne peut être égal au montant des redevances non perçues par la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE en exécution du contrat dénoncé, jusqu'à sa mise en possession du fonds, mais correspond à la perte de chance de cette dernière de pouvoir exploiter le fonds et en sa qualité de franchiseur de pouvoir percevoir des redevances, si elle était entrée en possession du fonds dès le 3 septembre 2010, comme elle en avait manifesté l'intention.

Compte tenu des liens existant entre la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, qui gère le réseau des commerces franchisés, et la société CSF en charge de leur approvisionnement, le manquement contractuel de la société LE MERRE DISTRI a privé la société CSF de la possibilité d'approvisionner ledit fonds, qui aurait été la sienne, si la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE était entrée en possession dudit fonds. Cependant, le contrat d'approvisionnement ayant été régulièrement dénoncé et ayant ainsi pris fin, elle ne peut prétendre obtenir à titre d'indemnisation la marge brute qu'elle n'a pu réaliser en exécution du contrat d'approvisionnement expiré, mais uniquement réparation du préjudice résultant de sa perte de chance de pouvoir en réaliser une, si le fonds avait été mis en possession de la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, à compter du 3 septembre 2010, à la suite de l'exercice de son droit de préférence.

Dans ces conditions tous les développements de la société LE MERRE DISTRI sur le fait qu'ayant résilié le contrat de franchise, elle aurait pu exploiter le fonds sans franchise, sont sans objet, la faute retenue à son encontre étant de n'avoir pas respecté le droit de préférence de la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, ce qui a empêché cette dernière de jouir du fonds.

Il ne peut être reproché à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE d'avoir tardé à mettre en cause la société CASINO et ainsi contribué à l'aggravation de son préjudice. N'ayant de lien contractuel qu'avec la société LE MERRE DISTRI, elle n'était pas tenue d'agir contre le bénéficiaire de la cession réalisée en fraude à ses droits.

Le préjudice subi par la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE n'est pas hypothétique, car ayant été mise en possession du fonds elle aurait pu l'exploiter directement ou sous la forme d'une franchise. Cependant, ce préjudice ne peut être égal au montant des redevances dues par la société LE MERRE DISTRI en exécution de son contrat de franchise, ce dernier régulièrement dénoncé ayant pris fin. Les redevances antérieurement perçues à ce titre ne peuvent que servir de base de calcul étant rappelé que dans le cas de la perte de chance, l'indemnisation ne peut jamais être égale à l'avantage qui aurait été tiré si l'événement manqué s'était réalisé. En conséquence, le montant total des redevances non perçues pendant 77 mois entre 2010 et 2017 s'élevant à la somme de 183 260 euros (2 380 x 77), compte tenu de la probabilité de la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE de consentir un nouveau contrat de franchise à des conditions comparables, le dommage subi par cette société s'élève à la somme de 180 000 euros.

S'agissant du contrat d'approvisionnement, la société CSF fonde sa demande sur un tableau certifié conforme par le « directeur CGFV, région Paris Centre » de la société concernant les achats effectués sur ses entrepôts par le point de vente Marché plus dont s'agit, faisant apparaître un bénéfice brut moyen de 22,35 % soit une somme totale de 309 540 euros pour la période écoulée entre le mois de septembre 2009 et le mois d'août 2010. La société LE MERRE DISTRI critique la pertinence de ce document, cependant, la cour relève que les chiffres figurant sur ce document sont cohérents par rapport à ceux figurant dans les appels de cotisation des redevances assises sur le chiffre d'affaires et que dès lors, ce document peut être retenu comme étant suffisamment probant. Il en résulte que le montant total des bénéfices bruts non perçus par la société CSF pendant 77 mois entre 2010 et 2017 s'élève à la somme de 1 986 215 euros (309 540/12 x 77).

Compte tenu de la probabilité de la société CSF de bénéficier d'un contrat d'approvisionnement, à des conditions comparables, alors que le taux de marge brute pouvait être inférieur et que celui-ci pouvait être réduit aux marques de distributeur, le dommage subi par cette société s'élève à la somme de 1 540 000 euros.

Rappelant que les indemnités ne sont soumises à TVA que lorsqu'elles constituent la contrepartie d'une prestation mais qu'en revanche la réparation d'un préjudice n'est pas imposable, il n'y a pas lieu de suivre les sociétés du groupe CARREFOUR lorsqu'elles demandent la condamnation de la société LE MERRE DISTRI au paiement de la TVA sur les indemnités dont elles sollicitent le bénéfice.

Sur la résistance abusive

La société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et la société CSF sollicitent la condamnation de la société LE MERRE DISTRI à leur payer à chacune la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts celle-ci n'ayant rien fait pour se mettre en règle à leur égard.

La cour relève que le retard à la restitution du fonds étant déjà réparé par l'octroi d'indemnités, les sociétés du groupe CARREFOUR n'établissent pas que l'attitude de la société LE MERRE DISTRI qui a pu se méprendre sur la portée de ses droits ouvre droit à une réparation au titre de la résistance abusive.

Sur les demandes accessoires

L'arrêt mixte n'ayant pas statué sur le sort des dépens et des indemnités de procédure accordées en premier ressort, il convient de décider que la société LE MERRE DISTRI succombant en ses prétentions, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance et à verser aux deux sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et CSF une indemnité de procédure.

En cause d'appel, la société LE MERRE DISTRI sera condamnée aux dépens de l'appel et à payer d'une part à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et d'autre part à la société CSF une somme de 5 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant contradictoirement,

Vu l'arrêt de cette chambre du 28 octobre 2020 ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société LE MERRE DISTRI à verser à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE une somme de 180 000 euros à titre de dommages-intérêts,

Condamne la société LE MERRE DISTRI à verser à la société CSF une somme de 1 540 000 euros à titre de dommages-intérêts,

Déboute les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et CSF pour le surplus de leurs demandes indemnitaires ;

Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société LE MERRE DISTRI aux dépens de première instance et à verser à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et à la société CSF une somme globale 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à se répartir entre elles ;

Condamne la société LE MERRE DISTRI à verser à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et à la société CSF la somme de 5 000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société LE MERRE DISTRI aux dépens d'appel avec distraction au bénéfice de l'avocat postulant qui en a fait la demande en application de l'article 699 du code de procédure civile.