CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 27 septembre 2021, n° 19/02428
TOULOUSE
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rouger
Conseiller :
M. Robert
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte authentique en date du 25 juin 2015, M. David P. et Mme Marylène C. ont acquis de M. Philippe V. et de Mme Magali S.-Jours une maison d'habitation située [...] pour un prix de 233.000 euros.
M. P. et Mme C. ont constaté l'apparition de désordres concernant la piscine et ont sollicité des vendeurs la prise en charge des travaux de reprise après avoir fait intervenir un conseiller technique.
Par acte du 11 mai 2016, ils ont saisi le juge des référés d'une demande d'expertise judiciaire, laquelle a été ordonnée le 8 juin 2016.
Par ordonnance de référé du 12 octobre 2017, les opérations d'expertise ont été étendues et rendues opposables à la société Qudos Insurance, assureur de la Sarl Aquarelle Piscine et Spa, qui avait installé la piscine.
L'expert a déposé son rapport le 9 juillet 2018.
Par acte d'huissier de justice en date du 3 octobre 2018, M. P. et Mme C. ont fait assigner M. V. et Mme S.-J. devant le tribunal de grande instance de Montauban aux fins d'indemnisation sur le fondement de la garantie des vices cachés.
Par jugement contradictoire rendu le 14 mai 2019 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Montauban a :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Philippe V. et Magali S.-Jours,
- dit que Philippe V. et Magali S.-Jours doivent leur garantie au titre des vices cachés à David P. et Marylène C.,
- condamné Philippe V. et Magali S.-Jours à payer David P. et Marylène C. la somme de 26.708,20 euros au titre des travaux de reprise, avec indexation sur l'indice BT01 à compter du 9 juillet 2018 et jusqu'à la date effective du paiement selon les règles professionnelles des avocats,
- condamné Philippe V. et Magali S.-Jours à payer David P. et Marylène C. la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamné Philippe V. et Magali S.-Jours à verser à David P. et Marylène C. une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700,1° du code de procédure civile,
- condamné Philippe V. et Magali S.-Jours aux dépens, dont distraction au profit de Me Emmanuel L., avocat, qui en a fait la demande conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Par déclaration du 23 mai 2019, M. V. et Mme S.-J. ont relevé appel de l'intégralité des chefs du dispositif du jugement.
Par ordonnance rendue le 4 septembre 2019, le Premier Président de la cour d'appel de Toulouse a débouté les appelants de leur demande tendant à voir ordonner l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 19 décembre 2019, M. V. et Mme S.-J., appelants, demandent à la cour, au visa des articles 1641, 1642, 1648, 2241, 2242 du Code civil, 122, 699 et 700 du code de procédure civile, de :
A titre principal,
- réformer le jugement en ce qu'il a rejeté leur fin de non-recevoir ;
Statuant à nouveau,
- juger que l'action de Mme C. et M. P. est prescrite ;
- par conséquent, juger que les demandes de Mme C. et M. P. sont irrecevables en raison de la fin de non-recevoir tirée de la prescription de leur action ;
A titre subsidiaire,
- réformer le jugement en ce qu'il a dit qu'ils doivent leur garantie au titre des vices cachés à Mme C. et M. P. ;
Statuant à nouveau,
- juger que la clause d'exonération en matière de vices cachés stipulée dans l'acte de vente s'applique au litige ;
- juger que la piscine ne présentait aucun vice caché au moment de la vente du bien immobilier ;
- juger que les prétendus vices cachés ne rendent pas la piscine impropre à son usage ;
- par conséquent, rejeter l'intégralité des demandes de Mme C. et M. P. ;
A titre infiniment subsidiaire,
- réformer le jugement en ce qu'il les a condamnés à payer à Mme C. et M. P. la somme de 26.708,20 euros au titre des travaux de reprise, avec indexation sur l'indice BT01 à compter du 9 juillet 2018 et jusqu'à la date effective de paiement selon les règles professionnelles des avocats ;
- réformer le jugement en ce qu'il les a condamnés à payer à Mme C. et M. P. la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts ;
Statuant à nouveau,
- juger que le montant des travaux à retenir est de 21.456,83 euros ;
- débouter Mme C. et M. P. de leur demande en paiement d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
En tout état de cause,
- réformer le jugement en ce qu'il les a condamnés à payer à Mme C. et M. P. une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700, 1° du code de procédure civile ;
- le réformer en ce qu'il les a condamnés aux dépens, dont distraction au profit de Me Emmanuel L., avocat, qui en a fait la demande, conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement Mme C. et M. P. à leur verser la somme de 4.000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, dont distraction au profit de Maître Emmanuel L. sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civil ;
- condamner solidairement Mme C. et M. P. aux entiers dépens.
Ils soulèvent, à titre principal, une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action résultant des vices rédhibitoires; ils exposent à cet égard que les requérants ont eu connaissance des vices cachés entachant la piscine dès le 9 septembre 2015, date à laquelle l'expert qu'ils avaient mandaté a rendu un rapport d'expertise non contradictoire; que l'assignation en référé expertise, qui date du 11 mai 2016, a eu pour effet d'interrompre le délai de prescription; que le nouveau délai de prescription de deux ans a commencé à courir le 8 juin 2016, date à laquelle l'ordonnance de référé ordonnant une mesure d'expertise a été rendue; que les consorts C.-P. avaient jusqu'au 8 juin 2018 pour introduire leur action; qu'à la date du 3 octobre 2018 à laquelle ils ont saisi le tribunal de grande instance de Montauban, leur action était prescrite.
Subsidiairement, au fond, ils font valoir que l'acte de vente du 25 juin 2015 comporte une clause d'exonération des vices cachés ; que les vendeurs n'avaient pas connaissance de ces vices au moment de la vente, leur prétendue mauvaise foi n'étant pas démontrée par les intimés ; qu'en tout état de cause, les vices entachant la piscine litigieuse étaient apparents au jour de la vente ; que les désordres de nature esthétique entachant l'ouvrage ne rendent pas la piscine impropre à sa destination.
Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 22 octobre 2019, M. P. et Mme C., intimés, demandent à la cour, au visa des articles 1641, 1644 et 1645 du Code civil, de :
- confirmer les dispositions du jugement dont appel en ce qu'il a :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. V. et Mme S.-J.,
- jugé que M. V. et Mme S.-J. leur doivent leur garantie au titre des vices cachés,
Réformant la décision pour le surplus, et statuant à nouveau,
- faire droit à leur appel incident ;
- condamner M. V. et Mme S.-J. à leur verser :
* la somme de 29.150,40 euros au titre des travaux de remplacement de la piscine, sous réserve de la révision du prix en fonction du coût de la construction à la date de la réalisation des travaux prenant pour base de calcul l'indice du deuxième trimestre 2017,
* la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,
* la somme de 5.000 euros par application de l'article 700-1 du code de procédure civile,
- les condamner in solidum en tous les frais, débours et dépens de l'instance, qui comprendront les frais d'expertise judiciaire notamment, dont distraction pour le surplus au profit de Maître Emilie L., avocat, qui en fait la demande, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Ils soutiennent que leur action n'est pas prescrite, dans la mesure où ils n'ont pris connaissance de la gravité réelle des désordres constatés, dans leur ampleur et leurs conséquences, qu'à la date du 5 juillet 2018 de dépôt du rapport d'expertise judiciaire; que les vendeurs avaient connaissance de l'existence des vices cachés et ne peuvent dès lors pas se prévaloir de la clause d'exonération de garantie; que nonobstant la saillie de la lèvre technique, les désordres n'étaient pas apparents pour un profane; que les vices cachés qui affectent l'ouvrage le rendent impropre à sa destination.
MOTIFS DE LA DECISION :
- Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en garantie des vices cachés :
L'article 1648 du code civil, alinéa 1, prévoit que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
Le point de départ de ce délai, qui est un délai de prescription, doit être fixé à la date de la découverte du vice.
Outre l'interruption de la prescription par l'assignation en référé en application de l'article 2241 du code civil, l'article 2239 du même code précise que la prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.
En l'espèce, l'assignation en référé expertise, en date du 11 mai 2016, a interrompu le délai de prescription de deux ans, puis faisant suite à cette interruption, l'ordonnance de référé du 8 juin 2016 qui a ordonné une mesure d'expertise judiciaire avant tout procès a suspendu le délai de prescription jusqu'au 9 janvier 2019, soit six mois après le dépôt du rapport d'expertise de M. R. intervenu le 9 juillet 2018.
En conséquence, à la date de l'assignation au fond du 3 octobre 2018, l'action des consorts C.-P. n'était pas prescrite, de sorte que la fin de non-recevoir soulevée par les consorts V. S.- J. doit, par confirmation sur ce point du jugement déféré, être rejetée.
- Sur la garantie des vices cachés :
Les consorts C. -P., qui ont acquis leur maison par acte du 25 juin 2015, ont été alertés sur l'existence du vice dès le 9 septembre 2015, date de dépôt du rapport de l'expert C. qu'ils avaient mandaté. Selon cet expert, les désordres invoqués par les consorts P.-C. ont été constatés. Il existe des non-conformités qui rendent la piscine impropre à sa destination. Tous les travaux de reprise sont à réaliser conformément aux DTU et règles de l'art. L'expert précise, en page 5 de son rapport, qu'il est nécessaire de déposer cette piscine et de réaliser un ouvrage selon les règles de l'art et le DTU 50.1.
L'expertise judiciaire a confirmé l'existence des vices relevés par M. C... L'expert R. relève les désordres suivants :
- des déformations (ondulations) de la paroi très prononcées côté sud ;
- des déformations de la lèvre technique ;
- des fissures et microfissures (fendillements) ;
- une déformation du skimmer, par poinçonnement, avec fissurations ;
- un faux niveau irrégulier de la coque.
Il précise que certains d'entre eux étaient apparents lors de la vente (déformation de la coque, saillie de la lèvre technique); il indique cependant que les désordres sont la conséquence de malfaçons dans les travaux de pose de la coque de la piscine et dans la réalisation de la plage; que ni l'origine, ni les conséquences de la saillie de la lèvre technique ne pouvaient être appréciées par un acheteur non averti; que les déformations des parois, les fissures et le faux niveau, même aussi important, n'étaient pas apparents au premier regard.
Il précise en outre que la nature et l'importance des désordres nécessitent la démolition et la dépose de l’existant ; il chiffre à la somme de 26 700 euros TTC le coût de la réfection de l'ouvrage.
Le premier juge a exactement relevé que les désordres constatés rendent l'ouvrage impropre à son usage en raison du risque de blessures qu'ils constituent pour les utilisateurs de l'ouvrage, de leur caractère évolutif et qu'ils n'étaient pas apparents lors de la vente par un acheteur profane.
Les consorts V.-S. J. tentent vainement de s'exonérer de leur responsabilité en invoquant la clause de non garantie des vices cachés mentionnée en page 8 de l'acte de vente. Il s'évince en effet des dispositions de l'article 1645 du code civil que si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.
Il résulte en l'espèce de l'historique de l'affaire rappelé par M. R. que la piscine (coque polyester) a été installée par la SARL Aquarelle Piscine &Spas, et a donné lieu à un procès-verbal de réception du 8 juillet 2013. Selon les déclarations de M. V., la piscine n'était pas de niveau ; Elle a été déposée puis reposée par la SARL Aquarelle Piscine &Spas à l'automne 2014, la SARL Aquarelle Piscine &Spas ayant offert la réalisation de la dalle de la plage à cette occasion.
Constatant de nouveaux désordres, M. V. a demandé un devis de remplacement de la coque à la SARL Ôblue. Le premier devis de cette société date du 1er septembre 2014.
Il s'ensuit que les vendeurs avaient obligatoirement connaissance de l'existence du vice et de son ampleur au moment de la vente.
- Sur les demandes financières des consorts P.-C. :
L'expert judiciaire a retenu le devis de la SARL Aquarêve du 5 avril 2017 pour un montant de 26 708,20 euros TTC, en précisant qu'il n'y a pas nécessité de remplacement de la pompe de recyclage ni du filtre à sable, ce qui compense l'absence de chiffrage des opérations de dépose et de repose de la barrière de sécurité. Il estime la durée des travaux à un mois et demi hors intempéries et y compris le temps de séchage du béton de la structure. Il convient dès lors de confirmer le jugement déféré en ce u'il a condamné les consorts V. S.-J. à payer aux consorts P.-C. la somme de 26 708,20 euros à ce titre, outre actualisation dans les conditions définies par le premier juge sauf à ajouter au regard de la date du devis sur la base duquel l'expert judiciaire a procédé au chiffrage des travaux de reprise (avril 2017) que l'indice BT 01 de référence sera celui du 2ème trimestre 2017.
Les consorts P.-C. subissent depuis le mois de juin 2015 un trouble de jouissance résultant de l'impossibilité d'utiliser la piscine, qu'il convient de réparer, infirmant partiellement le jugement entrepris sur ce point, par la condamnation des vendeurs à leur payer une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.
- Sur les demandes annexes :
Mme Magali Saint J. et M. Philippe V., qui succombent, supporteront les dépens de première instance ainsi que décidé par le premier juge, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire, et les dépens de l'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Ils se trouvent de ce fait redevable d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, tant au titre de la procédure de première instance, justement appréciée par le premier juge, qu'au titre de la procédure d'appel dans les conditions définies au dispositif du présent arrêt, sans pouvoir eux-mêmes prétendre à une indemnité à ce titre.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Montauban le 14 mai 2019, sauf sur le montant des dommages et intérêts dus par M. Philippe V. et Mme Magali Saint J. à M. David P. et Mme Marylène C..
Et statuant de nouveau sur le point infirmé et y ajoutant :
Dit que l'indice BT 01 de référence devant servir à l'actualisation ordonnée par le premier juge est celui du 2ème trimestre 2017.
Condamne M. Philippe V. et Mme Magali Saint J. à payer à Mme Marylène C. et à M. David P. une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance.
Dit que les dépens de première instance comprennent les frais de l'expertise judiciaire ordonnée en référé
Condamne M. Philippe V. et Mme Magali Saint J. aux dépens de l'appel, avec autorisation de recouvrement direct par Maître Emilie L., Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Condamne M. Philippe V. et Mme Magali Saint J. à payer à Mme Marylène C. et à M. David P. une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.
Les déboute de leur demande formée à ce même titre.