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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 28 septembre 2021, n° 18/07984

RENNES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseiller :

M. Garet

Avocats :

Me Mignon, Me Noinski, Me Bessaa

T. com. Lorient, du 5 déc. 2018

5 décembre 2018

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant acte du 6 juillet 2011, M. X, ancien pharmacien, concluait un contrat d'agent commercial avec M. Y, agent immobilier spécialisé dans la cession d'officines pharmaceutiques.

Aux termes de ce contrat, M. X recevait mandat de prospecter, pour le compte de M. Y, des officines à vendre, d'obtenir des mandats écrits à cette fin, ainsi que de rechercher des acquéreurs.

Ainsi M. X allait-il parvenir, entre 2011 et 2015, à la conclusion d'un certain nombre de ventes de pharmacies et percevoir, en contrepartie de ses services d'intermédiation, la rétrocession d'une partie des honoraires perçus par M. Y à cette occasion.

Le 15 juillet 2015, M. Y écrivait à son mandataire pour lui reprocher son manque d'implication dans ses fonctions d'agent commercial, concluait finalement son courrier par la phrase suivante : « Vous voyez-vous un avenir au sein de notre cabinet »

Répondant à ces griefs par lettre du 31 juillet 2015, M. X reprochait lui-même à M. Y de ne pas respecter ses propres obligations, notamment en ne lui réglant pas toutes les commissions auxquelles il pourrait prétendre, de le tenir à l'écart des affaires du cabinet, ou encore d'avoir recruté un autre agent sur son secteur géographique de prospection.

M. X concluait finalement sa lettre en ces termes : « Vous pouvez vous interroger en effet sur mon niveau de motivation vis-à-vis de votre cabinet. Mais interrogez-vous aussi sur la manière dont vous vous comportez. Et souvenez-vous que vous m'aviez présenté l'activité comme celle d'un négociateur plus que comme celle d'un commercial. »

Par une nouvelle lettre, en date du 20 octobre 2015, M. X, constatant l'absence de réaction de M. Y à sa lettre du 31 juillet 2015 et persistant à se prévaloir des manquements de celui-ci, lui notifiait la résiliation du contrat d'agent commercial à ses torts exclusifs et à effet immédiat. Aussi lui réclamait-il le paiement d'une indemnité de rupture d'un montant de 103.200 euros TTC, équivalant au montant des commissions perçues pendant les deux dernières années du mandat.

Par lettre du 6 novembre 2015, M. Y prenait acte de cette rupture mais, considérant que M. X en portait l'entière responsabilité, refusait de lui régler l'indemnité réclamée, rappelant enfin à son mandataire qu'il était redevable d'un préavis de trois mois.

Par lettre adressée à M. Y le 13 novembre 2015, M. X réitérait sa résiliation du contrat aux torts exclusifs du mandant, et mettait en demeure ce dernier de lui régler une indemnité de rupture d'un montant qui fixait désormais à 126.000 euros.

En l'absence de règlement amiable, M. X faisait assigner M. Y devant le tribunal de commerce de Lorient qui, par jugement du 5 décembre 2018 :

-  jugeait M. X mal fondé en sa demande de résiliation du contrat aux torts exclusifs de M. Y ;

-  constatait que la résiliation était intervenue à l'initiative de M. X ;

-  déboutait M. X de sa demande d'indemnité de rupture et de toutes de ses demandes ;

-  déboutait M. Y de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts ;

-  condamnait M. X à payer à M. Y une somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-  condamnait enfin M. X aux dépens de l'instance.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 11 décembre 2018, M. X interjetait appel de cette décision.

L'appelant notifiait ses dernières conclusions le 14 août 2019, l'intimé, par ailleurs appelant incident du jugement, les siennes le 4 novembre 2019.

Finalement, la clôture de la mise en état intervenait par ordonnance du 3 juin 2021.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

M. X demande à la cour de :

Vu les articles L. 134-1 et suivants du code de commerce,

-  réformer le jugement en ce qu'il a :

* jugé que M. X mal fondé en sa demande de résiliation du contrat d'agent commercial aux torts de M. Y et dit que ladite résiliation était intervenue à l'initiative de M. X;

* débouté M. X de sa demande au titre de l'indemnité de rupture et de sa demande de dommages-intérêts ;

* condamné M. X au paiement de la somme de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles, outre aux dépens ;

Statuant à nouveau :

-  déclarer la demande de M. X recevable et bien fondée ;

-  dire et juger que M. X a manqué gravement à ses obligations issues tant du contrat d'agent commercial que des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce ;

-  en conséquence, condamner M. Y au paiement d'une somme de 126.000 euros en principal au titre de l'indemnité de fin de contrat, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;

-  débouter M. Y de toutes ses demandes, fins et conclusions, plus amples ou contraires, formées à titre d'appel incident ;

-  condamner M. Y au paiement d'une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-  condamner M. Y aux entiers dépens.

Au contraire, M. Y demande à la cour de :

Vu les articles L. 134-4, L. 134-5, L. 134-6, L. 134-12 et L. 134-13 du code du commerce et l'article 1134 du code civil,

Vu l'article 8 du contrat d'agent commercial,

Sur l'appel incident de M. Y:

-  juger irrecevable la demande de résiliation du contrat d'agent commercial aux torts de M. Y pour défaut de notification préalable d'une mise en demeure ;

-  juger M. Y recevable et bien fondé en sa demande de condamnation de M. X à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

En tout état de cause et subsidiairement,

-  débouter M. X de son appel et confirmer le jugement en ce qu'il a :

* jugé M. X mal fondé en sa demande de résiliation du contrat aux torts exclusifs de M. Y;

* constaté que la résiliation du contrat était intervenu à l'initiative de M. X;

* débouté M. X de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de résiliation de contrat et de toutes ses demandes ;

* condamné M. X à payer à M. Y la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

Subsidiairement encore,

-  juger que M. X ne justifie d'aucun préjudice et le débouter de sa demande d'indemnisation ;

-  réduire l'indemnité réparatrice pour la ramener à une meilleure évaluation ;

-  allouer à M. Y une somme complémentaire de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-  condamner M. X aux entiers dépens d'appel.

Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés par les parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les formes de la rupture :

M. Y fait valoir que M. X est « irrecevable » en sa demande de résiliation du contrat d'agent commercial aux torts de son cocontractant, et ce pour défaut de notification préalable d'une mise en demeure conforme aux prescriptions de l'article 8 dudit contrat.

En effet, l'article 8 du contrat conclu le 6 juillet 2011 est ainsi rédigé :

« Fin du contrat » :

8-1 : Préavis :

Les parties mettent fin au mandat par lettre recommandée avec accusé de réception en respectant la durée de préavis suivante : un mois durant la première année du contrat, deux mois durant la deuxième année, trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes.

Ce délai commence à courir du jour de la première présentation de la lettre, et la fin de ce délai ne coïncide pas obligatoirement avec la fin d'un mois civil.

Toutefois, la résiliation du mandat en raison :

-  de la faute grave de l'une des parties,

-  ou du non-respect d'une des obligations prévues à l'article 5, huit jours après une mise en demeure restée en tout ou partie infructueuse, interviendra sans délai au jour de la première présentation de la lettre à l'autre partie. »

Il résulte de ces stipulations que les parties étaient tenues, par principe, aux délais de préavis prévus à l'article L. 134-11 du code civil qui, d'ailleurs, interdit de convenir de délais plus courts sauf en cas de rupture pour faute grave ou de survenance d'un événement de force majeure.

Ainsi et en cas de simple non-respect des obligations prévues à l'article 5 du contrat, c'est-à-dire les obligations générales incombant aux parties, ce n'était qu'à la double condition, d'une part de l'envoi d'une mise en demeure préalable par l'une des parties à l'autre, d'autre part de l'absence d'exécution de l'injonction qui y était exprimée, ce dans le délai de huit jours, que le contrat pouvait alors être résilié sans préavis par la partie adverse.

A contrario et en dehors de la seule hypothèse d'une faute grave, le contrat ne pouvait pas être résilié sans préavis, à défaut d'envoi préalable d'une mise en demeure restée infructueuse au moins huit jours.

M. X ne le conteste pas qui, sans invoquer la faute grave de M. Y, se prévaut en revanche de la lettre qu'il lui a adressée le 31 juillet 2015 et de l'absence de réponse à celle-ci, pour en déduire qu'il était autorisé, dès lors, à résilier le contrat sans préavis.

Encore fallait-il que cette lettre vaille mise en demeure au sens de l'article 1139 (ancien) du code civil qui dispose à cet égard que « le débiteur est constitué en demeure, soit par une sommation ou par un autre acte équivalent, telle une missive lorsqu'il ressort de ses termes une interpellation suffisante, soit par l'effet de la convention, lorsqu'elle porte que, sans qu'il soit besoin d'acte et par la seule échéance du terme, le débiteur sera en demeure ».

Or, la lettre adressée par M. X à M. Y le 31 juillet 2015 ne présente pas le caractère d'une mise en demeure au sens des dispositions qui précèdent, dès lors en effet :

-  qu'elle ne vise en réalité qu'à répondre aux reproches formulés par M. Y dans sa propre lettre adressée à l'agent commercial le 15 juillet précédent ;

-  que M. X y expose notamment que M. Y serait seul responsable de l'échec de leurs relations : «vous m'avez manifestement empêché de travailler, afin de privilégier votre seul intérêt » ;

-  que si l'agent reproche également à son mandant de ne pas lui régler toutes les commissions auxquelles il pourrait prétendre, pour autant il s'abstient de toute réclamation chiffrée des sommes dont il resterait créancier, ne formulant finalement aucune demande en paiement ; d'ailleurs pas même devant la cour M. X ne formule-t-il de demande en règlement de commissions restant dues ;

-  que si M. X reproche encore à M. Y de l'avoir « mis à l'écart », notamment en réduisant les informations nécessaires à l'exercice de son activité, pour autant il s'abstient de toute réclamation ou mise en demeure à cet égard, se bornant à prendre acte de l'échec «d'une relation normale d'un cabinet de transaction à l'égard de son agent » ;

-  que de même, s'il se défend de ne pas avoir pu participer au salon professionnel « Pharmagora », M. X expliquant en effet que la responsabilité en incombe à M. Y qui aurait omis d'en informer son agent suffisamment tôt pour qu'il puisse s'organiser, ou encore de son retard à un rendez-vous (alors qu'à ses dires, il était le premier présent sur place) ainsi que des conditions, non précipitées selon lui, de son départ à l'issue du rendez-vous, en toute hypothèse M. X ne formule aucune réclamation ou demande à ce titre.

Ainsi et finalement, si M. X invite M. Y à s'interroger sur la manière dont il se comporte lui-même, pour autant il ne formule aucune revendication ni n'adresse aucune demande que son interlocuteur pourrait satisfaire.

Il en résulte que la lettre du 31 juillet 2015, en ce qu'elle ne comporte ni demande en paiement ni injonction de déférer à une obligation de faire, ne constitue pas une mise en demeure au sens de l'article 1139 (ancien) du code civil.

Dès lors et quand bien même M. Y s'est abstenu de répondre à cette lettre, alors au surplus qu'il avait déjà exprimé lui-même ses propres griefs par un précédent courrier adressé à son agent, M. X ne pouvait pas valablement résilier le contrat sans respecter le préavis légalement et conventionnellement prévu, étant encore rappelé qu'il y était tenu, à défaut d'invoquer la faute grave de son cocontractant, même en cas de non-respect allégué des obligations incombant à celui-ci.

Sur la demande principale tendant au paiement de l'indemnité de rupture :

L'article L. 134-12 du code de commerce dispose que l'agent commercial a droit, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L'article L. 134-13 ajoute que cette indemnité n'est pas due, notamment, lorsque «la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial », ou encore lorsqu'elle «résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ».

Il s'en suit que l'indemnité de rupture n'est pas due à l'agent commercial qui prend lui-même l'initiative de mettre fin au contrat sans respecter les formes prescrites à cette fin, étant en effet observé :

-  qu'en procédant de la sorte, le mandataire, même se prévalant de griefs à l'encontre du mandant, ne met pas celui-ci en mesure d'y remédier, empêchant par-là que puissent être rétablies les conditions d'une poursuite de la relation contractuelle ;

-  qu'ainsi, en mettant fin au contrat précipitamment et sans respect des formes et délais impartis, le mandataire crée lui-même les circonstances de la rupture et s'en attribue l'entière imputabilité, s'interdisant dès lors de pouvoir en rejeter la responsabilité sur le mandant.

En conséquence et quand bien même M. X est recevable, au sens des articles 31 et 32 du code de procédure civile, à agir en paiement de l'indemnité de rupture, en revanche il est mal fondé à le faire, étant en effet privé de tout droit à indemnité du fait de l'imputabilité de la rupture.

Par suite, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. X de sa demande.

Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts :

S'il est constant que M. X a résilié le contrat sans respecter le délai de préavis auquel il était tenu, pour autant il appartient à M. Y, qui réclame lui-même des dommages-intérêts, de rapporter la preuve du préjudice qu'il aurait subi du fait de cette absence de préavis et, plus largement, des circonstances de la rupture.

Or, c'est par simple affirmation, non démontrée par aucun élément du dossier, que M. Y conclut que le départ immédiat de M. X a «nécessairement perturbé l'activité du cabinet et sa notoriété».

En effet, la cour observe :

-  que dès sa lettre du 15 juillet 2015, M. Y reprochait lui-même à son agent de ne plus s'impliquer dans son travail, les griefs exprimés dans cette lettre constituant manifestement les prémices d'une prochaine rupture à intervenir entre les parties ;

-  que d'ailleurs, M. Y avait déjà pris acte de la démission de son agent avant même qu'elle lui soit notifiée par la lettre du 20 octobre 2015, l'intéressé ayant en effet donné pour consigne à sa secrétaire, Mme Z, à son retour dans l'entreprise le 29 septembre 2015 à l'issue d'un arrêt de travail, de « ne plus rien communiquer, à dater de ce jour, que ce soit par mail ou par courriers, à M. X » (cf l'attestation produite en ce sens en pièce n°  20 de l'appelant) ;

-  que dans ces conditions et alors qu'il avait déjà renoncé aux services de son agent, M. Y ne saurait utilement lui reprocher de l'avoir privé, par son « inertie », de la possibilité de conclure certaines ventes en cours, M. Y ne démontrant pas en effet en quoi M. X, à qui il avait déjà retiré sa confiance pour négocier des ventes en son nom, serait responsable d'un quelconque «manque à gagner»;

-  que de même, M. X ne saurait utilement se prévaloir d'avoir dû consacrer « plusieurs jours de travail » à la préparation de la défense de ses intérêts dans la perspective de la présente instance, les frais ayant pu en résulter relevant tout au plus de ceux prévues à l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin, M. Y ne saurait non plus reprocher à M. X d'avoir nui à la notoriété de son cabinet en donnant à ce litige « une publicité totalement injustifiée », alors en effet que l'ex-agent s'est borné à requérir, comme tel était son droit, quelques attestations favorables à ses intérêts, ce qui ne relève d'aucune faute ni d'aucun abus de procédure.

En conséquence et en l'absence de démonstration par M. Y d'un quelconque préjudice indemnisable, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts.

Sur les autres demandes :

Partie perdante, M. X sera condamné au paiement d'une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, le jugement devant être infirmé en ce sens.

Succombant de nouveau devant la cour, M. X sera condamné au paiement d'une somme complémentaire de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

Il supportera enfin les entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour :

-  confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné M. X à payer à M. Y une somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-  l'infirmant de ce seul chef, statuant à nouveau et y ajoutant :

* condamne M. X à payer à M. Y une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance ;

* condamne M. X à payer à M. Y une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

* déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

* condamne M. X aux entiers dépens de la procédure d'appel.