Cass. com., 14 novembre 1995, n° 93-16.724
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Poullain
Avocat général :
Mme Piniot
Avocats :
SCP Boré et Xavier, SCP Tiffreau et Thouin-Palat
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 février 1993), rendu en matière de référé, sur renvoi après cassation, que M. X, président du conseil d'administration de la société X, a demandé que M. Y, commissaire aux comptes de cette société, soit relevé de ses fonctions ;
Sur le premier moyen pris en ses trois branches :
Attendu que M. Y reproche à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le commissaire aux comptes est légalement investi d'une mission de contrôle des sociétés commerciales qui comporte notamment la faculté d'opérer toutes vérifications qu'il juge opportunes et celle de se faire communiquer sur place toutes les pièces qu'il juge utile, et ce dans l'intérêt public ; qu'il ne peut être relevé de ses fonctions qu'en cas d'empêchement ou de faute ; que cette dernière ne saurait être caractérisée par le juge par voie de substitution de l'autorité judiciaire dans le pouvoir d'appréciation du commissaire aux comptes ; qu'en déclarant qu'il avait exercé ses fonctions d'une manière " impérialiste " et " intéressée " sans relever à sa charge aucune violation des lois et règlements gouvernant l'exercice de ses fonctions, la cour d'appel a entaché sa décision d'un excès de pouvoir ainsi que d'une violation des articles 227 et 229 de la loi du 24 juillet 1966 ; alors, d'autre part, que, dans l'accomplissement d'une mission dont il est légalement investi, un agent ne saurait être déclaré de mauvaise foi hormis l'hypothèse où il aurait exercé les pouvoirs qui lui sont attribués dans un but étranger à celui pour lequel ces pouvoirs lui ont été conférés ; qu'en se bornant à déclarer qu'il aurait été animé d'une volonté " impérialiste " ou " intéressée " sans faire état d'aucun fait de nature à établir qu'il aurait commis un détournement de pouvoir la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 227 de la loi du 24 juillet 1966 ; alors, enfin, qu'en se bornant à critiquer son " comportement général ", la cour d'appel qui n'a pu relever à l'appui de sa décision aucun fait susceptible de justifier légalement sa décision de le relever de ses fonctions de commissaire aux comptes, a entaché sa décision de défaut de base légale au regard de l'article 227 de la loi du 24 juillet 1966 ;
Mais attendu, qu'ayant constaté que M. Y, qui n'avait pas été entravé dans l'exercice de sa mission, avait, le 11 décembre 1987, de façon concomitante, mis en oeuvre la procédure d'alerte prévue à l'article 230-1 de la loi du 24 juillet 1966 en l'absence de faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation de l'entreprise et avisé le procureur de la République, lui adressant ensuite dix-neuf lettres au même sujet, qu'il éprouvait des difficultés dans l'accomplissement de sa mission et qu'une assemblée générale avait été fixée " dans le but de transformer brutalement et dans l'illégalité la société anonyme en SARL afin d'échapper à la présence d'un commissaire aux comptes " et que, le ministère public avait, après enquête, classé l'affaire sans suite, et qu'en outre, M. Y s'était refusé à établir le rapport spécial nécessaire à la transformation sociale envisagée, l'arrêt retient que, s'abritant derrière ses prérogatives légales, M. Y avait agi dans son intérêt personnel plus que dans celui de la société ; qu'ayant ainsi caractérisé la mauvaise foi de M. Y, à partir de faits précis, la cour d'appel, justifiant sa décision, a pu statuer comme elle a fait ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que M. Y reproche à l'arrêt de l'avoir relevé de ses fonctions de commissaire aux comptes, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la société X et M. X n'avaient pas contesté que l'assemblée générale extraordinaire devant délibérer sur la transformation de la SA en SARL était celle du 19 décembre 1987 ; d'où il suit qu'en écartant le moyen qu'il invoquait tiré de l'irrégularité de la convocation de cette assemblée pour justifier son refus d'établir le rapport prévu à l'article 237 de la loi du 24 juillet 1966, au motif que cette assemblée du 19 décembre 1987 n'a pas délibéré sur une transformation de la société, la cour d'appel s'est fondée sur un fait étranger au débat et a violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'un commissaire aux comptes ne saurait établir le rapport prévu à l'article 237 de la loi du 24 juillet 1966 s'il ne dispose pas de document comptable qu'il juge fiable ; qu'en jugeant fautif son refus d'établir le rapport prévu à l'article 237 de la loi du 24 juillet 1966 en vue de la transformation de la SA en SARL sans répondre au moyen qu'il avait soulevé tiré de l'absence de fiabilité, appréciée au jour où il devait se prononcer, des documents comptables dont il disposait, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, en outre, que pour qualifier de fautif son refus d'établir le rapport prévu à l'article 237 de la loi du 24 juillet 1966, la cour d'appel s'est fondée sur le fait qu'un tel rapport a été établi le 31 juillet 1989 sur la base du bilan établi au 31 décembre 1988 ; qu'en se fondant sur des documents établis postérieurement à son refus pour établir le caractère fautif de celui-ci, la cour d'appel a violé les articles 237 et 227 de la loi du 24 juillet 1966 ; alors, enfin, que les commissaires aux comptes sont responsables du préjudice causé par le défaut d'une mention obligatoire dans les statuts ainsi que par l'omission ou l'accomplissement irrégulier d'une formalité prescrite par la loi et les règlements pour transformation des sociétés, commis lors de la modification des statuts ; d'où il suit qu'en jugeant fautif le refus qu'il a opposé de déposer le rapport prévu à l'article 237 de la loi du 24 juillet 1966 dans la perspective de la transformation de la SA en SARL alors que selon ses propres constatations cette transformation avait pour objet la suppression du commissariat aux comptes, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 7, alinéa 2, de la loi du 24 juillet 1966 ensemble la règle fraus omnia corrumpit ;
Mais attendu, en premier lieu, que si le délai de convocation de l'assemblée générale extraordinaire n'avait pas été respecté, il appartenait à M. Y, non de refuser d'établir le rapport spécial, mais, pour permettre à la société de statuer régulièrement sur la proposition de transformation, d'établir ce rapport et de le lui communiquer en l'avisant que la décision envisagée ne pourrait être valablement prise que par une assemblée générale réunie à une nouvelle date après une convocation régulière ; que, par ce motif de pur droit, l'arrêt se trouve justifié au regard du premier grief ;
Attendu, ensuite, que M. Y s'est borné à conclure qu'ayant de bonnes raisons de penser que la comptabilité étant imparfaite il avait déclenché la procédure d'alerte sans soutenir que les irrégularités qu'il soupçonnait l'empêchaient de vérifier si les fonds propres de la société étaient au moins égaux à son capital social ; que la cour d'appel n'avait pas à répondre à ces allégations imprécises qui ne constituent pas un moyen ;
Attendu, enfin, que l'arrêt relève que la transformation en société à responsabilité limitée pouvait se justifier par la taille et l'activité de la société ; qu'ayant ainsi écarté le grief de fraude, la cour d'appel a pu, abstraction faite du motif surabondant visé à la troisième branche, statuer comme elle a fait ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen : (sans intérêt) ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.