Livv
Décisions

CA Angers, ch. civ. a, 28 septembre 2021, n° 19/00039

ANGERS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thouzeau

Conseillers :

Mme Muller, Mme Reuflet

TGI Laval, du 3 déc. 2018

3 décembre 2018

Exposé du litige

A la suite d'une annonce publiée sur le site Internet « Troc France » par M. Mickael L., M. Frédéric L. a, suivant acte sous seing privé du 5 mars 2016, échangé sa motocyclette Harley-Davidson contre un véhicule Mercedes cabriolet CLK 200 mis en circulation en 2000.

Peu de temps après, des dysfonctionnements sont apparus sur le véhicule Mercedes. Considérant qu'il s'agissait de vices cachés lors de l'échange et ne trouvant pas d'accord amiable avec M. Mickael L., M. Frédéric L. a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Laval qui, par ordonnance du 8 février 2017, a ordonné l'expertise du véhicule.

L'expert a déposé son rapport le 29 janvier 2018.

Par acte d'huissier du 4 août 2018, M. Frédéric L. a assigné M. Mickael L. devant le tribunal de grande instance de Laval aux fins de le voir condamné à lui payer la somme 7 000 euros en restitution de la fraction excessive du prix réclamé en mars 2016 et de 3 434,83 euros de dommages-intérêts complémentaires, outre 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 3 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Laval a :

-   condamné M. Mickael L. à payer à M. Frédéric L. les sommes suivantes :

* 7 000 euros en restitution de la fraction excessive du prix réglé,

* 434,83 euros de dommages-intérêts,

* 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-   condamné M. Mickael L. aux dépens qui comprendront ceux de la procédure de référé et le coût de l'expertise judiciaire, dont distraction au profit de la SCP D.-L.-G.,

-   débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration reçue au greffe le 7 janvier 2019, M. Mickael L. a interjeté appel dudit jugement en toutes ses dispositions.

La déclaration d'appel et les conclusions de l'appelant ont été signifiées par voie d'huissier à l'intimé le 19 février 2019.

M. L. a constitué avocat le 27 février 2019 et a notifié le 13 mai 2019, par voie électronique, ses conclusions par lesquelles il a formé appel incident.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 juin 2021 et l'affaire fixée à l'audience du 5 juillet 2021.

Prétentions et moyens des parties

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, à leurs dernières conclusions :

-   du 31 mai 2019 pour M. Mickaël L.,

-   du 1er juin 2021 pour M. Frédéric L., qui peuvent se résumer respectivement comme suit.

M. Mickaël L. demande à la cour de :

-   le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

-   infirmer le jugement rendu par le TGI de Laval,

En conséquence,

-   constater que les défauts censés affecter le véhicule Mercedes CLK 200 échangé et acquis par M. Frédéric L. étaient connus et visibles au moment de la régularisation du certificat de cession,

-   constater que M. Frédéric L. ne justifie d'aucun vice affectant le véhicule Mercedes CLK 200 de nature à en compromettre l'usage,

-   constater que M. L. ne justifie d'aucune faute contractuelle commise par le vendeur de la Mercedes CLK 200 qu'il a acquise,

-   débouter M. Frédéric L. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

-   débouter M. Frédéric L. de l'ensemble de ses demandes incidentes,

-   condamner M. Frédéric L. à lui payer une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

-   condamner M. Frédéric L. aux entiers dépens de première instance et d'appel comprenant notamment le coût de l'expertise judiciaire.

Il affirme que s'agissant d'un contrat d'échange ou de vente de véhicule, la garantie des vices cachés constitue l'unique fondement de l'action exercée pour défaut de la chose vendue la rendant impropre à sa destination normale et que M. Frédéric L. ne pouvait pas agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle, laquelle implique de démontrer l'existence d'une faute qui en l'espèce n'a pas été commise par le vendeur.

Il soutient que les trois points litigieux, à savoir la différence de kilométrage entre celui affiché dans le véhicule et le kilométrage réel, l'allumage du voyant d'ABS et le défaut du toit rétractable, constituent des vices apparents car ils étaient visibles et connus de M. Frédéric L. au moment de la vente et ne sauraient ainsi justifier ni la résolution de la vente sur le fondement des vices cachés, ni l'engagement de sa responsabilité contractuelle. En outre, selon lui, le fait que le voyant ABS ait été allumé lors de la vente implique que M. Frédéric L. avait conscience que le système de freinage était défectueux.

Il conteste par ailleurs être un professionnel de la vente de véhicules faisant valoir qu'il a cessé cette activité depuis 2010 et qu'il exerce depuis lors l'activité d'assistant maternel.

En conséquence, il demande l'infirmation du jugement.

**

M. Frédéric L. demande à la cour de :

-   déclarer M. Mickael L. mal fondé en son appel, l'en débouter,

-   confirmer en conséquence le jugement excepté en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts,

-   déclarer recevable et bien fondé l'appel incident qu'il a formé à ce titre,

-   condamner M. Mickael L. à lui régler à titre de dommages et intérêts la somme de 3 434,83 euros en sa qualité de vendeur professionnel et donc réputé connaître les vices,

-   condamner M. Mickael L. à régler une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles devant la cour d'appel,

-   condamner M. Mickael L. aux entiers dépens d'appel avec application de l'article 699 du Code de procédure civile au profit de la SCP D.-L.-G..

Il indique qu'il entendait, dès l'assignation, exercer l'action estimatoire en garantie des vices cachés et que le tribunal l'a parfaitement retenue. Il soutient ensuite, reprenant l'avis de l'expert, que le véhicule litigieux comprend 3 vices cachés que sont l'oxydation du longeron avant gauche, le kilométrage réel et le défaut d'ABS. S'agissant de ce dernier, il affirme que, s'il avait remarqué que le voyant ABS s'allumait, il ignorait parfaitement que le système entier de freinage avait fait l'objet d'un bricolage de sorte qu'il s'agit bien d'un vice caché et non apparent.

Il soutient que M. L. est un vendeur professionnel et, qu'à ce titre, conformément à l'article 1645 du Code civil, il était réputé connaître tous les vices même cachés de sorte qu'il est tenu de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. Il demande donc, à titre de dommages et intérêts, en sus de la facture de diagnostic technique de 434,83 euros, une indemnisation complémentaire de 3 000 euros pour préjudice d'absence d'utilisation et tracas.

En conséquence, il sollicite la confirmation du jugement, excepté en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts.

Motifs de la décision

  • Sur la garantie des vices cachés

A titre liminaire, il convient de rappeler que selon l'article 1707 du Code civil toutes les règles prescrites pour le contrat de vente, hormis la rescision pour lésion, s'appliquent d'ailleurs à l'échange.

A ce titre, l'article 1641 du Code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

L'article 1644 du même Code ouvre la possibilité à l'acheteur d'exercer soit l'action rédhibitoire, à savoir rendre la chose et se faire restituer le prix, soit l'action estimatoire, qui consiste à garder la chose et se faire rendre une partie du prix.

En l'espèce, il résulte des rapports d'expertises des compagnies d'assurance ainsi que du rapport d'expertise judiciaire que le véhicule Mercedes, objet du contrat d'échange du 5 mars 2016, présente divers défauts antérieurs à l'échange dont deux, l'ouverture du toit amovible défectueuse et le témoin ABS allumé, qui rendent le véhicule impropre à l'usage auquel on le destine.

Le litige se concentre sur la question de savoir si les vices étaient apparents ou non.

Sur le désordre affectant l'ouverture du toit amovible, il s'agit d'un vice apparent qui peut être aisément constaté par l'acheteur au moment de la vente. Ce défaut ne permet donc pas l'engagement de la garantie des vices cachés.

S'agissant du défaut d'ABS, M. L. a effectivement constaté au jour de l'échange que le témoin ABS était allumé et le contrôle technique du 2 février 2016 en faisait bien mention. Cependant, les différentes expertises réalisées sur le véhicule ont mis au jour un défaut dans le système de freinage bien plus important qu'une simple avarie de capteur usuellement indiquée par l'allumage du témoin ABS.

En effet, selon l'expert judiciaire, c'est un montage de pièces non conforme qui est, en réalité, à l'origine de l'apparition du voyant d'alerte. Il indique dans son rapport d'expertise du 22 mars 2018 que « le boîtier d'ABS monté sur le véhicule est un boîtier de réemploi qui n'est pas conforme au véhicule examiné ». Dès lors, si M. L. avait connaissance d'un défaut dans le système de freinage, il ignorait totalement que ce système avait fait l'objet d'un bricolage au surplus avec des pièces non conformes qui rendent le véhicule dangereux à la circulation dans l'état. De sorte que, ignorant l'ampleur du vice, il ne pouvait pas mesurer l'importance et la gravité des désordres affectant le système de freinage du véhicule et qu'en connaissance de la gravité du vice, il n'aurait jamais conclu à l'échange de sa motocyclette.

Le défaut d'ABS, en ce qu'il résulte d'un système bricolé de freinage, constitue donc un vice non apparent de l'acheteur.

Par ailleurs, l'évaluation de la fraction excessive du prix adoptée en première instance n'est en elle-même pas critiquée.

C'est donc par des motifs justes et appropriés que le premier juge a fait droit à l'action estimatoire engagée par M. L. et a condamné M. L. à payer la somme de 7 000 euros en restitution de la fraction excessive du prix réglé.

  • Sur la demande d'indemnisation

En droit, l'article 1645 du Code civil dispose que si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.

En application de ces dispositions, le vendeur professionnel est réputé connaître tous les vices affectant la chose vendue.

Monsieur L. dément être un professionnel de la vente de véhicule, il produit à cet effet une attestation de cessation d'activité en date du 9 janvier 2019 (pièce n° 9) dans laquelle il y déclare avoir cessé son activité de micro-entrepreneur le 26 juin 2010. Or, outre le fait que cette attestation est purement déclarative et parcellaire puisqu'il n'est pas même fait mention de la nature de l'activité de micro-entreprise concernée, elle entre en contradiction avec les pièces adverses qui démontrent que M. L. exerçait bien en tant que professionnel à la date de l'échange litigieux. En effet, le 5 mars 2016, M. L. était inscrit sur le site de l'INSEE avec un numéro SIREN pour l'activité de commerce de voitures et de véhicules automobiles légers d'une part, et plusieurs annonces d'offres de troc de véhicules postérieures produites par l'intimé indiquent que M. L. continuait d'exercer ce commerce d'autre part (pièces n° 10/11/15 intimé, troc de véhicules proposé en 2017, 2019 et 2020).

Dès lors, en tant que professionnel, M. L. est réputé connaître tous les vices de la chose et doit donc réparation de l'intégralité du préjudice provoqué par le vice.

En l'espèce, M. L. demande la confirmation de la condamnation de M. L. au paiement d'une somme de 434,83 euros représentant le coût du diagnostic technique qu'il a fait effectuer (pièce n° 14) et l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'indemnisation à hauteur de 3 000 euros pour les divers tracas liés à l'indisponibilité de son véhicule.

Il ressort de l'examen du dossier que le préjudice moral allégué par M. L. est partiellement établi par le fait qu'il a effectivement dû se rendre à trois expertises et mis son véhicule à disposition des experts le temps des opérations, ce qui constitue un désagrément indemnisable.

Pour autant, il ne rapporte pas la preuve de ce qu'il soutient dans ses écritures, à savoir que son véhicule ait été immobilisé sans qu'il puisse en disposer.

Il convient alors de confirmer la condamnation de M. L. au paiement de la somme de 434,83 euros correspondant au montant de la facture du diagnostic technique et, infirmant le jugement sur ce point, d'accorder à M. L. la somme de 200 euros en réparation de son préjudice moral.

  • Sur les frais irrépétibles et les dépens

M. L., succombant en appel, sera condamné aux dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile, ainsi que, en considération de l'équité et de la situation respective des parties, à une somme complémentaire de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

CONFIRME le jugement entrepris sauf sur le montant des dommages et intérêts,

L'infirmant de ce chef,

CONDAMNE M. L. à payer à M. L. la somme de 634,83 euros à titre de dommages et intérêts,

Y ajoutant,

CONDAMNE M. L. à payer à M. L. la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNE M. L. aux dépens d'appel.