CA Paris, 4e ch. A, 4 décembre 2002, n° 2001/01099
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Argiletz (SA)
Défendeur :
Ciel Azur (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
Mme Magueur, Mme Rosenthal-Rolland
Avoués :
Me Melun, SCP Garrabos Gerigny-Freneaux
Avocats :
Me Ayache, Me Bonnafons
Jean HEITZ est titulaire de la marque « ARGILITE » n° 97 698 344, enregistrée le 8 octobre 1997, pour désigner des produits et services des classes 3,5, 19, 29, 30 et 32.
Il a consenti, le 29 juin 1998, à la société ARGILETZ une licence d'exploitation exclusive de cette marque qui a été inscrite au Registre National des Marques, le 20 juillet 1998, sous le n° 2 58 140.
Constatant que la société CIEL D'AZUR, diffusaient des produits marqués "ARGILLITE" et "ARGILE ILLITE", la société ARGILETZ après avoir fait pratiquer une première saisie contrefaçon, le 15 février 1999, sur le stand tenu par la société CIEL D'AZUR au Salon de la médecine douce à Paris, puis une seconde saisie dans les locaux de cette société, le 18 février 1999, a saisi le tribunal de grande instance de Paris aux fins de constatation d'actes de contrefaçon.
Par jugement du 5 septembre 2000, le tribunal a déclaré la société ARGILETZ irrecevable en son action et l'a condamnée à verser à la société CIEL D'AZUR la somme de 15 000 francs à titre de dommages et intérêts et celle de 12.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
LA COUR,
Vu l'appel de cette décision interjeté le 5 décembre 2000 par la société ARGILETZ ;
Vu les dernières conclusions en date du 5 avril 2001 par lesquelles la société ARGILETZ, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, soutient qu'elle est recevable à agir, que la marque ARGILITE, distinctive et valable est contrefaite par les dénominations ARGILLITE et ARGILE ILLITE et demande à la cour
- de la déclarer recevable à agir,
- de dire que la société CIEL D'AZUR a commis des actes de contrefaçon de marque,
- d'ordonner la cessation des actes contrefaisants sous astreinte de 10.000 francs par infraction constatée, d'ordonner la confiscation de produits contrefaisants,
- de condamner la société CIEL D'AZUR à lui payer la somme de 200.000 francs à tire de dommages et intérêts, à parfaire après expertise,
- de la condamner au paiement de 40.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières écritures en date du 22 mai 2001 aux termes desquelles la société CIEL D'AZUR, poursuit la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a déclaré la société ARGILETZ irrecevable à agir, et formant appel incident, demande à la cour :
- de constater que les termes ARGILE, ILLITE et ARGILITE étaient très largement employés dans le langage courant et professionnel, à la date du dépôt de la marque, et de prononcer, en conséquence la nullité de ce dépôt, pour défaut de caractère distinctif,
- très subsidiairement, de constater que la marque ARGILITE est faiblement distinctive et dire que l’usage des expressions ARGILLITE, puis de ARGILE ILLITE, présentées, en outre, de façon radicalement différente, ne constitue pas un acte de contrefaçon,
- de condamner, en tout état de cause, la société ARGILETZ au paiement de 20.000 euros pour procédure abusive et de 5.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
SUR QUOI
Sur la recevabilité à agir de la société ARGILETZ :
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 716-5 du Code de la propriété intellectuelle : « l'action civile en contrefaçon est engagée par le propriétaire de la marque. Toutefois, le bénéficiaire d'un droit exclusif 'exploitation peut agir en contrefaçon, sauf stipulation contraire du contrat, si, après mise en demeure, le titulaire n'exerce pas ce droit » ;
Que, selon un contrat du 28 juin 1998 produit aux débats, inscrit au Registre National des Marques, le 20 juillet 1998, sous le n° 258 140, la société ARGILETZ est titulaire d'une licence exclusive d'exploitation des marques déposées par Jean HEITZ, dont la marque française ARGILITE enregistrée, le 8 octobre 1997, sous le n° 97 698 344 ;
Que l'article 7 de ce contrat de licence stipule qu'en cas de contrefaçon de la marque par un tiers, Jean HEITZ donne par avance son accord à la société ARGILETZ pour que cette dernière assure la défense des droits par tout moyen à sa convenance ;
Que la société ARGILETZ justifie, avoir le 22 septembre 1998, mis en démure Jean HEITZ, d'assigner la société CIEL D'AZUR au motif de l'utilisation par cette demeure de la dénomination ARGILLITE ;
Qu'il s'ensuit que la société ARGILETZ, qui satisfait aux prescriptions légales, est recevable à agir, en sa qualité de bénéficiaire d'un droit exclusif d'exploitation de la marque ARGILITE ;
Que dès lors, la décision du tribunal doit être infirmée, en ce qu'elle a déclaré cette société irrecevable à agir et dit 'y avoir lieu 'examiner les actes de contrefaçon reprochés et la demande reconventionnelle en nullité de marque
Sur la validité de la marque ARGILITE :
Considérant que l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que sont dépourvus de caractère distinctif les signes qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;
Considérant que la société CIEL D'AZUR, pour prétendre à la nullité de la marque ARGILITE, soutient que l'expression ARGILITE désignait, au jour du dépôt de la marque, le 8 octobre 1997, dans le langage courant ou professionnel, un produit composé d'argile, que cette dénomination ost dépourvue de caractère distinctif en ce qu'elle désigne des produits hygiéniques, des substances diététiques, des matériaux à base d'argile, des produits incluant des compléments nutritionnels à base d'argile et des boissons non alcooliques incluant de l'argile ou obtenues après traitement à l'argile, en classes 3, 5, 19, 29, 30 et 32 ;
Considérant qu'au soutien de ses prétentions la société CIEL D'AZUR verse aux débats une première série de pièces :
- un ouvrage intitulé "L'argilothérapie" écrit par Jean-François Olivier, édité en 1988, décrivant l'illite comme une argile verte assez commune dans le nord de la France et le Bassin parisien ;
- un ouvrage ayant pour titre "Les Argiles" rédigé par Jean-Pierre Ghénot, paru en 1993, citant l'illite, comme une classe d'argiles ;
- la copie de pages du site Internet des ARGILES DU BASSIN MÉDITERRANEEN, comportant un tarif de vente dont celui de l'argile illite verte ;
- un extrait de l'encyclopédie ENCARTA définissant les nombreuses variantes minérales de l'argile : la kaolite, la smectite, l’illite.. ;
Que cependant, ces pièces démontrent seulement l'usage habituel de la seule dénomination "illite" pour désigner des gisements d'argiles ayant, pour minéraux prédominants, des illites ;
Considérant que la société CIEL D'AZUR verse une deuxième série de pièces, concernant l'emploi de la dénomination ARGILITE :
- un extrait du dictionnaire Larousse Universel, édité en 1922, définissant l'argilite comme "'un schiste dans lequel domine l'argile" ;
- des copies de pages de sites Internet, ayant pour thème la physico-chimie et mentionnant entre autres les argilites ;
- un livret intitulé "Les cahiers de Terres et Couleurs", paru au mois de novembre 1998, consacré aux diverses espèces d'ocres, dans lequel il est indiqué, en page 14 : « qu'une argile secondairement et faiblement colorée pourra dire classée comme une roche (argilite) et qu'un oxide mêlé de rares impuretés argileuses négligeables sera classé comme un minéral (hématite, goethique) »
- une lettre, datée du 26 janvier 2000, aux termes de laquelle le directeur de l'Institut National de Recherche Agronomique précise que "la forme argilite désigne une roche argileuse contenant de fortes quantités d'argile alors que le terme sillite est réservé aux roches argileuses contenant de la silice ;
Considérant que ces documents s'ils démontrent que l'argilite désigne une roche contenant de fortes quantités d'argile et que le terme ARGILITE présente un caractère évocateur pour désigner l'argile, ils n'établissent pas, néanmoins, que cette dénomination est exclusivement, dans le langage courant ou professionnel, la désignation usuelle, générique ou nécessaire du minerai argileux et d'autant moins des produits d'hygiène, de substances diététiques, de matériaux à base d'argile, de compléments nutritionnels et de boissons obtenus après traitement de l'argile, visés au dépôt de la marque ;
Qu'il conserve, appliqués à ces produits, un caractère arbitraire et distinctif au regard des dispositions de l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle ;
Que la demande de nullité de la marque doit être rejetée :
Sur la contrefaçon de la marque :
Considérant que l'huissier a saisi au Salon de la médecine douce à Paris, le 15 février 1999, sur le stand tenu par la société CIEL D'AZUR, deux sachets d'argile concassé revêtus de la dénomination ARGILLITE ; que le 18 février 1999, il a saisi, dans les locaux de cette société, quatre sacs portant l'inscription ARGILE ILLITE ;
Considérant que la société ARGILETZ ne peut prétendre, par le dépôt du terme ARGILITE à tire de marque, interdire aux tiers l'usage de l'expression ARGILE ILLITE qui est la désignation usuelle d'une de principales variétés d'argile, ayant pour minéraux prédominants, des illites, et qui, utilisée dans son acception courante ne revêt d'autre signification que celle qui lui est habituellement donnée ;
Qu'il s'ensuit que la société ARGILETZ ne peut reprocher à la société CIEL D'AZUR d'avoir utilisé le terme AGILE ILLITE ;
Considérant par ailleurs, en ce qui concerne l'usage de la dénomination ARGILLITB, que la marque ARGILITE n'étant pas reproduite à l'identique, il convient de rechercher s'il existe entre les signes en présence un risque de confusion qui doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce et notamment de leurs éléments dominants et distinctifs ;
Considérant que, si les deux signes ont en commun les lettres "A.R.G.I.L.I.TE", elles présentent une structure et un aspect visuel différents ;
Que la marque première est un signe verbal, déposé en lettres bâtons banales, de couleur noire ; que le signe second se distingue par une police d'écritures de fantaisie, lui conférant un aspect particulier, accentué par des lettres en relief de couleur verte, entourées de jaune ou de blanc, et par le graphisme d'un soleil stylise de teinte jaune ;
Considérant que ces caractéristiques lui donne une physionomie d'ensemble distincte de celle de la marque antérieure purement verbale ;
Qu'il s'ensuit que le consommateur d'attention moyenne, qui n'aurait pas les deux signes sous les yeux, ne sera pas conduit dans ces conditions, à confondre les deux marques, voire même a leur attribuer une origine commune ;
Que le risque de confusion est d'autant moins réel que la marque ARGILITE, est dotée d'un pouvoir évocateur fort qui en affaiblit le caractère distinctif rapporté aux produits auxquels elle est associée ;
Considérant, par voie de conséquences, qu’il convient de rejeter le grief de contrefaçon de marque ;
Sur la demande reconventionnelle :
Considérant que la société ARGILETZ a pu se méprendre de bonne foi sur la portée de ses droits ; que la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la société CIEL D'AZUR dit donc être rejetée ;
Considérant en revanche que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société CIEL D'AZUR ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 5.000 euros ; que la société ARGILETZ qui succombe en ses prétentions doit être déboutée de sa demande formée sur ce même fondement ;
PAR CES MOTIFS
Infirme la décision entreprise, sauf en ce qu'elle a condamné la société ARGILETZ à payer à la société CIEL D'AZUR la somme de 12. 000 francs, soit 1.829,39 euros, par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Statuant à nouveau :
Déclare la société ARGILETZ recevable à agir,
Déboute la société CIEL D'AZUR de sa demande en nullité de la marque n° 97 698 344 et sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,
Déboute la société ARGILETZ de ses demandes formées au titre de la contrefaçon de marque,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne la société ARGILETZ à payer à la société CIEL D'AZUR la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
La condamne aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.