CJUE, gr. ch., 6 octobre 2021, n° C-53/19 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Banco Santander SA, Santusa Holding SL, Royaume d’Espagne
Défendeur :
Commission européenne, République fédérale d’Allemagne, Irlande
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lenaerts
Présidents de chambre :
M. Arabadjiev, M. Vilaras, M. Regan, M. Ilešič, M. Kumin, M. Wahl (rapporteur)
Vice-président :
Mme Silva de Lapuerta
Juges :
M. Šváby, M. Rodin, M. Biltgen, Mme Jürimäe, M. Lycourgos, M. Xuereb, M. Jarukaitis
Avocat général :
M. Pitruzzella
Avocats :
Me Buendía Sierra, Me Abad Valdenebro, Me Calvo Salinero, Me Lamadrid de Pablo
LA COUR (grande chambre),
1 Par leur pourvoi dans l’affaire C‑53/19 P, Banco Santander SA (ci-après « Santander ») et Santusa Holding SL (ci-après « Santusa ») demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 15 novembre 2018, Banco Santander et Santusa/Commission (T‑399/11 RENV, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:787), par lequel celui-ci a rejeté leurs recours tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 1, et, à titre subsidiaire, de l’article 4 de la décision 2011/282/UE de la Commission, du 12 janvier 2011, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 135, p. 1, ci-après la « décision litigieuse »).
2 Par son pourvoi dans l’affaire C‑65/19 P, le Royaume d’Espagne demande l’annulation de ce même arrêt.
I. Les antécédents du litige
3 Les antécédents du litige, qui ont été exposés par le Tribunal aux points 1 à 12 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés de la manière suivante.
4 Le 10 octobre 2007, à la suite de plusieurs questions écrites qui lui avaient été posées au cours des années 2005 et 2006 par des membres du Parlement européen, ainsi que d’une plainte d’un opérateur privé dont elle avait été le destinataire au cours de l’année 2007, la Commission européenne a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen, prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, à l’égard du dispositif prévu à l’article 12, paragraphe 5, introduit dans la Ley del Impuesto sobre Sociedades (loi relative à l’impôt sur les sociétés) par la Ley 24/2001, de Medidas Fiscales, Administrativas y del Orden Social (loi 24/2001, portant adoption de mesures fiscales, administratives et d’ordre social), du 27 décembre 2001 (BOE no 313, du 31 décembre 2001, p. 50493), et repris par le Real Decreto Legislativo 4/2004, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades (décret législatif royal 4/2004, portant approbation du texte remanié de la loi relative à l’impôt sur les sociétés), du 5 mars 2004 (BOE no 61, du 11 mars 2004, p. 10951, ci-après la « mesure litigieuse »).
5 La mesure litigieuse prévoit que, dans le cas d’une prise de participations d’une entreprise imposable en Espagne dans une « société étrangère », lorsque cette prise de participations est d’au moins 5 % et que la participation en cause est détenue de manière ininterrompue pendant au moins un an, la survaleur financière en résultant peut être déduite, sous forme d’amortissement, de l’assiette imposable de l’impôt sur les sociétés dont l’entreprise est redevable. Cette mesure précise que, pour être qualifiée de « société étrangère », une société doit être assujettie à un impôt identique à l’impôt applicable en Espagne et ses revenus doivent provenir essentiellement de la réalisation d’activités à l’étranger.
6 La Commission a clôturé la procédure, en ce qui concerne les prises de participations réalisées au sein de l’Union européenne, par sa décision 2011/5/CE, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48, ci-après la « décision du 28 octobre 2009 »).
7 Par cette décision, la Commission a déclaré incompatible avec le marché intérieur la mesure litigieuse, consistant en un avantage fiscal permettant aux sociétés espagnoles d’amortir la survaleur résultant de prises de participations dans des sociétés non-résidentes, lorsqu’elle s’appliquait à des prises de participations dans des sociétés établies au sein de l’Union.
8 La Commission a cependant maintenu ouverte la procédure en ce qui concerne les prises de participations réalisées en dehors de l’Union, les autorités espagnoles s’étant engagées à fournir des éléments supplémentaires relatifs aux obstacles aux fusions transfrontalières existant en dehors de l’Union dont elles avaient fait état.
9 Le 12 janvier 2011, la Commission a adopté la décision litigieuse. Par cette décision, qui a fait l’objet de correctifs les 3 mars et 26 novembre 2011, la Commission a, notamment, déclaré incompatible avec le marché intérieur la mesure litigieuse, lorsqu’elle s’applique à des prises de participations dans des entreprises établies en dehors de l’Union (article 1er, paragraphe 1), et prévu la récupération par le Royaume d’Espagne des aides accordées (article 4).
II. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 juillet 2011, Santander et Santusa ont introduit un recours tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 1, et, à titre subsidiaire, de l’article 4 de la décision litigieuse.
11 Par arrêt du 7 novembre 2014, Banco Santander et Santusa/Commission (T‑399/11, EU:T:2014:938), le Tribunal a fait droit à ce recours au motif que la Commission avait fait une application erronée de la condition de sélectivité prévue à l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Le Tribunal a également annulé la décision du 28 octobre 2009 par son arrêt du 7 novembre 2014, Autogrill España/Commission (T‑219/10, EU:T:2014:939).
12 Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 janvier 2015, la Commission a formé un pourvoi contre l’arrêt du 7 novembre 2014, Banco Santander et Santusa/Commission (T‑399/11, EU:T:2014:938). Ce pourvoi, qui a été enregistré sous le numéro C‑21/15 P, a été joint au pourvoi, enregistré sous le numéro C‑20/15 P, que la Commission avait formé contre l’arrêt du 7 novembre 2014, Autogrill España/Commission (T‑219/10, EU:T:2014:939).
13 Santander et Santusa, soutenues par la République fédérale d’Allemagne, par l’Irlande et par le Royaume d’Espagne, ont conclu au rejet du pourvoi.
14 Par arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, ci-après l’« arrêt WDFG », EU:C:2016:981), la Cour a annulé les arrêts du 7 novembre 2014, Autogrill España/Commission (T‑219/10, EU:T:2014:939), ainsi que du 7 novembre 2014, Banco Santander et Santusa/Commission (T‑399/11, EU:T:2014:938), renvoyé les affaires devant le Tribunal, réservé pour partie les dépens, et condamné la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande et le Royaume d’Espagne à supporter leurs propres dépens.
15 Par décision du président de la neuvième chambre élargie du Tribunal du 8 décembre 2017, les parties entendues, l’affaire T‑219/10 RENV, World Duty Free Group/Commission, et l’affaire T‑399/11 RENV, Banco Santander et Santusa/Commission, ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 68 du règlement de procédure du Tribunal.
16 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours introduit par Santander et Santusa.
17 Il a écarté les trois moyens invoqués par ces dernières, tirés, le premier, de l’absence de sélectivité de la mesure litigieuse (points 29 à 232 de l’arrêt attaqué), le deuxième, d’une erreur dans l’identification du bénéficiaire de la mesure litigieuse (points 233 à 254 de l’arrêt attaqué) et, le troisième, d’une méconnaissance du principe de confiance légitime (points 255 à 349 de l’arrêt attaqué).
18 S’agissant plus spécifiquement du premier moyen, le Tribunal a rappelé, en premier lieu, que, ainsi qu’il découle de l’arrêt WDFG, une mesure fiscale qui accorde un avantage dont l’octroi est conditionné par la réalisation d’une opération économique peut être sélective, y compris lorsque, eu égard aux caractéristiques de l’opération en cause, toute entreprise peut librement faire le choix de réaliser cette opération (points 78 à 90 de l’arrêt attaqué).
19 En second lieu, le Tribunal a examiné la mesure litigieuse à l’aune des trois étapes de la méthode d’analyse de la sélectivité d’une mesure fiscale nationale, présentée aux points 61 et 62 de l’arrêt attaqué, à savoir, tout d’abord, l’identification du régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné, ensuite, l’appréciation du point de savoir si la mesure fiscale en cause déroge audit régime commun, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime commun, dans une situation factuelle et juridique comparable, et, enfin, l’appréciation du point de savoir si une telle dérogation est justifiée par la nature et l’économie de ce régime.
20 En ce qui concerne la première étape, le Tribunal a indiqué que le cadre de référence défini dans la décision litigieuse, à savoir le « traitement fiscal de la survaleur » (point 93 de l’arrêt attaqué), constituait le système de référence pertinent en l’espèce, dans la mesure notamment où les entreprises qui prennent des participations dans des sociétés non-résidentes se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le traitement fiscal de la survaleur, dans une situation juridique et factuelle comparable à celle des entreprises qui prennent des participations dans des sociétés résidentes. Selon cette juridiction, l’objectif de ce régime serait de garantir un certain parallélisme entre le traitement comptable et le traitement fiscal de la survaleur résultant pour une entreprise de la prise de participations dans une société (points 117 à 123 de l’arrêt attaqué). Le Tribunal a ainsi rejeté l’idée que la mesure litigieuse constitue un système de référence autonome (points 127 à 141 de l’arrêt attaqué), de telle sorte qu’il a écarté le grief tiré de l’existence d’obstacles aux regroupements transfrontaliers (points 122, 139 et 142 de l’arrêt attaqué).
21 En ce qui concerne la deuxième étape, le Tribunal a considéré que c’est à bon droit que la Commission avait estimé, dans la décision litigieuse, que la mesure litigieuse avait introduit une dérogation par rapport au régime normal. Il a ainsi rejeté le grief selon lequel la Commission ne s’était pas acquittée de son obligation de démontrer que les prises de participations dans des sociétés résidentes et celles dans des sociétés non-résidentes étaient comparables au regard de l’objectif de neutralité fiscale poursuivi par la mesure litigieuse (points 143 à 165 de l’arrêt attaqué).
22 En ce qui concerne la troisième étape, le Tribunal a souligné qu’aucun des arguments spécifiquement avancés en l’espèce ne permettait de justifier la dérogation établie par cette mesure et ainsi la différence de traitement constatée (points 166 à 231 de l’arrêt attaqué).
III. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
23 Par leur pourvoi, Santander et Santusa (affaire C‑53/19 P) demandent à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– de faire droit à leur recours en annulation et d’annuler définitivement la décision litigieuse, et
– de condamner la Commission aux dépens.
24 Par son pourvoi, le Royaume d’Espagne (affaire C‑65/19 P) demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– d’annuler l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse, dans la mesure où celle-ci qualifie la mesure litigieuse d’aide d’État, et
– de condamner la Commission aux dépens.
25 La République fédérale d’Allemagne demande à la Cour d’accueillir les pourvois.
26 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter les pourvois et
– de condamner les parties requérantes aux dépens.
27 Par décisions du 22 mars 2019 et du 2 juin 2020, les affaires C‑53/19 P et C‑65/19 P ont été jointes respectivement aux fins de la procédure écrite ainsi qu’aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.
IV. Sur les pourvois
28 À l’appui de leur pourvoi respectif, Santander et Santusa ainsi que le Royaume d’Espagne (ci-après, pris ensemble, les « parties requérantes ») invoquent un moyen unique, tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce qui concerne la condition relative à la sélectivité. Elles reprochent, en substance, au Tribunal d’avoir commis un certain nombre d’erreurs de droit dans l’application de la méthode d’analyse en trois étapes relative à la sélectivité des mesures fiscales, telle qu’elle a été consacrée par une jurisprudence constante de la Cour.
29 La République fédérale d’Allemagne se rallie, en substance, à la position défendue par les parties requérantes en mettant en cause la grille d’analyse de la sélectivité de la mesure litigeuse retenue en l’espèce. La République fédérale d’Allemagne fait notamment valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la circonstance que la mesure litigieuse constitue une mesure générale accessible à toute entreprise qui en remplit les conditions matérielles n’est plus un élément pertinent dans le cadre de l’appréciation de la sélectivité.
30 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt WDFG, point 53 et jurisprudence citée, ainsi que arrêt du 16 mars 2021, Commission/Pologne, C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 27).
31 Il est bien établi que des mesures nationales conférant un avantage fiscal qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, placent les bénéficiaires dans une situation financière plus favorable que les autres contribuables sont susceptibles de procurer un avantage sélectif aux bénéficiaires et constituent, partant, des aides d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt WDFG, point 56, et arrêt du 19 décembre 2018, A-Brauerei, C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 21).
32 En ce qui concerne la condition relative à la sélectivité de l’avantage, inhérente à la qualification d’une mesure d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui fait seule l’objet de l’argumentation avancée dans le cadre des présents pourvois, il résulte d’une jurisprudence bien établie de la Cour que cette condition impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de discriminatoire (arrêt du 16 mars 2021, Commission/Pologne, C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 28 et jurisprudence citée).
33 L’examen de la question de savoir si une telle mesure présente un caractère sélectif coïncide ainsi, en substance, avec celui de savoir si cette mesure s’applique à un ensemble d’opérateurs économiques de manière non discriminatoire (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 53).
34 Lorsque la mesure en cause est envisagée comme un régime d’aides et non comme une aide individuelle, il incombe à la Commission d’établir que cette mesure, bien qu’elle prévoie un avantage de portée générale, en confère le bénéfice exclusif à certaines entreprises ou à certains secteurs d’activité (arrêt WDFG, point 55 et jurisprudence citée).
35 Afin de qualifier une mesure fiscale nationale de « sélective », la Commission doit identifier, dans un premier temps, le système de référence, à savoir le régime fiscal « normal » applicable dans l’État membre concerné, et démontrer, dans un second temps, que la mesure fiscale en cause déroge à ce système de référence, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce dernier, dans une situation factuelle et juridique comparable (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, A‑Brauerei, C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 36 et jurisprudence citée).
36 La notion d’« aide d’État » ne vise toutefois pas les mesures introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime juridique en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélectives, lorsque l’État membre concerné parvient à démontrer que cette différenciation est justifiée, en ce sens qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel ces mesures s’inscrivent (arrêt du 19 décembre 2018, A‑Brauerei, C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 44 et jurisprudence citée).
37 C’est à l’aune de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les différentes branches du moyen unique invoqué respectivement par les parties requérantes.
38 Le moyen unique soulevé par Santander et Santusa se divise en six branches, qui visent, en substance, premièrement, la définition du système de référence, deuxièmement, la détermination de l’objectif de ce système à partir duquel il convient de procéder à la comparaison lors de la deuxième étape de l’analyse de la sélectivité, troisièmement, l’attribution de la charge de la preuve, quatrièmement, le respect du principe de proportionnalité, cinquièmement, l’existence d’un lien de causalité entre l’impossibilité de fusionner à l’étranger et la prise de participations à l’étranger et, sixièmement, l’examen du caractère divisible de la mesure litigieuse en fonction du pourcentage de contrôle.
39 Le moyen unique soulevé par le Royaume d’Espagne est quant à lui composé de quatre branches. Ces branches visent, premièrement, la détermination du cadre de référence, deuxièmement, la considération selon laquelle le traitement fiscal de la survaleur financière ne saurait constituer une mesure de caractère général ou un cadre de référence autonome, troisièmement, la définition de l’objectif de ce cadre de référence et la comparaison des situations exigée par l’arrêt WDFG et, quatrièmement, l’attribution de la charge de la preuve retenue en l’espèce quant aux éléments constitutifs dudit cadre de référence.
40 Les griefs formulés dans le cadre des première à quatrième branches du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa ainsi que ceux avancés au soutien des quatre branches du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne coïncidant ou se recoupant très largement, ils seront examinés ensemble.
A. Sur la première branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa ainsi que sur les première et deuxième branches du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne, tirées d’erreurs commises dans la détermination du système de référence
1. Argumentation des parties
41 Santander et Santusa soutiennent que le Tribunal a commis plusieurs erreurs dans la détermination du système de référence.
42 Tout d’abord, le Tribunal aurait utilisé un système de référence distinct de celui défini par la décision litigieuse, puisqu’il aurait décrit le système de référence de cette décision comme étant le « traitement fiscal de la survaleur » et n’aurait pas circonscrit ce cadre au « traitement fiscal de la seule survaleur financière » (points 93 et 141 de l’arrêt attaqué). De l’avis de Santander et de Santusa, ces deux « expressions » se rapportent à des approches matériellement différentes. Santander et Santusa estiment que, en substituant sa propre motivation à celle de la décision litigieuse et en ayant comblé, par sa propre motivation, une lacune dans la motivation de la décision litigieuse, le Tribunal a commis une erreur de droit de nature à entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué.
43 Ensuite, ce serait de manière injustifiée que le Tribunal a exclu, au terme de l’analyse figurant aux points 127 à 141 de l’arrêt attaqué, l’idée que la mesure litigieuse puisse constituer un système de référence autonome. À cet égard, non seulement le Tribunal aurait substitué son propre raisonnement à celui contenu dans la décision litigieuse, dans la mesure où cette dernière se serait uniquement fondée sur l’absence d’obstacles aux fusions transfrontalières, mais, en outre, il aurait procédé à un examen juridiquement erroné. En effet, le raisonnement du Tribunal ferait notamment dépendre la définition du cadre de référence de la technique réglementaire utilisée.
44 Enfin, et en tout état de cause, le cadre de référence retenu par le Tribunal dans l’arrêt attaqué aurait été défini arbitrairement et procéderait d’une confusion entre une exception et une règle générale. En particulier, rien ne permettrait de comprendre pour quelles raisons le Tribunal a jugé que l’objectif poursuivi n’était autre que d’« assurer une certaine cohérence entre le traitement fiscal de la survaleur et son traitement comptable » (point 122 de l’arrêt attaqué). Le Tribunal n’aurait pas davantage expliqué pourquoi il a indiqué que l’absence de règle qui empêcherait d’amortir la survaleur financière en cas de prise de participations nationale ne serait rien moins que la « règle générale » du vaste système de référence qu’il a défini (point 136 de l’arrêt attaqué). Se référant notamment à l’approche retenue dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission (C‑203/16 P, EU:C:2018:505), par lequel la Cour a jugé qu’il ne pouvait être considéré que la mesure en cause dans cette affaire constituait une exception à une règle générale, Santander et Santusa estiment que le cadre de référence a été défini en l’occurrence de façon réductrice, de sorte que l’arrêt attaqué devrait être annulé.
45 Le Royaume d’Espagne estime également que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans la détermination du système de référence.
46 En premier lieu, le Royaume d’Espagne souligne que la détermination du système de référence, qui constitue, selon lui, le point de départ de toute analyse relative à la sélectivité, est une question de droit soumise au contrôle de la Cour. Visant plus précisément les points 93 et 141 de l’arrêt attaqué, le Royaume d’Espagne considère que le Tribunal s’est fondé sur un cadre de référence différent de celui retenu dans la décision litigieuse, en visant un cadre plus large que celui qui avait été retenu par la Commission.
47 En deuxième lieu, le Royaume d’Espagne considère que l’arrêt attaqué est également entaché d’une erreur de droit, en ce que le Tribunal a estimé que le traitement fiscal de la survaleur financière ne saurait constituer une mesure de caractère général ou un cadre de référence autonome. Dans cette perspective, cet État membre vise expressément les points 96, 104, 105, 107, 123, 126 et 139 à 142 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal aurait rejeté l’argument fondé sur l’existence d’obstacles aux regroupements transfrontaliers en invoquant des motifs, au demeurant non convaincants, qui ne ressortent nullement de la décision litigieuse.
48 À cet égard, le Royaume d’Espagne soutient que la détermination du cadre de référence retenue par le Tribunal est erronée pour quatre motifs.
49 Premièrement, l’arrêt attaqué serait fondé sur la simple technique réglementaire, ce qui, ainsi qu’il résulterait de la jurisprudence, ne constituerait pas une méthode appropriée pour définir le caractère sélectif d’une mesure. Ce serait ainsi à tort que le Tribunal a retenu que c’est la nécessité d’assurer la cohérence adéquate entre la règle fiscale et la règle comptable qui délimite l’objectif de la mesure (points 117, 119 et 122 de l’arrêt attaqué).
50 Deuxièmement, ce serait également à tort que le Tribunal a considéré, sur la base d’une analyse erronée de l’objectif de la mesure litigieuse exposée aux points 117 à 123 de l’arrêt attaqué, que la réglementation fiscale sur la survaleur financière en cause avait pour objet de régler un « problème particulier ». Contrairement à ce que le Tribunal a conclu, la législation fiscale en cause en l’espèce viserait non pas à régler un problème spécifique, mais à donner plein effet au principe de neutralité fiscale, en veillant à ce que les décisions d’investissement soient fondées sur des considérations économiques et non pas sur des critères fiscaux. À cet égard, le Tribunal aurait dû vérifier si, dans la décision litigieuse, la Commission avait écarté de manière justifiée et cohérente le cadre de référence proposé par les autorités espagnoles et les parties intéressées, eu égard notamment aux obstacles tant factuels que juridiques aux fusions transfrontalières. Au cours de cet examen, il aurait également dû apprécier si, en dépit des indications expresses formulées par la Cour au point 123 de l’arrêt WDFG et dans sa jurisprudence constante, la Commission avait agi en méconnaissance des critères énoncés à l’article 107 TFUE, en ne comparant pas les situations de fait et de droit au regard de l’objectif de la mesure litigeuse.
51 Troisièmement, le Royaume d’Espagne souligne que la mesure litigieuse – qui visait à se conformer au principe de neutralité fiscale, était ouverte à tous les secteurs et pouvait être appliquée sans qu’aucune obligation d’investissement minimal n’existe – est sans rapport avec celle à l’origine de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, EU:C:1974:71), dans laquelle la condition de spécificité sous-jacente au critère de sélectivité était déterminée précisément par plusieurs éléments.
52 Quatrièmement, le Royaume d’Espagne considère que l’approche retenue par le Tribunal aurait pour conséquence de revenir sur les conclusions que la Cour a retenues à l’égard de certaines mesures fiscales, mesures qui visaient également à régler des problèmes spécifiques, mais qui n’ont pas été considérées comme constitutives d’aides d’État.
53 La Commission conteste l’argumentation des parties requérantes. Elle considère, à titre principal, que les arguments avancés sont, pour l’essentiel, irrecevables, dans la mesure où le recours devant le Tribunal ne comportait aucun grief tiré de l’existence d’erreurs affectant la détermination du système de référence. Ainsi, autoriser les parties requérantes à soulever de nouveaux arguments dans le cadre du pourvoi reviendrait à leur permettre de saisir la Cour d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. À titre subsidiaire, la Commission fait valoir que l’argumentation des parties requérantes est non fondée. En effet, contrairement à ce qu’affirment celles-ci, premièrement, le Tribunal se serait référé au même système de référence que celui identifié dans la décision litigieuse, deuxièmement, la mesure litigieuse ne pourrait être envisagée comme un système de référence autonome et, troisièmement, l’arrêt attaqué serait motivé à suffisance de droit.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur la recevabilité
54 En ce qui concerne la recevabilité des arguments et des éléments présentés à l’appui des branches sous examen, laquelle est contestée par la Commission en raison du prétendu caractère nouveau des arguments avancés à l’appui des prétentions des parties requérantes relatives à la détermination du cadre de référence, il convient de rappeler que, selon l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal.
55 Ainsi, en vertu d’une jurisprudence bien établie, la compétence de la Cour dans le cadre du pourvoi est limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens et aux arguments débattus devant les premiers juges. Une partie ne saurait donc soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal, dès lors que cela reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal (arrêt du 29 juillet 2019, Bayerische Motoren Werke et Freistaat Sachsen/Commission, C‑654/17 P, EU:C:2019:634, point 69 ainsi que jurisprudence citée).
56 Cela étant, un requérant est recevable à former un pourvoi en faisant valoir, devant la Cour, des moyens et des arguments nés de l’arrêt contesté lui-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé (arrêts du 29 novembre 2007, Stadtwerke Schwäbisch Hall e.a./Commission, C‑176/06 P, non publié, EU:C:2007:730, point 17, ainsi que du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 47).
57 En l’occurrence, il ressort des points 93 à 142 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a examiné si la Commission avait correctement identifié le régime fiscal de référence dans le cadre de la première étape de l’analyse de la sélectivité. Dans ces circonstances, les parties requérantes sont recevables à mettre en cause, au stade du pourvoi, les motifs de l’arrêt attaqué relatifs à cette première étape, indépendamment de la circonstance que celles-ci n’ont pas développé en première instance une argumentation visant spécifiquement à contester la décision litigieuse sur ce point.
58 En outre, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 35 de ses conclusions dans les affaires jointes World Duty Free Group et Espagne/Commission (C‑51/19 P et C‑64/19 P, EU:C:2021:51), force est de constater que les arguments avancés par les parties requérantes contiennent une critique précise et circonstanciée des motifs de l’arrêt attaqué et visent, dans une large mesure, à contester le respect des limites et les modalités de l’exercice du contrôle juridictionnel par le Tribunal, qui ne pouvaient, en tout état de cause, pas être soulevés devant ce dernier.
59 Eu égard à ces considérations, la première branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa ainsi que les première et deuxième branches du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne sont recevables.
b) Sur le fond
60 La détermination du cadre de référence revêt une importance accrue dans le cas de mesures fiscales, puisque l’existence d’un avantage économique, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale ». Ainsi, la détermination de l’ensemble des entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable dépend de la définition préalable du régime juridique au regard de l’objectif duquel doit, le cas échéant, être examinée la comparabilité de la situation factuelle et juridique respective des entreprises favorisées par la mesure en cause et de celles qui ne le sont pas [arrêts du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C‑524/14 P, EU:C:2016:971, points 55 et 60, ainsi que du 28 juin 2018 Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission, C‑203/16 P, EU:C:2018:505, points 88 et 89].
61 Aux fins de l’appréciation du caractère sélectif d’une mesure fiscale de portée générale, il importe donc que le régime fiscal commun ou système de référence applicable dans l’État membre concerné soit correctement identifié dans la décision de la Commission et examiné par le juge saisi d’une contestation portant sur cette identification. La détermination du système de référence constituant le point de départ de l’examen comparatif devant être mené dans le contexte de l’appréciation de la sélectivité d’un régime d’aide, une erreur commise dans cette détermination vicie nécessairement l’ensemble de l’analyse de la condition relative à la sélectivité [voir, en ce sens, arrêts du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission, C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 107, et du 16 mars 2021, Commission/Pologne, C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 46].
62 Dans ce contexte, il convient, tout d’abord, de préciser, à titre liminaire, que la détermination du cadre de référence, qui doit être effectuée à l’issue d’un débat contradictoire avec l’État membre concerné, doit découler d’un examen objectif du contenu, de l’articulation et des effets concrets des normes applicables en vertu du droit national de cet État. À cet égard, la sélectivité d’une mesure fiscale ne peut être appréciée à l’aune d’un cadre de référence constitué de quelques dispositions du droit national de l’État membre concerné qui ont été artificiellement sorties d’un cadre législatif plus large [arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission, C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 103].
63 Par conséquent, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé au point 49 de ses conclusions dans les affaires jointes World Duty Free Group et Espagne/Commission (C‑51/19 P et C‑64/19 P, EU:C:2021:51), lorsque la mesure fiscale en question est inséparable du système général d’imposition de l’État membre concerné, c’est à ce système qu’il convient de se référer. En revanche, lorsqu’il apparaît qu’une telle mesure est clairement détachable dudit système général, il ne peut être exclu que le cadre de référence devant être pris en compte soit plus restreint que ce système général, voire qu’il s’identifie à la mesure elle-même, lorsque celle-ci se présente comme une règle dotée d’une logique juridique autonome et qu’il est impossible d’identifier un ensemble normatif cohérent en dehors de cette mesure.
64 Ensuite, dans la mesure où, en dehors des domaines dans lesquels le droit fiscal de l’Union fait l’objet d’une harmonisation, c’est l’État membre concerné qui définit, par l’exercice de ses compétences exclusives en matière de fiscalité directe, les caractéristiques constitutives de l’impôt, la détermination du système de référence ou du régime fiscal « normal », à partir duquel il convient d’analyser la condition relative à la sélectivité, doit tenir compte desdites caractéristiques (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2021, Commission/Pologne, C‑562/19 P, EU:C:2021:201, points 38 et 39).
65 En outre, il importe de rappeler que, dans la mesure où la détermination du cadre de référence doit procéder d’un examen objectif du contenu et de l’articulation des règles applicables en vertu du droit national, il n’y a pas lieu, lors de cette première étape de l’examen de la sélectivité, de tenir compte des objectifs poursuivis par le législateur lors de l’adoption de la mesure soumise à examen. À cet égard, la Cour a itérativement jugé que la finalité poursuivie par des interventions étatiques ne suffit pas à les faire échapper d’emblée à la qualification d’« aides » au sens de l’article 107 TFUE, dans la mesure où cette disposition ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais définit celles-ci en fonction de leurs effets (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, points 84 et 85, ainsi que du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 48).
66 Enfin, il est nécessaire que l’opération d’identification des règles qui doivent composer le système de référence se fasse selon des critères objectifs, notamment pour permettre un contrôle juridictionnel des appréciations sur lesquelles cette opération est fondée. Il incombe à la Commission de tenir compte des éléments éventuellement avancés par l’État membre concerné et, plus généralement, d’effectuer son examen de manière rigoureuse et suffisamment motivée afin de permettre un contrôle juridictionnel complet.
67 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier le bien-fondé de l’argumentation des parties requérantes ayant trait à la détermination du système de référence, en tant que première étape et prémisse nécessaire de l’analyse de la sélectivité. Ainsi qu’il découle des points 41 à 52 du présent arrêt, les parties requérantes soutiennent, en substance, que le Tribunal a commis des erreurs de droit, premièrement, en procédant à une substitution des motifs de la décision litigieuse quant à la définition du système de référence retenu, deuxièmement, en excluant que la mesure litigieuse puisse à elle seule être considérée comme un système de référence autonome et en procédant à une substitution de motifs à cet égard et, troisièmement, en définissant ce système de façon arbitraire.
68 Il convient d’examiner successivement ces trois griefs.
1) Sur l’existence d’une erreur de droit dans la détermination du système de référence (premier grief de la première branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa ainsi que première branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne)
69 Santander et Santusa, par le premier grief de la première branche de leur moyen unique de pourvoi, et le Royaume d’Espagne, par la première branche de son moyen unique de pourvoi, soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit dans la détermination du système de référence en substituant son propre système de référence à celui retenu par la Commission dans la décision litigieuse. Alors que cette dernière aurait désigné les règles relatives au traitement fiscal de la survaleur financière comme constituant le système de référence, le Tribunal, en se fondant sur une analyse matériellement différente, aurait en outre inclus dans ce système le traitement fiscal de la survaleur « non financière ». Santander et Santusa ainsi que le Royaume d’Espagne visent en particulier les points 93 et 141 de l’arrêt attaqué.
70 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre du contrôle de légalité visé à l’article 263 TFUE, la Cour et le Tribunal sont compétents pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir. L’article 264 TFUE prévoit que, si le recours est fondé, l’acte contesté est déclaré nul et non avenu. La Cour et le Tribunal ne peuvent donc, en toute hypothèse, substituer leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte attaqué (arrêts du 27 janvier 2000, DIR International Film e.a./Commission, C‑164/98 P, EU:C:2000:48, point 38, ainsi que du 4 juin 2020, Hongrie/Commission, C‑456/18 P, EU:C:2020:421, point 70 et jurisprudence citée).
71 En revanche, sauf dans le cas où aucun élément matériel ne le justifie, le Tribunal, dans le cadre d’un recours en annulation, peut être amené à interpréter la motivation de l’acte attaqué d’une manière différente de son auteur, voire, dans certaines circonstances, à rejeter la motivation formelle retenue par celui-ci (voir, en ce sens, arrêts du 27 janvier 2000, DIR International Film e.a./Commission, C‑164/98 P, EU:C:2000:48, point 42, ainsi que du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 142).
72 En l’espèce, ainsi qu’il ressort des points 68, 93, 124 et 141 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la Commission avait retenu comme système de référence, aux fins de son appréciation de la sélectivité de la mesure litigieuse, le traitement fiscal de la « survaleur ». En particulier, le Tribunal a relevé, au point 93 de l’arrêt attaqué, que la Commission « n’a[vait] pas circonscrit ce cadre au traitement fiscal de la seule survaleur financière ». Or, ainsi que les parties requérantes l’ont, à juste titre, fait observer, la Commission avait indiqué, au considérant 118 de la décision litigieuse, que le cadre approprié pour l’évaluation de la mesure litigieuse était constitué par les règles relatives au traitement fiscal de la « survaleur financière ».
73 Toutefois, s’il est exact que la terminologie retenue dans l’arrêt attaqué diverge de celle employée dans la décision litigieuse, il ne saurait pour autant être conclu que le Tribunal a, ce faisant, identifié un système de référence matériellement différent de celui identifié par la Commission ou qu’il s’est fondé sur une motivation différente de celle retenue par la Commission dans la décision litigieuse pour considérer que le traitement fiscal de la survaleur constituait le système de référence pertinent en l’espèce.
74 En effet, ainsi que la Commission le fait valoir, dans les circonstances de l’espèce, le traitement de la survaleur est pleinement assimilable à celui de la survaleur financière.
75 À cet à égard, ainsi que le Tribunal l’a rappelé au point 68 de l’arrêt attaqué, la Commission a explicitement exclu, dans la décision litigieuse, en réponse notamment aux arguments formulés par les autorités espagnoles quant à l’identification du système de référence, que ledit système devait être limité au traitement fiscal de la survaleur résultant de l’acquisition d’une participation dans une société établie dans un pays autre que l’Espagne. Le Tribunal a ainsi souligné que, comme il ressortait clairement du considérant 118 de la décision litigieuse, la Commission avait considéré que le cadre ou système de référence pertinent était le régime général espagnol de l’impôt sur les sociétés et, plus précisément, les règles relatives au traitement fiscal de la survaleur financière définies dans ledit régime fiscal. Elle a ajouté qu’elle confirmait ainsi le système de référence retenu dans la décision du 28 octobre 2009. Or, au considérant 89 de cette dernière décision, la Commission avait indiqué que la mesure litigieuse devait être évaluée en tenant compte des dispositions générales du régime de l’impôt sur les sociétés applicables aux situations dans lesquelles l’apparition de la survaleur conduit à un avantage fiscal. Elle a précisé, dans cette décision, que sa position s’expliquait par la constatation que les situations dans lesquelles la survaleur financière peut être amortie ne couvrent pas toute la catégorie des contribuables se trouvant dans une situation similaire en fait ou en droit.
76 Dans ce contexte, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il résulte du point 69 de l’arrêt attaqué, aux fins d’identifier le système de référence, le Tribunal s’est notamment fondé sur les constatations effectuées par la Commission aux considérants 28, 29, 123 et 124 de la décision litigieuse, selon lesquelles le système de référence ne prévoyait l’amortissement de la survaleur que dans l’hypothèse d’un regroupement d’entreprises, de telle sorte que, en permettant que la survaleur qui aurait été comptabilisée si les entreprises s’étaient regroupées apparaisse même sans regroupement d’entreprises, la mesure litigieuse constituait une exception à ce système de référence.
77 Par ailleurs, en se référant aussi au considérant 124 de la décision litigieuse, le Tribunal s’est également fondé sur les considérations de la Commission selon lesquelles, dans la mesure où l’amortissement de la survaleur résultant de la simple prise de participations était autorisé seulement dans le cas de prises de participations transfrontalières et non dans le cas de prises de participations nationales, la mesure litigieuse introduisait ainsi une différence de traitement entre les opérations nationales et les opérations transfrontalières, de telle sorte qu’elle ne pouvait pas être considérée comme une nouvelle règle générale à part entière.
78 Il ressort sans ambiguïté de ces passages de la décision litigieuse, visés par l’arrêt attaqué, que, ainsi que le Tribunal l’a retenu, lorsque la Commission a désigné comme système de référence les « règles relatives au traitement fiscal de la survaleur financière », elle a entendu renvoyer non seulement aux règles spécifiquement applicables à l’amortissement de la survaleur en cas de prise de participations mais également aux règles du régime général espagnol de l’impôt sur les sociétés régissant l’amortissement de la survaleur en général, ces dernières règles fournissant en effet un cadre d’évaluation pertinent pour les premières.
79 Il en résulte que le Tribunal s’est borné, aux points 68, 93, 124 et 141 de l’arrêt attaqué, à procéder à une interprétation de la décision litigieuse quant à la définition du système de référence conforme aux indications contenues dans cette décision et n’a, dès lors, pas procédé à une substitution des motifs de ladite décision au sens de la jurisprudence rappelée au point 70 du présent arrêt. Partant, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit dans la détermination du système de référence.
80 Le premier grief de la première branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa ainsi que la première branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne doivent donc être rejetés comme étant non fondés.
2) Sur le refus de considérer la mesure litigieuse comme étant un système de référence autonome (deuxième grief de la première branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa ainsi que deuxième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne)
i) Sur l’existence d’une substitution de motifs
81 Les parties requérantes reprochent au Tribunal d’avoir substitué sa propre motivation à celle de la décision litigieuse en excluant que la mesure litigieuse puisse constituer un système de référence à part entière. En effet, en substance, alors que la Commission avait rejeté, dans cette décision, l’hypothèse d’un système de référence autonome constitué par la mesure litigieuse en se fondant uniquement sur la prétendue absence d’obstacles juridiques aux fusions transfrontalières, le Tribunal se serait fondé, aux points 128 à 141 de l’arrêt attaqué, sur une argumentation différente.
82 À cet égard, ainsi qu’il a été relevé au point 75 du présent arrêt, il y a lieu de rappeler que le Tribunal a retenu que, du point de vue de la Commission, le système de référence ne pouvait se limiter au traitement fiscal de la survaleur financière instauré par la mesure litigieuse, puisque cette mesure ne bénéficiait qu’aux entreprises acquérant des participations dans des sociétés non-résidentes, et que, pour apprécier l’existence d’une discrimination à l’égard des entreprises effectuant le même type d’acquisitions mais dans des sociétés résidentes, il était nécessaire de tenir compte des dispositions générales du régime de l’impôt sur les sociétés applicables aux situations dans lesquelles l’apparition de la survaleur conduit à un avantage fiscal.
83 Il ne saurait, dès lors, être conclu que le Tribunal a procédé à une substitution des motifs de la décision litigieuse en éludant le fait que la Commission se serait, en réalité, fondée sur l’absence d’obstacles aux regroupements transfrontaliers aux fins d’exclure que la mesure litigieuse puisse constituer le système fiscal de référence.
84 Si, ainsi que les parties requérantes le font valoir, la Commission s’est effectivement référée, aux considérants 93 à 96 et 117 de la décision du 28 octobre 2009, à la prétendue absence d’obstacles juridiques aux fusions transfrontalières, elle s’est limitée, par ces références, à prendre position sur les observations présentées par les autorités espagnoles en vue notamment de remettre en cause non seulement le système de référence tel qu’identifié provisoirement dans la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen du 10 octobre 2007, mais également les éléments de comparaison et de justification envisageables au titre des deuxième et troisième étapes de l’examen de la sélectivité.
85 Dès lors, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, au point 65 de ses conclusions dans les affaires jointes World Duty Free Group et Espagne/Commission (C‑51/19 P et C‑64/19 P, EU:C:2021:51), contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, ce n’est pas en raison de la non-reconnaissance d’obstacles aux regroupements transfrontaliers que la Commission a exclu que la mesure litigieuse puisse constituer le système de référence pertinent à prendre en compte aux fins de l’analyse de la sélectivité, mais c’est parce qu’elle a estimé que cette mesure devait être appréciée à la lumière d’un ensemble de règles plus large comprenant à la fois les règles applicables à l’amortissement de la survaleur financière en cas de prise de participations dans des sociétés résidentes et les principes applicables à l’amortissement de la survaleur en général, sur lesquels, selon la Commission, ces règles s’étaient alignées en prévoyant la déductibilité de la survaleur uniquement lorsque la prise de participations s’accompagnait d’un regroupement d’entreprises.
86 Il en découle qu’est non fondée l’allégation selon laquelle le Tribunal aurait procédé, aux points 128 à 141 de l’arrêt attaqué, à une substitution de motifs.
ii) Sur l’existence d’une erreur de droit dans le refus du Tribunal de considérer la mesure litigieuse comme étant un système de référence autonome
87 Les parties requérantes font valoir, à titre subsidiaire, que le raisonnement suivi par le Tribunal pour exclure que la mesure litigieuse puisse constituer un système de référence autonome est entaché d’une erreur de droit. D’une part, elles font observer que l’objectif de cette mesure est d’assurer la neutralité fiscale en ce qui concerne les prises de participations en Espagne et à l’étranger et que, par suite, son objet ne saurait être réduit à la résolution d’un problème particulier, comme l’a affirmé à tort le Tribunal au point 140 de l’arrêt attaqué. D’autre part, elles font valoir que le raisonnement du Tribunal conduit à apprécier la sélectivité d’une mesure différemment selon que le législateur national a décidé de créer un impôt distinct ou de modifier un impôt général et, partant, selon la technique réglementaire utilisée.
88 En l’occurrence, il convient de relever que le raisonnement exposé par le Tribunal aux points 96 à 142 de l’arrêt attaqué visait à répondre à l’argumentation selon laquelle, en raison des obstacles aux regroupements transfrontaliers, la Commission aurait dû identifier la mesure litigieuse comme étant le système de référence.
89 Or, si les parties requérantes ne formulent aucune critique à l’égard de la méthodologie applicable à la détermination du système de référence dans le cadre de la première étape de l’examen de la sélectivité exposée aux points 96 à 109 de l’arrêt attaqué, elles critiquent, en revanche, la suite de l’examen effectué par le Tribunal, tel qu’il est formulé aux points 110 à 142 de cet arrêt.
90 S’agissant, en premier lieu, du raisonnement exposé aux points 110 à 126 de l’arrêt attaqué, il a trait au point de savoir si, au regard de l’objectif du régime normal identifié par la Commission, les entreprises prenant des participations dans des sociétés résidentes et celles prenant des participations dans des sociétés non-résidentes se trouvent dans une situation juridique et factuelle comparable.
91 Cet examen de comparabilité est toutefois sans rapport direct avec la délimitation du cadre de référence qui doit être effectuée au titre de la première étape de l’examen de la sélectivité, et ce nonobstant le fait que, au point 126 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté « l’existence de liens entre ces deux étapes, voire, parfois même, comme en l’espèce, d’un raisonnement commun ». Aussi, l’argumentation développée par les parties requérantes en vue de contester la définition de l’objectif du système de référence sera appréciée ultérieurement, dans le cadre de l’examen de la deuxième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa ainsi que de la troisième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne, tirées d’une erreur dans la détermination de l’objectif au regard duquel devait être effectué l’examen de comparabilité.
92 En second lieu, s’agissant des points 127 à 142 de l’arrêt attaqué, le Tribunal y a examiné si la mesure litigieuse pouvait, eu égard à ses caractéristiques propres et donc indépendamment de toute analyse comparative, constituer, à elle seule, un cadre de référence autonome.
93 À cet égard, premièrement, c’est à tort que les parties requérantes soutiennent que le Tribunal s’est fondé principalement sur la technique réglementaire choisie par le législateur espagnol pour conclure au caractère sélectif de la mesure litigieuse. Il ressort en effet de l’arrêt attaqué que le Tribunal s’est fondé sur l’objet et les effets de cette mesure et non sur de simples considérations d’ordre formel. En particulier, le Tribunal a fait observer, au point 136 de cet arrêt, que ladite mesure constituait une exception à la règle générale selon laquelle seuls les regroupements d’entreprises peuvent conduire à l’amortissement de la survaleur.
94 Certes, ainsi que les parties requérantes l’ont, à juste titre, fait valoir, il ressort de la jurisprudence que le recours à une technique réglementaire donnée ne saurait permettre à des règles fiscales nationales d’échapper d’emblée au contrôle prévu par le traité FUE en matière d’aides d’État, ni non plus suffire à définir le cadre de référence pertinent aux fins de l’analyse de la condition relative à la sélectivité, sauf à faire prévaloir de manière décisive la forme des interventions étatiques sur leurs effets. Partant, la technique réglementaire utilisée ne saurait être un élément décisif aux fins de la détermination du cadre de référence [voir, en ce sens, arrêt WDFG, point 76, et arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission, C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 92].
95 Cela étant, il découle de cette même jurisprudence que, si, aux fins d’établir la sélectivité d’une mesure fiscale, la technique réglementaire utilisée n’est pas décisive, de telle sorte qu’il n’est pas toujours nécessaire que celle-ci ait un caractère dérogatoire par rapport à un régime fiscal commun, la circonstance qu’elle présente un tel caractère en utilisant cette technique réglementaire est pertinente à ces fins lorsqu’il en découle que deux catégories d’opérateurs sont distinguées et font a priori l’objet d’un traitement différencié, à savoir ceux relevant de la mesure dérogatoire et ceux qui continuent de relever du régime fiscal commun, alors même que ces deux catégories se trouvent dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime [arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission, C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 93 et jurisprudence citée].
96 Il en résulte qu’il ne saurait être fait grief au Tribunal d’avoir retenu, entre autres considérations, le caractère dérogatoire de la mesure litigieuse aux fins de l’examen de son caractère sélectif.
97 Deuxièmement, s’agissant de la critique formulée par les parties requérantes quant à la référence aux conclusions de l’avocat général Warner dans l’affaire Italie/Commission (173/73, ci-après les « conclusions de l’avocat général Warner », EU:C:1974:52, p. 728), le Tribunal a, à juste titre, relevé, au point 136 de l’arrêt attaqué, que la mesure litigieuse n’avait pas introduit, ainsi que la Commission l’a indiqué au considérant 124 de la décision litigieuse, une nouvelle règle générale à part entière relative à l’amortissement de la survaleur, mais une « exception à la règle générale » selon laquelle seuls les regroupements d’entreprises peuvent conduire à l’amortissement de la survaleur, cette exception étant censée remédier, selon le Royaume d’Espagne, aux effets défavorables pour les prises de participations dans des sociétés non-résidentes que l’application de la règle générale engendrerait.
98 Par conséquent, il ressort de l’arrêt attaqué que, à l’appui de sa conclusion selon laquelle le système de référence ne pouvait se limiter à la seule mesure litigieuse, le Tribunal ne s’est pas uniquement fondé sur la circonstance que cette mesure tendait, à l’instar de celle qui était en cause dans l’affaire ayant donné lieu aux conclusions de l’avocat général Warner, à la poursuite d’un objectif ciblé et ainsi à la résolution d’un problème particulier. Il en résulte que les arguments avancés par les parties requérantes visant, d’une part, à contester l’assimilation de la présente espèce à celle ayant fait l’objet des conclusions de l’avocat général Warner et, d’autre part, à démontrer que l’objectif de la mesure litigieuse était la sauvegarde du principe de neutralité fiscale et non la résolution d’un problème particulier ne sont pas à même d’infirmer le raisonnement suivi par le Tribunal et sont, par conséquent, inopérants.
99 En tout état de cause, il importe de rappeler que la seule circonstance que la mesure litigieuse présente un caractère général, en ce qu’elle peut a priori bénéficier à l’ensemble des entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés, n’exclut pas que celle-ci puisse être de nature sélective. En effet, ainsi que la Cour l’a d’ores et déjà jugé, s’agissant d’une mesure nationale conférant un avantage fiscal de portée générale, telle que la mesure litigieuse, la condition de sélectivité est remplie lorsque la Commission parvient à démontrer que cette mesure déroge au régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné, introduisant ainsi, par ses effets concrets, un traitement différencié entre opérateurs, alors que les opérateurs qui bénéficient de l’avantage fiscal et ceux qui en sont exclus se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime fiscal, dans une situation factuelle et juridique comparable (arrêt WDFG, point 67).
100 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le deuxième grief de la première branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa ainsi que la deuxième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne doivent être rejetés comme étant inopérants et, en tout état de cause, non fondés.
3) Sur le caractère arbitraire de la définition du système de référence (troisième grief de la première branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa)
101 Dans le cadre du troisième grief de la première branche de leur moyen unique de pourvoi, Santander et Santusa font valoir, en premier lieu, que le système de référence utilisé par le Tribunal a été défini arbitrairement, puisqu’il serait difficile d’identifier le critère précisément utilisé pour identifier le cadre cohérent dans lequel s’insère la mesure litigieuse. Elles soutiennent, en second lieu, que le Tribunal a identifié de manière erronée et injustifiée, dans le système de référence qu’il a défini, ce qui constitue la règle et ce qui constitue l’exception. Selon Santander et Santusa, c’est à tort que le Tribunal a considéré, au point 136 de l’arrêt attaqué, que la règle était l’impossibilité d’amortir la survaleur et que la mesure litigieuse introduisait une exception à cette règle. Comme dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission (C‑203/16 P, EU:C:2018:505), le Tribunal aurait confondu la règle avec l’exception.
102 S’agissant de la première allégation, selon laquelle le Tribunal aurait défini arbitrairement le système de référence en cause, elle doit être rejetée dans la mesure où, ainsi qu’il ressort des points 75 à 78 du présent arrêt, le Tribunal a motivé à suffisance de droit le raisonnement qui l’a conduit à se référer, dans les circonstances de l’espèce, aux règles applicables en vertu du droit espagnol au traitement fiscal de la survaleur aux fins de la détermination de l’impôt sur les sociétés, et, partant, à confirmer l’appréciation contenue à ce sujet dans la décision litigieuse. Il convient en effet de rappeler que la prémisse sur laquelle s’est fondée la Commission repose sur le constat, validé par le Tribunal, selon lequel, en droit espagnol, l’amortissement de la survaleur est normalement subordonné à l’existence d’un regroupement d’entreprises.
103 S’agissant de la seconde allégation, selon laquelle le Tribunal aurait identifié de manière erronée et injustifiée la règle et l’exception, elle doit également être écartée. En effet, conformément à l’interprétation de la législation fiscale espagnole retenue par le Tribunal, seul un regroupement d’entreprises permet normalement de procéder à l’amortissement de la survaleur, y compris en cas de survaleur financière résultant de la prise de participations dans des sociétés résidentes, conformément à l’article 89, paragraphe 3, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, telle qu’approuvée par le décret législatif royal 4/2004. Dès lors, c’est non pas le non-amortissement de la survaleur financière qui constitue la règle générale à laquelle la mesure litigieuse déroge, mais le principe selon lequel l’amortissement n’est normalement possible que dans le cas d’un regroupement d’entreprises, principe que le Tribunal a déduit des dispositions relatives au traitement fiscal de la survaleur aux fins de l’impôt sur les sociétés, qu’il s’agisse des dispositions concernant l’amortissement de la survaleur en cas d’acquisition d’entreprise ou de celles relatives à l’amortissement de la survaleur financière résultant de la prise de participations dans des sociétés résidentes avec fusion subséquente.
104 En égard à ces considérations, le troisième grief de la première branche du moyen unique de Santander et de Santusa et, par conséquent, la première branche de ce moyen dans son intégralité doivent être rejetés comme étant non fondés.
B. Sur la deuxième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa ainsi que sur la troisième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne, tirées d’une erreur dans la détermination de l’objectif au regard duquel est effectué l’examen de comparabilité
1. Arguments des parties
105 Santander et Santusa ainsi que le Royaume d’Espagne, dans le cadre, respectivement, de la deuxième branche et de la troisième branche de leur moyen unique respectif de pourvoi, contestent, en substance, les motifs de l’arrêt attaqué, figurant aux points 144 à 165 de celui-ci, par lesquels le Tribunal a identifié l’objectif du système de référence et comparé, à la lumière de cet objectif, la situation des entreprises bénéficiaires de l’avantage institué par la mesure litigieuse et de celles qui en sont exclues.
106 Santander et Santusa font valoir, en premier lieu, que le Tribunal a commis une erreur de droit dans la détermination de l’objectif à partir duquel il convenait d’effectuer la comparaison lors la deuxième étape de l’examen de la sélectivité de la mesure litigieuse. Le Tribunal, qui, là encore, se serait écarté de ce qui est énoncé dans la décision litigieuse, aurait mal interprété la jurisprudence relative à la détermination de l’objectif applicable à une mesure de nature fiscale. Contrairement à ce que laisserait supposer le Tribunal, il n’y aurait pas de contradiction dans la jurisprudence de la Cour sur la question de savoir si la situation des entreprises bénéficiaires de la « mesure en cause » et celle des entreprises qui en sont exclues doivent être comparées au regard de l’objectif de cette mesure ou de celui du « système dans lequel celle-ci s’inscrit ». Selon Santander et Santusa, ces objectifs doivent coïncider, et, si tel n’est pas le cas, c’est parce que le législateur national a introduit, dans le système de l’impôt, une mesure qui ne correspond pas à la logique de celui-ci. En l’occurrence, le véritable objectif du régime au regard duquel la comparaison devrait être effectuée serait, ainsi que la Commission l’a elle-même reconnu dans la décision litigieuse, la neutralité fiscale. Il s’agirait d’un objectif beaucoup plus général et logique que le parallélisme, auquel le Tribunal s’est référé, entre le traitement comptable et le traitement fiscal de la survaleur dont bénéficie une entreprise en raison d’une prise de participations dans une société, puisque, par principe, tout impôt sur les sociétés s’écarte par définition du résultat comptable.
107 En second lieu, Santander et Santusa considèrent que c’est à tort que le Tribunal a retenu, au point 122 de l’arrêt attaqué, que l’objectif des dispositions fiscales en matière de survaleur était d’assurer une certaine cohérence entre le traitement fiscal de la survaleur et son traitement comptable. Non seulement cette affirmation serait arbitraire, mais elle serait totalement infondée, puisque tous les impôts sur les sociétés s’écartent par définition du résultat comptable. En ce qui concerne plus particulièrement les dispositions relatives à l’amortissement de la survaleur, les différentes hypothèses prévues par la loi relative à l’impôt sur les sociétés, telle qu’approuvée par le décret législatif royal 4/2004, auraient en commun non pas l’objectif visant à assurer la cohérence entre le traitement fiscal et le traitement comptable de la survaleur, mais celui d’éviter la double imposition et de garantir la neutralité fiscale.
108 Le Royaume d’Espagne soutient également que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne définissant pas correctement l’objectif du cadre de référence et en ne procédant pas correctement à la comparaison exigée par l’arrêt WDFG. Le Royaume d’Espagne est d’avis que non seulement la définition du cadre de référence retenue dans l’arrêt attaqué est différente de celle retenue dans la décision litigieuse, mais que, en outre, c’est à tort que le Tribunal a jugé que la mesure litigieuse avait pour objectif d’assurer une cohérence entre le traitement fiscal de la survaleur et son traitement comptable. La règle comptable et la règle fiscale différeraient sur de nombreux aspects en ce qui concerne la reconnaissance de la survaleur et même de son amortissement. Contrairement à ce que le Tribunal a retenu, l’objectif poursuivi par la mesure litigieuse serait la neutralité fiscale, afin que des décisions d’investissement similaires soient fondées sur des critères économiques et non pas sur des critères fiscaux.
109 La Commission conclut au rejet de cette argumentation, qu’elle considère irrecevable et, en tout état de cause, non fondée.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur la recevabilité
110 La Commission excipe de l’irrecevabilité de la deuxième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa ainsi que de la troisième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne dans leur ensemble. Elle soutient que les arguments avancés n’ont pas été soulevés devant le Tribunal ou portent sur des questions de fait, parmi lesquelles figurerait l’interprétation du contenu et de la portée du droit national.
111 S’agissant de la première fin de non-recevoir soulevée par la Commission, il y a lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 56 à 58 du présent arrêt, de l’écarter. En effet, une partie est recevable à faire valoir des moyens et des arguments nés de l’arrêt attaqué lui-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé. Les parties requérantes sont donc recevables à mettre en cause les constatations faites par le Tribunal, indépendamment de la circonstance qu’elles n’ont pas développé en première instance une argumentation visant spécifiquement à contester la décision litigieuse sur ce point.
112 S’agissant de la seconde fin de non-recevoir opposée par la Commission, tirée de ce que les parties requérantes entendraient mettre en cause des constatations de fait, qui échappent, en principe, au contrôle de la Cour, il y a lieu de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence bien établie, l’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces faits et de ces éléments de preuve, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. C’est seulement lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits que la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ceux-ci et les conséquences de droit qui en ont été tirées (arrêt du 25 juillet 2018, Commission/Espagne e.a., C‑128/16 P, EU:C:2018:591, point 31 et jurisprudence citée).
113 Ainsi, pour ce qui est de l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, des appréciations du Tribunal à l’égard du droit national, qui, dans le domaine des aides d’État, constituent des appréciations de faits, la Cour n’est compétente que pour vérifier s’il y a eu une dénaturation de ce droit. En revanche, l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, de la qualification juridique au regard d’une disposition du droit de l’Union qui a été donnée à ce droit national par le Tribunal constituant une question de droit, il relève de la compétence de la Cour [arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission, C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 78 et jurisprudence citée].
114 En outre, ainsi qu’il a été rappelé au point 70 du présent arrêt, le Tribunal ne peut, en toute hypothèse, substituer sa propre motivation à celle de l’auteur de l’acte attaqué, de telle sorte que la Cour est compétente, dans le cadre d’un pourvoi, pour vérifier si le Tribunal a procédé à une telle substitution et ainsi commis une erreur de droit.
115 Dès lors que, par l’argumentation des parties requérantes résumée aux points 105 à 108 du présent arrêt, celles-ci reprochent en substance au Tribunal d’avoir substitué sa propre motivation à celle contenue dans la décision litigieuse au sujet de l’« objectif » au regard duquel doit être opéré l’examen de la comparabilité des situations des entreprises bénéficiant de l’avantage résultant de l’application de la mesure litigieuse et de celles qui en sont exclues, cette argumentation est recevable.
b) Sur le fond
116 En premier lieu, s’agissant de l’argumentation dirigée contre la conclusion du Tribunal selon laquelle la jurisprudence est incohérente quant à la question de savoir si c’est au regard de l’objectif de la mesure examinée ou du système dans lequel celle-ci s’insère que la comparaison doit être effectuée, elle doit être rejetée comme étant inopérante.
117 En effet, Santander et Santusa se limitent à affirmer que le choix entre l’un ou l’autre objectif est indifférent puisque ceux-ci doivent, en principe, coïncider. Dès lors, même à supposer que les appréciations du Tribunal relatives à la portée de la jurisprudence de la Cour soient inexactes, force est de constater que Santander et Santusa ne contestent pas la conclusion du Tribunal, énoncée au point 157 de l’arrêt attaqué, selon laquelle c’est au regard de l’objectif du système de référence dans lequel s’insère la mesure examinée et non de l’objectif de cette mesure que l’examen de comparabilité doit être effectué lors de la deuxième étape de l’analyse de la sélectivité.
118 En second lieu, les parties requérantes soulèvent un grief fondé sur la substitution des motifs de la décision litigieuse en ce qui concerne l’identification de l’objectif du système de référence. Elles font valoir que l’objectif consistant à « assurer une certaine cohérence entre le traitement fiscal de la survaleur et son traitement comptable », visé au point 122 de l’arrêt attaqué, ne trouverait écho ni dans la décision litigieuse ni dans les observations que le Royaume d’Espagne a présentées au cours de la procédure administrative. Santander et Santusa allèguent en outre que, en tout état de cause, l’affirmation selon laquelle les dispositions fiscales en matière de survaleur poursuivraient un tel objectif est arbitraire et infondée.
119 En l’espèce, force est de constater que, nulle part dans la décision litigieuse, la Commission n’a fait mention du maintien d’une certaine cohérence entre le traitement fiscal et le traitement comptable de la survaleur en tant qu’objectif du système de référence qu’elle a identifié.
120 Certes, le Tribunal s’est référé, aux points 118 à 120 de l’arrêt attaqué, à certaines des constatations figurant dans cette décision lorsqu’il a indiqué que le traitement fiscal de la survaleur s’organise autour du critère tiré de l’existence ou non d’un regroupement d’entreprises, et a expliqué, en se référant aux considérants 28 et 123 de ladite décision, que cette circonstance est due au fait que, à la suite d’une acquisition ou d’une contribution d’actifs composant des entreprises indépendantes ou encore d’une fusion ou d’une scission, « une survaleur [...] apparaît, comme actif incorporel distinct, dans la comptabilité de l’entreprise issue du regroupement » (point 118 de l’arrêt attaqué). De même, l’affirmation selon laquelle le traitement fiscal de la survaleur est « en lien avec une logique comptable » (point 117 de l’arrêt attaqué) s’inscrit dans le prolongement de certaines considérations de la Commission figurant dans la décision litigieuse, en particulier aux considérants 121 à 124 de celle-ci.
121 Toutefois, c’est de manière autonome par rapport à cette décision et sur la base de sa propre interprétation des règles fiscales et comptables applicables en vertu du droit espagnol que le Tribunal a conclu que l’objectif des règles concernant l’amortissement de la survaleur financière contenues dans la loi relative à l’impôt sur les sociétés, telle qu’approuvée par le décret législatif royal 4/2004, était d’assurer la cohérence entre le traitement fiscal et le traitement comptable de la survaleur et que, au regard de cet objectif, la situation des entreprises qui investissent dans des sociétés espagnoles est comparable à celle des entreprises qui investissent dans des sociétés non-résidentes.
122 Partant, en substituant sa propre motivation à celle de la décision litigieuse, le Tribunal a commis une erreur de droit.
123 Il convient toutefois d’examiner si, malgré l’erreur de droit commise par le Tribunal, le deuxième grief du premier moyen invoqué par Santander et Santusa au soutien de leur recours devant ce dernier devait, en ce qu’il reprochait à la Commission de ne pas avoir démontré que les prises de participations dans des sociétés résidentes et celles dans des sociétés non-résidentes étaient comparables au regard de l’objectif de neutralité fiscale poursuivi par la mesure litigieuse, être, en tout état de cause, rejeté.
124 En effet, selon une jurisprudence constante, si les motifs d’un arrêt du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que le dispositif apparaît fondé sur d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cet arrêt (arrêts du 30 septembre 2003, Biret International/Conseil, C‑93/02 P, EU:C:2003:517, point 60 et jurisprudence citée, ainsi que du 14 octobre 2014, Buono e.a./Commission, C‑12/13 P et C‑13/13 P, EU:C:2014:2284, point 62 et jurisprudence citée).
125 À cet égard, il importe de rappeler que, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 35 du présent arrêt, à laquelle le Tribunal s’est référé à bon droit au point 146 de l’arrêt attaqué, l’examen de comparabilité à effectuer lors de la deuxième étape de l’analyse de la sélectivité doit être réalisé au regard de l’objectif du système de référence et non de celui de la mesure litigieuse.
126 En l’occurrence, les parties requérantes font valoir que l’objectif du système de référence, qui se confondrait avec celui de la mesure litigieuse, est la préservation de la neutralité fiscale. Elles soulignent que, eu égard à cet objectif, les entreprises qui prennent des participations dans des sociétés nationales et celles qui prennent des participations dans des sociétés transfrontalières se trouvent dans des situations différentes en raison des obstacles aux regroupements transfrontaliers d’entreprises.
127 Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, une mesure, telle que la mesure litigieuse, qui vise à favoriser les exportations peut être considérée comme étant sélective si elle bénéficie aux entreprises réalisant des opérations transfrontalières, en particulier des opérations d’investissement, au détriment d’autres entreprises qui, se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal concerné, effectuent des opérations de même nature sur le territoire national (arrêt WDFG, point 119).
128 Or, en l’occurrence, c’est à bon droit que le Tribunal a constaté, au point 123 de l’arrêt attaqué, que les entreprises qui prennent des participations dans des sociétés non-résidentes se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le traitement fiscal de la survaleur, dans une situation juridique et factuelle comparable à celle des entreprises qui prennent des participations dans des sociétés résidentes. En effet, dans la mesure où les entreprises qui acquièrent des participations transfrontalières minoritaires peuvent être bénéficiaires de la mesure litigieuse alors même qu’elles ne sont pas affectées par les prétendus obstacles aux regroupements d’entreprises auxquels se réfèrent Santander et Santusa, il ne saurait être prétendu que, en raison de ces obstacles, les bénéficiaires de la mesure en cause se trouvent dans une situation juridique et factuelle différente de celle des entreprises qui relèvent du régime fiscal normal.
129 Eu égard à ces considérations, il y a lieu de conclure que, nonobstant l’erreur de droit que le Tribunal a commise en substituant sa propre motivation à celle contenue dans la décision litigieuse dans le cadre de l’examen de la détermination de l’objectif du système de référence, la deuxième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa ainsi que la troisième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne doivent être écartées comme étant non fondées.
C. Sur la troisième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa ainsi que sur la quatrième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne, tirées d’une erreur de droit dans la répartition de la charge de la preuve
1. Arguments des parties
130 Les parties requérantes font valoir que, en n’ayant pas examiné, lors des première et deuxième étapes de l’analyse de la sélectivité, quelles entreprises se trouvaient dans une situation comparable au regard de l’objectif du système de référence constitué par la neutralité fiscale et en ayant reporté cet examen à la troisième étape, le Tribunal a procédé à un renversement de la charge de la preuve. À cet égard, il découlerait de la jurisprudence que, lors des première et deuxième étapes de l’examen de la sélectivité d’une mesure, la charge de la preuve de la comparabilité des situations au regard de l’objectif poursuivi pèse sur la Commission.
131 La Commission considère que l’argumentation des parties requérantes est irrecevable et, en tout état de cause, non fondée.
2. Appréciation de la Cour
132 En premier lieu, s’agissant de la fin de non-recevoir opposée par la Commission à l’argumentation des parties requérantes, il convient, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 56 à 58 du présent arrêt, de l’écarter. En effet, une partie est recevable à faire valoir des moyens et des arguments nés de l’arrêt attaqué lui-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé. Les parties requérantes sont donc recevables à mettre en cause les constatations faites par le Tribunal, indépendamment de la circonstance qu’elles n’ont pas développé en première instance une argumentation visant spécifiquement à contester la décision litigieuse sur ce point.
133 Quant au bien-fondé de la troisième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa ainsi que de la quatrième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne, les parties requérantes font précisément grief au Tribunal d’avoir tenu compte du fait que cette mesure poursuivait un objectif de neutralité fiscale uniquement lors de la troisième étape de l’analyse de la sélectivité de la mesure litigieuse, et non lors des première et deuxième étapes de cette analyse.
134 L’argumentation des parties requérantes repose sur la prémisse que le Tribunal a commis une erreur de droit dans la détermination de l’objectif du système de référence en considérant que ce dernier résidait dans la cohérence entre le traitement fiscal et le traitement comptable de la survaleur, et non dans le principe de neutralité fiscale.
135 Or, il suffit de relever à cet égard que, ainsi qu’il ressort des considérations exposées aux points 116 à 129 du présent arrêt, si c’est à tort que le Tribunal a retenu que l’objectif du système de référence résidait dans la cohérence entre le traitement fiscal et le traitement comptable de la survaleur, il n’a pas été établi que l’objectif de neutralité fiscale était de nature à exclure la sélectivité de l’aide lors de la deuxième étape d’analyse de la sélectivité.
136 La troisième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa ainsi que la quatrième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne doivent donc être écartées comme étant inopérantes.
D. Sur la quatrième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa, tirée d’une erreur dans l’application du principe de proportionnalité
1. Arguments des parties
137 Santander et Santusa font valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en examinant la proportionnalité de la mesure litigieuse sans avoir préalablement apprécié si les situations en cause étaient comparables au regard de l’objectif du système de référence correctement identifié, à savoir l’objectif de neutralité fiscale. Elles avancent que l’examen de la mesure litigieuse sous l’angle du respect du principe de proportionnalité, lors de la troisième étape de l’analyse de la sélectivité, n’aurait aucun sens et aucune justification en l’espèce. Ce n’est qu’après l’examen de la question de savoir si la mesure établit une discrimination entre des situations comparables à la lumière de l’objectif de la mesure qu’il y aurait lieu d’examiner si celle-ci est justifiée par le fait qu’elle est inhérente aux principes essentiels du système dans lequel elle s’inscrit et est conforme aux principes de cohérence et de proportionnalité.
138 La Commission considère que la quatrième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa est inopérante et, en tout état de cause, non fondée.
2. Appréciation de la Cour
139 Force est de constater que l’argumentation de Santander et de Santusa repose sur le postulat que le Tribunal a commis une erreur de droit en reportant l’analyse de la proportionnalité de la mesure litigieuse à la troisième étape de l’examen de la sélectivité.
140 Cette argumentation ne saurait toutefois être retenue, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, la question de savoir si un avantage sélectif est conforme au principe de proportionnalité se pose au stade de la troisième étape de l’examen de la sélectivité, dans le cadre de laquelle est examiné le point de savoir si ledit avantage peut être justifié par la nature ou l’économie générale du système fiscal de l’État membre concerné. Lors de cette étape, l’État membre est ainsi invité à démontrer qu’une différence de traitement découlant de l’objectif de la mesure est en adéquation avec le principe de proportionnalité, en ce qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et que celui-ci ne pourrait être atteint par des mesures moins contraignantes (voir, en sens, arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 75).
141 Partant, il y a également lieu de rejeter la quatrième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa.
E. Sur la cinquième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa, tirée d’une erreur de droit relative au lien de causalité entre l’impossibilité de fusions transfrontalières et la prise de participations dans des sociétés étrangères
1. Arguments des parties
142 Santander et Santusa soutiennent, en substance, que les motifs de l’arrêt attaqué relatifs à la troisième étape de l’analyse de la sélectivité, figurant aux points 181 à 190 de l’arrêt attaqué, sont entachés d’une erreur de droit dans la mesure où le Tribunal a exigé du Royaume d’Espagne qu’il prouve l’existence d’« un lien de causalité entre l’impossibilité de fusionner à l’étranger et la prise de participations à l’étranger ». Santander et Santusa font valoir, d’une part, que ces motifs introduisent un élément d’analyse qui ne figure pas dans la décision litigieuse et qui est même contraire à sa ratio decidendi et, d’autre part, que la preuve exigée par le Tribunal est impossible à fournir.
143 La Commission conclut au rejet de cette branche.
2. Appréciation de la Cour
144 Il convient de relever que, aux points 181 à 190 de l’arrêt attaqué, seuls visés par la cinquième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa, le Tribunal a exposé les raisons pour lesquelles le Royaume d’Espagne n’avait pas démontré que la mesure litigieuse neutralisait les effets supposément pénalisants du régime normal.
145 Il a toutefois, à titre complémentaire, poursuivi son analyse sur la base de l’hypothèse que cette démonstration aurait été fournie (points 191 à 199 de l’arrêt attaqué). Les motifs de l’arrêt attaqué visés par la cinquième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa ne sont donc pas les seuls sur lesquels est fondée la conclusion du Tribunal selon laquelle la Commission n’a pas commis d’erreur en constatant que le Royaume d’Espagne n’avait pas justifié la différenciation introduite par la mesure litigieuse.
146 Or, conformément à la jurisprudence, dans le cadre d’un pourvoi, un moyen dirigé contre un motif de l’arrêt attaqué, dont le dispositif est fondé à suffisance de droit sur d’autres motifs, est inopérant et doit, dès lors, être rejeté. En l’occurrence, même à supposer que la cinquième branche soit fondée, celle-ci, en ce qu’elle ne serait pas de nature à invalider l’arrêt attaqué, doit être écartée comme étant inopérante, puisque ladite conclusion demeure fondée sur d’autres motifs (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2011, Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, C‑96/09 P, EU:C:2011:189, point 211 et jurisprudence citée).
147 Il en découle que la cinquième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa doit être écartée comme étant inopérante.
F. Sur la sixième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa, tirée d’une erreur de droit dans l’examen de la divisibilité de la mesure litigieuse en fonction du pourcentage de contrôle
1. Arguments des parties
148 Santander et Santusa font grief au Tribunal d’avoir rejeté leur moyen fondé sur l’absence de distinction, dans l’analyse de la Commission, entre les prises de participations minoritaires et les prises de participations majoritaires. Santander et Santusa soulignent, d’une part, que toutes les opérations qu’elles ont réalisées dans le cadre de la mesure litigieuse ont conduit à la prise de contrôle de la société acquise et, d’autre part, que le Royaume d’Espagne avait demandé à la Commission de procéder à une analyse distincte des deux situations. Selon Santander et Santusa, il découle de la jurisprudence que, si l’État membre concerné le demande, la Commission est tenue de procéder à une analyse distincte de la mesure examinée. Quant au caractère divisible de la mesure litigieuse, celui-ci résulterait du traitement procédural que la Commission a réservé à l’analyse de cette mesure, qui aurait donné lieu à trois décisions différentes.
2. Appréciation de la Cour
149 La sixième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa critique les points 207 à 216 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a examiné si la Commission était tenue d’établir une distinction entre les différentes opérations qui bénéficiaient de l’application de la mesure litigieuse.
150 En l’occurrence, force est de constater que les motifs de l’arrêt attaqué exposés dans ces points, et qui visaient à répondre à l’argumentation de Santander et de Santusa selon laquelle il appartenait à la Commission d’opérer une distinction entre les prises de participations dans des sociétés non-résidentes emportant une prise de contrôle et les autres prises de participations aux fins de déclarer que l’application de la mesure litigieuse aux premières n’emportait pas la qualification d’aide d’État, ont un caractère surabondant.
151 En effet, l’argument de Santander et de Santusa selon lequel la Commission était tenue d’opérer une telle distinction a été rejeté, à titre principal, au point 206 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal a considéré en substance que l’incohérence qu’a introduite la mesure litigieuse dans le traitement fiscal de la survaleur existerait même si cette mesure ne bénéficiait qu’aux prises de participations majoritaires dans des sociétés non-résidentes.
152 Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 146 du présent arrêt, dans le cadre d’un pourvoi, un moyen dirigé contre un motif surabondant de l’arrêt attaqué, dont le dispositif est fondé à suffisance de droit sur d’autres motifs, est inopérant et doit, dès lors, être rejeté.
153 En tout état de cause, l’argumentation de Santander et de Santusa développée dans le cadre de la sixième branche de leur moyen unique de pourvoi est non fondée.
154 À cet égard, il est vrai que, dans la décision qu’elle adopte à l’issue de son examen, la Commission a la possibilité, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, d’opérer une différenciation entre les bénéficiaires du régime d’aides notifié, eu égard à certaines caractéristiques qu’ils présentent ou aux conditions auxquelles ils répondent. En revanche, ainsi que le Tribunal l’a, à juste titre, relevé, au point 207 de l’arrêt attaqué, il n’incombait pas à la Commission de fixer, dans le cadre de la décision litigieuse, des conditions d’application de la mesure litigieuse qui auraient pu lui permettre, dans certaines hypothèses, de ne pas retenir la qualification d’aide. Une telle question relève en effet du dialogue entre les autorités espagnoles et la Commission, dans le cadre de la notification du régime en cause, laquelle aurait dû avoir lieu préalablement à sa mise en œuvre.
155 En l’occurrence, dans le cadre de leur recours en première instance, Santander et Santusa ont fait grief à la Commission, en substance, d’avoir omis d’effectuer une distinction entre les prises de participations dans des sociétés non-résidentes emportant une prise de contrôle et les autres prises de participations aux fins de déclarer que l’application de la mesure litigieuse aux premières n’emportait pas la qualification d’aide d’État. À cet égard, le Tribunal a, au point 214 de l’arrêt attaqué, rappelé que, s’agissant de la justification de la différenciation opérée par la mesure en cause, il appartient à l’État membre concerné d’établir cette justification ainsi que d’adapter le contenu ou les conditions d’application de cette mesure s’il s’avère qu’elle n’est que partiellement justifiable. Or, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal en a, au point 216 de l’arrêt attaqué, conclu que, à supposer même que l’examen, par la Commission, dans le cadre de la procédure formelle, du cas des prises de participations majoritaires ait fait l’objet de discussions spécifiques entre la Commission et le Royaume d’Espagne sur la base de demandes documentées présentées par celui-ci, le grief de Santander et de Santusa devait, en tout état de cause, être écarté dans les circonstances de l’espèce.
156 Partant, la sixième branche du moyen unique du pourvoi de Santander et de Santusa doit être rejetée comme étant inopérante et, en tout état de cause, non fondée.
157 Aucune des branches du moyen unique soulevé par les parties requérantes à l’appui de leur pourvoi respectif n’ayant été accueillie, il y a lieu de rejeter ces derniers dans leur intégralité.
V. Sur les dépens
158 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
159 En l’espèce, la Commission ayant conclu à la condamnation des parties requérantes aux dépens et celles-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens afférents aux présents pourvois et aux procédures devant le Tribunal.
160 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, les États membres intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, la République fédérale d’Allemagne, partie intervenante dans le cadre du recours devant le Tribunal et ayant participé à la procédure devant la Cour, supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :
1) Les pourvois sont rejetés.
2) Banco Santander SA, Santusa Holding SL et le Royaume d’Espagne supportent, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
3) La République fédérale d’Allemagne supporte ses propres dépens.