CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 septembre 2021, n° 19/16575
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
General Logistics Systems France (SAS)
Défendeur :
Lulilo (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
M. Gilles
Avocats :
Me Leboucq Bernard, Me Lecomte, Me Martin, Me Ingold, Me Nayrolles
Vu le jugement rendu le 16 mai 2019 par le tribunal de commerce de Marseille qui a :
- débouté la société Général logistics systems France (GLS France) de toutes ses demandes,
- condamné reconventionnellement la société Général logistics systems France (GLS France) à payer à la société Lulilo la somme de 2.857,12 euros, au titre de son préjudice financier,
- débouté la société Lulilo de sa demande en réparation d'un préjudice d'image,
- condamné la société Général logistics systems France (GLS France) aux dépens et à payer à la société Lulilo la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu l'appel relevé par la société General logistics systems France (GLS France) et ses dernières conclusions notifiées le 4 mai 2020 par lesquelles elle demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce ainsi que des articles 1103, 1231-1, 1231-2, 1231-5 et 1240 du code civil, de réformer le jugement et, statuant à nouveau :
1) sur ses demandes, de :
- constater que, dès le mois de février 2016, la société Lulilo a rompu brutalement la relation commerciale établie avec elle,
- condamner la société Lulilo à lui payer la somme de 30.255,90 euros au titre du préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture des relations commerciales, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 8 mars 2016 par laquelle elle a pris acte de la rupture abusive des relations commerciales établies,
- ordonner la capitalisation des intérêts par application de l'article 1343-2 du code civil,
2) sur l'appel incident de la société Lulilo, de :
- débouter cette société de l'ensemble de ses demandes,
3) en tout état de cause, de :
- condamner la société Lulilo à lui payer la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner à supporter les dépens ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 4 février 2020 par la société Lulilo qui demande à la cour, au visa des articles L. 442-6 ancien du code de commerce, 1382 du code civil et L. 132-2 du code de commerce, de :
1) confirmer le jugement en ce qu'il a :
- débouté la société GLS France de toutes ses demandes,
- condamné reconventionnellement la société GLS France à lui payer la somme de 2.857,12 euros en réparation de son préjudice financier,
- condamné la société GLS France aux dépens et à lui payer la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
2) la recevoir en son appel incident et :
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes en paiement des sommes de 2.289 € et 25.735,48 € en réparation de son préjudice financier ainsi que de sa demande en réparation d'un préjudice d'image,
- statuant à nouveau, condamner la société GLS France à lui payer :
la somme de 28.024 euros, soit : 2.289 euros au titre de 25 commandes annulées et remboursées pour délai insatifaisant et non respecté suite à la rétention de 148 colis par la société GLS France et 25.735,48 euros au titre de sa suspension de la market place Amazon.de (Allemagne) du mois de septembre 2016 jusqu'au mois de mai 2018, la somme de 3.500 euros au titre du préjudice d'image subi,
3) ajoutant au jugement :
- condamner la société GLS France à lui payer la somme de 5.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux dépens d'appel ;
SUR CE LA COUR
La société Lulilo, qui a pour activité la vente de produits liés au monde de l'enfance, exploite sous l'enseigne Made in bébé un magasin à Rodez et un site internet dénommé madeinbebe.com.
Le 22 novembre 2010, elle a ouvert un compte client auprès de la société GLS France, commissionnaire de transport, pour l'expédition de colis en France et à l'international.
Par lettre recommandée du 8 mars 2016, avec avis de réception, adressée à la société Lulilo, la société GLS France a écrit :
- qu'elle avait constaté une baisse significative de la remise de colis, soit 1809 colis remis en février 2016 contre 3.429 en février 2015,
- que cette baisse substantielle et soudaine du volume d'affaires modifiait de façon significative et unilatérale leurs relations contractuelles et constituait une rupture des relations commerciales dont la brutalité lui causait un grave préjudice,
- qu'elle la mettait en demeure de lui remettre un volume de colis identique à ceux des mois précédents la baisse, soit en moyenne 4.482 colis par mois, faute de quoi elle lui refacturerait le préjudice subi.
Par lettre de son conseil en date du 27 avril 2016, la société Lulilo a répondu qu'elle n'avait procédé à aucune rupture brutale, ni manqué à ses obligations contractuelles en précisant que les offres tarifaires de 2014, établies sur une base globale de 1720 colis ne prévoyaient aucun engagement de volumes et, au contraire, une possibilité de variation de volumes; reprochant à la société GLS France la mauvaise qualité de ses prestations (perte de colis, colis endommagés, erreur de destinataires, problèmes d'étiquetages), elle l'a mise en demeure de respecter ses obligations en fournissant un service de qualité; enfin elle l'a informée qu'elle avait décidé de mettre un terme à leurs relations contractuelles et commerciales à compter du 31 septembre 2016, sa lettre valant résiliation à cette date.
Par lettre recommandée en date du 23 mai 2016, avec avis de réception, la société GLS France a exposé que l'article 5 des conditions générales signées par la société Lulilo stipulaient que le volume mentionné dans la proposition tarifaire devait être respecté pendant tout le contrat et que cette société n'avait pas respecté le volume de 2.840 colis par mois prévu; elle a réitéré ses demandes précédentes et souligné que durant les 6 derniers mois, le nombre de colis faisant l'objet d'un litige ne représentait que 0,01 % du nombre de colis remis, ce qui ne pouvait justifier un non respect par la société Lulilo de ses engagements contractuels.
Le 7 juillet 2016, la société GLS France a envoyé à la société Lulilo une facture d'un montant de 61.530,94 euros correspondant à une perte de chiffre d'affaires subie du fait de la chute brutale du volume de remise depuis février 2016.
Le 26 septembre 2016, se prévalant de cette créance indemnitaire non réglée et de l'article L. 132-2 du code de commerce, la société GLS France a informé la société Lulilo qu'elle exerçait son droit de rétention sur les marchandises confiées en vue de leur transport depuis le 21 septembre 2016 ;
Le 29 septembre 2016, la société Lulilo a rappelé à la société GLS France que le privilège prévu à l'article L. 132-2 du code de commerce permet seulement au commissionnaire de transport de conserver par devers lui les marchandises reçues du commettant tant que celui-ci doit des commissions et lorsque la créance est certaine, liquide et exigible; soulignant que la facture réclamée concernait une prétendue créance indemnitaire et non une créance se rapportant à une opération de commission, la société Lulilo a mis en demeure la société GLS France de cesser sans délai la rétention des 148 colis et de les lui retourner sans délai, se réservant de solliciter des dommages-intérêts pour préjudices subis.
Les 148 colis ont été retournés à la société Lulilo le 5 octobre 2016
C'est à la suite de ces circonstances que, le 2 mars 2018, la société GLS France a assigné la société Lulilo devant le tribunal de commerce de Marseille afin d'obtenir des dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie ; le tribunal, par le jugement déféré, l'a déboutée de sa demande et a fait droit partiellement à la demande reconventionnelle de la société Lulilo en réparation de ses préjudices financiers mais rejeté sa demande au titre du préjudice d'image.
1) Sur la demande de la société GLS France pour rupture brutale des relations commerciales établies :
Il n'est pas contesté que les parties entretenaient des relations commerciales établies depuis au moins 5 ans.
Pour caractériser la rupture brutale des relations par la société Lulilo, la société GLS France fait valoir :
- que la modification désavantageuse des conditions de la relation, imposée unilatéralement par une des parties, constitue une rupture brutale si cette modification est substantielle,
- qu'en l'espèce, la société Lulilo a diminué de façon significative le volume des colis qu'elle lui remettait à compter de février 2016,
- qu'elle ne lui a remis que 1.809 colis en février 2016 contre 3.082 en janvier 2016 et 3.429 en février 2015 et, en tout état de cause, un volume inférieur au minimum contractuellement convenu,
- que les conditions tarifaires acceptées par la société Lulilo lui imposaient de remettre un minimum de 2.840 colis par mois, soit 1.890 à livrer en France et 950 à livrer en zone Europe,
- que la société Lulilo aurait dû respecter ce volume pendant la durée du préavis, ce qu'elle n'a pas fait, le nombre de colis remis n'ayant fait que décroître progressivement pour se réduire à 624 en septembre.
La société Lulilo réplique :
- qu'il n'y a pas eu de modification significative du volume de colis remis en France et en Europe au mois de février 2016 puisque, pour ce mois, elle a remis un nombre supérieur par rapport aux mois de février 2014 et 2013, les chiffres de 2015 ayant présenté un caractère exceptionnel, que son activité a un caractère saisonnier et que la société GLS France ne bénéficiait d'aucune exclusivité,
- qu'il n'existait aucun seuil minimum de commandes, mais qu'au contraire le contrat prévoyait une possible variation des volumes, les conditions tarifaires contenant les stipulations suivantes :
- une révision du tarif à la hausse sera effectuée en cas de variation du volume, du ratio ou du poids,
- nos tarifs sont susceptibles d'être modifiés en fonction de l'évolution de la législation française,
- une facturation forfaitaire minimum : compte tenu des coûts fixes générés par l'organisation de l'acheminement des colis, un minimum de 200 euros par site sera appliqué si votre facture tous produits confondus (hors CRS et SGO) n'atteint pas ce montant,
- que le seul seuil contractuellement convenu est un seuil de facturation mensuelle de 200 euros qui a toujours été largement dépassé.
Il apparaît que les conditions générales de vente de la société GLS France ont été acceptées par la société Lulilo.
En leur article 4, il est prévu que l'une ou l'autre des parties peut rompre le contrat sous réserve de respecter un préavis de 4 mois, le client s'engageant à maintenir un volume de remises identique aux 12 mois précédant la dénonciation.
A l'article 5, il est stipulé :
- 5.2 : « Le volume mentionné dans la proposition tarifaire acceptée et signée par le client doit être maintenu pendant toute la durée du contrat. Une variation des tarifs sera applicable de plein droit en cas de modification d'une des composantes du prix accepté par le client, notamment une modification du volume de colis confié, du poids moyen des colis ou du ratio d’enlèvement. »
- 5.3 : « Cependant le prix du transport initialement convenu (voir grille tarifaire annexée et partie intégrante du contrat) pourra être révisé en cas de variations significatives des charges de l'entreprise de transport qui tiennent à des conditions extérieures à cette dernière et dont la demanderesse justifiera par tous moyens. »
- 5.4 : « Compte tenu des coûts fixes générés par l'organisation de l'acheminement des colis, un minimum de 200 euros HT par site sera appliqué mensuellement, si la facture (hors supplément) n'atteint pas ce montant. »
La proposition tarifaire du 1er décembre 2014 pour livraison en France a été établie sur la base globale de 1.890 colis/mois minimum et celle du 18 mai 2015 pour livraison en Europe sur la base de globale de 950 colis/mois minimum ; la société Lulilo, les a acceptées en y apposant sa signature et ne conteste pas qu'elles restaient applicables en 2016.
C'est en vain que la société Lulilo se réfère aux stipulations de l'article 5 des conditions générales de vente relatives à la fixation du prix, celles-ci ne modifiant pas les volumes de colis prévus dans les propositions tarifaires ; c'est encore en vain qu'elle invoque le caractère saisonnier de son activité et la circonstance que l'année 2015 aurait été exceptionnelle, ces éléments ne pouvant la dégager de ses engagements contractuels.
La société Lulilo reproche à la société GLS France d'avoir, en 2014 et 2015, livré des colis endommagés ou à une mauvaise adresse avec des problèmes d'étiquetage, puis d'avoir eu un comportement inacceptable pendant l'exécution du préavis qui l'a contrainte à limiter le nombre de colis remis; mais elle ne démontre pas de fautes suffisamment graves de la part de la société GLS France qui justifieraient une rupture sans préavis, préavis qu'elle a d'ailleurs elle-même accordé, étant observé que la rétention de colis effectuée par la société GLS France a été opérée le 26 septembre 2016, soit à quelques jours de la fin du préavis.
Nonobstant l'octroi d'un préavis, la rupture brutale des relations commerciales est caractérisée dès le mois de février 2016 ; en effet la société Lulilo n'a remis que 1.809 colis en février, 1543 en mars, 1.123 en avril et, au cours du préavis, 1.047 en mai, 1.104 en juin, 833 en juillet, 968 en août et 624 en septembre, soit une modification substantielle des conditions contractuelles.
S'agissant de son préjudice, la société GLS France demande d'abord la somme de 14.485,80 pour perte de marge brute entre février 2016 et septembre 2016, soit la différence entre sa marge brute réalisée de février 2015 à septembre 2015 (22.088,64 €) et celle réalisée de février 2016 à septembre 2016 (7.602,84 euros).
Mais la société Lulilo objecte à juste raison que la perte subie ne pourrait être calculée que sur la base de la marge sur coûts variables ; la cour observe que la société GLS France ne fournit aucun élément permettant de la déterminer.
La société GLS France demande ensuite la pénalité de 15.770,10 euros, soit 20 % de la somme de 78.850 € facturée au cours des mois de décembre 2015, janvier et février 2016 précédant sa mise en demeure par lettre du 8 mars 2016
L'article 4 des conditions générales de vente prévoit que, en cas de non-respect du préavis par le client, et après mise en demeure adressée par LRAR et restée sans effet pendant 8 jours, GLS France sera fondée à réclamer au client une pénalité équivalente à 20 % du montant total facturé au cours des trois derniers mois précédents l'envoi de ladite mise en demeure, sans préjudice des dommages-intérêts auxquels elle pourrait prétendre au titre du préavis non respecté.
En conséquence, la société GLS France est bien fondée en sa demande au titre de la clause pénale forfaitaire, soit 15.770,10 euros, montant qui s'avère supérieur à la perte de marge dont elle se prévaut ; elle ne justifie en aucune façon avoir subi un préjudice supplémentaire ; sa demande en paiement de la somme de 14.485,80 euros sera donc rejetée.
La somme de 15.770,10 euros produira intérêts à compter de l'assignation, soit le 2 mars 2018, et la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil.
2) Sur les demandes de la société Lulilo :
La société GLS France conteste les fautes qui lui sont imputées et les préjudices allégués.
Mais il est constant que le 26 septembre 2016, elle a retenu de façon injustifiée 148 colis remis par la société Lulilo pour acheminement, alors qu'elle ne disposait pas d'un droit de rétention ; elle ne peut valablement opposer une inexécution par la société Lulilo de ses obligations alors qu'elle a procédé à cette rétention sans même l'en avertir, la mettant en difficulté vis-à-vis de ses clients et lui causant ainsi préjudice.
Cest par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a alloué à la société Lulilo la somme de 2.857,12 euros correspondant aux gestes commerciaux que cette société a consenti à ses clients du fait des retards de livraison de ces colis et du coût de l'acte d'huissier de justice délivré en vue d'obtenir restitution des colis.
La société Lulilo ne rapporte pas la preuve de l'annulation de 25 commandes sur les 148 commandes bloquées, sa demande en paiement de la somme de 2.289 euros à ce titre sera rejetée.
Concernant sa demande en paiement de la somme de 25.735,48 euros, la société Lulilo expose que la société Amazon.de l'a suspendue de la market place Amazon à partir du mois de septembre 2016 et jusqu'au mois de mai 2018.
Mais dans le courriel du 22 septembre 2016 notifiant la suspension des ventes sur Amazon.de, il est seulement indiqué à la société Lulilo que son taux de défauts de commande dépasse l'objectif de moins de 1 % et qu'il lui est demandé un plan pour résoudre ce problème.
Dans sa réponse du même jour, la société Lulilo invoque pour certains colis des problèmes avec le transporteur sans le désigner ; elle n'explique en aucune façon les raisons pour lesquelles sa suspension s'est prolongée jusqu'en mai 2018 ; en cet état elle ne démontre pas que la suspension soit en relation de cause à effet avec les fautes imputées à la société GLS France ; en conséquence, sa demande de ce chef sera rejetée.
La société Lulilo ne versant aucune pièce de nature à établir l'existence d'un préjudice d'image, sa demande à ce titre sera rejetée.
3) Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
Chacune des parties qui succombe partiellement en ses demandes devra conserver la charge de ses dépens de première instance et d'appel.
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu de débouter chaque partie de sa demande pour frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement en ce qu'il a :
- débouté la société Général logistics systems France (GLS France) de toutes ses demandes,
- condamné la société Général logistics systems France (GLS France) aux dépens et à payer la somme de 1.000 euros à la société Lulilo par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau :
- condamne la société Lulilo à payer à la société Général logistics systems France GLS France), la somme de 15.770,10 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 mars 2018, date de l'assignation, en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie,
- ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil,
Confirme le jugement en ses autres dispositions,
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,
Dit que chacune des parties gardera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.