CA Aix-en-Provence, ch. 3 sect. 2, 23 septembre 2021, n° 18/00648
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Tan (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lis-Schaal
Conseillers :
Mme Vassail, Mme Vadrot
La société TAN a vendu le 3 juillet 2012 à M. Laurent S. 210 m2 de lames de terrasse extérieure en bambou ainsi que des matériaux de pose (lambourdes, clips et vis en inox) pour le prix de 14 142,70 euros TTC.
La pose du matériel a été effectuée par M. S. lui-même au cours de l'hiver 2012-2013.
Au cours de l'été 2014, M. S. a remarqué des signes de dégradations des lames qui se sont accentués au cours de l'été 2015.
Il a pris contact en juillet 2014 avec M. D. de la société TAN qui lui a conseillé de poncer les lames de bambou, ce que M. S. n'a pas fait.
M. S. expose que les lames de bambou présentent des déformations importantes telles que des échardes de telle sorte que tout contact direct avec le bois est dangereux et que l'accès normal à la piscine est devenu impossible.
Par lettre recommandée AR en date du 25 juillet 2016, M. S. a proposé à la société TAN un remboursement de la marchandise défectueuse ce que la société TAN a refusé en déclarant qu'elle transmettait le litige à son assureur AXA.
Une expertise amiable contradictoire a eu lieu mais aucun accord n'est intervenu.
C'est dans ce contexte que M. S. a assigné la société TAN et la société AXA le 27 janvier 2017 devant le tribunal de commerce d'Aix en Provence aux fins de condamnation de la somme au principal de 38 198,40 euros TTC.
Par jugement contradictoire du 28 novembre 2017, le tribunal de commerce d'Aix en Provence a déclaré recevable l'action en responsabilité pour violation des obligations d'information et de conseil de M. S.,
Mis hors de cause la société AXA FRANCE IARD,
Condamné la société TAN à payer à M. S. la somme de 38 198,40 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2017 à titre de dommages et intérêts,
Condamné la société TAN à payer à M. S. la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du CPC,
Condamné la société TAN aux dépens,
Ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Les premiers juges ont estimé qu'il ne s'agissait pas d'un vice caché mais que la chose vendue était intrinsèquement impropre à l'usage auquel l'acheteur la destinait (terrasse extérieure en bordure de piscine).
Sur le fond, ils ont relevé que de son propre aveu, la société TAN a vendu et conseillé ce produit dont elle ne connaissait pas les qualités intrinsèques (qu'elle ne commercialise plus) et qu'elle n'a donc pas rempli ses obligations de conseil. Le produit vendu ne remplissant manifestement pas la fonction à laquelle il était destiné ce qui a été confirmé par l'expertise contradictoire.
Ils n'ont pas retenu le défaut de pose ou le défaut d'entretien ni la qualité de professionnel de M. S..
Ils ont également estimé que l'obligation de conseil ne pouvait être remplie que par la seule remise de la fiche produit et du manuel d'entretien.
Ils ont retenu le montant du préjudice demandé par M. S. qui tient compte de l'évacuation des lames défectueuses, de leur mise à la décharge et du remplacement par la pose d'un produit équivalent.
La société TAN a interjeté appel de cette décision le 11 janvier 2018.
Par conclusions notifiées par le RPVA du 23 janvier 2019, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, la société TAN conclut :
Réformer le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
Au visa des articles 1641 et suivants du code civil,
Requalifier l'action en action fondée sur la garantie des vices cachés,
Dire et juger cette action irrecevable comme prescrite,
La mettre hors de cause,
A titre subsidiaire,
Au visa de l'article 1134 et suivants du code civil (ancien),
Dire et juger que la société TAN, simple revendeur, ne saurait voir sa responsabilité contractuelle engagée au titre d'un manquement à son devoir de conseil ou d'information alors que les préconisations d'entretien avaient été remises au client qui en a eu connaissance par les conditions générales de vente, que M. S. est un professionnel du bâtiment et qu'il n'a pas entretenu les lames, en conséquence, débouter M. S. de l'ensemble de ses demandes,
A titre très subsidiaire,
Dire et juger que la faute de M. S. dans le défaut de pose et d'entretien des lames l'exonère partiellement de sa responsabilité,
Impartir un partage de responsabilité dont la plus large part doit incomber à M. S.,
Dire et juger les condamnations à sa charge ne sauraient excéder le montant du prix de vente des lames endommagées, soit la somme de 11 930,10 euros TTC avant déduction de la part des lames en bon état,
Réduire à de plus justes proportions le montant des condamnations prononcées à son encontre,
En tout état de cause,
Condamner M. S. à payer à la société TAN la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC,
Condamner M. S. aux entiers dépens.
La société TAN soutient qu'il s'agit d'un vice caché, l'expert de M. S. ayant évoqué un vice inhérent au produit, soit un défaut caché de la chose vendue qui la rendait impropre à son usage normal.
Elle conteste les conclusions de l'expertise CEMI qui a été retenue par les premiers juges.
Elle fait valoir qu'elle ne connaissait pas, au moment de la vente, la qualité du produit destiné à un usage extérieur.
M. S. devait donc agir sur le fondement de la garantie des vices cachés de l'article 1641 du code civil qui doit être intentée dans un délai de 2 ans à compter de la découverte du vice ce qui en l'espèce au plus tard jusqu'à l'été 2016.
En l'assignant le 27 janvier 2017, son action doit être déclarée irrecevable pour prescription.
A titre subsidiaire, elle conteste sa responsabilité en matière de son devoir de conseil alors que M. S. a choisi le matériau en lames de bambou, qu'il a reçus les préconisations d'entretien, qu'il est un professionnel du bâtiment et qu'il ne les a pas appliquées. Elle ajoute que les désordres apparus peuvent également provenir d'un défaut de pose qui a été réalisée par M.S..
Elle sollicite à titre très subsidiaire, que soit retenu une exonération partielle de sa responsabilité et une réduction des condamnations à son encontre.
Par conclusions notifiées par le RPVA en date du 10 avril 2020, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, M. S., au visa des articles 1231-1 (ancien 1147) et 1353 du code civil (ancien 1315), conclut :
Rejeter l'ensemble des demandes de la société TAN,
Confirmer le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Condamner la société TAN à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de dommages et intérêts pour le préjudice de jouissance,
La condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens.
M. S. rappelle avoir proposé à plusieurs reprises à la société TAN une solution à l'amiable, ce que cette dernière a toujours refusé.
Il explique que la terrasse est en l'état inutilisable (échardes sur la surface) ans prendre le risque de se blesser.
Il soutient que l'origine de ces désordres est le manquement de la société TAN à son obligation de conseil et d'information en sa qualité de vendeur professionnel, les lames de bambou n'étant pas adaptées à l'usage auquel elles étaient destinées, soit la bordure d'une piscine en extérieur.
Il fait valoir que son action n'a pas pour fondement la garantie pour vice caché, qui n'a jamais été caractérisé mais sur le fait que les lames de bambou n'étaient pas adaptées à un usage extérieur non abrité ce qui est établi par l'absence de désordres des lames à l'abri.
La société TAN a manqué à son obligation d'information en sa qualité de vendeur professionnel et à son devoir de conseil. Son dirigeant a d'ailleurs reconnu qu'il ne commercialisait plus de ce produit de qualité médiocre, le bambou n'étant pas adapté pour être posé en extérieur comme l'indique l'attestation de la société TECK AMENAGEMENT professionnel de la terrasse bois.
Il conteste que les désordres puissent avoir pour origine la pose ou le défaut d'entretien relevant que si c'était le cas, les désordres atteindraient aussi les lames à l'abri.
Il rappelle que le seul conseil d'entretien qui lui a été donné n'est pas d'utiliser une huile d'entretien mais de procéder au ponçage des lames.
Il conteste sa qualité de professionnel alors qu'il est salarié de la société Eaux de Marseille et effectue sous le statut d'autoentrepreneur quelques travaux de peinture pour financer ses propres travaux.
Il ajoute que les conditions générales de vente n'ont pas été portées à sa connaissance et communique la facture originale qui ne les comporte pas au verso. La mention d'acceptation au recto ne saurait être suffisante.
Il réclame la réparation intégrale de son préjudice qui comprend le démontage et le remplacement des 210 m2 de la terrasse pour un montant de 38 198,40 euros et s'oppose à un partage de responsabilité alors qu'aucune faute ne lui est imputable.
Il sollicite en outre la réparation d'un préjudice de jouissance qu'il évalue au montant de 10 000 euros.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er juillet 2021.
SUR CE ;
Sur la recevabilité de la demande de M. S.;
Attendu que la société TAN soutient que l'action de M. S. est irrecevable car fondée sur la garantie des vices cachés de l'article 1641 du code civil qui doit être intentée dans un délai de 2 ans à compter de la découverte du vice ce qui en l'espèce se situe au plus tard jusqu'à l'été 2016.
Qu’en ayant été assignée le 27 janvier 2017, l'action doit être déclarée irrecevable pour prescription, mais attendu que M. S. agissant sur le défaut de conseil et d'information de la société TAN et non sur le vice caché fait valoir à juste titre que les désordres dont souffrent les lames de bambou résultent de leur inadaptation pour être utilisées sur une terrasse en bordure d'une piscine supportant l'ensoleillement et les intempéries de la région,
Que le dirigeant de la société TAN a lui-même reconnu qu'il ne connaissait pas ce matériau et qu'il ne le commercialise plus depuis, jugeant sa qualité médiocre (pièce n°4 de M. S.),
Qu’il ne s'agit pas d'un vice caché au sens de défaut caché de la chose vendue qui la rendrait impropre à son usage normal, d'autant plus que ces désordres ne sont apparus qu'aux endroits où les lames n'étaient pas à l'abri,
Qu’en conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris qui a écarté le vice caché et a débouté la société TAN de sa demande d'irrecevabilité ;
Sur le fond ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que la terrasse de M. S. constituée de lames de bambou vendues par la société TAN pour le prix de 14 142,70 euros TTC, souffre de nombreux désordres tels que l'apparition d'échardes qui rendent tout contact direct avec le bois dangereux et l'accès normal à la piscine impossible (pièce n°9 de M. S. et procès verbal de constat du 9 mars 2020),
Que ces désordres ont été relevées par l'expertise amiable contradictoire (pièce n° 4 de M. S.),
Que la société TAN, en sa qualité de professionnelle avait envers M. S., non professionnel (sa qualité d'auto-entrepreneur signifiant juste des qualités de bricoleur) une obligation de conseil lors de son achat, en délivrant des indications préalablement à la vente,
Que cette obligation de conseil n'a pas été remplie comme le démontre l'avis de la société TECK AMENAGEMENT (spécialiste de la terrasse en bois, pièce n°13 de M. S.) qui indique que le bois posé chez M. S. est de mauvaise qualité, que le professionnel vendeur de ces lames aurait dû lui indiquer les risques qu'il courait très rapidement avec ce type de terrasse en lames de bambou et que l'entretien de ce matériau à l'extérieur était impossible,
Que la société TAN avait parfaitement connaissance de l'usage qui devait être fait des lames en bambou, soit la pose en bordure d'une piscine,
Que le fait qu'elle ne connaissait pas ce produit qu'elle commercialisait pour la première fois ne peut l'exonérer de sa responsabilité vis à vis de son client,
qu'elle ne peut soutenir légitimement qu'elle a rempli ses obligations contractuelles en ayant conseillé à M. S. de poncer les lames lorsque les premiers désordres sont apparus ou que les désordres sont la conséquence de la pose défectueuse des lames effectuée par M. S. alors que les désordres ne sont pas apparus sur toute la surface de la terrasse ce qui aurait été le cas vu que M. S. a posé la totalité des lames ou enfin qu'il y aurait mauvais entretien de la part de M. S. ce qui n'est nullement établi,
Que la société TAN, sur qui pèse la charge de la preuve, ne démontre pas que la remise des conditions générales de vente à M. S.,
Qu’en conséquence, la responsabilité de la société TAN dans la survenance des désordres est entière en application de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable au litige et M. S. a droit à une réparation intégrale de son préjudice, qui comprend le démontage et la pose d'une nouvelle terrasse avec un matériau adapté,
Que le devis de l'expert chiffré au montant 38 198,40 euros sera retenu à l'exception du coût au m2 de la pose qui apparaît trop élevé au vu des éléments produits par la société TAN et sera ramené au prix de 50 euros au lieu de 69 euros HT et chiffré au montant de 14 500 euros, soit un montant de 10 500 euros HT,
Qu’il y a donc lieu à confirmer le jugement entrepris qui a condamné la société TAN à payer à M. S. la somme de 34 198,40 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2017 à titre de dommages et intérêts, ;
Attendu que M. S. sollicite en outre la réparation d'un préjudice de jouissance qu'il chiffre au montant de 10 000 euros,
Qu’installée en 2012-2013, elle n'a jamais pu être utilisée normalement en raison de sa dangerosité depuis l'été 2014,
Que la société TAN en refusant toutes les propositions de M. S. alors qu'il ne réclamait au départ le 25 juillet 2016 que le remboursement du matériel, a de fait, augmenté la durée du préjudice de jouissance,
Que ce préjudice sera donc justement réparé par un montant de 2 000 euros;
Attendu que l'équité impose de condamner la société TAN à payer à M. S. la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS ;
La Cour statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions excepté le montant du préjudice ;
Y ajoutant,
Condamne la société TAN à payer à M. S. la somme de 34 198,40 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2017 à titre de dommages et intérêts,
Condamne la société TAN à payer à M. S. la somme de 2 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance ;
Condamne la société TAN à payer à M. S. la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société TAN aux entiers dépens.