Cass. 2e civ., 30 septembre 2021, n° 19-26.018
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
M. Bonnet, Fitleaness (SARL), Bruno Raulet (Sté), Leanzza (EURL)
Défendeur :
Fitnessea Group (SAS), Fitnessea développement (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pireyre
Rapporteur :
Mme Jollec
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Reims, 15 octobre 2019), invoquant des faits de concurrence déloyale et des pratiques commerciales trompeuses, la société Fitleaness, M. Bonnet, la société Leanzza et la SCP Tirmant Raulet, aux droits de laquelle vient la société Bruno Raulet, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Fitleaness, ont saisi, le 16 novembre 2018, le président d'un tribunal de commerce d'une requête aux fins d'ordonner diverses mesures d'instruction, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, dans les locaux de la société Sport Reims qui exploite le club "Gygagym."
2. La requête ayant été accueillie le 20 novembre 2018, les sociétés Fitnessea développement et Fitnessea Group (les sociétés Fitnessea) ont saisi un juge des référés en rétractation de cette ordonnance en invoquant l'existence d'un procès au fond engagé à leur encontre, le 18 mai 2017, par la société Fitleaness.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La société Fitleaness, M. Bonnet, la société Leanzza et la société Bruno Raulet, ès qualités, font grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance déférée, en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle les avait déclarées recevables en leurs demandes et, statuant à nouveau et y ajoutant, de déclarer irrecevable la requête déposée le 16 novembre 2018, de rétracter l'ordonnance sur requête rendue le 20 novembre 2018 par le président du tribunal de commerce de Reims, de prononcer l'annulation du procès-verbal de constat d'huissier de justice dressé le 26 novembre 2018, de leur faire interdiction de produire ledit procès-verbal de constat dans toute instance les opposant à la société Fitnessea Group et la société Fitnessea développement, de les débouter de leur demande au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel et de les condamner à leur payer à la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, alors « que le juge doit statuer sur les dernières conclusions déposées ; que la société Fitleaness, M. Bonnet, l'EURL Leanzza, et la SCP Bruno Raulet avaient déposé leurs dernières conclusions d'appel le 12 août 2019 ; qu'en statuant au visa de conclusions déposées par ces derniers le 14 juin 2019, la cour d'appel a violé l'article 954, alinéa 4, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article 954, alinéa 4, du code de procédure civile, s'il n'expose pas succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, le juge, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, doit viser celles-ci avec l'indication de leur date.
5. Il résulte des productions que les prétentions et moyens de la société Fitleaness, de M. Bonnet, de la société Leanzza, et de la société Bruno Raulet, ès qualités, mentionnés dans l'arrêt, correspondent à ceux développés dans les dernières conclusions du 12 août 2019.
6. Le moyen tiré d'une violation de l'article 954, alinéa 4, du code de procédure civile est, dès lors, inopérant.
Mais sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
7. La société Fitleaness, M. Bonnet, la société Leanzza et la société Bruno Raulet, ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ qu'en toute hypothèse, l'existence d'une instance en cours ne constitue un obstacle à une mesure d'instruction in futurum que si l'instance au fond ouverte porte sur le même litige ; qu'en retenant, pour dire que la mesure d'instruction visant la société Sports Reims n'aurait pas été sollicitée dans l'éventualité d'un litige distinct de celui opposant les requérants aux sociétés Fitnessea devant le tribunal de commerce de Lyon, et rétracter l'ordonnance sur requête, que la nature différente des litiges invoquée par les requérants, le litige fondant la requête portant « sur une question de pratique trompeuse et de publicité mensongère », tandis que l'instance au fond introduite contre les sociétés Fitnessea portait sur un droit de franchise, et notamment la phase précontractuelle d'information, n'aurait pas été « pertinente » dans la mesure où la société Fitleaness faisait grief à la société Sports Reims d'avoir diffusé dans sa zone de chalandise des publicités indiquant que son club Gygagym était devenu un club L'Appart fitness, « ces seuls éléments étant déjà susceptibles de se rattacher à un litige ayant trait à un droit de franchise », la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropre à caractériser une identité d'objet entre les deux litiges, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile ;
3°/ que l'existence d'une instance en cours ne constitue un obstacle à une mesure d'instruction in futurum que si, à la date de la requête, le même litige fait l'objet de l'instance au fond ouverte, peu important qu'il soit fait état ultérieurement, dans cette instance, des éléments que la mesure d'instruction a permis de recueillir ; qu'en retenant, pour dire que la mesure d'instruction visant la société Sports Reims n'aurait pas été sollicitée dans l'éventualité d'un litige distinct de celui opposant les requérants aux sociétés Fitnessea devant le tribunal de commerce de Lyon, et rétracter l'ordonnance sur requête, que le constat d'huissier de justice dressé en exécution de cette ordonnance avait été produit dans cette instance et que la société Fitleaness avait alors fait valoir qu'il démontrait que les sociétés Fitnessea s'étaient rendues coupables de pratiques commerciales trompeuses et violaient la zone d'exclusivité prévue par le contrat de franchise, pour en déduire que ces manquements à leurs obligations contractuelles la renforçait dans sa demande de résiliation du contrat, la cour d'appel, qui s'est fondée sur une circonstance impropre à caractériser l'existence d'une instance en cours portant sur le même litige, à la date de la requête, a violé l'article 145 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 145 du code de procédure civile :
8. L'existence d'une instance en cours ne constitue un obstacle à une mesure d'instruction in futurum que si l'instance au fond est ouverte sur le même litige à la date de la requête.
9. Pour déclarer la requête irrecevable et rétracter l'ordonnance sur requête du 20 novembre 2018, l'arrêt retient, d'abord, que c'est de manière inopérante que les intimés entendent se prévaloir de la nature prétendument différente des litiges, l'instance au fond devant le tribunal de commerce de Lyon concernant selon eux un droit de franchise, et notamment la phase précontractuelle d'information, tandis que le litige, objet de l'ordonnance sur requête, porterait sur une question de pratique trompeuse et de publicité mensongère.
10. Il énonce, ensuite, que la distinction entre ces deux litiges que les intimés entendent opérer n'est pas pertinente, dans la mesure où il résulte de leurs propres écritures que la société Fitleaness faisait grief à la société Sports Reims d'avoir diffusé dans sa zone de chalandises des publicités indiquant que son club "Gigagym" était devenu un club "L'Appart fitness", ces seuls éléments étant déjà susceptibles de se rattacher à un litige ayant trait à un droit de franchise.
11. L'arrêt retient, enfin, que le constat d'huissier de justice, dressé le 26 novembre 2018 à la suite de l'ordonnance accueillant la requête, a été produit, dans le cadre de l'instance au fond, par la société Fitleaness, qui s'en est prévalue dans ses conclusions déposées le 27 novembre 2018 et qu'en particulier, la société Fitleaness y a fait valoir que ce constat démontrerait que les sociétés Fitnessea se seraient rendues coupables de pratiques commerciales trompeuses, violeraient la zone d'exclusivité prévue par le contrat de franchise, pour en déduire que ce manquement flagrant à ses obligations contractuelles ne faisait que renforcer la société Fitleaness dans sa demande de résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société Fitnessea.
12. L'arrêt en déduit que la mesure d'instruction obtenue sur requête n'a pas été sollicitée dans l'éventualité d'un litige distinct de celui déjà engagé entre les parties devant la juridiction commerciale lyonnaise et qu'à l'inverse, il y a lieu de considérer que cette mesure d'instruction participe de ce litige préexistant.
13. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des circonstances étrangères à la caractérisation de l'existence d'une instance en cours portant sur le même litige, n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle déclare recevables les demandes des sociétés Fitnessea Group et Fitnessea développement, l'arrêt rendu le 15 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne les sociétés Fitnessea Group et Fitnessea développement aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des sociétés Fitnessea Group et Fitnessea développement et les condamne à payer à la société Fitleaness, M. Bonnet, la société Leanzza et la société Bruno Raulet, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Fitleaness, la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille vingt et un, et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.