CJUE, 6e ch., 30 septembre 2021, n° C-296/20
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commerzbank AG
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Bay Larsen
Juges :
Mme Toader (rapporteure), M. Safjan
Avocat général :
M. Campos Sánchez-Bordona
Avocat :
Me Tretter
LA COUR (sixième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée le 30 octobre 2007, dont la conclusion a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008 (JO 2009, L 147, p. 1, ci-après la « convention de Lugano II »), et, notamment, de son article 15, paragraphe 1, sous c), ainsi que de son article 16, paragraphe 2.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Commerzbank AG à E.O. au sujet du remboursement d’une dette résultant d’un découvert sur le compte courant de E.O.
Le cadre juridique
3 Ainsi qu’il ressort de l’« Information relative à la date d’entrée en vigueur de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 30 octobre 2007 » (JO 2011, L 138, p. 1), la convention de Lugano II est entrée en vigueur entre l’Union européenne et la Confédération suisse le 1er janvier 2011.
4 Le titre II de la convention de Lugano II, intitulé « Compétence », contient sous la section 1, intitulée « Dispositions générales », les articles 2 à 4.
5 L’article 2, paragraphe 1, de cette convention dispose :
« Sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État lié par la présente convention sont attraites (assignées), quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État. »
6 L’article 3, paragraphe 1, de ladite convention est ainsi libellé :
« Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État lié par la présente convention ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État lié par la présente convention qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent titre. »
7 L’article 5, point 1, de la convention de Lugano II, figurant sous la section 2 du titre II, intitulée « Compétences spéciales », prévoit :
« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État lié par la présente convention peut être attraite, dans un autre État lié par la présente convention :
1. a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;
b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :
[...]
– pour la fourniture de services, le lieu d’un État lié par la présente convention où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;
c) le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas ;
[...] »
8 Le titre II de la convention de Lugano II contient une section 4, intitulée « Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », sous laquelle l’article 15, paragraphe 1, énonce :
« En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l’article 4 et de l’article 5, [point] 5 :
[...]
b) lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets ;
c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État lié par la présente convention sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État ou vers plusieurs États, dont [ledit] État, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités. »
9 Aux termes de l’article 16, paragraphe 2, de cette convention :
« L’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État lié par la présente convention sur le territoire duquel est domicilié le consommateur. »
10 L’article 17 de ladite convention dispose :
« Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions :
1. postérieures à la naissance du différend ; ou
2. qui permettent au consommateur de saisir d’autres tribunaux que ceux indiqués dans la présente section ; ou
3. qui, passées entre le consommateur et son cocontractant ayant, au moment de la conclusion du contrat, leur domicile ou leur résidence habituelle dans un même État lié par la présente convention, attribuent compétence aux tribunaux de cet État, sauf si la loi de celui-ci interdit de telles conventions. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
11 Commerzbank, société de droit allemand, a son siège social à Francfort-sur-le Main (Allemagne).
12 Au cours de l’année 2009, E.O., qui était alors domicilié à Dresde (Allemagne), avait ouvert un compte courant auprès d’une filiale de Commerzbank, également établie à Dresde. Une carte de crédit lui a été délivrée par celle-ci.
13 Au cours de l’année 2014, E.O. a transféré son domicile en Suisse.
14 Il résulte des faits constatés par la juridiction d’appel que Commerzbank avait toléré des découverts sur le compte courant de E.O.
15 Au mois de janvier 2015, E.O. a souhaité mettre fin à la relation d’affaires avec Commerzbank. Le compte courant présentait alors un solde débiteur d’un montant de 6 283,37 euros. E.O. a refusé de rembourser ce solde au motif que celui-ci résultait d’une utilisation frauduleuse de sa carte de crédit par des tiers.
16 Après avoir sommé E.O., plusieurs fois, sans succès, de rembourser le solde débiteur en cause, Commerzbank a, au mois d’avril 2015, dénoncé, avec effet immédiat, la « relation de crédit » entre les parties et établi un solde débiteur exigible en sa faveur d’un montant de 4 856,61 euros.
17 E.O. n’ayant pas remboursé ce solde, Commerzbank a, au mois de novembre 2016, introduit devant l’Amtsgericht Dresden (tribunal de district de Dresde, Allemagne) une action tendant à faire condamner E.O. au paiement dudit solde.
18 Ledit tribunal a rejeté cette demande comme étant irrecevable au motif qu’il n’était pas compétent, eu égard au domicile du défendeur, situé désormais en Suisse. Le 14 juin 2018, le Landgericht Dresden (tribunal régional de Dresde, Allemagne) a confirmé en appel le jugement de première instance.
19 Commerzbank a alors saisi la juridiction de renvoi d’un recours en Revision.
20 Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) souligne que le résultat du recours dont il est saisi dépend de l’interprétation de l’article 15, paragraphe 1, sous c), et de l’article 16, paragraphe 2, de la convention de Lugano II.
21 Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) rappelle la jurisprudence de la Cour dans laquelle celle-ci a interprété l’article 15, paragraphe 1, de la convention de Lugano II et a retenu trois conditions cumulatives permettant l’application de cette disposition. Premièrement, une partie contractante a la qualité de « consommateur » qui agit dans un cadre pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, deuxièmement, le contrat entre un tel consommateur et un professionnel a été effectivement conclu et, troisièmement, un tel contrat relève de l’une des catégories visées au paragraphe 1 dudit article 15.
22 La juridiction de renvoi considère que les deux premières conditions se trouvent en l’occurrence réunies. Concernant la troisième, dans la mesure où le contrat en cause au principal ne relève pas de l’article 15, paragraphe 1, sous a) et b), de la convention de Lugano II, il serait uniquement susceptible de relever de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de cette convention.
23 Partant, ladite juridiction se demande si l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II suppose l’existence d’une activité transfrontalière du cocontractant du consommateur à la date de la conclusion du contrat, en rappelant que, à cette date, à savoir au cours de l’année 2009, tant le consommateur que le professionnel, par l’intermédiaire de sa filiale, étaient domiciliés à Dresde.
24 Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Convient-il d’interpréter l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II en ce sens que l’“exercice” d’activités commerciales ou professionnelles dans l’État lié par [cette] convention sur le territoire duquel le consommateur a son domicile suppose, dès la préparation et la conclusion du contrat, l’existence d’une activité transfrontalière du cocontractant du consommateur ou convient-il également d’appliquer cette disposition pour déterminer le tribunal compétent pour connaître d’une action en justice, lorsque, au moment de la conclusion du contrat, les parties à celui‑ci avaient leur domicile, au sens des articles 59 et 60 de la convention de Lugano II dans le même État lié par [cette] convention et que la relation juridique a seulement acquis un caractère international a posteriori, du fait que le consommateur a, par la suite, déménagé dans un autre État lié par [ladite] convention ?
2) Dans l’hypothèse où l’existence d’une activité transfrontalière au moment de la conclusion du contrat n’est pas nécessaire :
Les dispositions combinées de l’article 15, paragraphe 1, sous c), et de l’article 16, paragraphe 2, de la convention de Lugano II excluent-elles de manière générale la détermination du tribunal compétent conformément à l’article 5, point 1, de la même convention lorsque le consommateur a, entre le moment de la conclusion du contrat et celui de l’introduction d’une action en justice, déménagé dans un autre État lié par la convention [de Lugano II] ou faut-il en plus que le cocontractant du consommateur exerce ses activités commerciales ou professionnelles également dans le nouvel État de résidence ou qu’il dirige celles‑ci vers cet État et que le contrat entre dans le cadre de ces activités ? »
La procédure devant la Cour
25 Par décision du président de la Cour du 22 juillet 2020, la procédure devant la Cour a été suspendue jusqu’au prononcé de l’ordonnance dans l’affaire C-98/20, mBank (ordonnance du 3 septembre 2020, mBank C‑98/20, EU:C:2020:672).
26 Cette procédure a été reprise le 7 septembre 2020.
27 À la suite du prononcé de cette ordonnance, la juridiction de renvoi a été interrogée par le greffe sur le point de savoir si elle souhaitait maintenir sa demande de décision préjudicielle.
28 En réponse, par lettre du 6 octobre 2020, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a indiqué retirer la seconde question relative à l’article 16, paragraphe 2, de la convention de Lugano II, mais maintenir la première question de sa demande de décision préjudicielle, portant sur l’interprétation de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de cette convention.
29 En conséquence, il a été procédé à la signification de la demande de décision préjudicielle, accompagnée de la réponse de la juridiction de renvoi.
Sur la question préjudicielle
30 La juridiction de renvoi précise d’emblée que c’est seulement si les dispositions de la section 4, du titre II, de la convention de Lugano II étaient exclues que la compétence internationale des juridictions allemandes pourrait être retenue sur le fondement de l’article 5, point 1, de cette convention.
31 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler, premièrement, que, ainsi que la Cour l’a précisé, dans l’arrêt du 20 décembre 2017, Schlömp (C‑467/16, EU:C:2017:993, point 37), la convention de Lugano II est entrée en vigueur entre l’Union européenne et la Confédération suisse le 1er janvier 2011.
32 Ainsi, bien que le contrat au principal ait été conclu avant cette date, sa résiliation et l’action en justice subséquente étant ultérieures, l’applicabilité de ladite convention n’est pas contestable.
33 Deuxièmement, selon une jurisprudence constante, pour les dispositions de la convention de Lugano II qui sont, en substance, identiques à celles du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( JO 2012, L 351, p. 1), et, avant lui, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), ainsi que, précédemment encore, de la convention de Bruxelles de 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de ces dispositions de droit de l’Union reste pertinente (ordonnance du 15 mai 2019, MC, C‑827/18, non publiée, EU:C:2019:416, point 19 et jurisprudence citée).
34 Troisièmement, figurent au titre II, section 4, de la convention de Lugano II, intitulée « Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », notamment les articles 15 et 16.
35 L’article 15 de la convention de Lugano II fixe les trois conditions, rappelées au point 21 du présent arrêt, qui doivent être remplies pour déclencher l’application de ladite section 4. Ces conditions doivent, selon la jurisprudence, être réunies de manière cumulative, de sorte que, si l’une d’elles faisait défaut, la compétence ne saurait être déterminée selon les règles en matière de contrats conclus par les consommateurs (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Primera Air Scandinavia, C‑215/18, EU:C:2020:235, point 56 et jurisprudence citée).
36 Quant à l’article 16 de la convention de Lugano II, la Cour a récemment rappelé, s’agissant de l’article 18 du règlement no 1215/2012, dont le libellé est, en substance identique à celui de cet article 16, que la notion de « domicile du consommateur » doit être interprétée comme désignant le domicile du consommateur à la date de l’introduction du recours juridictionnel (ordonnance du 3 septembre 2020, mBank, C‑98/20, EU:C:2020:672, point 36).
37 Quatrièmement, il importe de garder à l’esprit que, s’agissant des règles de compétence spéciales en matière de contrats conclus par un consommateur, et dans l’hypothèse où, comme en l’occurrence, l’action est intentée contre le consommateur par le professionnel, une règle telle que celle énoncée à l’article 16, paragraphe 2, de la convention de Lugano II est qualifiée de « règle de compétence exclusive », en vertu de laquelle l’action ne peut être portée que devant les juridictions de l’État sur le territoire duquel est domicilié le consommateur (voir, par analogie, ordonnance du 3 septembre 2020, mBank, C‑98/20, EU:C:2020:672, point 26).
38 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de répondre à la question posée.
39 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II doit être interprété en ce sens qu’il détermine la compétence dans le cas où le professionnel et le consommateur, parties au contrat, avaient, à la date de la conclusion de celui-ci, leur domicile dans le même État lié par cette convention et où un élément d’extranéité du rapport juridique n’est apparu que postérieurement à cette date, en raison du transfert du domicile du consommateur dans un autre État lié par ladite convention, ou si, dans une telle hypothèse, cette disposition exige l’existence d’une activité transfrontalière de la part de ce professionnel dès la conclusion dudit contrat.
40 Selon une jurisprudence constante, les méthodes d’interprétation que la Cour utilise requièrent de tenir compte non seulement des termes de la disposition concernée, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que des objectifs que poursuit l’acte dont elle fait partie [voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, A e.a. (Éoliennes à Aalter et à Nevele), C‑24/19, EU:C:2020:503, point 37 ainsi que jurisprudence citée].
41 En premier lieu, selon le libellé de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II, le cocontractant du consommateur « exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État lié par la présente convention sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État ou vers plusieurs États, dont [ledit] État, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités ».
42 Comme le fait valoir la Commission européenne, il ne ressort ni expressément ni implicitement des termes de cette disposition que, à la date à laquelle le contrat a été conclu, l’activité professionnelle doit nécessairement être dirigée vers un autre État que celui du siège du professionnel. De même, rien n’indique non plus que l’État dans lequel le consommateur a son domicile doit être un État autre que celui du siège du cocontractant professionnel.
43 Ainsi, seul est expressément requis le fait que le cocontractant professionnel exerce son activité dans l’État où se trouve le domicile du consommateur.
44 Cette considération est corroborée par la jurisprudence de la Cour s’agissant d’instruments équivalents à la convention de Lugano II. Ainsi, la Cour a déjà jugé que les règles uniformes de compétence étaient applicables nonobstant la circonstance que, à la date de la conclusion du contrat, le consommateur et le professionnel avaient leur domicile dans le même État (voir, en ce sens, arrêt du 17 novembre 2011, Hypoteční banka, C‑327/10, EU:C:2011:745, points 22, 29, 30 et 34 ainsi que jurisprudence citée).
45 Dans l’arrêt du 14 novembre 2013, Maletic (C‑478/12, EU:C:2013:735, point 26), la Cour a réitéré sa jurisprudence constante selon laquelle l’application des règles de compétence requiert l’existence d’un élément d’extranéité et que le caractère international du rapport juridique en cause ne doit pas nécessairement découler de l’implication, en raison du fond du litige ou du domicile respectif des parties au litige, de plusieurs États contractants.
46 Il convient d’observer que si, dans les circonstances présidant au prononcé de l’ordonnance du 3 septembre 2020, mBank (C‑98/20, EU:C:2020:672), la banque, établie dans un premier État, possédait une succursale dans le deuxième État où était, à la date de la conclusion du contrat, également domicilié le consommateur, il est constant que, dans cette affaire, ladite banque n’exerçait aucune activité professionnelle ou commerciale dans le troisième État où le consommateur était désormais domicilié, sans que cette circonstance fasse obstacle à l’application de l’article 17, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1215/2012, dont les dispositions sont quasi identiques à celles de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II.
47 Les considérations qui précèdent ne sont pas contredites par les motifs de l’arrêt du 7 décembre 2010, Pammer et Hotel Alpenhof (C‑585/08 et C‑144/09, EU:C:2010:740). En effet, l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernait l’interprétation du syntagme « diriger vers » dans un cas où l’activité du professionnel était présentée sur un site Internet, et le point de savoir si la simple « accessibilité » du site Internet était suffisante. Ainsi, il ne saurait être déduit dudit arrêt que, en principe, dans le cadre de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II, l’exercice d’une activité professionnelle ou commerciale doit nécessairement concerner un autre État contractant lors de la conclusion du contrat et l’application de cet article serait exclue dès lors que le consommateur, à la date de la conclusion de ce contrat, a son domicile dans le même État que le cocontractant professionnel.
48 En deuxième lieu, en ce qui concerne le contexte, la juridiction de renvoi s’appuie sur une lecture comparative des points a) à c) de l’article 15, paragraphe 1, de la convention de Lugano II pour suggérer qu’un élément d’extranéité lors de la conclusion du contrat est requis au point c) de cette disposition.
49 À cet égard, ainsi que la Commission l’a aussi relevé, aucune des trois hypothèses visées à l’article 15, paragraphe 1, de la convention de Lugano II ne fait mention de la nécessité que l’activité exercée doit présenter un élément d’extranéité à la date de la conclusion du contrat.
50 S’agissant de l’interprétation systématique de l’article 15 de ladite convention, il convient de souligner qu’il ressort de l’article 17, paragraphe 3, de celle-ci que les clauses attributives de juridiction « passées entre le consommateur et son cocontractant ayant, au moment de la conclusion du contrat, leur domicile ou leur résidence habituelle dans un même État lié par la présente convention attribuent compétence aux tribunaux de cet État, sauf si la loi de celui-ci interdit de telles conventions ».
51 Ainsi, et comme le fait valoir M. l’avocat général aux points 76 et 77 de ses conclusions, la circonstance que les parties étaient domiciliées dans le même État à la date de la conclusion du contrat en cause au principal ne fait pas échec à l’application des dispositions du titre II, section 4, de la convention de Lugano II, telles que l’article 17, paragraphe 3, de celle-ci.
52 Il s’ensuit qu’une interprétation systématique des dispositions du titre II, section 4, de la convention de Lugano II n’exige pas l’existence d’une activité transfrontalière de la part du professionnel dès la conclusion du contrat.
53 En troisième lieu, concernant l’objectif poursuivi par la convention de Lugano II, et en réponse à la seconde objection de Commerzbank, relative à la prévisibilité des règles de compétence ainsi qu’au risque que le consommateur « emporte avec lui » le for de protection, il importe de garder à l’esprit que les règles de cette convention visent non pas à régir l’économie du contrat, mais à créer des règles uniformes de compétence judiciaire internationale (voir, par analogie, arrêt du 25 février 2021, Markt24, C‑804/19, EU:C:2021:134, points 30 et 32 ainsi que jurisprudence citée) et que celles-ci ne sont pas déterminées préalablement à l’introduction de l’instance (voir, en ce sens, ordonnance du 3 septembre 2020, mBank, C‑98/20, EU:C:2020:672, point 36).
54 En effet, contrairement aux allégations de la requérante au principal, force est de constater que la règle de la compétence de la juridiction du domicile du consommateur, nonobstant un éventuel changement de domicile, est non seulement le résultat du processus d’intégration normatif, dont les règles de la convention de Lugano II constituent une des manifestations, mais correspond également à celle habituelle de la compétence en fonction du domicile du défendeur, établie à l’article 2, paragraphe 1, de cette convention.
55 En quatrième et dernier lieu, la juridiction de renvoi s’appuie sur le rapport de M. Schlosser sur la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord à la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu’au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice (JO 1979, C 59, p. 71, point 161), pour considérer que, dans l’hypothèse où le consommateur transférerait son domicile dans un autre État après la conclusion du contrat, la section 4, intitulée « Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », du titre II de la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, faite à Lugano le 16 septembre 1988 (JO 1988, L 319, p. 9), dite « convention de Lugano », ne s’appliquerait aux cas visés à l’article 13, premier paragraphe, point 3, de cette convention [dont les dispositions sont reprises à l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II] que si les conditions prévues à cette disposition sont remplies dans le nouvel État de résidence.
56 Il importe de rappeler que le point 161 dudit rapport expose qu’il ne s’agit pas d’une règle absolue, mais qu’elle est susceptible d’exceptions. Ce point explicite notamment la raison d’être de cette règle, tenant aux difficultés inhérentes à la publicité transfrontalière en vue de la conclusion du contrat.
57 À cet égard, force est de constater que les conditions liées aux technologies de communication ont considérablement évolué depuis la publication de ce rapport.
58 En tout état de cause, si le contenu d’un tel rapport est susceptible de corroborer ou de confirmer l’analyse des dispositions dont la Cour doit fournir une interprétation, il n’est pas susceptible d’écarter le libellé de leurs énoncés.
59 Or, ainsi qu’il résulte des points 43 à 54 du présent arrêt, il ressort à la fois du libellé de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II, du contexte de cette disposition ainsi que de la finalité de cette convention que l’applicabilité de ladite disposition est seulement soumise à la condition expresse que le cocontractant professionnel exerce son activité dans l’État du domicile du consommateur à la date de la conclusion du contrat, sans que le transfert ultérieur du domicile du consommateur dans un autre État contractant soit susceptible de faire échec à l’applicabilité de la même disposition.
60 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II doit être interprété en ce sens que cette disposition détermine la compétence dans le cas où le professionnel et le consommateur, parties à un contrat de consommation, étaient, à la date de la conclusion de ce contrat, domiciliés dans le même État lié par cette convention, et où un élément d’extranéité du rapport juridique n’est apparu que postérieurement à ladite conclusion, en raison du transfert ultérieur du domicile du consommateur dans un autre État lié par ladite convention.
Sur les dépens
61 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
L’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée le 30 octobre 2007, dont la conclusion a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008, doit être interprété en ce sens que cette disposition détermine la compétence dans le cas où le professionnel et le consommateur, parties à un contrat de consommation, étaient, à la date de la conclusion de ce contrat, domiciliés dans le même État lié par cette convention, et où un élément d’extranéité du rapport juridique n’est apparu que postérieurement à ladite conclusion, en raison du transfert ultérieur du domicile du consommateur dans un autre État lié par ladite convention.