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Décisions

Cass. com., 11 mai 2010, n° 09-12.906

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

SCP Defrenois et Levis, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin

Montpellier, du 10 févr. 2009

10 février 2009

Joint le pourvoi n° Q 09-12. 906 formé par la société BNP Paribas et le pourvoi n° U 09-13. 347 relevé par la société UCB entreprises aux droits de la société Union de crédit pour le bâtiment, qui attaquent le même arrêt ;

Donne acte à la société UCB entreprises de ce qu'elle s'est désistée du quatrième moyen du mémoire ampliatif qu'elle a déposé le 13 août 2009 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que pour la construction et l'exploitation d'un hôtel et d'un parc de loisirs, la société BNP Paribas (la BNP) a consenti le 9 mars 1987 à la SCI X (la SCI) dont Jean et Louise X décédés depuis, étaient les associés avec leurs fils Bernard et Philippe (MM. X), un prêt de 1 800 000 francs (274 408, 23 euros), ainsi qu'un découvert bancaire porté à 4 730 000 francs (721 083, 85 euros) entre 1987 et 1990 ; qu'ultérieurement, le 17 octobre 1992, a été conclue entre la BNP et la SCI une convention de compte-courant englobant tous les rapports d'obligation existant entre les parties et ce pour un montant de 3 500 000 francs (533 571, 56 euros), dont Jean et Louise X se sont rendus cautions ; que le 15 septembre 1990, l'Union de crédit pour le bâtiment aux droits de laquelle vient la société UCB entreprises (l'UCB) a consenti à la SCI un prêt de 2 500 000 francs (381 122, 54 euros), dont Jean et Louise X ainsi que MM. X se sont rendus cautions ; qu'ayant été condamnés par arrêt du 15 mai 2002 à payer à la BNP le montant resté impayé de ses concours, la SCI et MM. X, ces derniers agissant en qualité de cautions et d'héritiers de Jean et Louise X, l'ont assignée en responsabilité contractuelle pour soutien abusif ; que la SCI ayant été mise en redressement judiciaire le 6 mai 2003, la SCP B et Y et M. Z désignés respectivement représentant des créanciers et administrateur judiciaire sont intervenus volontairement le 5 mai 2004 à l'instance engagée contre la BNP et ont assigné le 12 mai 2004, ensemble avec MM. X, l'UCB, pour demander, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la condamnation des deux banques à leur payer, à titre de dommages-intérêts, le montant de leurs créances déclarées ainsi que le cas échéant les sommes réclamées aux cautions ; qu'un plan de redressement par continuation de la SCI a été homologué le 20 juillet 2004, M. Z étant désigné commissaire à son exécution ; que la SCI, M. Z en cette dernière qualité et M. Y en qualité de représentant des créanciers ont demandé la condamnation des deux banques au paiement à titre de dommages-intérêts, de leurs créances déclarées ; que les banques leur ont opposé des fins de non-recevoir tirées de la prescription et du défaut de qualité à agir des organes de la procédure et ont contesté les fautes invoquées ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° Q 09-12. 906 :

Attendu que la BNP reproche à l'arrêt d'avoir dit recevable l'action de M. Z ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la SCI et de l'avoir en conséquence condamnée à lui payer au profit des créanciers de la SCI la somme de 1 798. 151, 29 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2004 au titre d'un soutien abusif, alors, selon le moyen :

1°) que pour juger recevable la demande de dommages-intérêts formée dans l'intérêt des créanciers sur le fondement de l'article 1382 du code civil par le commissaire à l'exécution du plan, lequel n'avait émis aucune prétention en première instance, se contentant de demander au tribunal de lui donner acte de sa nomination en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan, la cour d'appel a retenu que cette demande n'était pas nouvelle, M. Z en qualité de commissaire à l'exécution du plan poursuivant l'action précédemment initiée par la SCI et par M. Y en qualités de représentant des créanciers ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 329, 564 et 565 du code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du code civil ;

2°) que pour juger recevable la demande de dommages-intérêts formée dans l'intérêt des créanciers sur le fondement de l'article 1382 du code civil par le commissaire à l'exécution du plan, pour la première fois en cause d'appel, la cour d'appel a retenu qu'il ne s'agissait pas d'une demande nouvelle puisque la SCI avait réclamé en première instance des dommages-intérêts ; qu'en statuant ainsi, alors que la SCI agissait sur le fondement de la responsabilité contractuelle en réparation du préjudice qu'elle avait subi et non dans l'intérêt collectif des créanciers pour obtenir réparation de leur préjudice, ce dont il résultait que les prétentions ne tendaient pas aux mêmes fins, la cour d'appel a violé les articles 564 et 565 du code de procédure civile ;

3°) que pour juger recevable la demande de dommages-intérêts formée dans l'intérêt des créanciers sur le fondement de l'article 1382 du code civil par le commissaire à l'exécution du plan, pour la première fois en cause d'appel, la cour d'appel a retenu qu'il ne s'agissait pas d'une demande nouvelle puisque M. Y, ès qualités, avait réclamé des dommages-intérêts en première instance ; qu'en statuant ainsi alors qu'aux termes des conclusions récapitulatives de première instance du 5 mars 2007, M. Y en qualité de représentant des créanciers sollicitait uniquement la condamnation de la BNP à réparer le préjudice subi par la SCI et non par les créanciers de cette dernière de sorte que la demande de dommages-intérêts ne tendait pas aux mêmes fins que celle formée en cause d'appel par le commissaire à l'exécution du plan, la cour d'appel a violé les articles 564 et 565 du code de procédure civile ;

Mais attendu que le commissaire à l'exécution du plan trouve, dans les pouvoirs qui lui sont conférés par l'article L. 621-68 du code de commerce en vue de poursuivre les actions exercées avant le jugement arrêtant le plan par le représentant des créanciers, qualité pour la défense de leur intérêt collectif ; qu'ayant retenu que le représentant des créanciers était intervenu sur le fondement de l'article 1382 du code civil, pour défendre l'intérêt collectif des créanciers, à l'instance en responsabilité contractuelle engagée contre la banque par la SCI et MM. X, et que M. Z ayant déclaré reprendre cette action en qualité de commissaire à l'exécution du plan, il ne s'agissait pas d'une demande nouvelle, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° U 09-13. 347 :

Attendu que l'UCB fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré non prescrite l'action en responsabilité formée, par exploit d'huissier du 12 mai 2004, par la SCI, M. Z en qualité d'administrateur judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan de la SCI, M. Y en qualité de représentant des créanciers de la SCI, et MM. X, à l'encontre de l'UCB, et d'avoir en conséquence rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par cette dernière, alors, selon le moyen, que s'agissant d'une action en responsabilité dirigée contre une banque pour soutien abusif, le point de départ de la prescription décennale de l'article L. 110-4 du code de commerce est constitué par la date de signature du prêt ; que l'arrêt relève que le prêt litigieux que l'UCB a consenti à la SCI a été conclu le 15 septembre 1990, et que l'action en responsabilité formée par la SCI, M. Z, M. Y et MM. X a été engagée par exploit d'huissier du 12 mai 2004 ; qu'en déclarant que les actions en responsabilité pour soutien abusif engagées par la SCI, M. Z, M. Y et MM. X, à l'encontre de l'UCB, n'étaient pas prescrites, alors qu'il s'était écoulé plus de dix années entre la conclusion du contrat de prêt et l'assignation délivrée à l'UCB, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article L. 110-4 du code de commerce ;

Mais attendu que la prescription d'une action en responsabilité ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'ayant retenu, par motifs adoptés, qu'à l'encontre de M. Z, représentant des créanciers, le point de départ du délai décennal était la date d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire soit le 23 avril 2003, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi n° Q 09-12. 906, pris en sa première branche, et le deuxième moyen du pourvoi n° U 09-13. 347, pris en sa première branche, réunis :

Vu l'article 1382 du code civil ;

Attendu que pour dire que la BNP et l'UCB ont accordé un soutien abusif à la SCI et les condamner à payer à M. Z, ès qualités, au profit des créanciers de la société, différentes sommes, l'arrêt retient que si Jean X s'est constitué un patrimoine foncier important et a créé des sociétés, il les a gérées avec plus de chance que de compétence puisque toutes ont fait l'objet de procédures collectives, qu'il s'est toujours présenté comme commerçant mais que rien ne permet de considérer qu'il maîtrisait parfaitement la lecture des bilans, les avantages et les risques des produits offerts par les banques, que ses affaires n'ont été menées qu'avec des connaissances de base et ont périclité à tel point que l'un de ses fils a renoncé à sa succession, que la lettre par laquelle l'expert comptable de la SCI suppliait Jean X d'admettre l'endettement de la société signifie clairement que l'intéressé n'agissait pas en financier avisé et qu'il n'avait pas conscience de la portée de ses engagements ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que Jean X dirigeait la société qui sollicitait le crédit, laquelle, appartenant à un groupe de six sociétés civiles et commerciales, était un emprunteur averti, de sorte que les banques n'étaient pas tenues d'un devoir de mise en garde à son égard, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Sur le troisième moyen du pourvoi n° Q 09-12. 906, pris en sa quatrième branche :

Vu les articles 1382 du code civil ;

Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient que dès l'origine, le projet de la SCI présentait un risque important dès lors que le loyer commercial, seule ressource de la société, n'était que de 16 000 francs ht puis 17 000 francs ht alors que le montant du remboursement du premier prêt consenti par la BNP s'élevait à 21 824, 52 francs ht par mois, de sorte que l'opération présentait dès le départ une dette de près de 3 millions de francs pour la SCI, que le découvert bancaire accordé par la BNP à la SCI constituait un mode de crédit ruineux compte tenu du montant des agios " qui ne pouvait être qu'exorbitant ", et que le crédit accordé le 17 octobre 1992 est plus fautif encore, la banque se sentant manifestement garantie par le patrimoine personnel de Jean X ; qu'il retient encore que la pérennité de ce soutien relevé entre 1987 et fin 1995, soit durant près de neuf ans est effective et que si le découvert bancaire ruineux accordé par la banque durant près de quatre ans avait cessé plus tôt, il ne fait aucun doute que la SCI ne se serait pas maintenue, moribonde et avec un passif démesuré, jusqu'à l'ouverture du redressement judiciaire le 6 mai 2003 ;

Attendu qu'en se déterminant par tels motifs, sans établir que le crédit ne pouvait conduire qu'à la ruine de l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Sur le troisième moyen du pourvoi n° U 09-13. 347, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1382 du code civil ;

Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient qu'alors que la situation de la SCI était irrémédiablement compromise, l'octroi par l'UCB d'un prêt de 2 500 000 francs (381 122, 54 euros) à la société, le 15 septembre 1990, constitue une faute caractérisée, que si l'UCB s'était réellement informée de la santé financière de la SCI avant de lui consentir le prêt litigieux, elle aurait découvert le très important endettement de celle-ci et aurait refusé son concours, et que la banque, qui soutient s'être renseignée, admet elle-même que les découverts consentis par la BNP étaient particulièrement onéreux ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la situation irrémédiablement compromise d'une société s'apprécie à la date du prêt qui lui est consenti, et qu'elle constatait qu'après avoir assuré le remboursement du prêt consenti par l'UCB jusqu'en 1995, la SCI n'avait été mise en redressement judiciaire qu'en 2003, soit près de treize années après la fourniture du prêt, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le sixième moyen du pourvoi n° Q 09-12. 906 :

Vu l'article 1382 du code civil ;

Attendu que pour condamner la BNP à payer à M. Z, ès qualités au profit des créanciers de la SCI la somme de 1 798 151, 29 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2004 au titre d'un soutien abusif, l'arrêt retient qu'en raison de la persistance du soutien abusif des banques, dont le résultat a été le placement de la SCI en redressement judiciaire, il n'y a pas lieu de refuser d'accorder à la partie appelante, à titre de dommages-intérêts, le montant des créances déclarées ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la banque qui a fautivement retardé l'ouverture de la procédure collective de son client n'est tenue de réparer que l'aggravation de l'insuffisance d'actif qu'elle a contribué à créer, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'action de M. Z en qualité de commissaire à l'exécution du plan, l'arrêt rendu le 10 février 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier autrement composée.