CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 septembre 2021, n° 19/20347
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cristalp (SARL)
Défendeur :
Wild Duck (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
M. Gilles
Avocats :
Me Bouzidi-Fabre, Me Vallerand, Me Picard
La société Cristalp distribue des équipements de sports de montagne.
La société de droit suisse Wild Duck, devenue la société Movement, est un fabricant de matériels de ski et accessoires, commercialisés sous la marque « Movement ''.
A compter de 2002, la société Movement a confié la distribution de ses produits en France à la société Cristalp, sans que la relation commerciale soit encadrée par un contrat écrit.
Courant 2016, la société Wild Duck a fait part à la société Cristalp de sa volonté de restructurer la distribution de ses produits, supposant que cette dernière se soumette à un certain nombre de conditions qu'elle n'a pas validées.
Par lettre du 27 juin 2016, la société Wild Duck a avisé la société Cristalp de la cessation de leur relation commerciale avec effet au 31 décembre 2016.
Par lettre du 3 novembre 2016, la société Wild Duck a réitéré la rupture de la relation commerciale au terme de la saison annuelle 2016/2017.
C'est dans ce contexte que par acte délivré le 28 février 2017, la société Cristalp a assigné la société Wild Duck devant le tribunal de commerce de Lyon afin d'obtenir la réparation de son préjudice sur le fondement d'une rupture brutale de la relation commerciale.
Par un jugement du 16 septembre 2019, le tribunal de commerce de Lyon a :
Pris acte du désistement de la société Cristalp de sa demande en condamnation de la société Movement SA de la garantir du paiement de la somme de 67.168,90 euros concernant la rupture du contrat d'agent commercial de M. X,
Dit la demande de condamnation de la société Cristalp vis-à-vis de la société Wild Duck réduite à la somme de 1.718.903,27 euros,
Juge qu'il n'existe aujourd'hui plus de litispendance et de connexité entre deux instances pendantes devant notre Juridiction,
Dit que la demande de sursis à statuer n'a plus lieu d'être,
Déclare le tribunal de commerce compétent de Lyon compétent,
Dit que le préavis accordé d'une saison annuelle dans sa totalité est suffisant et qu'il n'y a pas lieu à dommages et intérêts,
Débouté la société Cristalp de l'ensemble de ses demandes,
Rejeté les demandes reconventionnelles de la société Wild Duck formulées à l'encontre de la société Cristalp.
Rejeté toutes autres fins et moyens de la société Wild Duck,
Débouté la société Cristalp de sa demande d’exécution provisoire de la présente décision,
Condamné la société Cristalp à payer à la société Wild Duck, la somme de 8000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Dit que les dépens sont supportés par la société Cristalp.
Par déclaration reçue au greffe le 31 octobre 2019, la société Cristalp a interjeté appel du jugement.
Le tribunal de commerce d'Annecy, par jugement du 14 janvier 2020, a prononcé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société Cristalp, l'Etude A en la personne de Me B ayant été désigné en qualité de mandataire judiciaire qui est intervenu dans la présente instance.
Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 27 avril 2021, la société Cristalp et Me B ès qualités, demandent à la Cour :
Vu l'ancien article L. 442-6 I 5° du Code commerce (ancien),
Vu l'article L. 442-1 II du Code de commerce,
Vu l'article L. 442-5 du Code commerce,
Vu les articles 1108, 1109 et 1134 du Code civil,
Vu les articles 202, 325 et 329 du Code de Procédure civile,
Vu les pièces versées au débat,
Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
« Dit la demande de condamnation de la Société Cristalp vis-à-vis de la Société Wild Duck réduite à la somme de 1.718.903,27 euros ;
Dit que le préavis accordé d'une saison annuelle dans sa totalité est suffisant et qu'il n'y a pas lieu à
dommages et intérêts ;
Débouté la société CristAlp de l'ensemble de ses demandes tendant à :
- Dire et Juger recevable la demande de la société CristAlp à l'encontre de la société Wild Duck SA au titre de la rupture brutales des relations commerciales entre ces sociétés ;
- Dire et Juger que la société Wuld Duck SA a rompu brutalement la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société CristAlp depuis 15 ans engageant ainsi sa responsabilité contractuelle ;
- Dire et Juger que cette rupture brutale a causé d'importants préjudices à la société CristAlp qu'il convient d'indemniser, à savoir :
- préjudice au titre de la perte de marge brute : 974.143,49 euros ;
- licenciements économiques et ruptures conventionnelles : 67.191,83 euros
- préjudice au titre des investissements réalisés : 277.567,95 euros TTC ;
- préjudice moral : 400.000 euros.
- Condamner en conséquence la société Wild Duck SA à verser à la société CristAlp la somme de 1.718.903,27 euros TTC au titre de l'ensemble des préjudices subis par celle-ci du fait de la rupture brutale de leurs relations contractuelles ;
- Dire et Juger que la société Wild Duck SA ne rapporte nullement la preuve d'un préjudice qu'elle aurait subi du fait de prétendus agissements fautifs de la société CristAlp ;
- Débouter la société Wild Duck SA de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles à l'encontre de la société CristAlp ;
- Condamner la société Wild Duck SA à payer à la société CristAlp la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Condamné la société CristAlp à payer à la Société Movement la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Dit que les dépens seront supportés par la société CristAlp. »
Et statuant de nouveau,
Déclarer l'Etude A ès qualités de mandataire judiciaire de la société Cristalp suivant jugement du tribunal de commerce d'Annecy du 14 janvier 2020 recevable en son intervention volontaire ;
Dire et juger recevable la demande de la société Cristalp à l'encontre de la société Movement au titre de la rupture brutale des relations commerciales entre ces sociétés ;
Dire et juger que le préavis notifié à la société Cristalp par la société Movement le 3 novembre 2016 était manifestement insuffisant au regard des relations commerciales antérieures des sociétés et ce, en application de la jurisprudence constante, de l'ancien article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et du nouvel article L. 442-1 II du Code de commerce ;
Dire et juger que la société Movement a rompu brutalement la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société Cristalp depuis 15 ans engageant ainsi sa responsabilité contractuelle au sens de l'ancien article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et du nouvel article L. 442-1 II du Code de commerce ;
Dire et juger que cette rupture brutale a causé d'importants préjudices à la société CristAlp qu'il convient d'indemniser, à savoir :
- « préjudice au titre de la perte de marge brute : 974.143,49 € » ;
- « licenciements économiques et ruptures conventionnelles : 67.191,83 € »
- « préjudice au titre des investissements réalisés : 277.567,95 € TTC » ;
- « préjudice moral : 400.000 € ».
Condamner en conséquence la société Movement à verser à la société Cristalp et à l'Etude Bouvet et G prise en la personne de Me B ès qualités de mandataire judiciaire de la société Cristalp la somme de 1.718.903,27 € TTC au titre de l'ensemble des préjudices subis par la société Cristalp du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;
Débouter la société Movement de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles formulées à l'encontre de la société Cristalp ;
Confirmer le jugement déféré en ce que le tribunal de commerce de Lyon a rejeté les demandes reconventionnelles de la société Movement formulées à l'encontre de la société Cristalp ;
Condamner la société Movement à payer à la société CristAlp et à l'Etude A prise en la personne de Me B ès qualités de mandataire judiciaire de la société Cristalp la somme de 23.817,60 € TTC au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction sera faite au profit de Maître Nadia BOUZIDI-FABRE, Avocat au Barreau de PARIS conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Débouter la société Movement de sa demande de condamnation de la société Cristalp à la somme de 50.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 8 mai 2021, la société Movement (anciennement Wild Duck), demande à la Cour :
A titre principal
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
Dit que le préavis accordé d'une saison annuelle dans sa totalité est suffisant et qu'il n'y a pas lieu à dommages et intérêts,
Débouté CristAlp de l'ensemble de ses demandes,
Infirmer le Jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles formulées à l'encontre de CristAlp et en conséquence,
Dire et Juger que CristAlp a commis des fautes au détriment de Movement dont Movement est recevable et fondée à demander réparation,
Dire et Juger que CristAlp a porté atteinte à la marque Movement et que Movement en a subi un préjudice dont elle est recevable et fondée à demander réparation,
Dire et Juger que CristAlp a utilisé illicitement la marque Movement à compter du 31 décembre 2016 et la Condamner à indemniser Movement du préjudice qui en est résulté pour elle,
Fixer la créance de Movement à l'encontre de CristAlp à la somme de 2.800.000 euros au titre de ces préjudices,
A titre subsidiaire sur le fond,
A supposer que les demandes de CristAlp à l'encontre de Movement puissent être jugées recevables et fondées en tout ou partie,
Constater que CristAlp ne rapporte pas la preuve de son préjudice,
En tout état de cause,
ordonner la compensation des sommes qui seraient dues par Movement et Cristalp l'une envers l'autre et réciproquement et fixer la créance de Movement à l'encontre de Cristalp après compensation,
En tout état de cause sur le fond,
Ordonner la cessation immédiate de toute utilisation de la marque Movement par Cristalp à compter du prononcé de la décision à intervenir et sous astreinte de 1000 euros par jour de retard,
Confirmer le jugement entrepris en ce qui a condamné Cristalp à payer à Movement la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du CPC du Code de procédure civile et, en conséquence fixer la créance au passif de la société de Movement à la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais de procédure de première instance ;
Condamner Cristalp au paiement de la somme de 50.000 euros à Movement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais de procédure d'appel,
Condamner Cristalp aux entiers dépens dont distraction sera faite au profit de Maître Claire Picard, Avocat au Barreau de PARIS conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur les demandes de la société Movement pour manquements contractuels de la société Cristalp
La société Movement reproche en substance à la société Cristalp :
- une atteinte à la marque Movement, la société Cristalp recherchant uniquement son enrichissement à court terme par des actions agressives afin d'atteindre un volume important de ventes à prix bas au détriment de l'image, de la réputation et du positionnement de la marque,
- une absence d'implication dans le développement de la marque, notamment par des dépenses insuffisantes en marketing et communication et une absence de politique de sponsoring,
- un mauvais management interne se répercutant sur les clients de la marque,
- des pratiques de ventes discounts contraires au positionnement et en pleine saison de ski, portant atteinte au réseau de distribution national et international,
- dysfonctionnements patents de la politique commerciale de Cristalp ressentis jusque chez les clients,
- des défauts de paiement récurrents,
La société Movement soutient subir un préjudice à hauteur de 2 800 000 euros, se décomposant en 1 000 000 euros de perte sur la saison 2016/2017, un investissement nécessaire de 1 011 000 euros pour reconquérir le marché français et 800 000 euros en réparation de la perte de réputation.
sur le grief d'une atteinte à la marque et des pratiques de ventes discounts
La société Movement produit aux débats diverses pièces établissant que la société Cristalp a procédé à des ventes à prix bradés, directement auprès de particuliers ou écoles de skis (pièce n° 14 et 54, 55) ou par l'intermédiaire de ses propres revendeurs (pièces n° 7 à 10) occasionnant des plaintes d'autres distributeurs (pièces n° 11 à 17).
Toutefois, la Cour observe que les relations contractuelles n'étaient encadrées par aucun contrat écrit permettant de déterminer les obligations respectives des parties, et qu'il n'était pas interdit à la société Cristalp de procéder à des opérations de destockage notamment pour les mauvaises saisons, comme pouvaient le faire d'autres revendeurs en Europe (pièces Cristalp n° 119) ou les sociétés avec lesquelles la société Movement a poursuivi des relations commerciales en 2017 et 2018 (pièces Cristalp n° 120 à 132, 182 et 184).
En l'état des pièces versées aux débats, il n'est pas établi de manquement caractérisé sur ce point par la société Cristalp.
sur le grief d'une absence de développement de la marque et d'investissement de promotion, marketing et communication
La société Movement reproche une absence d'implication dans le développement de la marque (pièces n° 4 et 62, 67) par des dépenses insuffisantes en marketing et communication et une absence de politique de sponsoring.
Toutefois la société Cristalp verse aux débats de nombreuses pièces justifiant avoir assuré des prestations de communication pour le développement et la promotion des produits de la marque Movement en France telles que :
- des skis tests dans les stations de ski sous l'effigie de la marque Movement ouvert aux publics comme aux professionnels du secteur excepté celui de 2016 pour lequel la société Movement a souhaité y participer directement (pièces 94 et 95 et 204 à 207, 226 à 227);
- la promotion de la marque lors des salons professionnels comme le salon Sport achat à Lyon jusqu'en mars 2016 (pièces 208 à 212) ou le salon européen ISPO à Munich (Allemagne) ;
- l'organisation du Movement vertical challenge en 2014, 2015 et 2016 (pièce 96 et 2013) ;
- l'organisation de formations et d'animations en magasin et mise en place d'offres promotionnelles (pièces 97 et 114) ;
- la mise en oeuvre de différents moyens de communication (médias et autres) ainsi que la participation aux campagnes publicitaires de la marque Movement en collaboration avec la société Winter Sport Consulting (pièces 70 à 91) ;
- promotion de la marque Movement dans différents magazines pour les saisons hiver 2014/2015, 2015/2016 et 2016/2017 (pièces n° 138 à 167, 175)
La société Cristalp justifie que son budget global publicité s'est élevé à :
Au titre de l'exercice clos le 31/08/2017 : la somme de 26.715,53 € TTC (pièce n° 168) ;
Au titre de l'exercice clos le 31/08/2016 : la somme de 26.669,08 € TTC (pièce n° 169) ;
Au titre de l'exercice clos le 31/08/2015 : la somme de 46.521,24 € TTC (pièce n° 170) ;
Au titre de l'exercice clos le 31/08/2014 : la somme de 50.469,47 € TTC (pièce n° 171).
Même si ce budget a fortement diminué à partir de 2016 corrélativement à une baisse d'activité, contrairement à ce qu'affirme la société Movement, la société Cristalp n'avait aucune obligation contractuelle de dépenses publicitaires et promotionnelles de 7 % des commandes de produits.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments, qu'il n'est pas démontré de manquement contractuel caractérisé sur ce point de la part de la société Cristalp.
sur le grief de dysfonctionnement de la politique commerciale de la société Cristalp
Les courriels versés aux débats d'anciens salariés de Cristalp (pièces n° 63 et 67) critiquant la politique commerciale de Cristalp, ainsi que deux plaintes de clients (pièces n° 59 et 60) sont insuffisants pour établir un manquement caractérisé de la société Cristalp en sa qualité de distributeur des produits Movement pendant près de 15 années.
sur le grief d'un mauvais management en interne
Les pièces versées aux débats par la société Movement (notamment pièces n° 2 et 3, 61, 66, et 67, 58) sont insuffisantes pour justifier d'une incidence sur la relation contractuelle du "turn-over structurel" allégué au sein de la société Cristalp.
défauts de paiement récurrents
La société Movement ne justifie pas de défauts de paiement récurrents de la part de la société Cristalp, si ce n'est la proposition de cette dernière par courriel du 4 février 2016 d'apurer le règlement de ses factures au 30 juin 2016 (pièce n° 20) qui a été régularisé en juillet 2016 (pièce Cristalp n° 104).
Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il n'est pas démontré par la société Movement de manquements contractuels caractérisés de la part de la société Cristalp.
Au surplus, la société Movement ne justifie par aucune pièce comptable probante d'une perte sur la saison 2016/2017 imputable à la société Cristalp ainsi qu'une atteinte à son image ou un usage illicite de la marque.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Movement, anciennement la société Wild Duck, de sa demande en réparation de ces préjudices et qu'il soit ordonné sous astreinte la cessation de l'usage de la marque.
Sur la rupture de la relation commerciale
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Sur le caractère établi de la relation
Les parties ne s'opposent pas sur le caractère établi de leur relation commerciale, la société Cristalp assurant la distribution en France des produits de la société Wild Duck, devenue la société Movement, depuis 2002.
Sur la brutalité de la rupture
La société Cristalp expose en substance qu'elle était, suivant un contrat verbal, le distributeur exclusif en France des produits Movement dont elle assurait aussi le développement et la promotion de la marque. Elle précise que les deux saisons d'hiver se chevauchant sur chaque année civile, son chiffre d'affaires avec les produits Movement résultait de son activité tout au long de l'année. S'agissant du point de départ du préavis, elle soutient que la lettre de résiliation du 27 juin 2016 ne peut pas, au regard des échanges ultérieurs, être considérée comme le point de départ d'un quelconque préavis, mais seulement le courrier du 3 novembre 2016 soit deux mois avant la cessation de la relation commerciale au 31 décembre 2016. Au regard de l'ancienneté de la relation commerciale, de sa dépendance économique à l'égard de la société Movement, de la notoriété des produits dont elle avait la distribution exclusive en France, la société Cristalp estime qu'elle devait bénéficier d'un délai au minimum d'un an de préavis pour lui permettre de se réorganiser et trouver d'autres partenaires. Elle ajoute qu'elle a bien conclu de nouveaux contrats postérieurement à la date d'effet de la rupture, mais nullement comparables avec celui dont elle bénéficiait avec la société Movement au titre de la notoriété des marques du fait de la jeunesse des nouvelles marques reprises et une commercialisation complète à réaliser, accusant ainsi une importante baisse du chiffre d'affaires sur les exercices 2017 et 2018. Elle conclut à l'insuffisance du préavis de 2 mois accordé par la société Movement et à l'engagement de sa responsabilité pour la rupture brutale de la relation commerciale.
La société Movement fait valoir essentiellement que la société Cristalp est à l'origine de la rupture de la relation commerciale par ses actions gravement fautives et déloyales et son absence d'investissement pour le développement de la marque Movement. Elle lui reproche en particulier d'avoir bradé les produits de la saison en cours, en pleine saison, à des taux de remises tels qu'ils sont destructeurs du marché et de la marque ainsi que des défauts de paiement. Elle estime qu'à compter de 2015, les ventes des produits Movement en France ont significativement chuté en conséquence directe des atteintes à la marque et l'absence d'investissement imputables à la société Cristalp. En toute hypothèse, la société Movement soutient qu'elle a octroyé un préavis suffisant à la société Cristalp au regard du caractère saisonnier de la vente de ski et de l'absence de dépendance économique de cette dernière qui vendaient plusieurs marques et a pu rapidement se réorganiser pour la saison 2017/2018. Elle précise qu'elle a formellement notifié à la société Cristalp la rupture définitive et irrémédiable, par courrier du 27 juin 2016, rupture qui avait préalablement fait l'objet de discussions entre les parties. Elle ajoute avoir réitéré son intention de rompre en novembre 2016, sans aucune intention de revirement. Elle précise qu'elle a permis de faire coïncider la notification du préavis avec le début de l'unique saison annuelle 2016/2017 et la fin effective de ce préavis avec la fin de cette saison annuelle, étant précisé qu'elle n'a pas interdit à la société Cristalp de poursuivre la vente des produits qui lui resteraient en stock à l'issue de cette saison. Elle en déduit que la société Cristalp a ainsi bénéficié d'une année entière de ventes sans aucune perte d'activité, tout en relevant que la baisse du chiffre d'affaires de la société Cristalp datait depuis plusieurs années et était structurelle.
Sur ce,
Il résulte des motifs précédents que les manquements contractuels allégués par la société Movement à l'encontre de la société Cristalp ne sont pas démontrés et que la société Movement est bien à l'initiative de la rupture de la relation commerciale établie entre les parties depuis une quinzaine d'années.
S'il ressort des échanges entre les parties à partir de fin décembre 2015 et jusque début juin 2016 (notamment pièces Movement n° 18,19,21, 22) un constat partagé des difficultés économiques du secteur d'activité, d'une baisse corrélative des chiffres d'affaires, et de la nécessité de faire évoluer le modèle de distribution, aucun accord n'était en revanche acté entre les parties sur la fin de la relation commerciale au moment de l'envoi par la société Movement du courrier du 27 juin 2016. Il résulte clairement des termes de ce courrier que la société Movement a pris l'initiative de la rupture de la relation commerciale au 31 décembre 2016, soit à l'issue d'un préavis de 6 mois.
La teneur des échanges entre les parties postérieurement à cette lettre de notification de la fin de la relation commerciale (notamment pièces Cristalp n° 17, 18, 19) ne permet pas d'établir un revirement de la part de la société Movement dans sa volonté de rompre la relation commerciale de distribution telle qu'elle existait avec la société Cristalp, et ce quand bien même différents scénarios de poursuite des relations entre les parties ou avec M. X ont été évoqués. Le courrier de la société Movement du 7 octobre 2016, intitulé « avenant à la lettre envoyée le 27 juin 2016 » ne remet pas en cause la volonté de cette dernière de rompre la relation de distribution avec la société Cristalp mais en propose des aménagements, notamment par l'allongement du délai de préavis et une fin de relation au 30 juin 2017. Le courrier du 3 novembre 2016 de la société Movement a réitéré la fin de la relation au 31 décembre 2016, à défaut d'accord entre les parties. Il n'est pas contesté que la relation commerciale entre les parties a effectivement cessé à cette date.
Il ressort de ces éléments que la société Movement a notifié une fin de la relation commerciale le 27 juin 2016 avec un préavis de 6 mois.
Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant. Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.
Autrement dit pour apprécier la durée du préavis nécessaire en l'espèce, il convient non pas comme le soutient la société Movement de se limiter à la période de vente saisonnière de skis et accessoires, mais d'appréhender le temps nécessaire pour la société Cristalp pour se réorganiser.
Les parties s'accordent en réalité sur le fait qu'une vente de ski s'organise sur une période d'au moins 12 mois, de la prise de commande à la vente effective et le réassort (conclusions Movement § 15 et suivants et conclusions Cristalp pages 24 et suivantes). Autrement dit, comme le soutient la société Cristalp, il lui fallait au minimum 12 mois de préavis pour se réorganiser avec d'autres partenaires dont la notoriété et le volume d'activité étaient bien moindre qu'avec la société Movement. Il est en effet pas contesté que la société Cristalp réalisait plus de 70% de son chiffre d'affaires avec les produits de la société Movement (pièce n° 12) et ce depuis de longues années. D'ailleurs, si la société Cristalp a pu assurer la vente de ski 2016/2017 déjà partiellement organisée au moment de la notification de la rupture, il n'est pas contestable qu'elle s'est trouvée en difficulté pour la saison suivante et ce quand bien même l'activité était structurellement moins bonne depuis quelques années (pièces Cristalp n° 251, 249).
En conséquence, le délai de préavis de 6 mois accordé par la société Movement étant insuffisant, celle-ci se trouve responsable d'une rupture brutale de la relation commerciale. Le jugement sera infirmé sur ce point.
sur le préjudice
Seul est indemnisable le préjudice résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même.
Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.
En l'espèce, l'insuffisance de préavis est de 6 mois.
La société Cristalp justifie (pièce n° 12) pour les trois exercices précédant la rupture des chiffres d'affaires suivants sur les produits Movement :
- exercice 2015/2016 : 2 291 042 euros
- exercice 2014/2015 : 3 081 286 euros
- exercice 2013/2014 : 3 098 849 euros
soit une moyenne annuelle de chiffre d'affaires sur les produits Movement de : 2 823 725 euros
Il ressort des pièces n° 12 et 17 Cristalp, que sa marge brute moyenne annuelle sur les produits Movement était d'environ 33%. La société Cristalp ne précise pas sa marge sur coûts variables. Compte tenu de l'importante baisse de charge de personnel constatée entre les exercices 2015/2016 et 2016/2017 (bilan exercice clos au 31/08/2017 pièce n° 118) outre les frais variables de distribution (document 1 pièce n° 12), il sera retenu un taux de marge sur coûts variables de 20%, soit une perte de marge sur coûts variables sur la période d'insuffisance de préavis de 6 mois de 282 372 euros (2 823 725/2 x 0,20).
La société Movement sera condamnée à verser à la société Cristalp la somme de 282 372 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la rupture brutale de la relation commerciale. Le jugement sera infirmé sur ce point.
La société Cristalp fait valoir un préjudice lié à un impact social. Cependant, elle ne démontre pas que celui-ci résulte de la brutalité de la rupture et non pas seulement de la rupture elle-même, à savoir la perte de la distribution des produits Movement. La société Cristalp sera déboutée de sa demande sur ce chef de préjudice.
Sur la demande au titre des investissements réalisés, les explications et pièces versées aux débats par la société Cristalp ne permettent pas d'établir que les investissements invoqués étaient spécialement dédiés à la vente des produits Movement et non amortis à la date de la rupture. La société Cristalp sera déboutée de sa demande sur ce chef de préjudice.
Enfin, la société Cristalp ne démontre pas d'avantage que le préjudice d'atteinte à l'image est lié à la brutalité de la rupture et non pas à la rupture elle-même. Elle sera déboutée de sa demande de ce chef.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Cristalp aux dépens de première instance et à payer à la société Wild Duck, devenue la société Movement, la somme de 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Movement, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et appel.
En application de l'article 700, la société Movement sera déboutée de sa demande et condamnée à payer à la société Cristalp la somme de 20 000 euros.
PAR CES MOTIFS :
Déclare l'Etude Bouvet G ès qualités de mandataire judiciaire de la société Cristalp recevable en son intervention volontaire,
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a :
- dit que le préavis accordé d'une saison annuelle dans sa totalité est suffisant et débouté la société Cristalp de sa demande de dommages-intérêts au titre de la perte de marge pour rupture brutale de la relation commerciale,
- condamné la société Cristalp aux dépens et à payer à la société Movement la somme de 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déclare la société Movement responsable de la rupture brutale de la relation commerciale établie avec la société Cristalp,
Condamne la société Movement à payer à la société Cristalp la somme de 282 372 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de marge,
Condamne la société Movement aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés selon la procédure de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société Movement à payer à la société Cristalp la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande.